Présidium du Comité exécutif
de l’Internationale communiste
(8‑21 janvier 1924)

Les leçons des évènements d’Allemagne

Source :
Les leçons des évènements d’Allemagne – La question allemande au Présidium du C.E. de l’I.C. en janvier 1924; Moscou, Edition "Champ Rouge", 1924 [1].

[Nous reproduisons ce texte avec l’accord du responsable du site 321ignition.free.fr]

 

Le Présidium a examiné la question allemande pour la première fois le 8 janvier. Lozovski exposa alors la question syndicale. Après quoi une courte discussion fut engagée.

Une deuxième séance eut lieu le 11 janvier. Étaient présents, outre le Présidium, les membres de l’Exécutif se trouvant à Moscou, quelques délégués des partis polonais et bulgare et les représentais des trois tendances du P.C.A.

Cinq projets de résolution servirent de base à la discussion de la question politique :

Un projet de Zinoviev.

Un projet de Trotski et Radek.

Un projet de la gauche.

Un projet du Centre.

Un projet de conciliation élaboré par Zinoviev, deux représentants du centre : Remmele et Koenen, et Pieck.

La discussion fut ouverte par un rapport du représentant du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste, suivi des exposés de Brandler, Remmele, R. Fischer. Les discours sont reproduits ci‑dessous, sous une forme quelque peu abrégée qui n’enlève rien à leur substance.

On trouvera ensuite le discours prononcé par Zinoviev à la séance du 12, puis une série de documents.

I.
Rapport du représentant du C.E. de l’I.C. en Allemagne[2]

Mon rapport se divise en deux parties. La première formera un exposé des travaux de la délégation et des faits ou documents principaux les concernant; la deuxième jettera un coup d’oeil sur le passé et sur l’avenir et tâchera d’analyser la grande défaite du parti, d’en comprendre la signification et de la raconter comme nous la comprenons, Arwid et moi.

La délégation n’a pas pris part à la décision définitive du parti, qui échoua à la conférence de Chemnitz, car elle n’était pas encore là.

Qu’est-ce qu’elle a trouvé en arrivant?

L’écroulement du plan de l’Exécutif. Le plan d’offensive établi dans les conférences de septembre et d’octobre s’inspirait des idées fondamentales suivantes : le prolétariat marche d’abord en Saxe, pour la défense du gouvernement ouvrier, dans lequel nous entrons; il s’efforce d’utiliser le pouvoir pour s’armer et dresser dans cet État prolétarien de l’Allemagne centrale un mur entre la contre-révolution bavaroise du Sud et le fascisme du Nord; en même temps le Parti procède dans tout le Reich à la mobilisation des masses.

Ce plan a échoué pour les raisons suivantes : premièrement, nos camarades, une fois au gouvernement, n’ont pas été capables de réaliser l’armement du prolétariat (le parti avait en Saxe, d’après nos informations, 800 fusils!). Ensuite, à la conférence de Chemnitz, la deuxième partie, c’est‑à‑dire l’offensive commune des ouvriers social-démocrates et communistes, a également été abandonnée. La proposition de grève générale et d’insurrection armée ne fut même pas présentée, devant l’opposition de la gauche social-démocrate. Notre parti opéra sa retraite en se couvrant de la proposition suivante : nommer un comité d’action qui déciderait de la conduite à tenir. Le Comité Central résolut d’éviter tout combat, vu que l’unité de front du prolétariat n’existait pas, qu’il était impossible de la rétablir et qu’avec cette dispersion des forces et le manque de moyens matériels, il était impossible de préparer l’insurrection.

En face de cette situation, j’ai dû prendre position. Dans une conversation avec les camarades, j’approuvai l’abandon du projet d’insurrection en Saxe après la constatation de l’impossibilité du front unique avec les ouvriers social-démocrates. Mais je demandai la proclamation de la grève. Si nous ne sommes pas assez forts, disais-je, pour marcher seuls contre le fascisme, nous le sommes cependant assez pour nous défendre et ne pas livrer nos positions sans combat.

Cette proposition repoussée, chaque jour ce furent au C.C. de nouvelles discussions. Chaque fois, on se demandait : qu’allons-nous faire? Pour amener une trêve provisoire, la délégation présenta le 26 octobre à la 7e Commission[3] la résolution suivante :

La 7e Commission décide :

1. Les antagonismes sociaux et politiques s’exaspèrent à vue d’oeil; à tout moment on peut voir s’engager la lutte décisive entre la révolution et la contre-révolution.

2. L’avant-garde de la classe ouvrière (les communistes et une partie des ouvriers social-démocrates) sont impatients de commencer la bataille. Mais le gros des ouvriers, malgré son mécontentement et sa misère, n’est pas encore prêt.

3. Les réserves du prolétariat doivent donc être rapprochées de l’avant-garde par une campagne énergique. Les catégories qu’on doit principalement avoir en vue, métallurgistes, mineurs, cheminots, ouvriers agricoles et fonctionnaires, doivent être particulièrement travaillées. La préparation matérielle doit être poussée au maximum. Pour assurer l’union des prolétaires dans le combat, il faut immédiatement entrer en pourparlers avec les organisations centrales et locales de la social-démocratie, les contraindre à l’offensive ou détacher les ouvriers social-démocrates de leurs chefs.

4. Dans cette situation, il faut que le parti retienne aussi longtemps que possible les camarades de toute lutte armée, afin de gagner du temps pour la préparation. Si cependant la classe ouvrière se trouvait spontanément engagée dans de grands combats, le parti la soutiendra par tous les moyens à sa disposition. Il parera tous les coups de la contre-révolution au moyen de manifestations, grèves politiques, etc…, en évitant autant que possible les collisions armées.

5. Le parti proposera une grève de protestation dans tout le pays contre l’ultimatum de Stresemann. Dans cette grève on évitera également les collisions armées. Au cas où le parti social-démocrate en Saxe ne répondrait pas à cet appel, nos camarades rompront avec le gouvernement saxon et le combattront.

6. Tous les membres du Comité Central sont chargés de veiller à l’exécution de cette résolution. Le Comité Central établira une nouvelle division du travail entre ses membres.

Cette résolution fut adoptée à l’unanimité. Ruth Fischer vota pour. Cela se passait cinq jours après la première défaite en Saxe, après la conférence de Chemnitz.

Il était clair que nous avions essuyé une défaite grave, dont les conséquences pouvaient se faire sentir longtemps. Il y avait de plus le danger immédiat de la panique et du désenchantement des masses. Une défaite en elle-même est moins grave que de telles suites. C’est pourquoi nous nous fixâmes cette tâche : arrêter la retraite, refaire du parti communiste allemand le point de concentration des travailleurs militants, et reprendre la lutte.

Le jour où le Comité Central se réunit, nous ne voyions pas encore autour de quoi grouper ces travailleurs, sur quel terrain les concentrer pour l’action; nous ne sentions pas encore le levier entre nos mains. C’est pourquoi le passage correspondant des thèses présentées par nous n’est pas assez concret. Au bout de quelques jours, il devint clair que le premier devoir du parti était de ne pas se laisser chasser à l’arrière-plan : par conséquent, comme nous étions privés des libertés de presse et de réunion, il s’agissait d’organiser des manifestations dans la rue.

C’est sur cette ligne de retraite active que nous tentâmes de regrouper le Parti. Comment fut-elle acceptée? En ce qui regarde les démonstrations de sans‑travail, tout le Comité Central était unanime. Pour la protection des manifestations par les centuries, la majorité était d’accord. Mais lorsqu’il s’agit de l’application, nous rencontrâmes une vive opposition de la part de la représentante des Berlinois[4] : le mécontentement et le désenchantement dans le parti étaient si grands, selon elle, que nous ne serions pas en état d’entraîner les masses pour des manifestations. Une deuxième objection était celle‑ci : nous le ferons, mais cela demande de longs préparatifs.

Autre désaccord dans la question des démonstrations armées. Le représentant de Berlin soutenait, contrairement à celui de Hambourg, qu’elles étaient impossibles, qu’on s’exposerait à d’inutiles effusions de sang, et que nos hommes ne pouvaient pas marcher dans les rues avec ce cliquetis. Tout en maintenant le principe, nous cédâmes pour cette fois et le C.C. tout entier décida que la première manifestation ne serait pas protégée. La pratique montrerait ensuite jusqu’où on pouvait aller.

Les raisons de cette ligne de conduite sont évidentes. Pour moi, la faiblesse du parti et des masses vient de leur passivité. Tant que les masses n’auront pas le sentiment que nous, communistes, sommes prêts à risquer tout, elles ne marcheront pas au combat. L’état actuel du prolétariat allemand est un effet de la situation générale, de l’anéantissement de l’activité politique, de la passivité extraordinaire de toutes les classes à l’exception des militaires. N’étant pas soldat et ne pouvant indiquer pratiquement comment assurer la protection des manifestations ‑ cela était l’affaire de la direction militaire ‑, je me disais seulement : nous ne pouvons pas inviter les ouvriers une fois ou deux à des démonstrations où ils se feraient rouer de coups, et ensuite renouveler notre invitation une troisième fois. Ou bien, les démonstrations ne sont qu’un geste, ou bien nous devons assurer leur défense.

Avant de passer à l’analyse politique, je veux préciser notre attitude. Sur les causes de notre défaite, nous avions naturellement, dès le premier jour, nos idées et nous les avons communiquées dans des rapports à l’Exécutif. Ces rapports sont sous vos yeux. La question se posait ainsi : doit‑on dans ce stade se livrer à une analyse des faiblesses et des fautes du parti? Mon point de vue et celui de toute la délégation, que je conserve encore actuellement, était qu’au moment de la première tentative de regroupement et de ralliement, au moment de livrer la bataille, il était non seulement inexpédient, mais même inacceptable d’ouvrir un débat sur la tactique.

Telle était ma façon de voir. Je prévoyais bien que la défaite amènerait une terrible crise, dans laquelle cette analyse se ferait, mais j’estimais nécessaire de l’ajourner, jusqu’à ce que la clarté fût obtenue sur ceci : sommes‑nous au début d’une longue période de préparation excluant toute action importante ‑ et alors le parti devra trouver un remède à ses défauts dans la discussion ‑ ou bien marchons‑nous, à travers des combats partiels, à de grandes luttes ‑ et alors le parti trouvera sa guérison dans ces luttes mêmes? Je m’opposai donc de la façon la plus énergique à toute tentative d’ouvrir au milieu de novembre la discussion à laquelle nous procédons maintenant. Je n’affirmerai pas, naturellement, que les délégués et moi nous étions alors en mesure d’apprécier toute la gravité de la défaite. Je n’ai pas relu nos correspondances et peut‑être que ce que nous donnons aujourd’hui comme la conclusion de notre examen contredit ce que sous la première impression des événements nous avions signalé à l’Exécutif. Je ne pense pas que le devoir de l’homme politique soit de ne jamais se déjuger, quand il a appris davantage.

Quelles ont donc été les causes de notre grande défaite?

Premièrement, la défaite est grande : elle nous a rejetés en arrière, au moment où nous touchions le but. Nous avons laissé échapper une occasion comme il s’en présente rarement d’aussi favorables.

Deuxièmement : nous ne savons pas avec quelle rapidité la dissolution du capital va se poursuivre en Allemagne. Nous devons prévoir la lutte, tant qu’il n’est pas certain qu’elle ne viendra pas. Un parti politique ne peut pas dire : il arrivera ceci, ou cela. Il doit tenir compte de toutes les possibilités. Il doit se dire : que ferons-nous dans telle et telle situation? Y a‑t‑il des chances d’aggravation, alors travaillons en vue de cette aggravation. Mais ici, où nous commençons seulement à essayer de nous rendre compte de toutes les éventualités, nous devons faire ressortir qu’il est possible que la situation reste gâtée pour longtemps. Dans cette hypothèse la défaite serait encore plus lourde que nous ne la voyons maintenant.

Troisièmement : nous ne savons pas quelle répercussion cette défaite aura sur les autres partis communistes. C’est pourquoi je ne dis rien sur les moyens de la pallier.

Pour le moment nous devons nous demander d’abord : d’où vient la défaite? Je trouve deux explications. Parmi les camarades les uns disent : il est vrai que la masse du parti est prolétarienne, mais la direction est composée d’anciens fonctionnaires social-démocrates qui ne sont pas encore devenus communistes, et qui ont trahi. Telle est la première explication. La deuxième, celle à laquelle je me rallie, est que notre Parti est un bon parti prolétarien, mais sans expérience révolutionnaire suffisante. Sa direction souffre naturellement, comme tous nos comités centraux, de grandes faiblesses inhérentes à son origine social-démocrate et tant qu’elle n’aura pas traversé toute une série de grands combats, elle n’aura pas cette expérience.

(Brandler : Il y en a beaucoup qui n’ont pas fait partie de la social-démocratie.)

(Maslow : Et, il y en a aussi qui retourneront à la social-démocratie.)

Bien que nous soyons un bon parti ouvrier, nous ne sommes pas encore un bon parti communiste. Et c’est ce qui me paraît le plus grave. Il n’est pas vrai, camarades, que les chefs ne voulaient pas et que les masses voulaient le combat. Si nous regardons les masses de la gauche social-démocrate, peut‑être que leurs chefs sont des traîtres, mais elles‑mêmes n’ont pas trahi et sont composées d’ouvriers loyaux. Or elles n’ont pas vu que leurs chefs étaient des traîtres, dans l’ensemble elles ne les considèrent pas encore comme tels. Cela montre que les réserves dont nous pouvions bénéficier sur notre route sont encore en formation. La masse sympathise avec nous, mais elle n’est pas prête à aller avec nous jusqu’au bout. Notre parti allemand n’est pas un parti dirigé par des social-démocrates, c’est un parti communiste encore imparfait. Voilà la vérité.

On pose la question suivante : N’avons‑nous pas surestimé la situation d’octobre? N’est-ce pas là la source de l’erreur, de la défaite? Non. Pour moi, il faut chercher ailleurs. L’affaire de la Ruhr marquait une nouvelle phase dans le développement de la lutte des classes. Dans notre Manifeste du congrès de Leipzig, nous disions : Cette phase se terminera par la guerre civile. Théoriquement, c’était juste, mais nous n’en avons pas tiré les conclusions pratiques. Dès le mois de mai, lorsque l’échec de la résistance était déjà évident, lorsque les éléments de désagrégation étaient déjà extraordinairement accrus, n’aurait‑il pas fallu déclencher, non pas encore l’occupation des fabriques, mais une offensive croissante des masses?

Ce n’est qu’après les journées d’août que Moscou a commencé à s’orienter véritablement sur la prévision d’événements décisifs. La meilleure preuve en est que les deux conférences d’Essen et de Francfort avaient préparé la propagande, mais non la lutte. L’Exécutif n’avait donné aucune indication dans ce sens et le Parti français avait seulement envoyé vingt camarades pour la propagande illégale parmi les troupes. À l’Exécutif Élargi, il ne fut question que d’utilisation de la Ruhr au point de vue agitation. Si nous avions cru alors à la révolution, l’ordre du jour de l’Exécutif Élargi n’aurait porté qu’un point : la préparation de l’offensive et de l’insurrection.

(Clara Zetkin : Très bien!)

Après les événements d’août, nous avons vu le tour que prenaient les choses, et nous nous sommes dit que les fascistes allaient s’emparer du pouvoir si nous ne nous en emparions pas nous‑mêmes. Or, si nous voulions le combat, nous ne devions pas nous proposer comme but la défense de la république de novembre. Il y a une différence entre la république de novembre et celle de Kerensky : sous Kerensky les ouvriers avaient les Soviets, par conséquent quelque chose à défendre; en Allemagne, la république de novembre est morte dans le coeur des ouvriers et elle ne valait pas la peine qu’on fasse un mouvement pour la défendre. Par conséquent si nous voulions marcher de l’avant, nous devions viser à la conquête du pouvoir.

Or qu’est‑ce qui s’est produit? Zinoviev écrivit un projet que j’ai ensuite modifié, en 14 articles, qui fut transmis au Parti allemand non comme une résolution, mais pour échange de vues. Il répondit qu’il l’acceptait. C’était un programme d’action exposant ce qu’il devait faire dans tous les domaines. Mais d’août à octobre, il ne fit rien. C’est un fait frappant que nous n’avons jamais livré de combats d’arrière‑garde; lorsque la presse communiste fut bâillonnée, nous n’avons pu parer le coup.

Nous avons jugé ici : la situation est grave, ou bien les fascistes, ou bien les communistes prendront le pouvoir. En septembre, nous résolûmes de le prendre nous-mêmes. Nous fixâmes un terme. Maintenant on essaie de représenter cette histoire du terme comme la faute principale. Il faut distinguer ici deux choses :

Premièrement, du moment que les communistes pensaient réellement à la conquête du pouvoir, devaient‑ils fixer un terme? ‑ Évidemment.

Mais pouvaient-ils dire aux masses : "Chers camarades, nous ne savons pas encore si nous prendrons le pouvoir, mais, pour des raisons pédagogiques, nous allons nous fixer un terme". Naturellement non.

La faute n’est pas dans l’idée de fixer une date, c’est qu’elle a été fixée à Moscou. Je l’avais dit : ce n’est qu’au milieu des événements que le commandement qui dirige la lutte peut fixer des dates. Si Moscou fixe un délai, le parti en est informé et alors c’est la panique et les cris à la trahison si l’on est forcé d’ajourner le combat.

Mais je pense que cette évaluation, juste ou fausse, n’a joué aucun rôle. Dans toute cette affaire, ce qui a eu une influence décisive, c’est que le parti, tout en donnant le mot d’ordre du combat, tout en parlant d’assaut en masse, est resté inactif.

La question principale n’est pas de savoir si les fautes ont été commises en octobre ou en mai, mais pourquoi nous les avons commises?

Camarades, une époque de notre histoire a pris fin avec les journées de mars. Nous cherchions jusque‑là la conquête du pouvoir. Après septembre 1920, et la défaite de l’armée rouge en Pologne, il était clair que le flux révolutionnaire était en décroissance et que nous devions nous borner provisoirement à gagner la majorité du prolétariat. Mais passer brusquement de la tactique d’offensive directe à la tactique d’organisation lente était périlleux. Ni Moscou, ni les camarades sur place ne se rendirent compte assez tôt du changement de la situation. Lorsque la défaite nous surprit à l’improviste, alors les écailles nous tombèrent des yeux et nous dîmes : Oui, il faut d’abord conquérir les masses. De là une période d’agitation et de propagande qui s’est prolongée jusqu’à la campagne de la Ruhr. Dès lors le seul moyen d’entraîner les masses avec nous devenait l’action. Mais le nouveau flux de la révolution n’a pas été aperçu assez vite, ni ici à Moscou, ni en Allemagne.

Cela signifie‑t‑il que le C. C. allemand soit social-démocrate? Non, il est meilleur que celui d’aucun autre grand parti communiste et pour des raisons bien simples. Aucun autre pays ne nous offre le spectacle de luttes comme nous en avons eues en Allemagne. Il y a les traditions de Marx, les campagnes contre Kautsky, une grande expérience révolutionnaire. La direction a quelques traits rappelant la social-démocratie, comme il s’y trouve aussi des camarades qui montrent un défaut complet de compréhension d’un mouvement de masse, sans avoir jamais appartenu au Parti social-démocrate. Nous avons affaire à des hommes et non à des anges.

C’est pourquoi la question principale, à mon avis, après avoir donné cette interprétation des causes de notre défaite, est la suivante : que faire maintenant?

Pour la résoudre, il faut d’abord établir quelques faits. Tout d’abord qui gouverne en Allemagne? Dans toute situation, l’homme politique qui a à diriger une action de masse doit connaître l’adversaire, son organisation, sa nature.

La question de savoir si le fascisme a vaincu ou non est tranchée, puisque la bourgeoisie a repoussé par la force les ouvriers, leur a imposé le programme de Stinnes et que la classe ouvrière s’est repliée. La résistance a un sens, je le comprends bien, tant que vous pouvez croire que dans quelques semaines vous donnerez de nouveau l’assaut. Mais si vous êtes forcés de discuter encore toute une année si le fascisme a vaincu ou non, c’est preuve qu’il a vaincu… Je m’embarrasse peu des formules, qui pour moi sont de simples moyens politiques, et lorsque Remmele et Koenen m’ont proposé : "Eh bien, pour ne pas aigrir la discussion, disons que les blancs ont triomphé", j’ai répondu qu’à mon avis on pouvait aussi bien dire : les blonds, les bruns ont triomphé à mettre en doute[5].

Maintenant de qui le fascisme a-t-il triomphé? La période qui vient de s’écouler a été une période de démocratie bourgeoise, dans toute la force du terme. Nulle part au monde le prolétariat, malgré des retours périodiques d’oppression, n’avait une telle liberté de mouvement. Quelle immense influence avait l’aristocratie ouvrière dans la république de novembre! Celui qui le méconnaîtrait ne comprendrait pas les raisons pour lesquelles les masses social-démocrates tenaient tant à leur république. Il ne s’agit nullement entre nous de savoir si la social-démocratie a été violentée ou s’est prostituée. La raison pour laquelle j’estimais absolument nécessaire de dire que le fascisme a vaincu est autre. Si le fascisme a vaincu, il n’y a plus d’alliance possible avec la social-démocratie.

Je passe maintenant à une chose qui, je dois le dire, m’apparaît d’un côté comme l’une des plus importantes et de l’autre comme l’une des plus comiques à mettre en doute[6].

Nous avons, lors des discussions poursuivies avec les camarades allemands ici même à Moscou, au printemps, adopté une résolution sur la question nationale, dans laquelle nous disions : à notre parti incombe une nouvelle tâche, la conquête de la petite-bourgeoisie prolétarisée, dont nous devons nous assurer l’alliance au moins partielle, avant de nous emparer du pouvoir. Le parti doit donc s’intéresser aux classes moyennes, à la question nationale. Nous avons pris position là‑dessus à l’Exécutif Élargi. Le discours sur Schlageter[7] fut unanimement approuvé. Après ce discours, la camarade Fischer et Remmele la main dans la main ont poursuivi avec moi cette nouvelle agitation. Bien plus, sa nécessité fut soulignée dans les thèses de l’Exécutif et du Comité Central russe sur la question allemande ainsi que dans les articles de Zinoviev. En Russie, le paysan, faisant partie de l’armée, avait servi d’allié. S’il n’y avait pas eu d’armée, il aurait joué son rôle plus tard, après la conquête du pouvoir, mais non pas dans la révolution même. En Allemagne nous avons une petite-bourgeoisie prolétarisée qui marche sous l’étendard fasciste, quoique la victoire du fascisme soit sa ruine. C’est pourquoi les désaccords entre fascistes peuvent avoir une grosse importance. Si, en les étudiant et en les élargissant, nous arrivons à détacher les petits-bourgeois, totalement ou en partie, de Stinnes et de Westarp et à les gagner à notre cause, non pas comme membres du parti, mais comme alliés même hésitants, nous aurons fait un grand pas en avant.

Que faire pour cela? Permettez-moi de citer un passage de la "Maladie Infantile" de Lénine :

On ne peut vaincre un ennemi puissant que par un grand effort et par une utilisation résolue, minutieuse, diligente, prévoyante et habile de toutes les fissures même les plus insignifiantes qui peuvent se produire dans son front, de tous les antagonismes se faisant jour dans la bourgeoisie de chaque pays et aussi des moindres possibilités de se trouver un allié même provisoire, chancelant, inconsistant, douteux, conditionnel. Celui qui n’a pas compris cela n’a rien compris au marxisme, ni surtout au socialisme scientifique "civilisé" d’aujourd’hui. Celui qui n’a pas montré pendant un laps de temps assez important, d’une façon pratique et dans des conjonctures politiques diverses, qu’il sait mettre ce précepte en pratique n’est pas encore prêt à servir la classe révolutionnaire dans sa lutte pour la libération de toute l’humanité laborieuse. Ce qui vient d’être dit est également bon avant et après la conquête du pouvoir par le prolétariat.

Dans un autre endroit de la même brochure, Lénine traite de l’importance de ces divergences entre la petite-bourgeoisie et la grande, et commente la situation transitoire pacifique, telle qu’elle existe en Angleterre.

De tout cela il résulte, à mon avis, que les paysans joueront en Allemagne un grand rôle après la victoire de la révolution, quand on se demandera : "Où prendre le pain?" Mais dans la conquête même du pouvoir ils ne joueront pas un aussi grand rôle. L’Allemagne n’a pas une masse compacte de paysans. C’est la différenciation de la petite-bourgeoisie urbaine qui importe.

Quel rôle jouent ici les divers groupements antagonistes du fascisme? Je pense que dans son article : "Le Koltchak allemand", Zinoviev ne distingue pas suffisamment entre la situation des masses petites-bourgeoises d’Allemagne et de Russie. Il dit que les menchéviks, après l’écrasement de la révolution de 1905, ont mis à profit les oppositions entre cadets et octobristes, tandis que les bolcheviks savaient que ces partis représentaient seulement différentes nuances de la bourgeoisie et que ces oppositions n’auraient pas une influence décisive. Certes, si entre les petits-bourgeois médecins, fonctionnaires, artisans d’Allemagne, et Stinnes et Westarp, il n’y avait pas plus de différence qu’entre Goutchkov et Milioukov, Zinoviev aurait raison. Mais il oublie le principal. En Occident il y a, outre les restes de l’ancienne classe moyenne, des masses de petits-bourgeois qui se chiffrent par millions, et qui actuellement sont réduits à la misère par le capitalisme. La Russie de 1907 se trouvait dans une phase d’essor économique, où le capitalisme ne nuisait guère matériellement aux classes moyennes même quand il leur enlevait l’indépendance. En Occident nous assistons à une expropriation des classes moyennes comme on n’en avait pas encore vu. Ce sont là des éléments de dissolution que nous devons utiliser.

