Commission centrale du KPD
(janvier 1923)

Heinrich Brandler :
Les tâches actuelles du Parti
(Extraits)

Source :
Die Internationale, organe du KPD, année 6, n° 1 (6 janvier 1923), Berlin, pp. 3‑12 [1] 
[2].

[Nous reproduisons ce texte avec l’accord du responsable du site 321ignition.free.fr]

 

[…]

Quelles tâches résultent de cela pour nous, afin de gagner la masse du prolétariat pour le communisme? Par le congrès des conseils d’entreprise, dans le programme des travailleurs, a été opposé au gouvernement de coalition bourgeois, le gouvernement ouvrier pour l’Allemagne.

Mais comment nous arrivons au gouvernement ouvrier? Le KPD compte 250 000 membres, le VSPD[3] 1 300 000. Nous devons partir aujourd’hui de ce rapport de forces. Certes ce rapport de forces est quelque chose de tout à fait instable: il peut se modifier rapidement. Mais en ce qui concerne ces modifications également, nous devons garder clairement à l’esprit que le point d’entrée se trouve là, si nous voulons poser la question du gouvernement ouvrier sur le plan pratique. Les expériences de la Commune de Paris et durant la révolution russe prouvent que des mouvements élémentaires, dans des circonstances favorables, mènent à la conquête du pouvoir, que le prolétariat n’est pas toujours en mesure de garder le pouvoir, comme c’était le cas chez nous en 1918.

Si nous voulons aborder le problème du gouvernement ouvrier non pas à la manière d’un château en Espagne, mais concrètement, pratiquement, telle que la question se posait à nous en Sachsen[4], alors nous sortirons du champ de des querelles verbales stériles: est-ce que le gouvernement ouvrier signifie la même chose que la dictature du prolétariat, ou pas? On peut être d’avis très différent au sujet de la participation à un gouvernement ouvrier, et nous arriverons à un éclaircissement justement si nous ne construisons pas des châteaux en Espagne, mais si nous dégageons de façon lucide l’idée de ce que, avant tout, le gouvernement ouvrier n’est pas. C’est de ce point de vue que je voudrais, à titre de suggestion ‑ je ne prétends pas à apporter la solution ‑ donner quelques points de repère.

En supposant qu’en Sachsen se présentait pratiquement le problème du gouvernement ouvrier ‑ je suis de l’avis que ce n’était pas le cas ‑, quel genre de gouvernement ouvrier cela aurait pu être? En vue du gouvernement ouvrier il y avait un combat acharné de la part du Parti communiste, afin de rassembler les masses en Sachsen, et dans la mesure des forces dont disposait le Parti communiste tant bien que mal au sein des masses, l’a fait plus que dans toute autre partie du Reich, à l’occasion des élections et dans le mouvement de conseils d’entreprise. Qu’a pu accomplir la force du Parti? Parmi les plus de 2 millions de prolétaires en Sachsen, il a réussi à gagner 400 000 comme sympathisants pour le mouvement des conseils d’entreprise. Dans le même temps, alors que le Parti déployait toutes ses forces pour gagner ainsi les masses des travailleurs au combat contre la cherté de la vie, se déroulaient les élections à l’assemblée régionale de Sachsen[5], et à cette occasion les social-démocrates obtinrent plus d’un million et les communistes même pas 300 000 de voix; donc, à l’occasion des élections, nous n’avons même pas pu atteindre la partie que nous avions rassemblée pour le mouvement de conseils d’entreprise. Au vu de ce rapport de forces, il me semble qu’en pratique, dans le sens de la réalisation du gouvernement ouvrier, le problème ne se pose pas.

Comment cette vision illusoire a-t-elle pu surgir? En Sachsen le Parti est tellement faible, dans d’autres régions d’Allemagne il est encore plus faible ‑, de sorte qu’il ne pouvait même pas clarifier l’idée du gouvernement ouvrier au sein du Parti, et encore moins faire prendre aux masses de travailleurs socialistes une conscience claire concernant ce problème. C’est pourquoi sur le terrain de l’agitation nous avons pu être plus ou moins mis en échec par une combine de la social-démocratie. Nous communistes n’avons pas réussi de faire prendre aux travailleurs communistes, social-démocrates et sans-parti une conscience claire concernant le problème du gouvernement ouvrier, bien au contraire la social-démocratie a réussi à semer la