Camarades, je me trouve dans l’impossibilité de m’arrêter sur une question au sujet de laquelle il existe encore une divergence sensible entre nous, je veux parler de l’application ultérieure de la tactique du front unique. Le 4e Congrès n’avait pas prévu que cette tactique devrait évoluer et qu’un laps de temps considérable s’écoulerait avant la future révolution. Toutefois il avait bien prévu la possibilité en Occident de conjonctures spéciales où notre accession "démocratique" à un gouvernement ouvrier pourrait être utilisée comme tremplin pour la lutte pour la dictature du prolétariat. Aurions‑nous fait des milliers de fautes dans l’application, il n’y a qu’à les corriger. Mais si nous disons : la tactique du front unique n’est que de l’agitation, nous tombons tout d’abord dans une erreur théorique, en ignorant une possibilité qui peut encore se présenter, en Allemagne par exemple.

(Scholem : Écoutez! Écoutez!)

Je ne suis pas un politicien, seulement je veux dire ceci : si la dissolution des troupes fascistes se poursuit, nous pouvons nous trouver dans une situation où nous pourrons répéter la manoeuvre saxonne mieux qu’elle n’a été exécutée la première fois.

(Très bien! Écoutez! Écoutez!)

Ou bien nous sommes des partis de discussion, ou bien des partis de lutte. Dans ce dernier cas, nous ne devons nous priver d’aucune possibilité pratique. Il y a 99 chances sur 100 que sur le continent la question du gouvernement ouvrier ne jouera pas un rôle important : mais qu’en Angleterre cette forme de gouvernement soit appelée à jouer un rôle décisif, cela ne fait aucun doute. Pour cette raison, je dirai : comme, à mon avis, une ligne de conduite pratique est mille fois plus importante que toutes les subtilités théoriques sur la situation telle qu’elle sera dans un an, dans cinq ans, ou dans six ans, je suis prêt à sacrifier dix formules, mais il n’est pas permis de se fermer la route, car alors nous susciterons une crise des plus graves, notre théorie ne répondant plus aux nécessités du mouvement.

Je conclus.

La grande source de la crise que nous traversons et que nous traverserons encore pendant des années, si la révolution ne vient pas, consiste en ceci : nous sommes le parti de la dictature, mais si aucun flux révolutionnaire ne se présente, nous sommes réduits à la propagande et à l’agitation pour la dictature. Or la masse ne vit pas seulement de propagande et d’agitation. Des tâches pratiques incombent au parti communiste. Il est si difficile dans ces dernières de réaliser le point de vue du communisme qu’il se manifeste vite un grand désaccord entre ce que nous voulons et ce que nous pouvons. Si nous ne nous en rendons pas compte, et si par suite de ce désaccord nous accusons nos directions d’être réformistes, nous nous détruisons nous‑mêmes. En écoutant hier le magnifique discours de Thälmann je me disais : tant de flamme, tant de foi dans la révolution, et cependant à Hambourg nous n’avons que 11.000 membres tandis que la social-démocratie en a 78.000!

(Mais elle vient d’en perdre 30.000!).

Après cinq années de trahison déclarée.

En faisant du communisme un simple sujet d’agitation, nous aurons de superbes petits partis communistes. Et de nouveau la question se dressera : secte ou masse? Elle s’est posée déjà : si nous n’avions retenu le parti en mars, Levi aurait eu raison. Mais nous l’avons retenu et nous avons dit : Allons aux masses sur le terrain pratique. Elle se pose encore aujourd’hui.

Nous ne sommes pas des Levi, et quoi qu’il advienne nous accepterons pleinement les résolutions de l’Exécutif. Mais nous n’effacerons pas les divergences qui existent et nous défendrons notre opinion au sein de l’Internationale Communiste.

Quand la commission fonctionnera, je lui soumettrai les thèses rédigées par Trotski, par P. et par moi.

II.
Discours de Brandler

Je suis arrivé en Allemagne le 8 octobre, et c’est le 12 que fut formé le Gouvernement saxon. Je trouvai en train, et touchant presque à leur terme, les conversations touchant la composition du cabinet. Les événements se succédaient avec une rapidité vertigineuse. J’avais la ferme intention d’étudier la situation à fond, mais je n’en eus pas le temps. Mon entrée dans le gouvernement ne fut que l’exécution d’une décision de l’Exécutif, qui, par télégramme, nous avait invités à en faire partie, sans nous y préparer. Je n’étais pas d’accord avec Zinoviev et j’adhérais aux amendements de Radek, car je me disais que si notre avènement au pouvoir devait faciliter notre armement, il exigeait une préparation intense en Saxe et dans le reste du Reich. La décision a été précipitée. Il ne s’agissait pas d’une manoeuvre parlementaire, mais de nous armer. Presque rien n’ayant été préparé, aucune mesure efficace ne put être prise. Pour se procurer des armes il aurait fallu connaître le mécanisme bureaucratique et les arsenaux. Il aurait fallu prendre en mains la municipalité et choisir son moment pour utiliser cette position. Cela peut sembler des détails accessoires et négligeables, mais ils furent pour nous d’une importance capitale. Le pouvoir des communistes se maintint en tout neuf jours, pendant lesquels rien ne fut fait sauf quelques tentatives pour trouver des armes. Elles échouèrent faute de préparation.

Je continue à penser qu’il est possible de répéter l’expérience saxonne en mieux. Cependant il est peu probable que, les choses se développant autrement, nous trouvions encore une occasion de ce genre. Les fautes commises nous serviront de leçon.

Thälmann assure qu’au fond nous ne croyions pas à la Révolution et que cela nous a empêchés de la vouloir quand la situation l’exigeait.

Thälmann est persuasif, pourtant ce qu’il dit est faux. Je vous demande, moi : peut‑on dire qu’en octobre la Révolution était mûre? Nul ne prise plus haut que moi le rôle subjectif du parti communiste, mais la révolution dépend‑elle de la foi ou du manque de foi des chefs de ce parti? Si Thälmann a raison, nous avons trahi la Révolution, et alors ce qui reste à faire est très simple : éloigner les traîtres, faire place aux révolutionnaires intégraux.

Camarades!

L’action de mars 1921 nous a convaincus que toute la situation des classes et l’ensemble des conditions objectives n’étaient pas mûrs encore pour nous permettre d’enlever le capitalisme d’assaut. L’assaut repoussé fut suivi d’une grande défaite dont on a voulu me rendre responsable tout comme de celle‑ci. Pourtant si, comme les autres camarades, j’ai commis des erreurs, je crois ne pas être capable de répéter deux fois la même.

J’accepte l’entière responsabilité de la retraite d’Octobre. J’affirme que si, au plus critique de la situation, après la conférence de Chemnitz, je n’avais pas fait marche arrière, nous nous serions trouvés engagés dans une mêlée qui aurait abouti à notre débandade et nous aurait enlevé pour de longues années jusqu’à la faculté d’envisager l’éventualité de la victoire du prolétariat. Je dirai plus : qu’une pareille situation se reproduise, j’agirais comme j’ai agi.

Nous nous étions entendus avec l’Exécutif. Nous pensions pouvoir faire de l’Allemagne Centrale notre place d’armes, passer de la défensive à l’offensive, puis livrer combat pour la dictature. En septembre, ce plan avait été totalement approuvé par l’Exécutif. Il était parfait, d’ailleurs, mais dans l’appréciation des forces en présence, le C.E. de l’I.C. comme le C.C. du P.C.A. s’étaient trompés. Nous avions choisi la voie la plus aisée. C’est la plus difficile qui est la bonne. Sur quoi était fondé notre choix? Pour l’expliquer, il faut que je me reporte aux événements qui se sont déroulés lors de l’occupation de la Ruhr.

Le début de l’occupation coïncida avec notre congrès de Leipzig. Nous étions tous d’accord pour reconnaître l’importance décisive de la Ruhr pour le mouvement et pour la révolution allemande.

(Hesse et Maslow : Rien n’avait été dit à ce sujet.)

Si fait, dans notre appel et dans le rapport Zetkin, la question a été nettement visée.

(Ruth Fischer : Mais pas en séance publique.)

Le Congrès a adopté à l’unanimité son manifeste. Ce n’était pas en séance publique, mais c’était bien l’opinion du Congrès et elle fut confirmée encore dans une séance solennelle.

Plus tard, dans le rapport politique, nous avons encore pris position. Je fis remarquer qu’il nous était difficile de dire si nous resterions dans la paix relative où nous nous trouvions, ou bien si l’occupation de la Ruhr allait faire déferler une nouvelle vague montante de la révolution. Pas un seul d’entre vous ne s’est montré ce jour‑là plus avisé que moi, pas un seul n’a pu affirmer si oui ou non cette vague se lèverait. Et je stipulai dans les thèses admises par la majorité que nous devions être prêts aux deux éventualités. La politique du parti fut conduite en conformité des décisions de Leipzig. En quoi consista‑t‑elle? Tout d’abord, nous eûmes de grandes difficultés à émouvoir les masses contre l’occupation de la Ruhr. Impossible de les mettre sur pied. Au lieu d’un large élan d’indignation populaire, nous n’assistions qu’à une certaine irritation du nationalisme petit-bourgeois. Pour être à même de susciter des mouvements, il nous fallait savoir les tendances des masses. C’est alors que nous lançâmes dix mots d’ordre assez disparates, pour nous orienter nous‑mêmes, pour voir quels objets pouvaient inciter le prolétariat au combat. À cette époque l’opposition exigeait l’action à tout prix et réclamait la mainmise sur les entreprises, idée qui fut repoussée par le Parti. Au contraire, les ouvriers furent incités à l’action par les mots d’ordre des commissions de contrôle et des centuries prolétariennes. Ces mots d’ordre n’ont pas été inventés, ils ont été trouvés par tâtonnement.

Telle était la situation à la veille de la guerre de la Ruhr, qui s’acheva bien vite. Une fois la résistance passive de la bourgeoisie brisée en mai, toutes les dépenses et charges entraînées par la politique précédente d’exécution, puis par celle de sabotage, tombèrent sur le dos du prolétariat. La lutte spontanée des mineurs de la Ruhr commença, indiscutablement dirigée ensuite par notre parti. Ce que les social-démocrates n’avaient pu réaliser, ni avant ni pendant la guerre, ce qui ne nous avait pas réussi non plus pendant la guerre, ni après, à savoir la direction d’un aussi large mouvement de masse, nous fut rendu possible pour la première fois par le naufrage de la résistance passive.

À présent je puis dire avec certitude que cette lutte de la Ruhr portait précisément en elle tous les indices d’une phase nouvelle du mouvement révolutionnaire.

Après la grève de la Ruhr éclata la grève de Haute‑Silésie, où de nouveau nous pûmes prendre la tête des colonnes prolétariennes. Cela prouve les bons résultats de la tactique du front unique par nous pratiquée.

Maintenant, camarades, j’arrive au principal : j’affirme qu’en Saxe, comme dans la Ruhr et en Silésie, nous avons eu un bel actif, en obtenant la direction non seulement des sans‑parti, mais encore des masses organisées et en empêchant la coalition des social-démocrates avec la bourgeoisie : sous la pression des masses, les leaders de la droite opportuniste se refusèrent à la compromission d’un cabinet de coalition et se déclarèrent disposés à travailler de concert avec les communistes.

Ainsi, dans trois secteurs : Ruhr, Haute‑Silésie, Saxe, et plus tard, en Allemagne Centrale, nous avons tenu assez fermement le gouvernail du mouvement ouvrier.

Quels ont été nos points d’appui parmi les ouvriers, en quoi se sont‑ils confiés à nous? En tous leurs besoins quotidiens : salaires, dans la Ruhr; même chose en Silésie; en Saxe, quelque chose de plus, ils nous remirent la direction politique pour utiliser la situation parlementaire.

Camarades, je n’ai nullement l’intention de me blanchir à vos yeux; je me borne à exposer la politique du parti après Leipzig, et la politique saxonne. Toutefois, qu’il me soit permis de faire remarquer que ce serait risiblement exagérer mes capacités et mon influence que de leur imputer la fausse route suivie. Qui donc est le coupable? Ce sont les circonstances dans lesquelles il nous a fallu engager le combat. Nous avions fait dissoudre le Landtag saxon, nous y avions installé une majorité prolétarienne. Si nous avions déclaré selon le désir de l’opposition, ne pas nous soucier de cette majorité, ne pas vouloir nous en servir, j’estime que nous aurions été réduits à l’état de secte, et non pas en Saxe seulement, mais dans toute l’Allemagne. Il nous fallait livrer la bataille sans choisir le terrain : il était tout donné, avec ses avantages et ses inconvénients. Des fautes ont été commises. On nous dit que la puissance de choc et la mobilité du parti auraient dû être plus grandes, plus effectives. Je réponds : l’issue n’a pas dépendu de nos erreurs grandes ou petites, mais du terrain et du moment, dont nous n’étions pas maîtres et qu’il ne nous restait qu’à utiliser de notre mieux, en nous réglant sur la devise du 3e et du 4e Congrès : "Aux masses!". Que résulta‑t‑il de notre effort? Par rapport à nos ambitions, zéro; mais à considérer les aspirations, les espérances du prolétariat et ce qu’il attendait de sa victoire, quelque chose tout de même : la faculté de former des commissions de contrôle, de multiplier les conseils d’usines, d’organiser les centuries prolétariennes. Nous étions certes à cent lieues des buts finaux du communisme, mais le Parti allemand avait acquis la confiance absolue des ouvriers.

Cette politique a fait naître dans le prolétariat des illusions dangereuses. Elles se sont fait jour jusque dans notre parti et elles n’ont pu être déracinées que par une agitation intense. Certains se disaient : Nous passerons de la coalition bourgeoise à un gouvernement social-démocrate appuyé par les communistes, puis à un cabinet mi‑partie social-démocrate, mi‑partie communiste, enfin au pouvoir exclusif des communistes, sans grande difficulté, sans effusion de sang. Des pronostics de cette sorte étaient une conséquence malheureusement inévitable de notre politique.

Comment avons-nous surmonté les difficultés et conjuré le danger? En entraînant par les cheveux les ouvriers social-démocrates à notre suite et en dissipant leurs illusions par les faits. La pratique eut vite fait d’en finir avec tous leurs espoirs de victoire facile.

De la vague révolutionnaire qui montait, nous n’apercevions que les bons côtés. Qu’était la grève contre Cuno? Pas autre chose que la continuation de la campagne pour les salaires, commencée dans la Ruhr, en Haute‑Silésie et en Saxe. Mais un conflit de ce genre revêt à Berlin une toute autre portée politique. Coïncidant avec la crise gouvernementale, il hâta la chute du cabinet. Mais cette grève ne fut politique que par ce qui en est résulté grâce aux circonstances. Autrement, non; car elle n’avait ni objectif révolutionnaire consciemment posé, ni force élémentaire.

Le parti ne songea sérieusement à se préparer à la guerre civile que lors de cette grève contre Cuno. Nous verrons une autre fois si sa position fut mauvaise ou bonne.

Presque partout ailleurs les préparatifs ne commencèrent qu’après l’appel du 11 juillet. Cette préparation tardive aggravait les faiblesses objectives, à un moment où la journée antifasciste, avec ses immenses possibilités d’agitation parmi la petite-bourgeoisie et chez les ouvriers, créa une situation telle que chacun disait : le 29 les communistes entrent en action.

Tous les symptômes d’une ascension révolutionnaire étaient là. Nous avions avec nous la grande majorité des ouvriers et nous pensions dans ces conditions pouvoir engager l’attaque, dès que l’occasion se présenterait. Nous nous trompions. Notre grande faute était de surestimer la force combattive de cette majorité que nous étions impuissants à organiser. Le gouvernement réagit. Il interdit les conseils d’usines.

Cette situation, grosse de tant de possibilités, nous ne pûmes donc pas, au contraire de ce que nous nous étions figuré, la pousser jusqu’à l’assaut. J’estime que si nous nous étions ralliés alors à l’opinion de Radek, si le Parti et l’Exécutif avaient pris à temps certaines mesures, indispensables à la veille du combat décisif, nous n’aurions peut‑être pas remporté en octobre une victoire décisive, mais nous n’aurions pas essuyé la défaite que nous a value notre recul. Malheureusement, nous nous préoccupions uniquement de profiter de notre position favorable pour attaquer la bourgeoisie et nous perdions de vue que tant que l’initiative demeurait à l’adversaire, entré en action avant nous, prêt à prendre l’offensive, nous n’étions pas en état d’organiser une résistance comme il faut.

Si j’en avais le temps, je m’arrêterais sur tout ce qui facilitait les manoeuvres de l’ennemi, et nous faisait voir au contraire les choses sous un faux jour… Le fascisme petit-bourgeois de Bavière servit de trompe‑l’oeil pour détourner notre attention des préparatifs sérieux du fascisme industriel et agrarien de Seeckt. Cette fois, comme en 1914, comme en 1918 et comme lors du coup de Kapp, le fascisme triompha sans peine sous le manteau de la social-démocratie sous lequel il se dissimulait, comme en 1918 la dictature militaire de Noske et la république de novembre. Le gouvernement de coalition, la loi d’extension des pouvoirs gouvernementaux, et l’accord des social-démocrates masquèrent les préparatifs fascistes et la masse eut l’impression (pas dans notre parti, mais parmi les éléments influencés par les social-démocrates, dans les syndicats et chez les ouvriers non syndiqués) que l’ennemi était la Bavière et que tous les armements préparant en réalité la prise du pouvoir par les fascistes étaient destinés non à mater le prolétariat, mais à combattre la clique petite-bourgeoise ramassée autour de Ludendorff, Hitler, etc…

Ainsi, après quatre ans de guerre et cinq ans d’après‑guerre, les ouvriers se sont une fois de plus laissés prendre à la grossière manoeuvre des social-démocrates. Le front unique brisé, nous, communistes, avions à décider si, malgré tout, il fallait accepter le combat ou nous replier. J’affirme que si nous avions accepté le combat, nous aurions dû passer directement, de la défensive contre l’Exécutif du Reich, à un corps à corps décisif ayant pour enjeu la dictature et en regard duquel l’action de Mars aurait semblé un jeu d’enfant, et la défaite d’alors une plaisanterie auprès de la débâcle que nous aurions subie.

En dressant notre plan de campagne nous n’avions, Centrale du P.C.A. et C.E. de l’I.C., pris en considération que le parti et le prolétariat. Nous nous orientions exclusivement sur l’Allemagne Centrale, et le C.E. ne nous a pas corrigés. Je maintiens, quant à moi, qu’en octobre et novembre la perspective d’une lutte décisive pour le pouvoir n’existait que dans l’Allemagne Centrale, et encore seulement dans des conditions favorables. Ces conditions n’ont pas été réalisées. C’est pour une part la faute du Parti pendant les semaines décisives, que nous avons passées à Moscou. Il aurait fallu la secousse d’une intense agitation communiste. La loi d’extension des pouvoirs, l’interdiction des journaux, tout cela ne fut pas suffisamment utilisé. Mais le plan avait été établi avec le C.E. Il est bon maintenant de critiquer ce mauvais plan, afin d’en tirer des enseignements. La plus lourde erreur, qui eut pour suite une dépression dans le Parti et parmi les ouvriers, était d’avoir faussement apprécié la situation en n’envisageant que la lutte pour le pouvoir exclusivement. C’est pourquoi nous n’avions organisé ni notre retraite, ni notre résistance, comme dans la grève contre Cuno. Nous visions tout ou rien : autrement nous aurions mieux su nous défendre et, sans triompher, nous n’aurions pas été aussi complètement défaits. Le représentant de l’Exécutif a cité les paroles de certains camarades qui lui auraient dit que notre retraite s’est effectuée sans lutte. Cela n’est pas exact. Dès le début, nous avons conduit des combats d’arrière‑garde; manifestations, grèves, étaient recommandées dès notre première circulaire, dès nos premières directives. Seulement l’exécution demandait un certain temps. Quoi qu’il en soit, nous ne fûmes pas en état de riposter, de réorganiser nos rangs dans l’illégalité, pour, après, reprendre la lutte.

Voilà à quoi, et non à une fausse tactique, nous devons la défaite d’octobre. Dans les conditions données, analogues à celles de Mars, je déclare que si j’avais encore à trancher la question, j’opterais une fois de plus pour la même ligne de conduite. Toute autre était impraticable. Ce que veut l’opposition conduit à affaiblir la révolution, malgré l’ardeur révolutionnaire dont fait preuve Thälmann. Un discours comme celui de Thälmann est facile à prononcer, mais quand on n’est pas en état de rassembler la masse, on ne l’est pas non plus de résoudre les problèmes posés. Faisons en sorte que les masses entrent en lutte, et tous nos vices seront guéris en cours de lutte, et la victoire est à nous. Cette fois‑ci, les conditions préalables étaient absentes. Nous avions, nous et le C.E., surestimé nos forces et sous‑estimé l’adversaire. C’est ce qui nous a contraints au recul.

Maintenant, quelles sont nos perspectives?

À ce sujet, nous sommes à peu près d’accord avec l’opposition. La victoire a donné au fascisme la plénitude du pouvoir. Sa dictature est basée sur l’alliance de l’industrie lourde et des agrariens. Il ne peut maintenir le prolétariat et se donner un répit que s’il réussit : 1) à assainir les finances, 2) à gagner et à subordonner la petite-bourgeoisie, par des répressions et des concessions, 3) à diviser la classe ouvrière, en sauvant les apparences démocratiques, en s’assurant le concours de la social-démocratie, en persécutant le P.C., en excitant les sans‑travail contre les travailleurs. L’administration fasciste, civile et militaire, a déjà réussi à introduire la journée de 10 heures presque sans résistance, quoi qu’on en dise, car le prolétariat est trop déprimé pour lever la tête. Tous les efforts des communistes sont restés infructueux.

À quoi attribuer ce marasme?

En face de la crise économique, le prolétariat se trouve morcelé. Les chômeurs sont dans une situation telle qu’ils sont forcés de combattre pour ne pas tomber d’inanition, et ils auraient combattu, en effet, mais les travailleurs encore occupés les ont plantés là. Il y a en Allemagne plus de 3 millions de sans-travail que tout pousse à la lutte, et qui ne peuvent cependant rien entreprendre seuls sous peine d’être sûrement vaincus. Trois millions d’ouvriers travaillent à journée réduite. Tous les autres sont passifs, par peur de perdre leur gagne‑pain. Fait remarquable : nombreux sont ceux qui sont tout disposés à prendre les armes pour la lutte finale, mais qui se refusent absolument à la lutte partielle, manifestations, grèves, etc… C’est un fait que nous devons examiner sérieusement. Si la bourgeoisie réussit à approfondir cette division entre chômeurs, chômeurs partiels et travailleurs occupés, elle pourra dormir sur ses deux oreilles assez longtemps. Sinon, la trêve sera plus courte. Tout dépend, naturellement, de la possibilité qu’elle aura de rétablir provisoirement un certain équilibre économique.

Donc perspectives pour nous : pas de lamentations, tout fait prévoir que sous peu, pourvu que nous réussissions à rallier les masses, nous pourrons recommencer la lutte. Mais si le parti entre en crise, s’il se scinde, à cause de l’échec d’octobre, ce sera cinq années de travail perdues. La défaite d’octobre est extrêmement lourde. Elle a provoqué une fermentation sans précédent au sein de la social-démocratie à la veille de se diviser. Un nouveau parti centriste va surgir, à moins que nous n’ayons la capacité d’assimiler cette portion de la classe ouvrière. Si ce nouveau parti subsiste plus de 6 mois, si nous nous en tenons à une politique de phrases, comme le fait l’opposition, nous serons réduits à l’état de secte, et un nouveau centrisme apparaîtra, composé non plus cette fois des scissionnistes social-démocrates, mais des éléments perdus par le P.C. Ce sera la révolution allemande mise au rancart pour des années, la révolution universelle retardée. Le moment est donc d’une importance capitale. Pas de pessimisme! Jamais encore une intense activité du Parti n’a été d’une nécessité aussi péremptoire.

III.
Discours de Remmele

Que nous ont montré les événements d’octobre? Qu’il n’est possible de former un gouvernement ouvrier que lorsque déjà les forces révolutionnaires sont prêtes à mener, immédiatement après, la lutte pour la dictature.

(À gauche : Et le Congrès de Leipzig!)

Camarades, je dis expressément que cela touche particulièrement l’Allemagne. Il peut en être autrement des autres pays; mais en Allemagne les conditions sont telles que la question du gouvernement ouvrier ne peut être posée qu’à la veille du la lutte pour le pouvoir.

La décision du 4e Congrès prévoit aussi d’autres éventualités. Elle est internationale. Mais j’estime, pour le problème actuellement posé, que, si jamais la situation saxonne se reproduit, l’entreprise ne doit être tentée que si toutes les conditions rendant possible le combat sont d’avance réunies.

Tel est l’enseignement d’Octobre.

Le principal problème, en Allemagne, était l’évaluation des forces en présence.

En janvier, au début de l’affaire de la Ruhr, l’Internationale a très bien vu que, toutes proportions gardées, cette affaire aurait, en Allemagne, des conséquences politiques analogues à celles de la guerre. Rappelons-nous les décisions prises à Essen en janvier, à Francfort en mars : elles prévoyaient une crise économique et politique exceptionnelle et de longs conflits intérieurs. C’est en effet ce qui est arrivé. On a vu, comme à l’issue de la guerre, des actes de désespoir, de grands soulèvements, non seulement les grèves auxquelles on avait fait allusion, mais des cas où, dans le chaos général, le pouvoir local et, provincial s’est trouvé saisi par les ouvriers. Dans les régions embrassées par les grèves, le pouvoir politique a plus d’une fois appartenu aux ouvriers; les autorités assistaient impuissantes. Le mouvement avait donc atteint une intensité telle que nous ne pouvions souhaiter mieux, à l’heure où l’état de siège tut déclaré. Non seulement à Stuttgart, mais dans le Centre, à l’Est, à l’Ouest, au Nord, partout, le pays fit face à la vague de fascisme, des manifestations se déroulèrent en dépit des interdictions. En Thuringe les ouvriers s’emparèrent de camions automobiles et allèrent directement chercher de quoi manger chez les paysans : le service de l’Alimentation fut aux mains du prolétariat en juillet-août. L’imminence de graves événements était claire pour chacun. La grève contre Cuno marqua l’apogée du mouvement. Mais une fois les social-démocrates entrés dans la grande coalition, les ouvriers influencés par eux retombèrent dans leurs espérances illusoires. C’est pourquoi vers la mi‑août, le flux révolutionnaire diminue. Les masses social-démocrates attendent beaucoup de Hilferding au pouvoir. Après avoir combattu à nos côtés spontanément, les voilà de nouveau remplies d’illusions. Le problème redevient pour nous de conquérir cette majorité social-démocrate.

Maintenant, voyons ce qui s’est passé à l’intérieur du Parti. En septembre, le C.C. s’est réuni pour décider de la conduite à tenir. Quelqu’un déclara que, si les conditions étaient mûres en Saxe, il fallait entrer en branle. Le C.C. s’y opposa alors comme à du putschisme. Le jour suivant, parvint la décision prise ici par l’Exécutif. Toute la politique du parti se trouvait orientée sur ce que, la veille même, il avait repoussé. Un plan de campagne fut dressé et adopté, faisant de l’Allemagne Centrale notre zone de concentration. Tous les organes du parti furent mis sur pied en vue de l’insurrection. Le reste, mobilisation des masses, groupement des conseils d’usines, etc… fut négligé, parce que tous les fonctionnaires étaient uniquement occupés de l’armement et des préparatifs de combat. Ainsi la plupart des ponts qui nous joignaient au prolétariat furent dangereusement délaissés. Faute capitale! Le parti, trop faible, ne vint pas à bout des problèmes si brusquement posés, car toutes ses forces furent prises par la question de l’armement.

Camarades! La date fixée pour l’entrée en action ne pouvait plus être renvoyée, une fois le parti obligé de former le gouvernement. Lorsque vint la décision de l’Exécutif d’entrer dans le cabinet saxon, les camarades se sont d’abord refusés à l’appliquer, car le gouvernement du Reich avait menacé, à un moment où il n’était pas même question pour les communistes de participer à la combinaison, de prendre des mesures contre le cabinet social-démocrate saxon. Après toutes sortes de conversations, les camarades durent se rendre et entrèrent dans le Gouvernement.

La question saxonne, avec toute son histoire, joue un rôle capital pour toute l’I.C. À mon avis, le problème n’a pas été posé comme il fallait. Il était illusoire de supposer que nos ministres pourraient faire grand-chose. La décision de Moscou a été dictée par des rapports ou des renseignements dénués de fondement. On s’est figuré pouvoir armer et mobiliser le parti et les masses, on a compté sur une décomposition de l’adversaire bien plus avancée qu’elle n’était en réalité.

Ce fut l’ennemi qui prit l’offensive et, par là nous dicta le temps d’agir. Il nous fallait choisir : dictature blanche ou dictature prolétarienne. Au premier instant on décida de marcher, d’exécuter le plan de campagne adopté.

Le 20 Octobre, les mouvements en cours furent interrompus pour rassembler les forces et les jeter dans l’action.

Tout fut donc ordonné vers cette action armée, et à ce moment, il n’était question que d’entrée en campagne et d’armement en vue du combat décisif.

Ce n’est qu’après l’affaire de Hambourg et le naufrage de l’expérience saxonne que le parti a pu se rassembler pour la première fois. Immédiatement après ces événements siégea la commission centrale, qui tenta de trouver un fondement, de définir l’état des choses, mais négligea de rechercher ce qui avait été juste ou erroné. La clarté n’ayant pas été faite, il s’ensuivit dans la Centrale et dans les Fédérations de profonds dissentiments; ils prirent une forme de plus en plus vive : ne sachant que penser du passé, on ne pouvait choisir aucune ligne de conduite nette pour  l’avenir.

L’éclaircissement produit par la lettre de l’Exécutif montra dans la Centrale trois opinions principales : celle de gauche (Fischer et Thälmann), celle de Brandler et Talheimer, celle de Koenen et de moi.

Camarades, notre façon de voir consiste à mettre le centre de gravité dans cette question : devait‑on, oui ou non, dans les conditions données, s’équiper pour la lutte décisive, en fixer la date, préparer le combat final? Nous répondons : non. La structure particulière de l’Allemagne, la situation des classes et le rapport des forces ne nous permettaient pas de fixer la date de la bataille décisive. Nous disions qu’avant d’en venir à cette bataille, il nous faudrait traverser une phase de multiples combats isolés et de manifestations armées, comme l’a dit Brandler.

Ainsi donc, nous sommes d’avis, camarades, que la méthode ou plutôt la théorie essayée en octobre, de sauter directement d’une période de propagande et d’agitation au soulèvement à main armée, ne valait rien pour l’Allemagne. C’était là un des principaux arguments de notre opposition en Octobre.

Quel doit être maintenant notre objectif premier? Battre en brèche le bloc contre-révolutionnaire formé au sein de la classe ouvrière, et alors seulement le terrain sera déblayé pour la bataille.

Bien entendu, ce bloc ne pourra être vaincu que dans la lutte, mais il faut nous préoccuper de ce qui arrivera tant que le combat ne sera pas engagé. Oui, le plus important, pour nous, est de détruire le bloc contre-révolutionnaire, annexe de la social-démocratie, au sein de la classe ouvrière. Et cela n’est possible que sur le terrain de la réalité.

Que de fois on a dit que l’essentiel, c’est la création, la mobilisation et l’utilisation des conseils d’usines pour notre idéologie révolutionnaire. C’est juste. Mais nous devons nous demander : que sont les conseils d’usines et quelles possibilités offrent‑ils?

Il y a en Allemagne 370.000 entreprises occupant plus de 20 ouvriers et qui, selon la loi, doivent élire chacune son conseil. Malgré toutes les mesures que nous avons pu prendre à cet effet, envoi de militants, propagande, journaux spéciaux, nous ne sommes arrivés à mobiliser que 5.000 conseils d’usines.

En comparant ces deux chiffres, on peut se demander s’il est possible en général d’embrasser ce nombre formidable de 370.000 entreprises. Il me semble qu’il faut se borner d’abord aux 2.000 plus grosses.

(Warski : Et combien sont à nous sur ces 2.000?)

Je ne puis le dire au juste; mais je pense que dans chacune d’elles nous avons au moins un ou deux camarades.

Mais il ne faudrait pas croire que les conseils d’usines soient notre unique objectif, ou dire, comme l’a fait dernièrement Fischer, que la grève de Ludwigshafen ait été l’oeuvre des conseils d’usines. Non, les grèves isolées sont menées par les hommes de confiance syndicaux de l’entreprise. Seules les grandes grèves s’étendant sur un vaste territoire sont menées par les Conseils d’usines.

Il nous faut d’ailleurs aussi prendre position à l’égard des ouvriers syndiqués.

J’estime que nous allons à une grande catastrophe. En octobre, la bourgeoisie avait, en la personne des fonctionnaires, un appui vigoureux qu’elle a perdu pour avoir voulu faire peser sur leur dos toute son expérience de consolidation du régime capitaliste. Notre base d’action est donc naturellement plus large qu’en août et en octobre.

Le trimestre qui vient verra se dérouler plus d’un corps‑à‑corps entre le prolétariat et la classe dominante. Il faut y préparer notre parti. Ce qui doit s’ajouter à notre travail antérieur, c’est l’armement, les actions partielles en armes comme moyen de la lutte de classe. Ces actions nous permettront de déterminer la date de la bataille définitive.

Personne ne le nie, il y a des possibilités que la bourgeoisie se tire de ses embarras présents. Il peut se passer dans ce trimestre bien des choses qui l’aideront à relâcher le noeud qu’elle s’est elle‑même passé autour du cou. Mais nous ne pouvons nous placer à deux points de vue à la fois. Il nous faut mettre notre parti en état d’atteindre ses objectifs, afin que, si l’occasion se présente d’engager la lutte, il ne se trouve pas inapte à agir avec à sa tête une direction qui a besoin d’être dirigée. Les forces subjectives du mouvement s’accroîtront ensuite d’elles‑mêmes.

Il faut au timon du parti une main vigoureuse capable d’utiliser toutes les occasions et de nous mener à la victoire. Tant que nos forces se dépenseront dans les dissensions intestines, nous n’en aurons plus pour agir à l’extérieur.

La direction ne doit pas être personnelle, mais l’oeuvre collective de camarades dont la lutte a fait ce qu’ils sont. La plupart des militants de notre C.C. sont en effet depuis des dizaines d’années dans le mouvement et se sont trouvés eux‑mêmes dans la lutte.

Les camarades russes nous disent que ce qui fait leur unité, c’est leur tradition bolchéviste. Nous ne pouvons pas parler de tradition communiste en Allemagne. Mais il y a une tradition de l’opposition de gauche qui a travaillé des dizaines d’années en bloc compact dans la social-démocratie. Ses membres sont naturellement bien plus liés entre eux que les nouveaux.

Nous en sommes venus à cette conviction que Brandler a souvent agi trop indépendamment, de sorte que tout autre chose est arrivé que ce que voulaient les militants du parti. Nous avons déjà dit que nous voudrions, si Brandler reste à la tête du parti, voir se former collectivement un fort noyau directeur. Sur la gauche, je maintiens ce que j’ai dit hier. Elle doit trouver accès à la Centrale. L’opposition de Thälmann est inspirée par une bonne tradition prolétarienne. Mais celle de Ruth Fischer et de Maslow s’appuie non sur les faits, mais sur des théories. Pour eux, la réalité, c’est ce qu’ils imaginent.

Nous devons revenir de Moscou avec une main ferme au gouvernail, pour nos combats à venir. Cela est particulièrement nécessaire en période d’illégalité; sans une absolue confiance les uns dans les autres, dans une pareille période, aucun travail n’est possible.

IV.
Discours de Ruth Fischer

La défaite d’Octobre n’est pas une défaite, puisqu’il n’y a pas eu combat, c’est un écroulement, une défection du parti. En comparant les trois exposés que nous venons d’entendre, on voit que les deux premiers, celui de l’Exécutif et celui de Brandler, font un tout. On peut en penser ce qu’on veut, mais ils expriment une ligne de conduite conséquente, et nous connaissons la mauvaise pratique allemande de cette théorie conséquente.

Le discours de Remmele exprime la tentative de très bons éléments pour en finir avec une politique jugée par eux dangereuse, après les fautes commises. Dix‑huit mois durant Remmele est demeuré à l’écart, mais pendant les crises Friesland et Levi, il a réagi, et maintenant aussi. Cela montre au sein du parti une réaction naissante contre la tendance liquidationniste et révisionniste. Camarades, si nous combattons avec tant d’âpreté ce révisionnisme, c’est que nous nous rappelons deux crises vécues. Elles nous ont appris à chercher sous les masques et les formules les fondements théoriques qui doivent conduire à des conséquences pratiques.

Les discours du représentant de l’Exécutif et de Brandler marquent le début d’une crise de liquidation, non seulement dans le Parti allemand, mais dans toute l’Internationale. Nous avons vu une crise semblable après le 3e Congrès mondial. Elle trouvait son explication dans le reflux de la révolution en Europe, et, en Allemagne, au premier chef dans la défaite de mars.

Au retrait du flot révolutionnaire répondit alors le mot d’ordre : gagner les masses et les grouper pour la prise du pouvoir. Cette formule excellente fut transformée par nos liquidateurs en révision du communisme, en renoncement à la création d’un Parti communiste véritable. Ils en ont tiré des leçons comme celle‑ci : revenir aux méthodes de la social-démocratie. Et ils y sont revenus : chaque ouvrier berlinois qui lit le Vorwärts lit au‑dessous "Directeur Ernst Reuter" et pense à l’amère expérience que nous avons faite.

Camarades, cette crise de l’I.C. n’a jamais été bien guérie. Il y a eu des cas isolés d’intervention chirurgicale, expulsion de Frossard, quelques exclusions chez nous, mais on n’a pas fait l’analyse théorique nécessaire pour faire comprendre à nos camarades ouvriers que l’infraction à la discipline visait moins la structure que la politique même. On a tenté de formuler ces choses avec prudence pour conserver les éléments ouvriers, et le résultat est que le poison subsiste dans notre P.C.A. et, je le pense, dans l’I.C.

La tactique du front unique était la suite conséquente du mot d’ordre "Aux masses!". Chez nous cette tactique a toute une histoire remarquable, que je demande instamment aux camarades étrangers d’étudier, car on y voit comment, pas à pas, de l’idée juste du front unique, excellent instrument d’agitation, on en est venu au révisionnisme. Depuis la lettre ouverte, à travers la campagne Rathenau et la rencontre des trois Internationales, mille détails dénoncent une tentative de fusion organique du P.C.A. avec le parti s.‑d. Lorsque par exemple certains camarades allemands découvrent que le meilleur dans la révolution russe est la Nep et que l’esprit même du socialisme exige que cette Nouvelle Politique Économique soit instituée dès avant la prise du pouvoir, je vois là un symptôme de la volonté de développer cette orientation jusqu’au bout.

Camarades, l’origine de la situation d’octobre remonte à l’occupation de la Ruhr. Tout le monde est d’accord, je suppose, aujourd’hui, que le fléchissement de la révolution allemande a été arrêté net par l’occupation de la Ruhr, que la bourgeoisie a été empêchée dans ses efforts de consolidation sous le joug du capital étranger, enfin que s’est déclenchée alors une crise de politique intérieure.

Mais ce n’est pas par hasard que notre congrès de Leipzig s’est refusé à entendre un rapport et un échange de vues sur la Ruhr. Nous apprécions tous beaucoup la camarade Zetkin, mais un discours d’elle et l’adoption d’un manifeste ne sont pas une façon de traiter le problème de la Ruhr.

Il est important d’établir, à propos des thèses du congrès de Leipzig, désavouées formellement par l’Exécutif, que le représentant de l’Exécutif a déclaré à maintes reprises les avoir parcourues le crayon à la main et n’y avoir pas trouvé la moindre trace d’une formule fausse. Cela préparait bien la plateforme commune sur laquelle nous l’avons vu aujourd’hui avec Brandler.

Camarades, ce congrès de Leipzig a été à deux doigts de la scission, inutile d’en faire mystère. La lutte de fractions engagée entre les deux groupes était si violente que l’énergique intervention du représentant du C.E. put seule, à la dernière minute, conjurer la rupture. Nous ne nous étions presque pas préparés à ce congrès et il nous trouva assez mal nantis pour attaquer les anciens leaders. Néanmoins nous recueillîmes un nombre imposant de voix ouvrières dans les principales Fédérations industrielles, en dépit du trouble de la situation.

Chaque action menée par notre parti, depuis Leipzig jusqu’à octobre, a un double visage : c’est d’une part la montée de la vague révolutionnaire, l’élan des ouvriers, leur moral, et d’autre part, la Centrale du P.C.A, dont la théorie du fléchissement de la révolution ne concordait plus avec la réalité. Tout le confirme. Nous avons essayé chaque fois, de février à octobre, de faire triompher notre point de vue, que la Ruhr ouvre une période nouvelle et met à l’ordre du jour la prise du pouvoir. Au Congrès de Wasserkante, Brandler nous traita une fois de plus d’idiots incapables de comprendre que l’étape prochaine serait un gouvernement ouvrier de la gauche social-démocrate et des syndicats, et que le moment n’était pas venu de parler de la prise du pouvoir. Il fallait même éviter d’en parler. Le C.E de l’I.C reconnut que la prise du pouvoir était à l’ordre du jour, et que la bourgeoisie préparait son assaut décisif contre la classe ouvrière et non pas contre la République de novembre.

À son retour de Moscou, un des représentants du parti déclara : dans trois jours nous aurons le pouvoir en Saxe, après quoi nous marchons sur Berlin.

Cette déformation caractéristique des décisions de l’I.C montra aussitôt l’impuissance du parti à lutter, sans parler de lutter pour le pouvoir. Selon Brandler le P.C.A, en octobre, aurait surestimé ses forces. Plus le Reich se désagrégeait, plus la crise d’inflation dégénérait en catastrophe économique, et plus on nous criait que le rapport des forces nous était défavorable, après qu’on avait, en août, parlé de guerre civile! Quand il s’est agi de combattre, la Centrale constata brusquement que les forces disponibles étaient insuffisantes.

Opportunisme typique : au moment d’agir on manque toujours de forces, mais une fois l’occasion perdue on promet la Révolution dans trois mois. C’est bien la vieille tactique des syndicats allemands.

Camarades! La défaite d’octobre a eu deux points culminants, à Hambourg et en Saxe. La différence entre la conférence de Chemnitz et la lutte des ouvriers de Hambourg saute aux yeux. On est obligé de s’y arrêter. L’affaire de Saxe a été systématiquement présentée sous un faux jour. C’est mal connaître Brandler que d’admettre qu’il ne savait pas qu’il n’y avait pas d’armes à prendre en Saxe. Il a agi en pleine conscience, pour réaliser sa chère tactique du front unique.

Je prends pour exemple la conférence de Chemnitz.

Avant de mener le parti au combat, un chef responsable doit y préparer idéologiquement les masses. Mais à Chemnitz on se préoccupe de questions économiques, et non démobiliser les masses pour la bataille. Quand ensuite, en pleine guerre civile, Graupe déclare qu’on ne peut pas appeler les masses au combat maintenant, mais seulement plus tard, c’est bien la méthode de Brandler. Au moment décisif, on recule pour faire honneur à la théorie du passage progressif du gouvernement ouvrier au paradis du socialisme.

La lutte de Hambourg montre que, même en minorité, notre parti peut conduire les masses au combat, et qu’il est inutile, pour obtenir un rapport de forces favorable, d’adopter le terrain de la social-démocratie. Elle produisit un effet indescriptible sur les ouvriers de Berlin, qui ont laissé passer sans attention la combinaison saxonne. Cela prouve que nous pouvons mobiliser le prolétariat pour la lutte, mais à condition de nous comporter en communistes et d’avoir le courage de marcher même sans les social-démocrates. Cet enseignement de Hambourg nous ramène au problème essentiel de la révolution allemande : gagner les masses. Mais comment?

En nous cachant sous le manteau de la social-démocratie? ou bien en montrant franchement notre visage communiste, en défendant une théorie et une pratique communistes?

Je dis que nous avons nous-mêmes permis aux ouvriers de rester dans les rangs de la social-democratie. Autrement, comment expliquer sa force? Les ouvriers de la gauche, qui commencent à comprendre que la social-démocratie est un mauvais parti, ont été rapprochés d’elle par notre tactique d’unité. Les ouvriers ne seront poussés au communisme que par une action nette et efficace de notre parti et de l’I.C. Mais si aux ouvriers de gauche on offre l’issue du front unique, même les plus mécontents resteront dans le parti s.‑d. C’est à tort qu’on a parlé ici de scission de la social-démocratie. Elle restera unie : sa décomposition a été arrêtée par la tactique de notre parti et par sa faillite d’Octobre. De plus, il faut dire que la gauche s.‑d. n’est pas en majorité. Si elle se sépare, ce sera pour fusionner avec la droite communiste et tâcher de former un nouveau parti centriste. Je vous ai communiqué des lettres d’ouvriers exprimant cette opinion.

Aux camarades de la droite, je dirai : examinez sérieusement le moral des camarades ouvriers, voyez combien il leur reste de confiance dans Böttcher ou dans Brandler! Vous jouez avec le moral de ces ouvriers. N’était l’existence de l’I.C, une fraction importante nous aurait déjà quittés pour le parti communiste ouvrier, par suite de votre attitude en octobre. Si vous continuez et si vous les poussez à bout, vous ferez partir les meilleurs ouvriers. Pas Ruth Fischer : elle est trop habile pour se faire prendre pour infraction à la discipline.

Notre défaite est inexplicable par des fautes d’ordre technique ou de détail. Nous n’en démordons pas, car c’est le seul moyen de sauver de l’opportunisme un parti qui comprend d’excellents militants. Le représentant du C.E. de l’I.C. a mené en Allemagne une tactique qui répondait parfaitement à ses buts, mais qui elle aussi était une mascarade. Il nous dit avoir modifié du tout au tout ses vues depuis octobre. Mais nous avons lu de lui un article, écrit avant octobre, où il disait que le fascisme doit triompher d’abord, avant que les ouvriers engagent le combat. Tel Brandler déclarait en pleine défaite : nous n’avons pas besoin de combattre, ce serait prématuré et insensé, la situation s’améliore de jour en jour. Brandler ajoutait qu’il nous faudrait encore quatre semaines, et la Centrale de s’écrier : 10 jours! mais Brandler insiste sur quatre semaines au moins. Quand une action était possible, par exemple lors de la journée antifasciste, où nous voulions manifester, on n’a rien fait par crainte de déclencher la guerre civile et de voir le parti interdit. C’est la méthode qui consiste à s’épouvanter soi‑même pour rendre la chose impossible. Ainsi nous ne pûmes manifester contre le fascisme, bien que tout Berlin attendît notre démonstration, dûment préparée. 250.000 ouvriers au bas mot assistaient à nos réunions, tant était grand notre succès auprès des masses. Mais la manifestation n’eut pas lieu, parce que Brandler voulait que je lui garantisse qu’il ne s’ensuivrait pas de conflit armé, ce que je ne pouvais ni ne voulais faire. Au contraire en Octobre, en pleine et lourde crise, quand nous avons toutes les peines du monde à retenir les ouvriers dans nos rangs, le représentant du C.E. exige de nous une démonstration armée, pour des motifs purement politiques. Nous avons fait cette manifestation et nous l’avons défendue, les armes à la main, car nous faisons toujours ce que nous dit l’I.C.

J’en viens à l’état actuel du Parti et aux perspectives. Certains se fâchent quand on dit que notre parti n’est pas bon. C’est pourtant un fait que quand on dit parti on ne dit pas la direction. Cette illusion est brisée en Allemagne.

Au sein même du parti un processus profond est en cours. Certains éléments tendent vers la social-démocratie.

La crise ne peut être guérie par des compromis ni en avalant toutes les sottises. Pour assainir notre parti, il faut reconnaître qu’il existe en son sein un révisionnisme. Si on ferme les yeux là‑dessus, la Centrale fera bloc avec les social-démocrates et le prochain congrès sera un congrès de scission. Aussi nos premiers objectifs sont de réformer et de regrouper le parti. Sans quoi il est inapte au combat.

"Le fascisme a vaincu la révolution de Novembre", a dit le représentant de l’Exécutif? Qu’est-ce à dire? C’est une façon démagogique de s’exprimer pour tromper les ouvriers sur la défaite. Mais elle a entravé extrêmement notre travail : 1) on a trompé le parti sur le caractère de l’échec, 2) on a fondé les illusions démocratiques. Cette politique n’est défendable que si l’on fait une différence entre gouvernement fasciste, gouvernement des industriels, et gouvernement social-démocrate, si on adopte la théorie de la République démocratique au‑dessus des classes.

Qu’il me soit permis d’inviter les camarades de l’I.C. à lire le dernier numéro de l’Internationale[8]. J’y ai noté pour moi 10 passages dans l’article de Brandler où le sens révisionniste des thèses sur la victoire du fascisme apparaît clairement. Le point de vue qui y est développé vaut comme commentaire théorique de la politique de notre parti en octobre. Ce sont les conséquences de l’analyse de Radek.

Quant aux perspectives de combat, je dois dire que si je me suis élevée contre ce délai de trois mois, c’est parce que le parti n’est pas en état de mener des combats décisifs de quelque importance avant de s’être intérieurement consolidé. Nous aurons des combats à livrer, mais ils porteront un caractère autre qu’avant Octobre. Alors ils commençaient par des questions économiques, mais prenaient aussitôt un caractère politique. Pendant la grève contre Cuno, j’ai dit à Schlecht, un des chefs du mouvement des Conseils d’usines : Tu dois dire à tes gens que nous sommes pour une action économique. Il le dit, mais on lui cria : "Nous ne voulons pas de secours économique, nous voulons renverser le gouvernement". Ce cri des masses est significatif. Maintenant, nous aurons des combats, mais ils auront pour but la défense des intérêts et revendications économiques. La journée de huit heures perdue doit figurer au centre de nos préoccupations. Nous devons travailler à diminuer l’abîme entre les sans-travail et les travailleurs encore occupés. Nous devons combattre non pas pour que les Conseils d’usines se changent en soviets, mais pour qu’ils ne soient pas chassés des usines, comme le patronat commence à le faire.

Tel sera le caractère de la lutte. Elle pourra aboutir à une plus étroite union entre les masses et le parti. Nous avions gagné du terrain et nous l’avons reperdu à cause de l’inconsistance de notre politique. Il faudra le regagner, pas en déclinant vers la social-démocratie, mais en attirant à nous les masses qu’elle détient. Alors, il se peut que nous soyons amenés plus tôt que nous le supposons à livrer bataille pour le pouvoir. Toute autre orientation politique n’aura que des succès apparents et jamais ne nous fournira l’occasion de devenir un parti véritablement révolutionnaire.

Nous attendons de l’Internationale une décision claire et nette, un congrès où soit posée la question de la direction et de la politique du parti. En attendant, nous ne pouvons pas encore dire, avec certains camarades, "que le passé repose en paix, l’avenir s’offre à nous dans toute sa gloire et sa joie".

Car le passé n’est pas encore passé.

V.
Discours de Zinoviev

Camarades.

Il nous faut tous d’abord bien comprendre dans quelle situation nous avons ouvert cette discussion.

Nous sommes tous d’accord que nous venons d’éprouver un sérieux échec. Je pense qu’il est exagéré de parler d’écroulement, mais on ne peut pas nier la gravité de la défaite. Notre expérience nous a montré que des événements de ce genre sont la pierre de touche la plus efficace des partis et de leurs directions. Il est donc bon de faire maintenant notre examen. Seulement, si nous nous laissons aller à voir tout en noir, nous mettons le parti en grand danger. C’est au contraire le moment, pour chaque camarade allemand, de montrer ce dont il est capable, de prouver sa fidélité.

On a dit ici qu’une scission du parti communiste ajournerait la révolution allemande à cinq ans. C’est absolument vrai. C’est pourquoi, en, abordant cette discussion, nous devons bien nous persuader que celui, quel qu’il soit, qui oserait, par esprit de fraction, ou même par conviction, porter atteinte à l’unité commettrait un crime envers la classe ouvrière. Il y a des situations où l’on doit accepter la scission; il en est d’autres où l’on doit tout supporter pour l’éviter.

Maintenant abordons les faits.

On a avancé ici : ce n’est pas en octobre que la faute a été commise, ce n’est pas en octobre que notre diagnostic a été erroné, mais bien plus tôt, au commencement de la crise de Ruhr.

Naturellement, si nous avions commencé nos préparatifs dès le début de la crise, nous aurions été mieux préparés; plus tôt on commence, et mieux on s’en trouve. Mais c’est un enchaînement dans lequel on pourrait encore remonter plus haut. C’est un sophisme pour cacher la véritable faute. Soyons sincères avec nous‑mêmes et nous la découvrirons.

Le tableau que Koenig nous a tracé d’un incident entre les femmes allemandes et les soldats français est intéressant et il est bien vrai que l’occupation de la Ruhr est le point de départ de tout.

J’ai sous la main les instructions du C.E. aux délégués communistes à la conférence de Francfort. Voici ce que j’y trouve :

La Conférence d’Essen était avant tout une démonstration. La conférence du 17 mars doit être une conférence de travail.

Dans les conjonctures où la première conférence eut lieu, une simple démonstration était déjà un grand événement politique. Il ne faut pas rabaisser l’importance d’une coordination plus parfaite obtenue dans les efforts des partis français et allemand en face de l’occupation de la Ruhr. Mais se borner maintenant à répéter Essen, ce serait un pas en arrière. La conférence du 17 mars et la conférence préliminaire (surtout la conférence préliminaire) ont une double mission :

a) élaborer un vrai programme d’agitation, commun, énergique, clair, net, concentré, pour les principales sections intéressées;

b) prévoir un certain nombre de mesures d’organisation, dont certaines conspiratives, et les appliquer effectivement.

Vient ensuite tout un chapitre sur le parti français.

Par conséquent, l’Exécutif avait prévu et la Conférence avait fixé les nouveaux objectifs. Que l’exécution ait été défectueuse (quoique la jeunesse française ait très bien travaillé) on peut l’admettre. Nous l’avons déjà montré suffisamment. Mais il ne faut pas dire qu’en ne posant pas alors la question de l’insurrection, nous avons commis une erreur.

La faute d’octobre incombe au parti allemand et en partie à l’Exécutif.

Trotski a voulu fixer un plan-calendrier.

C’était une faute : Radek, je dois l’avouer, était contre.

(Brandler : Moi aussi!)

Et Brandler aussi. Nous avons décidé que ce plan servirait seulement à titre d’orientation et que la date exacte serait fixée sur place, en Allemagne. Par conséquent dans la question de l’échéance, l’Exécutif n’a commis aucune faute.

Voici un autre document : notre télégramme du 1er octobre 1923 concernant la Saxe :

Vu que, d’après notre appréciation de la situation, le moment décisif doit arriver au plus tard dans quatre ou cinq semaines, nous estimons nécessaire d’occuper dès maintenant toutes les positions qui peuvent offrir une utilité immédiate. On doit donc poser sur le terrain pratique la question de notre entrée dans le gouvernement saxon. Si les gens de Zeigner sont résolus à défendre réellement la Saxe contre la Bavière et contre les fascistes, entrons‑y. Armons 50 à 60.000 hommes et ignorons le général Müller. De même en Thuringe.

Ce télégramme, nous l’avons rédigé en présence de Brandler. Était‑il juste ou non? Il était incontestablement juste, si toutefois les partisans de Zeigner étaient réellement décidés à lutter contre les fascistes et à armer 50 ou 60.000 ouvriers.

(Warski : C’était une grosse faute.)

Ces chiffres de 50 à 60.000 nous avaient été donnés par le représentant du parti allemand.

(Pieck : Le parti n’a jamais connu cette particularité.)

Ce télégramme a été décidé en présence de trois camarades allemands et de trois camarades russes.

Ainsi nous avons vu dans l’affaire saxonne un épisode de la guerre civile. Cela ressort de ce texte.

Troisièmement, notre attitude envers la gauche de la social-démocratie et envers la social-démocratie en général. Nous avons ici, en présence des représentants allemands, pris la décision suivante : Notre ennemi principal est la social-démocratie de gauche; nous ne devons pas perdre de vue que nous aurons à combattre non seulement sans, mais contre les social-démocrates de gauche.

Ces documents suffisent pour nous rappeler la conduite de l’Exécutif.

(Brandler : Je n’ai pas approuvé le télégramme.)

Pour l’entrée dans le gouvernement saxon, je dois reconnaître que c’est moi qui, avec les autres camarades, porte la plus grande part de responsabilité. Brandler était hésitant. Il disait : je ne sais pas si cette démarche est assez préparée. Mais enfin il a cédé. Je ne décline pas la responsabilité qui m’incombe; je l’assume, au contraire, telle qu’elle résulte du diagnostic établi d’accord avec vous après nos entretiens avec les partis français, polonais et tchécoslovaque. Si c’est réellement une question de semaines, disions‑nous, nous ne devons pas négliger cette position, en cas de guerre civile.

Maintenant, qu’a valu l’exécution? C’est là le plus important. Remmele disait hier : que pouvait‑on bien attendre de nos ministres? N’était‑ce pas une espèce d’opportunisme?

Sans doute, le principal c’est la masse. Pourquoi la guerre civile n’a‑t‑elle pas éclaté, pourquoi la masse n’a‑t‑elle pas été mobilisée? Mais vous devez comprendre pourquoi nous avons attaché tant d’importance à l’attitude de nos ministres communistes : nous y voyions un symptôme d’une orientation fausse de notre parti. Quels étaient ces ministres? Les meilleurs de nos camarades, les leaders, Brandler, Heckert, Böttcher. Leur conduite est la manifestation d’un état malsain.

(Thälmann : Très bien!).

Comparez notre télégramme avec les discours de ces ministres! Il n’y a pas le moindre rapport.

La camarade Fischer a beaucoup exagéré hier, en disant que de la part de Brandler il y avait eu manoeuvre consciente. L’exagération est le grand défaut du discours, d’ailleurs excellent, de cette camarade, comme en général, de toute la gauche. Nous l’avons dit aussi bien souvent à notre gauche bolchévique. Il est impossible que Brandler ait agi ainsi consciemment.

(Walcher : C’était le seul argument.)

Mais Ruth Fischer a apporté beaucoup d’autres arguments, auxquels nous devons donner notre assentiment. Notre jugement sévère sur les ministres communistes vient de ce qu’ils ont reflété une politique erronée du parti : et c’est pourquoi le tout a dégénéré en une banale partie de colin-maillard avec la social-démocratie.

Il est entendu que les prévisions étaient inexactes, qu’on ne pouvait pas armer 600.000 ouvriers, même pas 60; on avait surestimé la situation. Mais pourquoi agir en social-démocrate?

Pourquoi dire que nous acceptons le terrain constitutionnel? Pourquoi déclarer que nous sommes seulement responsables devant le Landtag? Bebel parlait ainsi dans sa bonne époque. Alors c’était juste. Mais maintenant, il fallait faire appel aux forces révolutionnaires de la classe ouvrière, proclamer que la gauche social-démocrate est l’ennemi principal, car elle marche avec la droite, avec Seeckt, et Seeckt avec Ludendorff, et non pas dire : Nous sommes sur le terrain constitutionnel!

L’exécution a donc été excessivement mauvaise et elle a signalé dans notre parti des dangers que nul ne soupçonnait. C’est pourquoi nous avons résolu à l’unanimité d’adresser une lettre de critique au Comité Central allemand. Il ne faut pas oublier cette unanimité. Je ne désire pas rejeter la responsabilité sur les autres. J’ai écrit cette lettre, mais elle ne portait nullement un caractère personnel, comme on l’a prétendu en Allemagne : une commission comprenant entre autres Kolarov et la camarade Zetkin y avait proposé maintes modifications, que j’ai presque toutes acceptées.

(Zetkin : Je ferai remarquer que la lettre a été écrite avant la réception des comptes‑rendus détaillés et que nous n’avions presque aucune donnée.)

Il est vrai que nous n’étions pas informés comme nous le sommes maintenant. Je suis prêt à admettre que, sur certains détails, mon jugement n’est plus celui d’alors, mais sur l’essentiel nous avions raison. Il nous faut aller à la 2e Internationale, si nous voulons défendre la conduite suivie en Saxe. Il faut dire les choses comme elles sont et dans ses thèses la majorité actuelle du Comité Central ne s’en fait pas faute.

Maintenant nos rapports avec la social-démocratie. L’ennemi principal, je le répète, est la social-démocratie de gauche et nous devons lutter malgré, sans et contre elle. J’ai déjà écrit un article là‑dessus lorsque vers le milieu d’octobre une partie de nos camarades berlinois ont délibéré une semaine durant avec ces gredins, élaboré un programme et que le jour suivant on leur a dit : remettons à deux jours, nous apporterons un nouveau programme.

Nous arrivons à la question du front unique. Avions‑nous à ce moment‑là des divergences d’opinions sur ce point dans l’Internationale? Oui, certes, et nous ne les avons pas complètement dissipées. Maintenant nous devons les combattre jusqu’au bout.

J’ai dit à l’Exécutif élargi que le gouvernement ouvrier était un pseudonyme de la dictature du prolétariat. Un représentant de la majorité me l’a reproché : vous nuisez, a‑t‑il prétendu, à notre propagande, on ne doit pas risquer de semblables explications. J’ai cédé, dans l’idée qu’il ne faut pas toujours en effet tout dire. Mais il est clair aujourd’hui que la critique n’était pas dictée par un souci de la propagande, mais provenait de fautes essentielles. Le Gouvernement ouvrier n’est autre chose qu’un pseudonyme de la dictature du prolétariat, ou bien ce n’est qu’une forme de l’opposition social-démocratique.

Radek le confirmera, j’ai dit immédiatement après Leipzig; nous sommes en présence d’une grande déviation de style ou d’une grande déviation politique. Bientôt après, une semaine plus tard, je pense, eut lieu le congrès tchécoslovaque : les mêmes formules démocratiques! Il était clair que Brandler était d’accord avec. Mon tort est de n’avoir pas immédiatement réagi. On se disait : Attendons, le mal est frais, on pourra peut-être y remédier sans éclat.

Cette critique de mon explication du "pseudonyme", les résolutions de Leipzig, les résolutions tchécoslovaques, tout cela constitue un ensemble de déviations opportunistes. Il faut en convenir franchement et y porter le fer. Autrement nous tuons le parti.

Qu’est-ce que le front unique? Dans les thèses du Bureau Politique du parti russe, nous lisons : le front unique est une méthode de révolution et non d’évolution, un moyen d’agiter et de mobiliser les masses, dans une époque donnée, contre la social-démocratie, rien de plus. Celui qui croit qu’il est autre chose, s’écarte du droit chemin. Le front unique n’est rien de plus et ne saurait être rien de plus : celui qui pense autrement fait déjà une concession à la social-démocratie contre-révolutionnaire et doit être combattu impitoyablement.

Reprenons cette même question du point de vue international. Le 4e congrès a défini que tout gouvernement ouvrier n’est pas un gouvernement prolétarien[9]. Dans quelques jours par exemple, nous verrons en Angleterre un gouvernement de Mac Donald. Ce sera un gouvernement ouvrier.

(Interruptions : Non!)

Mais si! ou bien vous êtes contre les résolutions du 4e congrès! Nous avons précisément au 4e Congrès cité l’exemple de l’Australie. Comparez la Saxe et Mac Donald. La Saxe est bien petite en comparaison, mais à la veille de la révolution prolétarienne en Allemagne, c’est un épisode important. Que constatons‑nous? Ou bien le gouvernement ouvrier n’est qu’un pseudonyme de la dictature prolétarienne, ou bien il est ce que sera le gouvernement de Mac Donald, un gouvernement de Scheidemann à la sauce anglaise. Ce n’en est pas moins un grand événement historique. L’ouvrier anglais a l’impression qu’il accède au pouvoir, et cependant ce ne sera qu’une réédition anglaise de Scheidemann. En Saxe, nous avons eu un essai des communistes pour marcher de concert avec les social-démocrates et il n’en est sorti que confusion.

Du moment où nous entrons dans un gouvernement ouvrier, nous perdons non seulement la possibilité d’utiliser ce mot d’ordre pour la propagande, nous le prenons comme pseudonyme de la dictature prolétarienne.

De même pour le front unique. Vous vous rappelez, lorsque nous décidâmes le front unique, comment se présenta l’idée d’une réunion des 3 Internationales. J’étais d’avis de différer le plus possible, car, le jour même où nous nous rassemblerions, le front unique recevrait déjà un coup. Ou bien nous ferions des concessions à la social-démocratie, ou bien il n’en sortirait rien et le front unique perdrait toute sa force d’attraction. Il faut savoir l’approprier aux différentes phases. Celui qui en attend davantage retombe sur le terrain de la social-démocratie. Brandler a dit hier quelque chose qui m’a fort intéressé : les masses se représentent le front unique comme une espèce d’évolution, d’abord la coalition avec la bourgeoisie, ensuite un gouvernement social-démocrate avec l’appui des communistes, et ainsi de suite progressivement. Si cela est vrai, c’est un grave argument contre l’application qui a été faite de cette tactique chez vous, camarades.

(Hesse : C’est l’article de Brandler).

Il s’agit ici d’une chose beaucoup plus importante qu’un article : il ne s’agit pas seulement de la culpabilité de Brandler ou du Comité Central, mais d’un état d’esprit très inquiétant que nous devons savoir examiner.

(Koenen : Cet état d’esprit n’existe pas).

(Thälmann : Il existe, particulièrement en Saxe).

Brandler l’a constaté. Sa déclaration est d’autant plus grave qu’il est le promoteur de la tactique du front unique en Allemagne, ce qui n’est nullement un reproche. Nous l’avons décidé tous ensemble. S’il vient nous dire maintenant que la masse a compris le mot d’ordre en ce sens qu’un gouvernement sort progressivement d’un autre, notre devoir est de rechercher avec le plus grand soin où est la faute commise. Je pense qu’elle n’est pas dans la tactique comme telle, mais dans son application. C’est une chose que nous ne devons pas prendre à la légère. C’est un fait qui dépasse en portée tous les autres.

Il n’y a aucun motif de soumettre à une révision radicale la théorie du front unique. Elle était juste et elle le reste.

Il en est de même du parlementarisme révolutionnaire. Nous nous y tenons fermement. De quelle façon ne l’a‑t‑on pas combattu! On est venu nous dire : Bombacci est un sot; en Allemagne et en France la fraction parlementaire est au‑dessous de sa tâche. Mais ce ne sont pas là des objections de principe. Il faut savoir mettre l’idée en pratique. Tout vient de ce que nous sommes en minorité dans la classe ouvrière et que la social-démocratie reste encore la majorité, de ce que, en un mot, nous sommes en position défensive et non offensive. Cela vient aussi de la faiblesse générale du mouvement ouvrier communiste. Pour servir l’idée, il faut attaquer impitoyablement toute mauvaise application. Autrement l’ouvrier se dira : Qu’est‑ce qu’une tactique qui a été mal appliquée en France, en Tchécoslovaquie, en Allemagne même où se trouve le meilleur parti communiste? Qu’est‑-ce que le front unique, s’il n’aboutit à rien de bon? Certes, le front unique n’est pas une idée juste tant qu’il n’est pas bien appliqué.

En présence des différentes formules en présence, le mieux est d’approfondir la chose jusqu’au bout. Au nom de mon parti, et selon la décision prise unanimement par son Bureau Politique, je propose cette motion : Le front unique n’est rien autre chose qu’un moyen d’agiter et de mobiliser les forces prolétariennes dans la période que nous traversons. Tout le reste est social-démocrate. Soyons francs! Il ne serait pas trop difficile de trouver une formule élastique, car nous sommes passés maîtres en cet art. Mais nous n’en ferons rien. Si nous nous trouvons en minorité dans l’Exécutif, nous combattrons pour devenir majorité. Mais c’est peu probable. Nous devons donner une formule claire. Toute étape de soi‑disant démocratie en coalition avec les social-démocrates est complètement exclue; celui qui l’admettrait, aurait déjà un pied dans le camp de la social-démocratie, ou même les deux pieds. Celui qui croit possible une alliance politique des communistes avec les social-démocrates, est un véritable centriste.

Par conséquent, camarades, nous avons fait d’assez tristes expériences en Allemagne. Mais il n’y a pas de mal sans bien : la lumière est faite.

Maintenant, je vais aborder la question de la social-démocratie et du fascisme.

Hier, Radek a dit avec raison que la première question qu’un homme politique doit se poser est celle‑ci : qui détient le pouvoir? Qui gouverne en Allemagne? Mais il répond : les fascistes. Et moi je demande : qui gouverne avec eux? et je réponds : les social-démocrates.

(Brandler : Très bien!)

Ah, j’ai raison? Tirons immédiatement les conséquences.

Depuis 1918, l’Allemagne est gouvernée par un bloc. Il est trop simple de dire : c’est le fascisme qui domine. La révolution bourgeoise s’est faite contre la volonté de la social-démocratie, qui est restée jusqu’au bout fidèle à la monarchie. La révolution sociale a éclaté malgré elle et contre elle. L’Allemagne s’est appelée république socialiste. Maintenant vous voulez l’appeler : la république de novembre. Mais nous avons intérêt à employer lorsqu’il s’agit de définition scientifique la vieille terminologie marxiste.

Or qu’avons‑nous en Allemagne? Une démocratie bourgeoise. Elle diffère de la démocratie française, américaine ou suisse, mais le type est le même. Pendant les cinq années d’existence de cette démocratie bourgeoise, la social-démocratie a tout fait pour livrer peu à peu le pouvoir, ou la plus grande partie du pouvoir, à la bourgeoisie. L’Allemagne, je le répète, est gouvernée par un bloc. Dans ce dernier, la corrélation des forces a un peu varié. Vous dites : il y a maintenant quelque chose de nouveau. On interdit le parti communiste et Noske ne l’avait pas osé.

(Walcher : Et c’est beaucoup mieux ainsi.)

Très bien! Mais cherchons à la loupe quels sont les codirigeants. Severing n’est‑il pas ministre?

Ebert est président. Des milliers et des dizaines de milliers de social-démocrates sont fonctionnaires. Ils font partie de l’appareil gouvernemental, ils ont quelque chose à défendre. Pour parler exactement, il ne suffit pas de dire : le fascisme règne. La social-démocratie partage le pouvoir. On voit ainsi s’évanouir la formule : le fascisme a vaincu la république de novembre.

Premièrement : est‑il vrai de dire "république"? Si vous êtes marxistes, vous devez dire : "démocratie bourgeoise". C’est la démocratie bourgeoise qui gouverne, et elle est à peu de chose près la même qu’en France. Vous croyez qu’en France ce ne sont pas les généraux qui gouvernent?

Deuxièmement : on ne peut vaincre la république, dites‑vous, sans vaincre la classe ouvrière. C’est de nouveau une fleur de rhétorique ou de l’opportunisme, comme à Leipzig; souhaitons que ce ne soit qu’une fleur de rhétorique.

Pourquoi cela est‑il nuisible politiquement? Parce qu’il en découle une fausse appréciation de la social-démocratie et, chose plus grave pour nous, il peut en résulter une nouvelle déviation. S’il est vrai que la social-démocratie a été vaincue, il faut se rapprocher d’elle. Arwid écrivait dans une lettre ces paroles naïves : pourquoi avons‑nous besoin de cette formule? Parce qu’elle seule explique pourquoi nous renonçons actuellement aux mots d’ordre partiels et aux luttes partielles. Mais, camarades, c’est renverser les choses. Pour se faciliter le renoncement à certaines revendications partielles, se fabriquer une terminologie inexacte! Personne ne le contestera : si la social-démocratie est battue, il en découle un rapprochement avec elle. Marx nous l’enseigne dans le Manifeste Communiste : s’il y a d’un côté la réaction et de l’autre la petite-bourgeoisie qui faiblit, nous devons marcher avec cette dernière. Mais la situation est toute autre. C’est la réaction qui gouverne et, avec elle, la social-démocratie. Nous devons les combattre toutes les deux. De votre terminologie, ressort une conclusion toute différente.

Il faut donc préciser notre tactique, puisque la social-démocratie, selon toute évidence, est complice du fascisme. C’est une social-démocratie fasciste.

(Walcher : C’est ce que nous avons dit.)

Non. Vous ne l’avez pas dit. Vous huez la social-démocratie, mais vous ne savez pas expliquer à la classe ouvrière pourquoi. C’est trop peu de dire : instrument de la bourgeoisie! placé au pouvoir par la bourgeoisie, etc… La social-démocratie n’a pas été vaincue, elle fait partie intégrante du mouvement fasciste. Toute la social-démocratie internationale évolue dans ce sens. Qu’est‑ce que Pilsudski et les autres? Des social-démocrates fascistes. L’étaient‑ils il y a dix ans? Non, mais à l’époque de la révolution ils le sont devenus. Qu’est‑ce que la social-démocratie italienne? C’est une aile du fascisme : Turati est un social-démocrate fasciste. Aurait‑on pu l’affirmer il y a cinq ans? Non. Rappelez-vous le groupe des académiques, qui est devenu peu à peu une force bourgeoise. Prenez encore les socialistes bulgares de gouvernement. C’étaient des opportunistes, mais aurait‑on pu, il y a dix ans, les appeler des social-démocrates fascistes? Non. Et pourtant ils le sont maintenant.

D’un côté Macdonald, le président de la 2e Internationale, arrive au pouvoir : la bourgeoisie anglaise s’incline! "S’il vous plait, gouvernez!" C’est une preuve de faiblesse de la part de la bourgeoisie. C’est une preuve que la classe ouvrière se développe et devient un facteur politique. Mais c’est aussi une preuve de ce que la social-démocratie est devenue. La bourgeoisie anglaise peut installer sans danger le président de la deuxième Internationale au pouvoir.

On peut traiter Macdonald de tous les noms, mais il faut comprendre la période où nous vivons. Ce n’est pas le fascisme qui a triomphé. Mais c’est la social-démocratie internationale qui est devenue une aile du fascisme. Il faut l’expliquer aux ouvriers allemands, car il en résulte une conception toute différente.

Votre opinion était inexacte. Vous ne pourrez jamais la défendre devant l’Internationale. Elle devra conclure à sa fausseté; elle dira : c’est un article de Radek et non pas une résolution du parti.

Mon article sur Koltchak était infiniment plus juste.

La rédaction de votre organe central a publié une Note de la Rédaction, qui est en réalité un nouvel article de Radek. Vous en avez le droit, mais vous n’avez pas le droit de vous étonner ensuite : la droite? où est‑elle? La droite, c’est ceux qui ont écrit et répandu cette Note.

Elle est une minorité. Quand l’Internationale aura parlé, cette minorité sera encore plus réduite. Nous marchons encore ensemble. Mais il y a chez vous une tendance de droite. Les résolutions de Leipzig, le bruit fait autour du "pseudonyme", cette résolution de la commission du Reich, la conduite suivie en Saxe, l’article de Radek, endossé par la rédaction, tout cela suffit à tout homme politique pour reconnaître un système faux.

(Radek : C’est peut‑être un système, mais est-il faux?…)

Ce système est menchéviste. Qu’est-ce que le menchévisme? on dit souvent : Radek est un menchévik. Il est pourtant bolchévik. Mais il tombe souvent dans des fautes menchévistes. S’il était menchévik, nous nous combattrions d’une toute autre façon. Radek dit : Zinoviev aurait raison, si la situation était la même en Allemagne qu’autrefois en Russie. Pour vous, camarades, en votre qualité d’étrangers, vous n’êtes nullement obligés de connaître tous nos politiciens, mais Radek ne saurait en être dispensé. Il n’y avait pas seulement les menchéviks, mais encore Pourichkevitch. C’est le Hitler russe. Il y a eu le large mouvement, archiréactionnaire, des Cents noirs, un vrai fascisme russe, avec une forte dose de démagogie sociale. Les "Cents noirs" furent formés par le parti de Pourichkevitch, comme une des colonnes de la monarchie. Ils avaient des sections dans presque tous les villages, vous l’entendez, camarade Radek, dans toutes les villes.

(Piatnitski : Ils avaient aussi des ouvriers.)

Les petites gens, les portiers, les femmes d’ouvriers, étaient nombreux dans ce mouvement. Il exploitait beaucoup la religion. C’était en quelque sorte un mouvement populaire révolutionnaire avec démagogie antisémite. Il ne comprenait pas seulement des grands propriétaires et des nobles, mais aussi des dizaines de milliers de gens du peuple. En comparant la Russie et l’Allemagne, il ne faut pas l’oublier.

(Radek : En ce qui regarde la petite-bourgeoisie, je suis complètement d’accord avec Zinoviev).

Radek a eu raison de souligner l’importance de la petite-bourgeoisie. Nous devons venir en aide à la petite-bourgeoisie. C’est là un de nos objectifs les plus importants. Vos réunions de petits commerçants sont une bonne chose et montrent que vous êtes réellement en contact avec le peuple. Continuez, tâchez de gagner les milieux petits-bourgeois. Je n’ai jamais entendu dire que la gauche y soit opposée…

(Non.)

Mais quand la résolution du Comité du Reich découvre une grande différence entre les Wittelsbach et les Hohenzollern, alors, d’après nous, c’est de l’opportunisme. Baser là‑dessus la politique de la classe ouvrière, voir là un grand facteur de révolution, c’est une erreur.

Pourquoi Lénine a-t-il combattu Martov? Non pas parce que d’après lui, il ne fallait pas exploiter les divisions de l’adversaire, mais parce que Martov, aveuglé par cette savante recherche, oubliait le principal, l’existence de 3 classes : la bourgeoisie, la petite-bourgeoisie et le prolétariat.

Enfin en énonçant ce dilemme : Ou bien parti d’agitation communiste, ou bien parti de lutte, secte ou grand parti de masse, Radek pose mal la question. Je ne dirai pas qu’il se place sur le même terrain que Levi. Mais c’est en somme la même faute, le même point de départ. Il s’agit de savoir si nous serons un bon parti d’agitation, d’agitation communiste ou bien centriste. Qu’on ne nous effraye pas avec cet épouvantail de la "secte". Nous le connaissons. Ce qui manque à nos partis, c’est qu’ils ne savent pas conduire une agitation communiste. Prenez les partis anglais, français, tchèque, allemand. Ils ne savent pas encore mener des campagnes communistes. Ils ne se sentent pas encore les tribuns du peuple. Pourquoi les déclarations de camarades comme Heckert nous ont‑elles peinés? Nous aimons sa loyauté, nous savons qu’il est dévoué jusqu’a la mort à la troisième Internationale. Nous n’en avons que plus regretté son attitude.

(Walcher : Avez-vous lu un seul de ses discours?)

J’ai lu tout ce qu’il était possible de lire et pour le moins autant que Walcher. Nous ne jugeons pas à la légère. Lorsque nous avons rédigé la lettre, nous étions tous d’accord. Et nous avions là une douzaine de rapports.

(Walcher : Tous ont reconnu que le discours de Heckert était un bon discours communiste.)

Peut-être que dans des conjonctures normales c’eût été vrai. Mais ce n’était pas le discours d’un homme qui sent les masses ouvrières enlevées par la vague révolutionnaire. Il n’aurait pas dit, autrement : je suis responsable devant le Landtag, je me tiens sur le terrain constitutionnel.

(La vague était absente.)

Cette vague était absente à Leipzig, mais elle était là en Allemagne. Remmele a raconté comment les ouvriers ont passé la nuit dans les rues, réquisitionnant les camions automobiles, et quel était l’état d’esprit des femmes. Cela nous paraît bien plus important que des volumes de thèses. Il faut sentir avec la masse. Le tableau que Remmele trace, incidemment, que König peint et que Thälmann reflète, c’est ce qui se passait vraiment en Allemagne. Vous êtes-vous faits les interprètes de cet état d’âme?

Les masses agissent spontanément, mais les membres du Comité Central, comme Heckert, n’agissent pas spontanément. Un chef doit sentir ce qui s’agite dans la masse. Ce que Thälmann, Remmele, König ont exprimé, nous ne l’avons pas senti dans les discours de nos Ministres, et voilà ce qui est inquiétant. Nous ne dirons pas comme Shylock : Pourquoi, en neuf jours, n’avez‑vous pas trouvé des armes? C’était impossible, et on devait s’en rendre compte rapidement. Mais pourquoi du moins ne vous êtes‑vous pas faits les interprètes passionnés du peuple? Voilà ce que nous ne comprenons pas, voilà ce qui est un symptôme grave.

Nous estimions qu’à Chemnitz la retraite était inévitable. Mais que pendant l’affaire saxonne on ait fait ce qu’on a fait, c’est une preuve qu’il y a des tendances de droite demi‑conscientes et qu’elles n’ont pas encore rencontré dans notre Parti et ici au C.E. une résistance suffisamment organisée.

À parler sincèrement, nous aurions besoin d’une dizaine d’hommes comme Remmele et Thälmann. Nous aurions alors un véritable Comité Central. Des hommes de cette trempe sont ce qu’il y a de meilleur dans le Parti allemand. Je ne me propose pas naturellement de présenter la théorie des mains calleuses. Mais notre plus grand reproche au Comité Central est de n’avoir pas su employer ces trésors de la classe ouvrière, tandis qu’il discutait sur des thèses et regardait immédiatement chaque article de Radek comme une résolution. Vous ne savez pas prêter l’oreille à la classe ouvrière. Sans doute, nous avons aussi besoin de tous les camarades intellectuels. Ils doivent continuer à travailler. Mais il faut enfin bâtir sur un fondement solide.

Maintenant, il doit y avoir un remaniement dans la direction. Lequel? La majorité actuelle dirigera le Parti avec la gauche et avec l’aide et le contrôle de l’Internationale Communiste : tel est le conseil que nous vous donnons. Les Polonais disent que dans la question allemande, nous avons toujours cherché un juste milieu. Mais ils n’ont jamais fait de propositions. Je ne pense pas qu’il convienne à un parti comme le Parti polonais d’apporter seulement ses larmes après la défaite.

(Warski : Il n’est pas question de larmes.)

Vous avez rédigé une lettre au Parti Communiste russe sans nous entendre. C’est sans doute pour vous une politique à la Salomon. Peut‑être déposerez‑vous ici une proposition? Celle qu’on peut trouver dans votre lettre revient à dire qu’on ne lutte pas contre soi‑même.

Nous croyons, camarades, avoir agi sagement jusqu’ici. Vous dites souvent que Maslow et Fischer sont mauvais et que Thälmann est bon. Camarades, j’ai une certaine expérience : il est bien rare qu’on puisse parler ainsi. Je connais les ouvriers aussi bien que vous; ils réagissent énergiquement contre de pareilles tentatives de division. Il y a des différences entre Thälmann et Maslow, politiques et personnelles. Thälmann sort des entrailles de la classe ouvrière, Maslow est un intellectuel.

(Walcher : Thälmann a fait de son mieux au Comité Central.) (Pieck : Il a essayé de collaborer.)

Mais ne croyez pas qu’il soit si simple d’établir une séparation. Ils ont commis des fautes, Maslow et Fischer : nous avons déjà dit qu’il fallait un peu de patience.

(Pieck : Jusqu’à ce que le Parti se dissolve.)

Le Parti n’est pas dissous et ne menace pas de se dissoudre. Radek court les réunions d’étudiants en disant que le Comité Exécutif et moi‑même avons tué le Parti allemand. Je ne crains pas ces accusations. Le Parti allemand serait un beau parti en vérité, si on pouvait ainsi le tuer de Moscou!

(Radek : Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que vous aviez brisé le Comité Central.)

Un Comité Central qui se laisserait ainsi briser serait vraiment un joli Comité Central.

(Radek : Oui, s’il s’agissait du Comité Central russe.)

Je n’ai pas brisé le Comité Central.

Peu de jours après le départ d’Allemagne du représentant de l’I.C., la majorité du Comité Central s’est tracé toute seule une ligne assez juste. Comment pourrais‑je l’avoir brisé? Je constate que je n’ai pas écrit un seul mot ni à Remmele ni à aucun autre, ce qui aurait été mon droit. Mais c’est un fait que ce Comité Central, qu’on nous représente comme ayant été brisé de Moscou, a à peu près trouvé sa véritable ligne sans nous. Que manque‑t‑il encore à cette majorité du Comité Central? Soit dit entre nous : il lui manque la résolution, la volonté de commander le Parti. Il faut cela pour le diriger. Elle est encore quelque peu anémique. Elle cherche encore à élaborer des formules qui satisfassent Jacob Walcher. Ce dernier nous est cher, naturellement. Nous marcherons de concert avec lui, mais la politique révolutionnaire du parti nous est encore plus chère que Jacob; et il ne perdrait rien à se rendre compte qu’il n’est nullement besoin de ces formules enchevêtrées : "d’un côté, … de l’autre". Le temps en est passé.

Nous avons pour nous cette majorité. Dans l’ensemble, nous marchons avec elle. Mais il faut avoir, à l’égard de la gauche, une attitude différente de celle que Radek et Brandler ont mise à la mode. Radek a été injuste envers la Gauche. Il s’est laissé emporter par son tempérament et souvent aussi par un faux point de vue.

Vous dites que la Gauche ne représente qu’un quart. Mais on ne peut pas sans ce quart diriger le Parti. Vous dites : les plus mauvais éléments sont à Berlin, ce sont les fonctionnaires, etc… Camarades, je suis à la tête de l’organisation de Pétrograd et je sais ce que c’est de diriger 25 à 30.000 ouvriers. Cela ne se fait pas mécaniquement, par la contrainte. Je suis en relations depuis 20 ans avec eux, mais si je voulais les forcer, croyez‑vous qu’ils risqueraient rien pour nos beaux yeux? Vous avez la presse et un appareil, pourquoi n’avez‑vous pas gagné Berlin et Hambourg?

En second lieu vous exagérez le rôle des personnalités dans l’histoire.

(Radek : Très bien).

(Pieck : En Allemagne, vous médisez toujours sur des personnalités).

Aucunement. Nous croyions que Brandler était le plus propre à exécuter la politique d’Octobre. Maintenant nous ne croyons pas qu’il soit incapable de rien faire de bon. Nous savons au contraire qu’il faut subir 20 défaites avant de remporter une victoire.

(Brandler : J’ai commis des fautes, mais pas celles que vous croyez).

Ce que vous avez dit hier de l’idée que la masse se fait du front unique prouve vos déviations.

(Brandler : Existe‑t‑il une tactique sans danger et sans déviations?)

Savez-vous ce que Lénine a écrit une fois? Le chef est responsable non pas seulement de ce qu’il fait, mais de ce que font les masses qui se trouvent sous sa direction. Lorsqu’après deux ans on vient nous dire que les masses sont dans cet état d’esprit, j’y vois le signe qu’il y avait quelque chose de malsain dans la direction.

La conclusion est la suivante : nous devons remanier la direction. Nous ne voulons nullement prêcher une croisade contre ce qu’on appelle la droite. Lorsqu’on veut retrouver l’esprit de Paul Levi, c’est une exagération. L’exagération est le grand défaut de la camarade Ruth Fischer. Mais lorsque nous avons appris par votre lettre comment vous avez des journées entières discuté, tandis qu’on vous assiégeait de pétitions, nous nous sommes effrayés. Comment peut‑on discuter pour savoir si l’on doit sacrifier le Parti ou non? C’était aussi le sentiment de Radek.

(Radek : C’est encore le sien.)

Le Comité central a discuté toute une semaine si l’on devait sacrifier le Parti. Radek a encore l’impression qu’il y avait dans le Parti une tendance de Droite. Maintenant, lorsque je vous lis le projet de résolution du Parti russe, vous demandez : où sont les tendances de Droite? est‑ce Brandler, Pieck? À quoi bon citer des noms? La tendance existe. C’est un fait.

Il y a d’ailleurs de grandes survivances social-démocrates non seulement dans le Parti allemand, mais dans toute l’Internationale Communiste, puisqu’elle provient de la 2e Internationale. Je communiquais un jour à Lénine, il y a plusieurs années, mon angoisse : lorsque je considère l’Internationale telle qu’elle est, je doute quelquefois que nous puissions jamais en faire une véritable Internationale Communiste. Il y a dans nos rangs des survivances très sensibles de social-démocratie. Pouvons‑nous ne plus voir ces faiblesses parce que nous sommes à la direction de l’Internationale Communiste? Même dans notre Parti la récente discussion a montré que la social-démocratie a laissé des traces.

(Radek : Très juste!)

Pas de notre côté, mais du vôtre. Je prévois que Pieck et Walcher vont se cabrer : notre Parti, social-démocrate! Nous ne l’avons jamais pensé. Vous êtes au contraire, malgré tout, une des meilleures sections de l’Internationale Communiste.

(Radek : Non pas une des meilleures, mais la meilleure.)

Beaucoup d’éléments jeunes parmi vous, par exemple Maslow, ont l’avantage de ne pas être embarrassés par la tradition social-démocrate, mais d’autre part ils ont le désavantage de n’avoir pas grandi avec les ouvriers. Maslow d’ailleurs, personnellement, les connaît bien.

Quoiqu’il en soit, le Parti est en crise. L’esprit de fraction doit disparaître : pour assurer la victoire, il faut une direction homogène. Il faut voir la situation comme elle est. Si l’on veut lutter pour la Révolution et sauver le Parti, il faut chasser la passivité, les divisions, etc… Nous avons à examiner ici toute une série de questions comme la question syndicale, la question d’organisation, et à les résoudre objectivement. Probablement aussi nous déciderons la convocation d’un Congrès.

Je vous le dis franchement : le Comité Exécutif et le Parti russe ne peuvent pas prendre la responsabilité de former une nouvelle combinaison pour la Direction du Parti allemand. La situation est trop complexe. Le Parti doit montrer lui-même sa physionomie et dire quelle direction il désire. L’Internationale Communiste pourra intervenir plus tard, mais le Parti doit parler avant. Alors seulement nous pourrons agir au mieux de ses intérêts. Nous pensons que la préparation politique du Congrès doit commencer à Moscou.

Si actuellement il pouvait s’établir une certaine coopération de la majorité actuelle du Comité Central avec la Gauche sur un certain programme politique, ce bloc rallierait les 99% du Parti.

(Pieck : Vous n’avez pas encore entendu les masses qui suivent la majorité.)

Mais vous les représentez. J’avoue que dans la question de la corrélation des forces des fractions à l’intérieur du Parti on peut facilement errer.

Il existe maintenant trois tendances dans le Comité Central : la majorité, qui a présenté ici des thèses soutenues par Remmele et Koenen, assez faiblement d’ailleurs; la gauche, que vous connaissez; enfin la minorité, que vous avez entendue.

(Brandler : Où placez-vous Pieck et Walcher?)

(Zetkin : Et où me rangez-vous?)

Ne m’en veuillez pas. Le cas de la camarade Zetkin est trop difficile pour moi. Elle a signé la lettre de l’Exécutif.

J’espère qu’elle restera sur ce terrain. Mais je n’y puis rien si elle est pour une autre ligne.

Camarades, le Comité Central a adopté un projet que vous connaissez. Nous nous sommes ensuite entendus avec la majorité de la délégation et nous avons élaboré un projet. Les camarades l’ont revu et amélioré, mais dans l’ensemble son esprit est demeuré. Les travaux de la petite commission, où étaient présents Pieck, Koenen, Remmele, ont montré que même avec Pieck on peut marcher d’accord dans la proportion de 99%. Mais il est possible malgré tout que des difficultés surgissent entre lui et la Gauche, car il est passionné comme nous tous et dans sa lutte avec les Berlinois il se laisse parfois entraîner à des fautes que je ne saurais excuser.

Notre tâche ici ne consiste pas à faire de la stratégie ni à exécuter une manoeuvre au sein de notre Parti, mais à dire : voilà la faute. Si vous concluez : le Parti russe est avec les Berlinois, vous aurez tort. Il pense que l’état d’esprit de la nouvelle majorité est juste dans l’ensemble. Elle doit instituer une coopération loyale avec la gauche. La guerre intestine et les menaces doivent cesser. Vous aussi, la Gauche, vous avez commis de grandes fautes, vous pouvez en être convaincus.

On dit parfois que la majorité représente la partie rétrograde des ouvriers; elle répond que la Gauche défend la partie impatiente. Mais peut‑on faire la révolution sans cette partie rétrograde? La Droite dit : impatience. Mais il y a des moments où cette impatience est nécessaire. Prenez par exemple Thälmann. Tous les camarades qui l’ont entendu disent que lorsqu’on le voit on a l’impression que la révolution allemande viendra. Nous devons avoir cette impression, nous devons nous l’inspirer réciproquement, en suivant l’itinéraire que nous vous proposons.

Que fera la minorité? Beaucoup disent : une nouvelle fraction. Brandler, très probablement, ne fera pas une nouvelle fraction. Il attendra. Attendre est pour lui le meilleur parti.

Chacun d’entre nous apprécie personnellement le camarade Brandler. Il fera encore de grandes choses dans le Parti. Lorsqu’on vient nous dire : amputez, sciez et autres mots du même genre, ce sont des paroles légères, elles n’expriment pas la vérité. Nous n’avons rien à amputer.

Nous ne savons pas comment les choses se dérouleront ultérieurement. Dans la question du temps nous nous sommes trompés. Même Lénine et Marx se sont quelquefois trompés. Mais le diagnostic reste juste. Tout dépend de la force d’attaque de notre Parti. En tout cas l’Internationale Communiste est prête à tout pour accélérer autant que possible les événements : armement, organisation illégale, orientation conforme des autres sections, etc… Nous avons rédigé une lettre au Parti français. La camarade Zetkin, qui était membre de la Commission, témoignera que nos perspectives sont restées les mêmes, à savoir la révolution. Nous préparerons tout en Russie aussi pour un dénouement rapide. Mais, comme chefs du Parti, nous devons prévoir l’éventualité d’une évolution lente. C’est la leçon de nos expériences passées. En 1905 il nous a fallu un an et demi pour voir clairement où nous allions. Lénine a en 1906 annoncé par trois fois l’insurrection, d’abord au printemps, ensuite vers la fin de l’été, après la moisson, et les menchéviks se sont moqués de nous. Il n’y avait pas de quoi rire. Nous nous sommes trompés sur la date : au bout d’un an et demi, nous avons vu que la révolution tarderait. Actuellement nous devons, vu l’état actuel des choses, penser qu’au printemps ou à l’été, nous serons bientôt fixés.

Si nous sommes d’accord sur ce point, la discussion n’aura pas été inutile. Nous avons perdu beaucoup d’illusions et gagné beaucoup d’esprit pratique.

VI.
La commission et les déclarations orales

Après le discours de Zinoviev à la séance du 12 janvier, on décida de clôturer la discussion en séances plénières du Présidium et de former une commission. Elle serait composée, selon la proposition de Zinoviev, de représentants de la majorité (le centre) et de la gauche du P.C.A. Cette commission élaborerait un projet commun de résolutions qui constituerait un premier essai de collaboration entre ces deux fractions.

Radek, Pieck et Clara Zetkin demandèrent l’adjonction de représentants de la droite et de Radek lui‑même.

La motion Zinoviev, mise aux voix, réunit toutes les voix sauf 2, Radek et Clara Zetkin, qui votèrent contre. Furent élus membres de la commission : Kuusinen, Pieck, Remmele, Koenen, Maslow, Thälmann.

Le Présidium désigna ensuite une commission d’organisation et une commission syndicale. La commission syndicale fut composée des camarades : Kolarov, Remmele, Koenen, Fischer, König, Walcher, Tomski, Antselovitch.

La commission d’organisation comprit : Mitskevitch-Kapsukas, Piatnitski et Kuusinen, membres de la section d’Organisation de l’Exécutif de l’I.C., et les camarades allemands Remmele, Koenen, Fischer et Thaelmann.

La première commission termina le 17 janvier un projet commun qui fut soumis à la séance du Présidium du 19 janvier.

Il fut d’abord décidé de prendre ce projet comme base. Radek et Clara Zetkin votèrent contre et parmi les camarades allemands, Brandler et Walcher; Pieck s’abstint.

Quand on passa à l’examen du texte, Pieck présenta deux additions.

1) "Les fautes et les manquements énumérés plus haut expliquent suffisamment pourquoi le P.C.A. n’a pas eu, au mois d’Octobre, la majorité de la classe ouvrière. Dans ces conditions, il était juste qu’il évite la lutte armée et décisive pour le pouvoir."

Cette motion fut rejetée par la majorité du Présidium. Il y eut 11 voix pour, parmi lesquelles celle de Radek et de Clara Zetkin, et 18 contre.

2) "L’opposition actuelle a sans aucun doute attiré l’attention sur le danger opportuniste, mais elle n’a pas été en mesure de proposer au Parti une politique plus propre à gagner au communisme la masse ouvrière et à la mener aux grandes luttes révolutionnaires".

Cette motion, en faveur de laquelle votèrent Radek et Clara Zetkin, fut aussi rejetée. Il y eut 10 voix pour et les autres contre.

Une addition proposée par Warski au sujet du front uni que fut aussi rejetée.

Dans le vote sur l’ensemble, la résolution fut adoptée contre les voix de Radek et Clara Zetkin. Le représentant de l’I.C.J. vota pour. Parmi les camarades allemands, votèrent pour : Remmele, Koenen, Fischer, Maslow, Hesse, Thälmann, König; et contre : Brandler, Pieck, Walcher, Jannack, Hammer, Eisenberger.

Le Présidium se réunit le 21 janvier pour la séance de clôture. La résolution sur l’organisation et les thèses sur la question syndicale, mises aux voix, furent adoptées à l’unanimité. Seul le camarade Hesse s’abstint sur la question syndicale.

Dans le vote sur la circulaire pour l’organisation de cellules d’usine en Allemagne, les camarades Maslow, Fischer, Hesse, König et Thälmann votèrent d’abord contre le 4e point. Mais dans le vote sur l’ensemble, la circulaire fut adoptée à l’unanimité.

Ensuite Zinoviev fit une déclaration de conclusion, ainsi que plusieurs autres camarades.

Zinoviev. Nous touchons à la fin de cette discussion. Peut‑être serait‑il expédient, maintenant que nous avons devant nous toutes les données : résolution politique, résolution syndicale et résolution d’organisation, de nous prononcer sur une motion générale, de mettre aux voix le résultat total de nos délibérations.

Je pense que la question principale est celle‑ci : sommes-nous en présence d’un flux ou d’un reflux de la révolution. Nul n’oserait prédire l’avenir. On peut facilement se tromper. Nous devons être prêts au pire. Nos résolutions sont justes sur ce point, puisque nous avons pris en considération toutes les perspectives.

La résolution projette une lumière complète sur beaucoup de points, mais incomplète sur quelques autres. Par exemple, dans la question du front unique, il me semble que nous sommes arrivés à une précision suffisante. Mais sur la crise d’octobre, c’était impossible : déjà nous y voyons plus clair qu’il y a un mois et dans trois mois nous y verrons encore mieux.

Les opinions diffèrent aussi pour savoir si la retraite était absolument nécessaire ou non : si elle était imposée par la situation objective ou si elle a été une faute. Je comprends bien que dans de telles circonstances, les esprits soient excités les uns contre les autres. Mais notre résolution dit clairement ce qui était à dire. La retraite fut rendue nécessaire, non pas seulement par les fautes du parti, mais aussi par la faiblesse de la classe ouvrière. Naturellement, il y aura toujours un certain nombre d’ouvriers qui diront : on a laissé passer le moment propice.

En ce qui regarde la lutte inter fractionnelle, je dois avouer en toute sincérité que je ne sais pas si nous y avons mis un terme, ou si elle ne va pas se rallumer avec une nouvelle violence. J’ai souvent remarqué ce phénomène dans notre parti : on adopte à l’unanimité une résolution, et c’est ensuite que commencent les divergences et les luttes de fractions. Je désire sincèrement qu’ici, il n’en soit pas ainsi : toutes les nuances du parti ont profité des leçons de l’expérience; la gauche avait beaucoup à apprendre et elle a beaucoup appris. Une lutte entre fractions, dans la situation actuelle en Allemagne, ne serait utile à aucune d’entre elles. Les masses ouvrières ‑ et nous sommes un parti de masses ‑ n’en veulent à aucun prix. Elles sont encore sous l’impression de la dernière retraite. Les fautes de toutes les nuances étant reconnues, il s’agit le plus vite possible de mettre en pratique ce que nous avons élaboré ici.

Nous avons pris position contre la droite, contre les survivances de la social-démocratie dans le Parti allemand. Maintenant passons des paroles aux actes. Nous suivrons les événements de près, mais nous serons heureux si nous n’avons plus à intervenir. Le Parti allemand doit lui‑même choisir son comité central. Vous avez les matériaux d’un très bon comité central. Si vous n’y réussissez pas, alors, bien qu’à regret, nous interviendrons. Nous prendrons toute la responsabilité, pour épargner à la classe ouvrière une nouvelle lutte de fractions. Sans doute la social-démocratie est historiquement condamnée à disparaître, et même, à mon avis, dans un avenir rapproché. Mais si nous nous mettons à nous diviser, nous lui infuserons une vie nouvelle.

Par conséquent, camarades, je vous proposerai un vote général.

Je me permettrai aussi d’écrire une brève préface à la résolution politique.

Zetkin. J’ai une déclaration à faire au nom de la délégation de la majorité.

Si l’on vote pour l’ensemble des travaux de la commission, nous sommes prêts à donner notre assentiment aux trois thèses prises en bloc. Nous constatons que les deux résolutions, syndicale et d’organisation, expriment notre point de vue, qui est celui de la majorité du parti.

L’introduction que Zinoviev veut ajouter aux thèses pour expliquer la situation comme elle est selon lui, coïncidera sans doute aussi avec notre conception sur deux points importants. Elle affirmera premièrement que la retraite était nécessaire, deuxièmement que du côté de ce qu’on appelle la gauche des fautes graves ont été commises.

Nous sommes donc prêts à voter en faveur de l’ensemble de l’oeuvre de la commission. En ce qui regarde les thèses politiques, nous n’en conservons pas moins toutes nos idées.

Les luttes acharnées qui attendent le parti communiste n’exigent pas seulement l’unité la plus complète et la plus compacte, mais encore une grande fermeté dans l’application d’une ligne politique homogène. Les thèses politiques ne créent pas des conditions préalables favorables à cette fermeté et à cette unité. Les diverses opinions ne sont pas éclairées, mais au contraire voilées par des tournures et des phrases générales.

Ainsi, les causes qui ont provoqué la retraite ne sont pas exposées assez en détail, ni même avec justesse et clarté : "l’expérience saxonne" n’est pas bien mise en lumière, non pas seulement quant aux fautes qui, dès le début, la condamnaient à l’échec, mais aussi quant aux fautes réelles qui y ont été commises et quant aux résultats multiples de cette expérience considérée dans son ensemble.

Les thèses passent sous silence le principal, la grande question en litige : la retraite était‑elle nécessaire dans l’intérêt du parti, ou devait‑on, quelles que soient les conditions, accepter le combat? Elles ne touchent pas cette question une seule fois. Elles ne se prononcent pas non plus sur des actions de masses, qui, d’après moi, étaient non seulement possibles, mais nécessaires.

Dans la question du front unique, les thèses exposent la ligne déjà contenue dans la résolution du C.E. : l’unité de front par en‑bas, sans entente avec les chefs de la droite ou de la gauche social-démocrate. Dans cette formule, nous trouvons une certaine étroitesse et une certaine raideur qui peuvent nous empêcher d’utiliser toutes les circonstances réelles. Nous regrettons en même temps l’absence de toute critique des fautes de la gauche sur ce point.

La résolution politique peut être une source de graves dangers.

Premièrement il est à craindre que la discussion ne soit pas terminée; deuxièmement, que les différentes sections de l’Internationale Communiste n’obtiennent pas ainsi un tableau complet et exact des événements d’Octobre, de leurs répercussions et de leurs enseignements variés. Nous comptons donc, camarades, que l’Exécutif élargi abordera cet important problème de la préparation, de l’organisation et de la direction de l’insurrection armée, qui intéresse directement toutes les sections de notre Internationale. Nous espérons qu’il révisera cette résolution sur beaucoup de points, ce qui sera d’ailleurs beaucoup plus facile à un moment où la situation se sera éclaircie.

Je le répète, tout en conservant nos scrupules à l’égard des thèses politiques, que nous avons rejetées, nous accepterons dans le vote général toutes les thèses en bloc. Car nous sommes persuadés qu’il est absolument nécessaire que le Parti forme un bloc inébranlable en matière politique comme en matière d’organisation, un bloc contre lequel nos adversaires viendront se briser. Nous avons besoin d’unité et d’union. Je puis vous assurer que malgré nos opinions particulières sur certaines questions, nous sommes prêts à observer la discipline et à aider le Comité Central dans tous ses efforts pour engager le parti sans hésitation et en rangs compacts sur une voie politique clairement tracée. Il est indispensable que le parti communiste, dans son agitation, dans sa propagande et dans tous ses actes, montre clairement et hardiment sa physionomie de parti communiste. Il faut évidemment utiliser chaque divergence, chaque scission se produisant dans le camp bourgeois, non seulement pour recruter des alliés, mais encore pour porter la fermentation et le désarroi dans les rangs ennemis et pour détruire plus vite l’appareil gouvernemental. Le Parti communiste doit se dresser comme le tribun de toutes les catégories de la population dont les intérêts vont le plus à l’encontre de ceux de la bourgeoisie et de son régime. Mais il ne doit jamais, à aucun prix, dégénérer en un parti populiste au sens péjoratif et banal de ce mot. Plus il pénétrera dans la masse, et plus il doit rester un parti communiste compact, inébranlable dans sa doctrine et son organisation. S’il se laisse dévoyer et s’il tente de voiler, de farder, de couvrir de poudre réformiste son visage communiste rude et peut-être effrayant pour les couches bourgeoises, il perdra de plus en plus de sa capacité à éveiller les masses et à les conduire au combat.

C’est parce que nous sommes d’avis qu’il faut faire une place de plus en plus grande à cette vérité : la masse est toute puissante et l’action du parti, si précieuse et indispensable qu’elle soit, ne peut jamais remplacer l’action de la masse, c’est parce que nous sommes convaincus de la puissance irrésistible, éruptive et rénovatrice de la masse entraînée par son guide, le Parti, que nous voterons pour l’ensemble des travaux de la Conférence.

Lauer (Pologne). Nous voterons pour toutes les résolutions. Nous insérerons ultérieurement une déclaration écrite au procès-verbal.

Maslow. Dans le discours de la camarade Zetkin, il y a de la lumière et de l’obscurité. Après avoir voté contre les résolutions, on vote maintenant pour. On allègue des faits nouveaux. Mais il n’y en a pas et la résolution est absolument telle qu’elle était auparavant. On dit que Zinoviev doit écrire une préface et que pour cette raison on votera la résolution. Est‑ce une raison pour voter en principe une résolution qu’on a antérieurement repoussée?

Remmele. Les camarades allemands qui nous ont délégués, Koenen et moi, estiment que la ligne tracée quant au front unique dans le projet de Zinoviev est si claire et si nette, qu’elle doit être soutenue sous tous les rapports. Mais ils trouvent que dans les thèses ultérieurement rédigées en collaboration cette netteté a disparu.

Les camarades ont examiné deux problèmes, le russe et l’allemand, et ils sont arrivés à cette conclusion que l’attitude du Comité Central russe, dans les deux problèmes, a été juste et ils l’approuvent. Le camarade G. a été envoyé d’Allemagne pour défendre cette ligne. Les décisions adoptées ici comme base et par le Comité Central et par l’Exécutif, en un mot l’orientation à gauche, seront mises en pratique par tous les moyens.

Radek. En tant qu’Exécutif, nous avons toujours agi solidairement. C’est pourquoi, lors du vote général, je me prononcerai pour les décisions adoptées. Zinoviev a dit que dans trois mois nous verrions peut‑être les choses tout autrement. Je prends acte de ses paroles.

G. Je dois vous dire que notre parti prend position tout entier sur les problèmes ici débattus, non pas seulement les fonctionnaires, mais les membres. Nous ne nous représentons donc pas qu’on puisse éviter la discussion. Il est hors de doute que le parti allemand ne peut triompher que s’il porte la lumière dans toutes les questions. Mais il existe un autre danger, c’est qu’en dépit de toutes les résolutions nous voyions s’ouvrir des discussions qui ne nous feraient pas avancer, mais rétrograder. Les divergences sont restées. La grande majorité est avec ce qu’on appelle ici le centre. Le centre a surgi récemment. Ses opinions ne se sont cristallisées que dans le courant des dernières semaines. Mais cette tendance a pris une position beaucoup plus ferme qu’à Moscou. Les thèses de Radek et de Brandler ont été rejetées.

Nous avons examiné les résolutions de Zinoviev. Nous avions des doutes de fait, et non de principe, sur trois points.

Le premier était celui des événements d’Octobre. C’est une question à laquelle il faut répondre immédiatement. Nous ne pouvons pas expliquer à chaque fonctionnaire du parti, comme Zinoviev l’a fait ici, que dans trois mois nous en saurons davantage et dans six mois encore davantage. Le fonctionnaire veut savoir sur le champ.

Deuxièmement, nous voudrions qu’on tire les conclusions de l’expérience saxonne comme utilisation du parlementarisme.

Troisièmement : la question syndicale dans ses rapports avec le front unique. Sur ce point, ce que nous pensions d’essentiel a été adopté.

Telles étaient les questions encore débattues.

Dans les autres questions nous étions d’accord. Nous trouvons excellente la partie qui regarde le parti social-démocrate. C’est l’opinion de la majorité du parti sans aucune hésitation et le danger n’est pas de ce côté. Si les trois groupes retournent en Allemagne avec la conviction que pour le parti allemand l’orientation à gauche est aussi nécessaire que le pain et l’air…

(Radek : Très bien!)

(Brandler : Très bien!)

(Radek : Brandler dit : Très bien!)

que les thèses ont été exactement formulées par Zinoviev et donnent une base pour la lutte, s’ils n’agissent plus en tant que fractions ou nuances, mais sont prêts à adopter les nouvelles positions commandées par les faits nouveaux, alors, je pense que les résultats de la conférence de Moscou marqueront pour nous un progrès.

L’ensemble des résolutions est adopté à l’unanimité sans aucune voix contre et sans abstention.

VII.
Documents

Déclaration de la minorité

Dans le but d’assurer l’unité, l’homogénéité et la fermeté du Parti communiste allemand, si nécessaires dans le travail et dans la lutte, les soussignés se croient obligés de voter contre les thèses politiques du Comité Exécutif sur les enseignements des événements d’Octobre.

L’unité, l’homogénéité et la fermeté du Parti ne peuvent être fondés que sur une attitude absolument nette par rapport aux questions litigieuses posées par les événements d’Octobre. La connaissance exacte des fautes commises, de leurs causes et de leurs effets, est la condition nécessaire pour que le parti triomphe de ses fautes et de ses imperfections et, aussi bien armé que possible, marche à la tête du prolétariat révolutionnaire au-devant des combats décisifs imminents.

Les thèses politiques laissent à désirer au point de vue de la clarté et de la précision. Elles ne font pas la lumière sur les opinions divergentes, elles les voilent de formules élastiques qui ouvrent les portes toutes grandes aux interprétations. Nous voyons leurs plus graves défauts en ce qui suit :

elles donnent une explication incomplète, et en partie inexacte, de la défaite d’octobre; elles n’établissent pas suffisamment pourquoi "l’expérience saxonne" devait être un échec, ni les fautes réelles commises, ni les effets de cette expérience considérée dans son ensemble;

elles ne décident pas nettement si, dans les circonstances données, le parti a eu raison de ne pas accepter la lutte armée pour le pouvoir et elles ne disent pas par quelles actions de masses il pouvait couvrir sa retraite;

elles ne contiennent pas la critique nécessaire des erreurs de la soi‑disant "opposition de gauche" et rendent par là difficile l’aveu de ces erreurs et la collaboration de la majorité avec l’opposition.

Les thèses politiques ne sont donc pas de nature à mettre un terme aux dissentiments. Elles ne fournissent pas aux sections de l’Internationale Communiste un tableau fidèle des événements d’Octobre et de leurs effets.

Les soussignés comptent donc que l’Exécutif élargi examinera de nouveau la question et révisera les thèses.

Au contraire les thèses syndicales et d’organisation répondent à l’opinion de la majorité du Parti et du Comité Central. Les soussignés ont pu leur donner leur assentiment.

Bien que les soussignés conservent les doutes sérieux exposés plus haut à l’endroit des thèses politiques, cependant, dans le vote général sur les trois thèses relatives à la question allemande, ils ont voté pour les résolutions en bloc, parce que les thèses syndicale et d’organisation ont une importance pratique décisive. Ils sont également guidés par la persuasion que le parti communiste allemand a un besoin pressant d’unité en vue des durs combats que le prolétariat aura à soutenir contre le fascisme. Il ne pourra être le guide révolutionnaire de la classe ouvrière et de toutes les fractions de la population dont les intérêts s’opposent à ceux de la bourgeoisie, que si, dans la propagande et dans l’action, il intervient tout entier et résolument, de la façon la plus claire et la plus énergique, comme un bloc communiste compact.

Les soussignés regardent comme leur devoir évident et comme le devoir de tous les camarades qui partagent leurs vues d’observer une discipline rigoureuse et d’aider la direction à mobiliser les masses ouvrières pour les batailles futures. Les dissentiments qui existent encore disparaîtront dans l’action réelle sans formation de fractions. Le moment nous impose la collaboration étroite de tous les camarades. Notre assentiment à l’ensemble des résultats de la Conférence est destiné à servir ce but.

Zetkin. Pieck. Jannack. Walcher. Brandler. Hammer. Eisenberger.

Déclaration de la Délégation polonaise

Nous avons voté pour les thèses politiques, principalement parce qu’elles sont conformes en principe à la tactique suivie jusqu’ici par l’I.C. et avec laquelle la gauche allemande voulait briser. Elles sont d’ailleurs complétées sur la question d’organisation et sur la question syndicale par des thèses de la plus grande justesse, et d’une importance pratique décisive.

Cependant, les thèses politiques ne sont pas exemptes d’obscurité. En particulier elles répartissent faussement la responsabilité des fautes commises. Une part de la responsabilité des événements d’octobre doit tomber sur le Comité Exécutif qui a jugé la situation avec trop d’optimisme et a donné aux camarades allemands des directives trop strictes, sans prévoir une ligne de retraite.

Nous estimons que ceux qu’on appelle la droite (Clara Zetkin, Brandler, Thalheimer, Walcher, Pieck, etc…), dont les fautes et les omissions ont été soulignées et critiquées non sans raison, forment le noyau le plus éprouvé et le plus expérimenté du Parti. Contre cette vieille garde du Parti, la gauche a mené et mène encore une campagne acharnée d’excitation qui est radicalement opposée à l’esprit du bolchevisme et rappelle la démagogie anarchiste. Cependant discréditer ce groupe aux yeux du prolétariat allemand serait porter un coup terrible au P.C.A. On doit au contraire, dans le Parti communiste allemand, mettre en pratique le principe de Lénine :

Aucun mouvement révolutionnaire ne peut être durable sans un groupe de chefs stable et conservant la cohésion dans le temps. Plus les masses qui entrent spontanément dans la lutte et forment la base du mouvement sont nombreuses, et plus se fait sentir la nécessité de ce groupe, plus il doit être solide.

Aussi était‑ce le devoir de l’Exécutif, tout en critiquant les fautes commises, de désapprouver cette campagne d’excitation contre les chefs qui a éclaté avec une nouvelle force après les événements d’octobre en accusant de trahison ceux qui ont ordonné la retraite. La nécessité de la retraite, dans les circonstances données, a été reconnue par le Président du Comité Exécutif dans son exposé. Malheureusement, nous ne la retrouvons pas dans les thèses destinées à la publicité. C’est pourtant la déclaration qui mettrait un terme aux excitations irresponsables.

Nous enregistrons avec satisfaction toute démarche pouvant conduire à l’apaisement des dissensions actuelles entre les Fédérations de Berlin-Wasserkante, etc… d’un côté, Merseburg-Halle, Saxe, Thuringe, etc… de l’autre. Mais nous devons déclarer que le but ne saurait être atteint par des ententes entre les chefs : il faut que l’I.C. adopte une tactique claire qui écarte non seulement les fautes et les défauts de la droite, mais aussi les maladies infantiles de la gauche.

Le deuxième point, d’une portée plus internationale, mais intéressant directement le Parti allemand, est le danger d’une crise d’autorité dans l’Internationale Communiste et dans le P.C.A.

Lénine, chef incontesté du prolétariat révolutionnaire universel, ne prenant plus part à la direction de l’I.C. et l’autorité de Trotski, un des chefs reconnus de ce prolétariat, étant mise en question, on peut craindre que l’autorité de l’I.C. ne soit ébranlée.

C’est pourquoi nous avons tous le devoir non seulement de défendre l’autorité du Comité Exécutif et de son Présidium, mais d’éviter toute démarche pouvant entraver leur tâche.

Dans ces conditions nous considérons l’accusation d’opportunisme portée contre Radek, un des chefs les plus précieux de l’I.C., non seulement comme injuste, mais comme nuisible au plus haut point pour l’autorité de tous les chefs de l’I.C. Nous ne voyons aucun fondement à cette accusation, car, quelque intérêt qu’il y ait à savoir qui a vaincu en Octobre, il reste avéré que des conclusions tactiques opportunistes n’ont été tirées d’aucun côté. Les différences d’opinion qui se sont manifestées chez les leaders les plus connus de l’I.C. dans l’appréciation de la question allemande, sont de celles qui se rencontrent dans un parti révolutionnaire vivant, qui deviennent particulièrement inévitables dans une situation difficile et qui se sont déjà produites dans le passé et dans la direction de l’I.C. sans provoquer des accusations d’opportunisme.

Vu que dans les dernières séances du Présidium le camarade Zinoviev nous a attaqués à plusieurs reprises sans que nous ayons la possibilité de répondre, nous sommes forcés de le faire ici par écrit.

En ce qui concerne la lettre du Comité Central polonais, nous tenons à dire qu’on doit lui accorder la même valeur qu’à notre déclaration. Quant aux questions relatives au parti russe, nous demandions au Comité Central russe ce que ce dernier a été forcé de faire lui‑même, à savoir de déclarer que personne n’admettait l’idée que Trotski pût être écarté de ses hautes fonctions dans le Parti et dans le Gouvernement. Lors que le parti polonais demandait cette déclaration au C.C. russe, il ne savait pas qu’elle avait été déjà résolue.

À propos des reproches du camarade Zinoviev sur nos soi‑disant tendances fractionnelles, nous lui rappellerons qu’il devrait savoir que nous nous efforçons avec le plus grand zèle d’appliquer les principes bolcheviques d’organisation. Il va de soi que nous condamnons la campagne du camarade Trotski contre l’appareil du Parti.

Quant aux affirmations du camarade Zinoviev que les camarades polonais ont pris part à diverses commissions allemandes et auraient dû y exprimer leur opinion, nous déclarons, sans avoir nullement l’intention de rejeter notre part de responsabilité des événements d’Octobre, qu’aucun camarade polonais n’a pris part à une commission allemande. Une seule fois, le camarade Warski a été élu membre de la commission chargée de rédiger la lettre de Novembre au C.C. allemand, mais n’ayant pas été invité aux séances de la commission, il n’a pas pu prendre part à ses travaux.

Moscou, le 21 janvier 1924.

Par mission de la Délégation Polonaise

E. Prouchniak.

VIII. [10]
Les résolutions

La résolution du 19 janvier 1924

Le document ci‑dessous, dont l’importance est grande pour l’Internationale, a été élaboré ces jours derniers par l’Exécutif de l’Internationale Communiste et le Comité Central du Parti Communiste allemand.

Un sérieux regroupement des forces s’est accompli dans le Comité Central du Parti Communiste Allemand, en raison de la crise politique traversée. Une droite s’y est formée (Brandler), qui constitue une très faible minorité (2 voix sur 27). Un centre compact, qui représente en ce moment le gros du parti, réunit 17 voix. Il y a enfin l’ancienne gauche, Berlin-Hambourg.

L’Exécutif a considéré que l’union complète du noyau central et de la gauche contre les erreurs opportunistes de la droite s’impose en ce moment.

Le document ci‑dessous, rédigé avec l’Exécutif par les deux tendances en question, qui représentent à l’heure actuelle les 99/100 du P.C.A., marque le début de cette union.

Cette résolution a été votée par tous les représentants des sections de l’Internationale Communiste présents à Moscou, y compris les camarades polonais.

Au dernier moment les camarades qui se placent sur la plateforme de Brandler ont, par une déclaration spéciale, souscrit à l’essentiel de la présente résolution.

L’Exécutif est convaincu que l’union du noyau central du parti avec la gauche, contre les erreurs opportunistes de la droite, permettra au Parti Communiste Allemand de remplir les grandes tâches qui s’imposent à lui. L’Exécutif de l’Internationale Communiste s’opposera avec la dernière rigueur â toutes les manifestations de l’esprit de fraction, d’où qu’elles puissent venir.

G. Z.

Résolution politique.

Les événements qui se sont déroulés en Allemagne, en Pologne et en Bulgarie dans la période mai-novembre 1923 ouvrent un nouveau chapitre dans l’histoire du mouvement international.

En Allemagne la lutte prolétarienne, en connexion avec la crise de la Ruhr, est passée de la concentration graduelle des forces révolutionnaires à une phase nouvelle : la lutte pour le pouvoir.

Le tournant historique franchi en août-septembre et les événements d’automne acquièrent, vu le rôle de ce mouvement révolutionnaire allemand, la plus grande importance pour l’Internationale Communiste.

Les enseignements et les conclusions de l’expérience doivent être mis à profit par toute l’Internationale.

Étant donné que nous devons baser notre jugement sur les principes fondamentaux de l’I.C., le Comité Exécutif juge nécessaire de caractériser une fois encore la méthode la plus importante à l’époque actuelle tant au point de vue des principes qu’au point de vue pratique : la tactique du Front Unique.

I. La Tactique du Front Unique

Au 3e Congrès Mondial de l’Internationale Communiste les tâches du P.C. allemand ont été, à propos de la défaite de mars 1921, discutées en détail et ont trouvé leur expression dernière dans le mot d’ordre "Aux Masses". En décembre de la même année, les méthodes propres à la conquête des masses ont été concrétisées dans les décisions du Comité Exécutif sur la tactique du Front Unique.

En Allemagne le P.C. a immédiatement appliqué cette tactique. L’ensemble des circonstances objectives lui était très favorable. Elle fut couronnée de grands succès, nous gagna la sympathie des masses et sema la désorganisation dans les rangs de la Social-démocratie.

D’autres sections de l’I.C. ne mirent en pratique la tactique du Front Unique que dans une faible mesure, en surmontant toutes sortes de résistances et en commettant de grandes erreurs.

En France en 1922 une fraction considérable du Parti n’en comprit pas le sens et appréhenda sincèrement qu’elle ne marquât une concession théorique à la Social-démocratie.

En Angleterre une partie des camarades en tirèrent la conclusion erronée que les Communistes ne doivent pas critiquer au Parlement l’opportunisme du Labour Party.

En Finlande erreurs analogues.

En Roumanie une partie des camarades a exprimé le regret sincère que la tactique du front unique se ramenât à la collaboration parlementaire avec la Social-démocratie[11].

Le Parti Communiste Italien commit longtemps une faute opposée et évita la mise en pratique de cette tactique dans la crainte qu’elle ne compromît l’intégrité du programme et de la théorie communistes.

Un certain nombre d’autres partis comprirent cette tactique d’une façon trop mécanique et crurent suffisant d’écrire chaque mois aux Social-démocrates des lettres ouvertes énonçant quelques lieux communs, sans plus; ils ne surent pas se baser sur elle pour engager des luttes d’actualité politique.

Ces erreurs de pratique, surtout au début, ne signifient cependant pas que la tactique soit fautive. Une telle conclusion serait aussi illogique que de renoncer à l’utilisation révolutionnaire du Parlement, uniquement parce que certaines fractions parlementaires ont éprouvé de grandes difficultés dans la mise en pratique de cette tactique. La tactique du front unique était et reste juste, en dehors de toutes les fautes passagères.

La tactique du front unique présente des avantages et des dangers. Bien qu’en Octobre 1923 nous n’eussions pas encore obtenu de majorité assurée dans le prolétariat allemand, le seul fait que le jeune parti communiste pouvait déjà se demander sérieusement s’il devait compter sur une majorité pour la conquête du pouvoir prouve que la tactique du front unique est capable de créer les conditions préalables les plus essentielles à cette conquête et de gagner la majorité de la classe ouvrière à la révolution prolétarienne. Quand bien même les Partis Communistes sont contraints de compter avec la psychologie et les dispositions des masses arriérées influencées par la Social-démocratie, cela n’est nullement une preuve de l’insuffisance de la tactique elle‑même, mais simplement une source de dangers dans son application.

Déjà dans les premières thèses du Comité Exécutif en décembre 1921 les dangers inhérents à l’application du front unique avaient été soulignés avec toute la clarté nécessaire[12] :

Tous les Partis Communistes ne sont pas encore suffisamment compacts et robustes et tous n’ont pas encore entièrement brisé avec l’idéologie centriste ou demi‑centriste. Il peut se présenter des cas d’exagération contraire; il peut se révéler des tendances qui en réalité marqueraient la décomposition des groupes et partis communistes.

Afin d’appliquer avec succès pour la cause la tactique envisagée, il est nécessaire que les partis communistes soient forts, compacts et que la direction du mouvement soit marquée d’une grande netteté idéologique.

Le 4e Congrès Mondial a également indiqué les dangers inhérents à l’application de la tactique du Front Unique en général et du mot d’ordre du "gouvernement ouvrier" en particulier. Il déclare[13] :

Afin d’éviter ces dangers et de combattre l’illusion d’une soi‑disant étape inévitable de "coalition démocratique", les partis communistes doivent se rappeler ce qui suit : tout gouvernement bourgeois est en même temps un gouvernement de capitalistes, mais tout gouvernement ouvrier n’est pas nécessairement un véritable gouvernement prolétarien socialiste.

Il est très opportun de rappeler cet avertissement à l’heure actuelle, après les événements d’Allemagne, puisque le P.C.A., le plus expérimenté de l’Internationale après la section Russe, est tombé dans des fautes graves.

Il est nécessaire que les communistes de toutes les contrées se rendent un compte exact de ce qu’est réellement et de ce que ne doit pas être la tactique du front unique. C’est une tactique de révolution et non d’évolution. De même que le "gouvernement ouvrier" (ou ouvrier-paysan) ne peut pas être pour nous une phase transitoire démocratique, la tactique du front unique n’est pas une coalition démocratique ni la fusion avec la Social-démocratie. Elle constitue simplement une méthode d’agitation et de mobilisation révolutionnaires. Nous rejetons comme opportuniste toute autre interprétation.

Voilà ce qu’il faut toujours se rappeler. Alors seulement la tactique du front unique aura un sens pour l’Internationale Communiste et pourra contribuer à conquérir la masse du prolétariat à la cause de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir. La tactique du Front Unique, méthode d’agitation dans les masses ouvrières, s’applique, bien entendu, à une époque déterminée, celle où les communistes se trouvent encore en minorité dans presque tous les pays d’importance capitale pour le mouvement ouvrier. Au fur et à mesure que le milieu changera, il y aura lieu de modifier l’application. Dès maintenant elle doit être différente selon les contrées. Selon que la lutte deviendra plus intense et prendra un caractère plus décisif, il nous faudra à différentes reprises la modifier. Il viendra un moment où des partis social-démocrates, encore importants à l’heure actuelle, feront banqueroute et, s’acharnant dans leur oeuvre de trahison, s’évanouiront sous nos yeux comme des bulles de savon. Il viendra un moment où des couches entières de travailleurs social-démocrates passeront en masse de notre côté. La tactique du front unique favorise ce processus et l’accélère.

II. La crise révolutionnaire en Allemagne

Immédiatement après l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises, le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste jeta le cri d’alarme et tenta de fixer l’attention de toutes les sections sur la crise révolutionnaire imminente en Allemagne. Les conférences internationales d’Essen et de Francfort y furent consacrées.

L’approche et la formation d’une nouvelle vague révolutionnaire en Allemagne avaient eu pour symptômes les grèves grandioses de la Ruhr en Mai‑Juin, les grèves de Haute‑Silésie, la grève des métallurgistes de Berlin, les conflits de l’Erzgebirge, du Vogtland et la grande grève politique d’Août 1923, qui entraîna la chute du Gouvernement Cuno.

L’exacerbation rapide de la situation se refléta dans l’augmentation du prix de la vie, dans l’inflation, dans l’aggravation monstrueuse des charges fiscales, dans la crise du parlementarisme, dans la faible offensive du prolétariat suivie d’une contre‑offensive renforcée du capital, dans la crise de l’approvisionnement, dans l’abaissement des salaires, dans l’annihilation progressive des conquêtes sociales de la classe ouvrière; puis dans le développement des mouvements séparatistes et particularistes, dans l’appauvrissement croissant de l’ancienne et de la nouvelle classe moyenne, dans la perte par les partis démocratiques modérés de leur influence. Toutes les charges de la résistance dans la Ruhr furent concentrées sur le prolétariat et sur les classes moyennes qui se prolétarisaient à mesure que se désagrégeait l’économie capitaliste allemande, coupée de ses points d’appui.

Dans de nombreuses provinces les pauvres s’armèrent et allèrent s’approvisionner eux‑mêmes dans les campagnes. Toute une classe moyenne, s’abandonnant au désespoir, hésita entre les deux pôles indiquant une issue à cette situation, les communistes et les fascistes. Dans les grandes villes on vit fréquemment vols, pillages, manifestations de la faim et collisions sanglantes.

Dans les mois qui précédèrent l’hiver de 1923, la corrélation des forces penchait de plus en faveur de la révolution prolétarienne. De 18 à 20 millions de prolétaires étaient restés, depuis le commencement même de l’occupation de la Ruhr, étrangers à tout courant nationaliste quel qu’il fût. Au sein des 6 à 7 millions de personnes appartenant à la petite-bourgeoisie urbaine et des 4 à 5 millions de petits propriétaires et de fermiers se produisait une profonde fermentation.

La politique des coalitions démocratiques subit un échec évident. La Social-démocratie, partageant le pouvoir gouvernemental avec les partis démocratiques bourgeois, dut se décider à former un bloc étroit avec la grande industrie et la soldatesque réactionnaire.

Le P.C.A. avait et a encore le devoir de profiter des complications internationales suscitées par la crise de la Ruhr, de la crise intérieure d’une extrême gravité traversée par le capitalisme allemand, et de la liquidation progressive de la crise de la Ruhr, pour renverser la bourgeoisie et instaurer la dictature prolétarienne.

Dans ce but le Parti avait à mobiliser le prolétariat industriel pour la lutte contre la grande industrie et en même temps contre l’impérialisme français. Il devait aussi neutraliser pour le moins les classes moyennes urbaines et rurales et, si possible, les placer sous son influence.

Le premier objectif ne pouvait être atteint qu’en arrachant la majorité du prolétariat à l’influence des Social-démocrates de toute nuance et en l’organisant de telle façon qu’elle fût prête à marcher à l’assaut des positions capitalistes.

Cette tâche ne fut accomplie que d’une façon insuffisante. Nous verrons pourquoi.

Le deuxième objectif consistait à ruiner l’influence fasciste, à changer la direction des courants nationalistes au profit d’une action commune avec le prolétariat contre les grands capitalistes allemands et par là même contre les impérialistes français. Sur ce point le Parti Communiste allemand remporta d’abord des succès, dont la meilleure preuve est l’organisation de la journée antifasciste du 29 Juillet 1923. La petite bourgeoisie nourrissait déjà des sympathies pour le P.C.A. qui avait en grande partie réussi à lui faire sentir l’hypocrisie de la propagande "sociale" et le véritable rôle des fascistes, intermédiaires chargés de livrer la nation à la grande bourgeoisie; certains éléments des classes moyennes comprenaient la coïncidence de leurs intérêts avec ceux du prolétariat.

La décomposition de la bourgeoisie s’accentuait chaque jour. En même temps croissait la confiance dans le parti communiste. Il fallait organiser cette confiance et préparer toutes les forces pour le coup décisif.

En septembre, le P.C.A. et le Comité Exécutif, dans des conférences avec les représentants des 5 plus grands partis de l’I.C., arrivèrent à la conclusion que la crise révolutionnaire était arrivée à un degré de maturité tel que l’on pouvait attendre le choc définitif dans quelques semaines. Dès ce moment le Parti commença la mobilisation de toutes les forces et se prépara par tous les moyens possibles à la lutte décisive. Il travailla fiévreusement à faire de tous ses membres sans exception aucune des militants répondant à toutes les exigences de la lutte. Une campagne intense fut faite parmi les cheminots, les électriciens, les ouvriers des villes et des municipalités.

Le Comité Exécutif de l’I.C. orienta toute l’Internationale, et en particulier les sections des pays limitrophes de l’Allemagne et de la Russie Soviétiste, vers l’imminence de la révolution allemande et, de concert avec chacune en particulier, leur fixa leur tâche.

III. La retraite d’Octobre et ses causes

En dépit de ses faiblesses, le Parti Communiste allemand se préparait consciemment, en Octobre, à l’action révolutionnaire. Si, malgré la situation révolutionnaire et en dépit des efforts de l’I.C. et du P.C.A, on n’en est point venu au combat décisif ni à une vaste lutte politique, il faut en chercher la cause dans un ensemble de fautes et de lacunes imputables en partie à des déviations opportunistes.

Erreurs d’appréciation sur le cours probable des événements révolutionnaires

Le Parti reconnut trop tard la maturité de la situation révolutionnaire en Allemagne. Le Comité Exécutif de l’I.C. de son côté ne porta pas une attention suffisante sur le dénouement imminent, de sorte qu’on aborda trop tard les préparatifs les plus importants.

Il aurait déjà fallu poser la question de la conquête du pouvoir et de la préparation technique au déclin de la période précédente (Gouvernement Cuno, occupation de la Ruhr). Le Parti ne sut pas apprécier à temps la signification des mouvements de la Ruhr et de Haute-Silésie, n’y devina pas les symptômes d’une conscience de classe et d’une activité politique croissantes. Ce ne fut qu’après la grève contre Cuno qu’il commença le regroupement indispensable de ses formations.

Fautes tactiques

La tâche consistant à pousser, étendre et rattacher à des mots d’ordre politiques les nombreuses actions partielles survenues de juin à septembre n’a pas été accomplie.

Après la grève contre le gouvernement Cuno, une autre faute est commise : on s’efforce de freiner et de différer les mouvements spontanés des masses jusqu’au choc définitif.

L’une des fautes les plus graves fut de ne pas assigner de buts politiques à l’indignation spontanée des masses; des mots d’ordre politiques l’auraient systématiquement transformée en une volonté révolutionnaire consciente.

Le Parti n’a pas développé une agitation vive et énergique en faveur des Soviets de Députés Ouvriers et n’a pas lié les revendications transitoires et les actions partielles au terme définitif, la dictature du prolétariat.

L’attention insuffisante accordée au mouvement des Comités d’usines et de fabriques a fait perdre l’occasion de leur confier temporairement le rôle de Soviets de Députés Ouvriers, de sorte que dans les journées décisives il ne s’est point trouvé d’autorité qui pût rallier les ouvriers hésitants secouant la tutelle de la Social-démocratie.

Comme les autres organes du front unique (comités d’action, commissions de contrôle des prix, comités de militants) n’ont pas été systématiquement utilisés pour la préparation politique de l’action, cette dernière n’a pas revêtu l’ampleur d’une action de tout le prolétariat et a simplement paru une affaire de Parti.

Lacunes d’organisation

Le parti ne s’est montré qu’à un faible degré capable d’affermir organiquement dans les organisations prolétariennes son influence croissante. Il n’a su qu’à un degré moindre encore concentrer ses forces pour le combat urgent.

La préparation technique : reconstruction de tout l’appareil de la lutte pour le pouvoir, armement, homogénéité intérieure des centuries, etc… s’est trouvée très faible. Trop courte, exécutée à tâtons, elle n’a presque rien donné au point de vue pratique. Elle a développé chez les communistes la conscience nécessaire pour le soulèvement, mais elle a laissé en dehors la masse des prolétaires.

Erreurs dans l’appréciation des forces

La fièvre de la préparation technique pendant les semaines décisives, l’idée que l’entrée en lutte regardait seulement le Parti et l’orientation vers un coup "décisif", abstraction faite des collisions particulières et des mouvements de masses, empêchèrent d’apprécier sainement la véritable corrélation des forces et rendirent impossible la juste fixation des délais. L’estimation du concours prêté par la majorité de la classe ouvrière au P.C.A. sur les points principaux s’est trouvée basée sur des calculs hypothétiques. En réalité on ne pouvait constater qu’une chose, à savoir que le Parti était en train de conquérir la majorité, mais qu’il n’en avait pas encore la direction.

La sous‑estimation des forces de la contre‑révolution s’est surtout exprimée en ce que le Parti n’a pas compris la puissance du sabotage social-démocrate dans le prolétariat.

Le Parti n’a pas vu le caractère et le rôle des chefs de la gauche social-démocrate; il a laissé ses propres membres se bercer de l’illusion que, sous une pression convenable des masses, ces chefs pouvaient être contraints à engager l’action de concert avec lui.

Orientation erronée sur la Saxe

La directive exclusive et sans souplesse ‑ passer à l’offensive décisive de la défense des positions de l’Allemagne Centrale ‑ était erronée. Elle fit perdre de vue les autres régions industrielles et places d’armes importantes et après la reddition sans combat des positions saxonnes engendra une forte désorganisation. L’erreur fatale fut pour le Parti de tout jouer sans la moindre réserve sur la carte saxonne et de ne point tenter de se réserver en cas d’insuccès une ligne de retraite ou un second plan d’offensive.

Le résultat de toutes ces fautes et de toutes ces lacunes comme de la faiblesse de la classe ouvrière fut qu’au dernier moment on recula devant le choc définitif pour la conquête du pouvoir. Alors qu’en Bulgarie, où le Parti ne s’était pas encore risqué dans la lutte armée, la défaite peut devenir le gage des victoires futures, nous nous trouvons au contraire en Allemagne, après la défaite de janvier 1919 et celle de Mars 1921, dans des circonstances où les communistes devraient, semble‑t‑il, être à même de conduire les masses à la victoire.

Il faut voir une faute grossière dans le fait que le Parti n’ait pas su immédiatement changer de direction, en se reformant pour des combats particuliers, et que malgré une certaine préparation il ait opéré sa retraite sans combat dès l’entrée en ligne de la Reichswehr, l’établissement dans tout le pays de l’état de siège et la répression.

IV. Les événements de Saxe et la bataille de Hambourg

L’exacerbation des divergences de classes en Allemagne, l’aggravation de la crise économique et l’orientation du Parti vers la lutte décisive engagèrent le Comité Exécutif de l’I.C. et le P.C.A. à faire en octobre l’expérience de la participation des communistes au gouvernement de la Saxe.

L’entrée au gouvernement saxon était regardée par l’Exécutif de l’I.C., comme une action spéciale d’un caractère militaire et politique, action définie de la façon suivante dans une instruction :

Comme, à notre avis, dans la situation actuelle l’heure décisive doit sonner au plus dans 4, 5 ou 6 semaines nous considérons comme nécessaire d’occuper immédiatement toutes les positions dont la possession peut offrir un intérêt immédiat. En tenant compte de la situation, nous estimons que dans les circonstances actuelles il convient d’examiner pratiquement la question de notre entrée au Gouvernement saxon. Si les amis politiques de Zeigner sont réellement disposés à défendre la Saxe contre la Bavière et les fascistes, nous devons entrer dans le gouvernement saxon, réaliser effectivement l’armement de 50 à 60 mille hommes et ignorer le général Müller. De même en Thuringe.

Étant donné l’existence des conditions préalables formulées au début, cette participation au Gouvernement était conforme aux décisions du 4e Congrès de Moscou. L’effervescence révolutionnaire, le groupement des masses ouvrières auraient dû servir de conditions préalables à l’entrée dans le Gouvernement de Saxe : cette démarche ne pouvait être accomplie qu’en s’appuyant sur un mouvement des masses. Si même il avait fallu remettre l’exécution de la tâche militaire immédiate par suite du ralentissement de l’allure du mouvement révolutionnaire, les communistes auraient dû déployer une activité véritablement révolutionnaire tandis qu’au contraire ils ont fait preuve d’une incapacité regrettable.

Les communistes devaient d’abord poser sans détour la question de l’armement des ouvriers. Dès les premiers instants de leur participation au Gouvernement, ils ne devaient pas avoir d’autre thème fondamental que l’armement du prolétariat.

Ils devaient exposer aux masses leur programme prolétarien de salut et mener une propagande active en faveur de la création de Soviets politiques de députés ouvriers, afin d’opposer leurs initiatives au sabotage des ministres socialistes de gauche. De même ils devaient exercer une pression sur le Parlement et sur les Comités d’Usines et de Fabriques afin de hâter l’adoption de mesures révolutionnaires, p. ex. la réquisition des entreprises des industriels sabotant la production, la réquisition des maisons bourgeoises, riches hôtels privés pour les familles ouvrières sans toit, etc.

Les communistes devaient, dès les premiers moments de leur participation au gouvernement, flétrir la duplicité de Zeigner, ses négociations dans la coulisse avec les dictateurs militaires et l’esprit contre‑révolutionnaire des chefs social-démocrates de gauche.

Ces manquements, joints au fait que le Parti n’a pas su mobiliser les masses, ont eu comme résultat que l’épisode saxon n’a pas joué le rôle d’une étape dans le combat; au lieu d’une opération de stratégie révolutionnaire on a eu une coopération parlementaire non révolutionnaire avec les social-démocrates de gauche. La déclaration des ministres communistes "responsables uniquement devant le Landtag et la Constitution" ne pouvait contribuer en aucune façon à la destruction des illusions démocratiques dans les masses.

Ce n’est que grâce à un travail révolutionnaire intense de tous les organes du Parti que la Conférence de Chemnitz pouvait donner des résultats féconds pour le Parti. En réalité le Parti se laissa prendre au dépourvu par l’adversaire, c’est‑à‑dire par l’action militaire du Reich sur la Saxe, pourtant prévue. La faute est d’autant plus grave que, bien qu’on ait eu l’intention de proposer la proclamation de la grève générale, on n’a fait aucun effort avant l’ouverture de la conférence de Chemnitz pour orienter exclusivement cette conférence vers une résistance résolue à la pression du Reich. Toutes ces erreurs ont facilité sans contredit le jeu hypocrite et la trahison des chefs social-démocrates de gauche.

Le soulèvement de Hambourg est aux antipodes des événements de Saxe. Il a montré que l’entrée en action de détachements de choc, remplis de décision, agissant rapidement, pouvait prendre l’adversaire au dépourvu au point de vue militaire. Il n’en est pas moins évident que, même dans ce cas et si, comme à Hambourg, le soulèvement armé est appuyé par la sympathie de la population et par un mouvement des masses, ce soulèvement reste condamné à l’échec, s’il reste isolé, s’il n’a pas sur place l’appui des conseils ouvriers (Soviets) dont l’absence s’est fait particulièrement sentir à Hambourg.

L’action a été dans tout le pays entravée par les décisions contradictoires du Centre; des grèves qui allaient commencer ont été enrayées, par suite du manque d’informations sur la marche de la lutte dans les autres parties du Reich et des nouvelles reçues de la Conférence de Chemnitz.

Malgré tout, la bataille de Hambourg a cependant été conduite avec une discipline exemplaire. Les enseignements qui en découlent sont des plus précieux pour le Parti et l’I.C. Remarquons en particulier la lâcheté des leaders de la Social-démocratie locale, qui ont soutenu les mesures militaires prises contre les ouvriers soulevés. Leur conduite en cette occasion n’est qu’un côté de la médaille dont l’autre représente la conduite de Zeigner et de ses gauches en Saxe.

L’épisode de la Saxe a jeté dans une large mesure le discrédit sur les Social-démocrates de gauche. Il a montré qu’ils se font en réalité les instruments de la contre-révolution. Le soulèvement de Hambourg a fortifié dans la conscience du prolétariat allemand le sentiment de sa force et a porté à Hambourg même un grand coup à la social-démocratie.

Le Parti Communiste Allemand doit se rendre un compte exact des fautes commises pendant l’expérience saxonne et le soulèvement de Hambourg, sans quoi il lui deviendrait impossible d’avoir à l’avenir une tactique exacte.

V. Le rôle de la social-démocratie et la modification de la tactique du front unique en Allemagne

Les dirigeants de la social-démocratie ne sont plus à l’heure actuelle autre chose qu’une fraction du fascisme dissimulée sous le masque socialiste. Dans le Reich les social-démocrates ont passé le pouvoir aux représentants de la dictature du capital, afin de sauver le capital de la révolution prolétarienne. Le ministre social-démocrate de l’Intérieur Sollmann a proclamé l’état de siège, le ministre s.‑d. de la Justice Radbruch a transformé le droit "démocratique" en mesures d’exception dirigées contre le prolétariat révolutionnaire. Le Président du Reich Ebert a formellement remis le pouvoir gouvernemental au général von Seeckt, la fraction social-démocrate du Reichstag a couvert toutes ces machinations, a voté les lois de pleins pouvoirs, suspendant ainsi de fait la Constitution et livrant tout le pouvoir aux généraux réactionnaires.

La Social-démocratie internationale tout entière devient ainsi peu à peu l’auxiliaire permanent de la dictature du capital. Les Turati et les Modigliani en Italie, les Sakyzov en Bulgarie, les Pilsudski en Pologne, les chefs Social-démocrates du type Severing en Allemagne coopèrent directement à l’établissement de la dictature du capital.

Dans le courant des cinq dernières années, les Social-démocrates allemands de toutes nuances ont graduellement descendu la pente vers la contre‑révolution. La descente est maintenant près de finir. Le successeur légal du gouvernement révolutionnaire Scheidemann-Haase est le général fasciste von Seeckt.

Il est vrai que la dictature capitaliste nous offre diverses nuances. On y voit même des divergences qu’on pourra exploiter dans l’intérêt de la lutte de classe. Les Ebert, les Seeckt et les Ludendorff se distinguent par des nuances différentes; mais les Communistes allemands ne doivent jamais oublier que le plus important est de faire clairement comprendre à la classe ouvrière de quoi il s’agit au fond, de lui faire saisir que dans la lutte entre le capital et le travail les chefs de la Social-démocratie ont fait un pacte de vie et de mort avec les généraux réactionnaires.

Ce n’est pas la première fois que ces chefs de la social-démocratie allemande passent au service du capital. En réalité ils ont toujours été du côté des ennemis de classe du prolétariat, quoique ce fait ne soit apparu bien en évidence que par la transformation de la démocratie bourgeoisie en dictature brutale du capital.

Ces circonstances nous conduisent à réviser la tactique du front unique en Allemagne. Rien de commun avec les salariés de la dictature blanche! [14]‑ Voilà ce que les communistes allemands se représentent déjà clairement et ce qu’ils doivent proclamer devant tout le prolétariat allemand.

Mais les chefs de la Social-démocratie de gauche sont plus dangereux encore que ceux de droite : ils symbolisent la dernière illusion des ouvriers trompés, ils sont, pour ainsi dire, la dernière feuille de vigne sous laquelle se cache la honteuse politique contre-révolutionnaire de Severing, de Noske et d’Ebert.

Le Parti Communiste Allemand refuse d’entrer en pourparlers quels qu’ils soient non seulement avec le Comité Central du Parti Social-démocrate, mais aussi avec les chefs de la Gauche, tant qu’ils n’auront pas tout au moins le courage de rompre ouvertement avec la bande contre-révolutionnaire qui s’est installée au Comité Central de leur parti.

Maintenant la tactique du Front Unique en Allemagne se formule ainsi : l’union par en‑bas.

Déjà dans les premières thèses du Comité Exécutif de l’I.C. de décembre 1921 il était dit[15] :

Comme contrepoids au jeu démocratique des chefs menchéviks, les Bolchéviks russes ont proclamé le mot d’ordre l’Union par en‑bas, c’est‑à‑dire l’union des masses ouvrières elles‑mêmes dans la lutte pratique pour les revendications révolutionnaires des ouvriers contre les capitalistes. La pratique a montré que c’était la seule véritable réponse. Et le résultat de cette tactique, qui s’est d’ailleurs modifiée selon les circonstances de temps et de lieu, a été qu’une partie considérable des meilleurs ouvriers menchéviks ont passé graduellement au Communisme.

Le Parti Communiste Allemand doit être capable d’appliquer ce mot d’ordre d’Unité de Front par en‑bas. Les rangs des ouvriers restés fidèles jusqu’ici aux social-démocrates sont travaillés par une fermentation encore inconnue. Ils voient la banqueroute de leurs chefs et cherchent de nouveaux chemins. Il n’y a donc aucune raison de se dérober à des pourparlers et à des conventions locales avec les ouvriers social-démocrates partout où nous aurons devant nous des prolétaires honnêtes, prêts à montrer à l’oeuvre leur dévouement à la Révolution.

Les organes du front unique, les Comités de Fabriques et d’Usines, les Commissions de Contrôle et les Comités d’Action doivent être réunis entre eux en un réseau étroit et compact de façon à se transformer finalement en un appareil de centralisation et de Gouvernement, de façon à incarner l’action prolétarienne pour la conquête du pouvoir[16].

VI. Les objectifs immédiats du Parti

Dans ses traits essentiels le diagnostic donné par l’Exécutif en Septembre continue à servir de base. Le caractère de la phase actuelle de la lutte, de même que les objectifs fondamentaux du Parti, restent les mêmes. Le Parti Communiste Allemand maintient à l’ordre du jour le soulèvement et la conquête du pouvoir. Cette question doit rester posée devant nous dans toute son ampleur, avec toute son urgence. Quelle que soit l’importance des victoires partielles remportées par la contre‑révolution, ces victoires ne résolvent aucun des problèmes de la crise de l’Allemagne capitaliste.

C’est pourquoi, profitant de l’expérience amassée dans les derniers mois, le Parti Communiste Allemand se trouve en face d’une série de tâches urgentes.

Le Parti doit organiser l’action du prolétariat contre la prolongation de la journée de travail et contre toute atteinte aux droits de la classe ouvrière. Il doit lier organiquement et politiquement le mouvement des sans‑travail avec le mouvement ouvrier et prévenir ainsi le grave danger d’une division de la classe ouvrière en chômeurs affamés et en ouvriers ayant encore un morceau de pain. Le meilleur moyen pour cela sera de préparer l’action économique éventuelle de façon à ce que cette dernière ne soit pas uniquement dirigée contre les diminutions de salaire, mais poursuive aussi des buts politiques sous le mot d’ordre : du travail aux chômeurs!

L’agitation du Parti doit rendre les masses conscientes que seule la dictature du prolétariat peut les sauver. Ce travail doit se poursuivre en même temps que la destruction politique du parti social-démocrate, ce qui exige la formation d’organes du front unique et la claire proclamation des buts dans tous les combats partiels.

Ne se bornant pas au prolétariat industriel, l’activité du parti doit embrasser le prolétariat agricole, les employés et les fonctionnaires, les petits paysans, la petite bourgeoisie urbaine prolétarisée. Le parti doit diriger ses efforts vers la transformation de ces éléments en alliés de la classe ouvrière, et vers leur soumission à l’hégémonie des ouvriers révolutionnaires. Ces buts ne peuvent être atteints que par une agitation continuelle, par la propagande du programme économique du P.C.A., par la lutte contre les derniers représentants de l’orientation pacifiste dans les pays d’Occident, par l’affirmation du rôle national de la révolution allemande et de la signification de l’alliance de la république soviétiste allemande avec l’Union soviétiste russe, et aussi par un travail organique patient dans les commissions de contrôle et dans les organes analogues du mouvement révolutionnaire.

Parallèlement à l’agitation doit marcher le travail d’organisation intérieure du parti et autour du parti. Le P.C.A. ne doit pas être seulement un bon parti d’agitation, mais aussi un bon parti de combat. Il doit poursuivre sans défaillances l’armement des travailleurs et la préparation technique de la bataille décisive. Les centuries rouges doivent avoir une existence réelle et mériter la sympathie des masses; cette dernière ne peut leur être acquise que si le Parti Communiste est capable de prendre la direction active de l’action quotidienne et de toutes les offensives du prolétariat. Ce n’est que lorsque la masse ouvrière trouvera clans les centuries rouges des défenseurs pour ses manifestations, pour ses grèves et pour toutes ses rencontres avec les puissances bourgeoises, qu’elles pourront compter sur son aide tant pour l’armement et l’instruction que pour l’information sur les forces de l’adversaire.

La condition de l’accomplissement de ces différentes tâches est l’utilisation sérieuse de l’expérience acquise. Le parti doit détruire dans son sein les derniers vestiges des illusions démocratiques et aussi toute croyance d’après laquelle la Social-démocratie ou les groupes contrôlés par elle au point de vue idéologique ou organique pourraient agir révolutionnairement. Il faut graver dans la conscience des militants que jusqu’à la victoire de la révolution prolétarienne, le Parti Communiste allemand est le seul parti de la révolte, le seul parti de la destruction du régime capitaliste, et que dans tous les combats partiels son travail ne sera révolutionnaire que s’il tend infatigablement à saper l’appareil gouvernemental bourgeois et s’il ne perd pas un instant de vue l’établissement de la dictature prolétarienne.

Le Parti Communiste est le seul parti révolutionnaire. Il est assez fort pour préparer et assurer contre tous les autres partis la victoire du prolétariat. Telle doit être la conviction inébranlable de chacun de ses membres.

Pour cela il doit proposer l’expérience amassée à la libre discussion de ses adhérents. Le parti doit apprendre à soutenir ces discussions sans porter atteinte pour cela à ses qualités combatives. Pour arriver à la concentration de toutes ses forces, il doit, malgré tous les obstacles, malgré sa situation illégale, porter le maximum de clarté dans toutes les questions litigieuses, en terminant la discussion à son prochain congrès.

Le maintien de l’unité du parti est rigoureusement exigé par l’Internationale Communiste; le C.E. convie tous les membres du P.C.A. à ne rien négliger pour que le parti, homogène et unanime, mette un terme à la lutte des fractions et acquière une puissance d’action chaque jour plus grande. Le C.E. attire l’attention de tous les membres du Parti Communiste Allemand et de toutes les sections de l’I.C. sur les immenses devoirs que nous impose la crise révolutionnaire actuelle. Il est fermement convaincu que les enseignements des mois derniers ne seront pas stériles, et que, sérieusement étudiés, mis à profit, ils contribueront à hâter la victoire du prolétariat.

Résolution syndicale

Le P.C.A., se proposant immédiatement de soustraire le prolétariat à l’influence du réformisme, continue à combattre sans réserve le mot d’ordre de l’abandon des syndicats.

Les communistes, qui militent partout où se trouve une masse prolétarienne, constituent ou consolident avec plus d’énergie que jamais et sans doute, vu la désagrégation de la social-démocratie, avec plus de succès que jamais, leurs fractions syndicales, point de cristallisation d’un vaste mouvement révolutionnaire au sein des syndicats.

Au moment actuel où notre parti est illégal et doit utiliser toute possibilité légale, la chose est particulièrement importante.

Les communistes sont, comme auparavant, contre la scission. Ils combattent la politique scissionniste des social-démocrates, même lorsqu’ ils sont par eux expulsés des syndicats. À une époque d’offensive du Capital et de progrès de la réaction, l’unité syndicale est exceptionnellement précieuse.

L’organisation des exclus

Les travailleurs exclus des syndicats ou encore non organisés doivent être groupés par les communistes conformément à la situation concrète de leur branche. Il convient d’employer une grande diversité de méthodes : conseils d’entreprises, commissions de contrôle, syndicats d’exclus, commissions ouvrières mixtes, commissions de sans-travail, etc…, sans se laisser lier les mains par aucune de ces méthodes ou de ces formes d’opposition. La centrale des syndicats d’exclus est rattachée à la Centrale des conseils d’entreprises. Notre parti doit, dans les conditions actuelles, mener une propagande soigneuse, énergique et systématique parmi les ouvriers non organisés et sans-parti, afin de parer à l’écrasement de la classe ouvrière voulu par la bureaucratie syndicale.

Le front unique par en‑bas

Tout en se refusant à négocier avec les dirigeants syndicaux réformistes de même qu’avec ceux de la social-démocratie, alliés de fait de la bourgeoisie et du fascisme, les communistes doivent savoir pratiquer dans les syndicats le front unique par en‑bas, grouper en un bloc compact tous les ouvriers, organisés et non organisés, sur le terrain de la lutte journalière et entraîner dans cette lutte les catégories qui n’ont pas encore rompu avec les social-démocrates. Les pourparlers et les ententes en vue du combat avec les organisations syndicales locales, loin de contredire la tactique du front unique, sont au contraire une arme puissante contre la bureaucratie syndicale et les réformistes.

Dans les cas où, à l’intérieur d’organisations ou d’entreprises, les communistes engagent une action commune avec les ouvriers social-démocrates, ils doivent, sans nuire à la coordination pratique, proclamer bien haut leurs principes et exercer une critique impitoyable des fautes et de l’indécision de la social-démocratie ainsi que du caractère hybride et inconséquent de ses revendications.

Le parti communiste doit en outre rendre évident aux ouvriers :

1. que la crise traversée par les syndicats résulte de toute l’histoire des Fédérations réformistes, de leur tactique et de leur politique d’union sacrée;

2. que la classe ouvrière sera tirée de l’impasse économique non pas par les procédés habituels de la lutte syndicale, mais seulement par le renversement du Capital et la dictature du prolétariat.

Le parti communiste ne doit jamais se refuser à utiliser une grande organisation ouvrière, quelle qu’elle soit, à plus forte raison antiréformiste, pour combattre les réformistes. C’est de ce point de vue qu’il faut considérer la conférence de Weimar, qui a pu réunir sur un programme d’action contre la bureaucratie syndicale d’importants éléments antiréformistes. C’est le cas également des fédérations d’exclus et autres organisations.

Le mot d’ordre "Sauvez les syndicats"

Le mot d’ordre "Sauvez les syndicats", tel qu’il a été souvent interprété, est faux. Les syndicats ne peuvent pas être sauvés par les anciens errements. Il faut qu’ils soient radicalement transformés, au moyen des conseils d’entreprises, en organisations d’industrie; il faut que le réformisme fasse place dans leur activité à un contenu révolutionnaire.

Le rôle des conseils d’entreprises.

Les communistes doivent en conséquence militer dans les entreprises et dans les conseils d’entreprises pour en faire le point de départ et d’appui de toute leur action dans la masse, en particulier contre les leaders réformistes.

Aux conseils d’entreprises incombe la tâche essentielle, dans les conflits élémentaires qui se multiplient, d’assurer la liaison entre les syndiqués et la masse non organisée.

À cet effet ils doivent se grouper par branche d’industrie dans chaque localité, dans chaque district et dans tout le pays. C’est la condition et la base de la future organisation de la production.

Il faut actuellement combattre la subordination des conseils d’entreprises aux syndicats réformistes sous quelque forme que ce soit.

La lutte économique.

La situation actuelle (crise économique, chute de la production, faillite des syndicats réformistes…) entraîne fatalement une décentralisation et des grèves spontanées (engagées contre les syndicats et sans leur aide financière), qui commandent aux communistes de prendre la direction du combat.

Chaque question concrète concernant la lutte économique et la tactique syndicale doit être rattachée par eux à la mission historique de la classe ouvrière et à la nécessité de militer pour la dictature du prolétariat.

Les communistes doivent prendre la part la plus active à l’organisation des comités de grèves et des comités d’action et les mettre en liaison avec les conseils d’entreprises.

Il ne faut cependant pas faire retomber tout le poids de la lutte économique sur les conseils d’entreprises; ces derniers seront la base du regroupement général des forces ouvrières dans ce combat.

Les conseils d’entreprises doivent rendre les syndicats responsables de la paupérisation croissante de la classe ouvrière.

La tactique syndicale.

La tactique à suivre et les mots d’ordre à défendre au sein des syndicats doivent être établis par les communistes en considération des buts généraux ou concrets de la classe ouvrière et du parti ainsi que des forces en présence.

Résolution d’Organisation

La résolution suivante sur l’organisation de cellules d’usines a été adoptée à l’unanimité par le Présidium de l’Exécutif de l’I.C. du 21 janvier 1924, sous réserve des changements qui pourraient se révéler nécessaires par suite de la situation des différentes sections[17].

La structure du parti doit être adaptée aux conditions et aux objectifs de son action. Sous la politique réformiste des partis social-démocrates, qui prétendaient agir sur l’État bourgeois par le moyen du bulletin de vote, il est naturel que toute l’attention ait été portée sur l’organisation des électeurs. Il fallait alors bâtir le parti sur les circonscriptions électorales et la résidence des électeurs. Cette structure est passée en héritage aux partis communistes. Mais elle est en contradiction non seulement avec le but final du parti communiste, mais aussi avec ses objectifs immédiats. Notre but final, c’est le renversement de la bourgeoisie, la conquête du pouvoir, et la réalisation du communisme. Nos objectifs immédiats sont : la conquête de la majorité de la classe ouvrière, par une participation active à sa lutte quotidienne et par la conduite de cette lutte. Pour cela, il faut une liaison étroite de nos organisations communistes avec les masses ouvrières, à l’usine même.

Partant de ce point de vue, le 3e Congrès de l’I.C. avait déjà décidé que la base du Parti Communiste doit être la cellule d’usine. Cependant la plupart des sections n’ont pas encore mis cette décision en pratique : beaucoup n’ont même pas posé concrètement la question. Pourtant la révolution allemande (fin 1923) a montré une fois de plus et avec évidence que sans cellules d’usines, sans une liaison étroite avec les masses ouvrières, il est impossible d’attirer ces dernières dans la lutte et de les conduire, il est impossible de connaître leur état d’esprit et d’utiliser le moment le plus favorable, il est impossible de vaincre la bourgeoisie.

L’organisation de base

1. La base de l’organisation communiste est la cellule d’usine. Tous les communistes travaillant dans une entreprise doivent faire partie de la cellule de cette entreprise.

Remarque : Là où il n’y a qu’un ou deux communistes, ils doivent adhérer à la cellule de la plus proche entreprise; cette cellule mène son action dans toutes les entreprises de son ressort ne possédant pas de cellule.

2. Les communistes ne travaillant pas dans les usines, fabriques, ateliers, magasins, etc… (c’est‑à‑dire les ménagères, les gens de maison, les concierges, etc…) doivent créer des cellules de rues (selon le domicile des adhérents).

Remarque : Tous les membres des cellules d’entreprises, habitant un autre quartier doivent se faire enregistrer au Bureau de ce quartier. Les membres des cellules d’autres quartiers, dirigés par le bureau de quartier sur une cellule de rue, n’y ont pas voix délibérative sur les questions qu’ils décident dans leur cellule d’usine (questions de principe, élection de délégués, etc…).

3. Les chômeurs restent membres de la cellule de l’entreprise où ils ont travaillé. En cas de chômage prolongé, ils peuvent, d’accord avec le comité de rayon, être transférés dans une cellule de leur quartier d’habitation.

4. Dans les centres industriels peu importants, les petites villes et les villages, où les ouvriers vivent près de l’entreprise ou exploitation où ils travaillent, il sera constitué des cellules homogènes autant que possible à proximité de ces entreprises ou exploitations.

5. Les cellules d’entreprises et de rues élisent un bureau de trois à cinq membres. Les élections sont faites par l’assemblée générale de la cellule. Le bureau distribue le travail entre ses membres. Selon l’importance de la cellule, le bureau dé signe des camarades pour diriger et répandre les publications, pour mener la propagande, un camarade pour s’occuper de la fraction communiste au comité d’usine, un autre pour le travail syndical, un pour la liaison et le travail avec la cellule de la jeunesse, un pour le travail parmi les femmes, etc…

6. Les communistes, membres d’une cellule d’entreprise, y paient leurs cotisations; ceux qui sont membres d’une cellule de rue paient dans cette dernière.

7. Dans les grandes villes, où les cellules d’entreprises et de rues sont nombreuses, elles s’unissent par quartier. Plusieurs quartiers forment un rayon.

Tous les rayons d’une grande ville composent l’organisation de ville. Les quartiers sont délimités par le Comité de rayon. Ce dernier s’efforce, dans la mesure du possible, de grouper les quartiers autour des grandes entreprises. Dans les villes moyennes, on forme également des quartiers pour grouper les cellules d’usines et de rues. Leur ensemble forme l’organisation de villes. Dans les petites villes et les villages, les cellules sont unies en groupes locaux. Les organisations des villes moyennes et les groupes locaux des petites villes et villages s’unissent en sous‑rayons.

Remarque : Les bureaux de quartiers (ou de groupes locaux), selon les possibilités et les nécessités de l’endroit, convoquent régulièrement l’assemblée générale de toutes les cellules d’entreprises et de rues de leur quartier ou de leur groupe.

8. À la tête du quartier ou du groupe local se trouve un bureau de trois à cinq membres, élus par l’assemblée générale de tous les membres du quartier ou groupe, ou par une assemblée de délégués, selon les possibilités locales (par ex., en état d’illégalité). Le secrétaire de quartier ou de groupe est confirmé par le sous-rayon. À la tête du rayon et du sous- rayon sont les comités de rayon et de sous-rayon, élus par la conférence de rayon ou de sous-rayon.

9. Les assemblées de délégués de quartier et de groupe, les conférences de rayon et de sous‑rayon sont composées de représentants des cellules, proportionnellement au nombre de leurs membres, mais de façon que la majorité appartienne aux cellules d’entreprises. La norme de représentation pour chaque cellule est fixée par le comité de rayon ou de sous-rayon.

Dans les organisations où, par suite de l’état d’illégalité, une grande représentation aux conférences est impossible, on peut faire élire les délégués, non pas directement par les cellules, mais par des assemblées de quartiers ou de groupes.

10. Les comités de ville (dans les grandes villes), sont élus par la conférence de ville, composée de délégués des rayons, élus par les conférences de rayon proportionnellement au nombre de membres de chacun[18].

11. Pour renforcer l’influence des cellules d’entreprises, tant dans les bureaux de quartier que dans les comités de rayons, plus de la moitié des membres de ceux‑ci doivent être choisis parmi les membres des cellules d’entreprises. Les comités de ville doivent comprendre un certain nombre d’ouvriers travaillant à l’usine.

12. En cas d’illégalité, les instances supérieures, dans certains cas exceptionnels (par ex. en cas d’arrestation d’un comité, etc…), ont le droit de désigner les nouveaux membres du comité, à condition, à la première possibilité, de convoquer une assemblée ou une conférence de délégués, qui confirmera le comité ou en élira un autre. Ceux des membres de l’ancien comité qui ont évité l’arrestation peuvent être admis dans le nouveau, avec l’assentiment et la sanction des organes supérieurs, jusqu’à la conférence. L’effectif des comités, en cas d’illégalité, doit être réduit au minimum.

Fonctions des cellules d’entreprises

Le centre de gravité du travail politique d’organisation doit être transféré dans la cellule d’entreprise. C’est elle qui, en prenant la tête de la lutte des ouvriers pour leurs besoins quotidiens, les conduira à la lutte pour la dictature du prolétariat. Pour cela, la cellule communiste étudiera en temps utile toutes les questions politiques ou économiques intéressant les ouvriers et formera son opinion sur elles ainsi que sur chaque conflit surgissant. Elle mettra les ouvriers sur la voie de la solution révolutionnaire de toutes les questions. En tant que fraction la plus consciente et la plus active de la classe ouvrière, elle doit prendre en mains la direction de sa lutte.

Les tâches particulières des cellules d’entreprises, en dehors de celles qui incombent à tout le parti, sont les suivantes :

1. Mener l’agitation et la propagande communistes parmi les ouvriers; les travailler individuellement pour les attirer dans les rangs du P.C.; répandre les publications communistes; éclairer les questions qui se posent dans l’usine, même publier un journal d’usine, fonder des oeuvres d’éducation.

2. Mener une action prolongée et énergique pour conquérir tous les postes électifs de l’entreprise (syndicat, coopérative, comité d’usine, commission de contrôle, etc…).

3. Intervenir dans tous les conflits économiques, dans toutes les revendications des ouvriers, pour étendre et approfondir le mouvement, montrer aux ouvriers ses conséquences politiques et les pousser à une lutte plus large, non seulement économique, mais politique et, au front unique contre la bourgeoisie et le fascisme.

4. Déraciner l’influence, sur les ouvriers de l’entreprise, des autres partis politiques, nuisibles à la classe ouvrière. La cellule doit mener à l’usine une lutte énergique contre les partisans et les membres des autres partis politiques, partis socialistes ou autres partis dits "ouvriers" en exploitant tous les faits à la portée des ouvriers les plus arriérés.

5. Établir une liaison entre ouvriers travaillant et ouvriers chômeurs, pour éviter une concurrence entre eux.

6. Là où le terrain est mûr, revendiquer le contrôle ouvrier sur la production, les banques, les exploitations agricoles, les transports : réclamer la distribution aux ouvriers d’objets de première nécessité.

7. Militer parmi les femmes et la jeunesse de l’usine et les enrôler dans la lutte; aider à la création d’une cellule de la jeunesse Communiste et, là où elle existe, la soutenir.

8. Faire participer chacun de ses membres à un travail déterminé qui lui est fixé par le bureau.

Outre ces tâches spéciales à l’usine même, les cellules d’usine ont encore des tâches territoriales sur le lieu d’habitation, car les ouvriers ont aussi des besoins là où ils habitent et remplissent différentes fonctions sociales (logement, ravitaillement, hygiène, enseignement, divertissements, élections, etc….).

Les plus importantes sont :

1. L’organisation et l’action politique, les campagnes diverses (élections, logement, vie chère), la fourniture aux familles des ouvriers, des petits employés et des couches moyennes d’objets de première nécessité.

2. La diffusion de la presse communiste, le recrutement de nouveaux lecteurs et d’adhérents au parti, l’agitation et la propagande, la propagande individuelle, les oeuvres d’éducation dans les quartiers (clubs, etc.), l’enrôlement des sympathisants dans les démonstrations ouvrières, et en général dans la lutte de la classe ouvrière.

3. L’agitation dans les maisons du quartier; l’information sur les opinions politiques des habitants, sur la vie politique, les manoeuvres des fascistes, les dépôts d’armes, etc…

4. L’action parmi les femmes et les enfants.

Toutes ces tâches territoriales concernent également les cellules de rues. Leur action doit être menée sous la conduite directe du bureau de district et doit concorder avec celle des cellules d’entreprises.

Mise en pratique

Vu la nouveauté de la question pour beaucoup de Sections de l’Internationale Communiste et leur situation diverse, le C.E. de l’I.C. propose d’abord que la question soit examinée sur toutes ses faces dans la presse et les réunions du parti; après seulement on abordera la réorganisation sur la base des cellules d’entreprises, en commençant par les plus grandes entreprises.

Les cellules ne doivent en aucun cas être confondues avec les fractions communistes dans les syndicats, les coopératives, etc. Les cellules ne peuvent pas prendre les fonctions de ces dernières; ce sont elles au contraire, ou plus exactement leur bureau, qui dirigent les fractions syndicales ou autres correspondantes.

Le bureau d’organisation du C.E. demande à toutes les sections de l’Internationale Communiste de l’informer en détail et périodiquement de la discussion sur les questions touchées ici et sur les résultats obtenus.

Instruction concernant l’Allemagne

Le Présidium du C.E. de l’I.C. a décidé les instructions spéciales suivantes concernant l’organisation des cellules d’usines dans le parti communiste d’Allemagne :

1. Suivant la résolution adoptée par l’Exécutif sur l’organisation des cellules d’usines, le parti allemand doit exécuter la réorganisation de sorte que les cellules d’usines constituent la base de son organisation.

2. La majorité des membres des Comités de quartier et de rayon doit se composer de membres des cellules d’usines. Les grandes villes se subdivisent en rayons. Les comités de ville doivent prendre une partie de leurs membres parmi les ouvriers des usines.

3. Les cellules d’usines et de rues se réunissent en quartiers, groupés à leur tour par des comités de quartier. Le comité du rayon groupe dans la mesure du possible les quartiers autour des grandes entreprises.

4. Les comités de ville (ou bien les comités de rayon) élaboreront immédiatement un programme prévoyant la date à laquelle cette réorganisation sera terminée à chaque endroit, et le soumettront à la centrale du parti pour confirmation. L’exécution doit être terminée (sous la direction de la Centrale du parti) dans le Reich tout entier dans les 2 mois. La Centrale doit rendre compte régulièrement à l’Exécutif de l’exécution.

Pour cette raison, le paragraphe de la résolution sur la "mise en pratique" n’est pas valable pour le parti communiste d’Allemagne.

 

Notes



[1]. [321ignition] Les annotations sont formulées par nous en tenant compte d’éventuelles notes figurant dans la source.

[2]. Durant les évènements, la délégation du CE de l’IC en Allemagne était composé de Jurij Pjatakov ("Arvid"), Karl Radek, Vasilij Smidt, Nikolaj Krestinskij. Radek présente le rapport.

Le document exposant les thèses de la délégation au sujet de l’action d’octobre 1923, daté du 15 novembre, est reproduit dans :

Bernhard Bayerlein, Deutscher Oktober 1923 : ein Revolutionsplan und sein Scheitern; Berlin, Aufbau-Verlag, 2003; p. 364.

[3]. Le 28 aout 1923, le Bureau politique du KPD décide la création d’un Comité révolutionnaire central (REVKOM), dénommé aussi Commission des Sept.

Ce Comité révolutionnaire central est formé d’un Conseil de guerre révolutionnaire, ainsi que de six autres membres de la Centrale du KPD. Le Conseil de guerre révolutionnaire, dénommé aussi Commission des Trois, est formé de Brandler et Kleine (Guralski) ainsi que du Dirigeant militaire (M-Leiter) auprès de la Centrale du KPD.

[Harald Jentsch, Die KPD und der "Deutsche Oktober" 1923; Rostock, Ingo Koch Verlag, 2005]

[4]. Il s’agit de Ruth Fischer.

[5]. Les mots "à mettre en doute" semblent dépourvus de sens et ne correspondent à rien dans la version allemande : "meinetwegen kann man auch sagen, die Blonden, die Brünetten haben gesiegt".

[6]. Dans la version allemande du compte-rendu : "eine der komischsten Fragen als Differenzfrage" ["en tant que question controversée, une des plus comiques"]. Les mots "à mettre en doute" semblent correspondre à "Differenzfrage". Quant à l’emploi, dans les deux versions, du mot "comique" ["komisch"], il peut s’agir d’une erreur de traduction, en supposant que le rapporteur (Radek) a parlé en russe.

[7]. Albert Leo Schlageter.

Avec la fin de la 1e Guerre mondiale, la défaite de l’Allemagne et les amorces de mouvements anticapitalistes, se constituent des Corps francs contre-révolutionnaires. Schlageter rejoint le Freikorps Medem et participe aux combats dans le Baltikum. En 1920 il participe en tant que membre de la 3e Brigade de Marine à la répression des mouvements insurrectionnels qui se développent en réaction au putsch Lüttwitz-Kapp. En 1921 il rejoint le Freikorps Hauenstein en Haute-Silésie et participe aux opérations contre les combattants polonais. L’entrée dans la région de la Ruhr, le 11 janvier, de troupes françaises et belges déclenche une résistance active et passive. Schlageter participe au 1er Congrès du NSDAP, tenu du 27 au 29 janvier à Munich. Il organise un groupe de sabotage contre les troupes d’occupation. Il est arrêté le 7 avril, condamné à mort le 7 mai et exécuté le 26.

Du 12 au 23 juin 1923 se tient à Moscou le 3e Plenum élargi du CE de l’IC. Le 21, Karl Radek prononce un discours, qui est reproduit le 26 dans le Rote Fahne. Voici des extraits :

[…] du fasciste allemand [Schlageter] […], de notre adversaire de classe, qui a été condamné à mort et fusillé par les sbires de l’impérialisme français, cette forte organisation d’une autre partie de nos ennemis de classe. […]

Le Parti communiste Allemand doit dire ouvertement aux masses petites-bourgeoises nationalistes : celui qui, au service des trafiquants, des spéculateurs, des maîtres du fer et du charbon veut tenter de soumettre le peuple allemand à l’esclavage, de le précipiter dans une aventure, celui‑là se heurtera à la résistance des travailleurs communistes allemands. […] Celui qui, par incompréhension, se lie aux mercenaires du capital, celui‑là, nous le combattrons par tous les moyens. Mais nous pensons que la grande majorité des masses ayant un sentiment national ne doivent pas se trouver dans le camp du capital, mais celui du travail. Nous voulons chercher et trouver la voie vers ces masses, et nous le ferons. […]

[http://www.marxists.org/deutsch/archiv/radek/1923/06/schlageter.html]

[8]. "Die Internationale – Zeitschrift für Praxis und Theorie des Marxismus", publié par la Centrale du KPD.

[9]. Résolution  : La tactique de l’Internationale communiste. Cf. le document : .

[10]. La brochure du compte-rendu en allemand inclut dans la section numérotée VII les deux premières résolutions figurant ici dans la section VIII, tandis que les deux résolutions suivantes sont numérotes séparément VII et IX.

[11]. "a exprimé le regret" : dans la version en allemand : " glaubte aufrichtig" ["pensait sincèrement"].

[12]. CE de l’IC (18 décembre 1921)  : Thèses sur l’unité du front prolétarien. Cf. le document : .

[13]. Résolution  : La tactique de l’Internationale communiste. Cf. le document : .

[14]. Dans la version allemande du compte-rendu : "Mit den Soldknechten der weißen Diktatur gibt es kein Verhandeln!" ["Avec les mercenaires de la dictature blanche, pas question de négocier!"]

[15]. CE de l’IC (18 décembre 1921)  : Thèses sur l’unité du front prolétarien. Cf. le document : .

[16]. La formulation "de façon à se transformer finalement en un appareil de centralisation et de Gouvernement, de façon à incarner l’action prolétarienne pour la conquête du pouvoir" est inexacte comparée à la version en allemand.

Dans la version allemande du compte-rendu : "daß sie schließlich zum zentral geleiteten Träger des Apparates des Machtkampfes des Proletariats werden" ["de façon à ce qu’au bout du compte ils deviennent le représentant centralement dirigé de l’appareil de la lutte du prolétariat pour le pouvoir "]. Le terme ‘"gouvernement" n’y figure pas.

[17]. Cette phrase ne figure pas dans le compte-rendu en allemand.

[18]. [Note faisant partie du compte-rendu]

Note pour la France. Dans les grandes villes qui sont en même temps chef-lieu de département, il n’est pas constitué de comité de ville. La Conférence fédérale, composée des délégués des rayons de la ville et de ceux du département, élit un Comité départemental qui remplit en même temps les fonctions de Comité de ville.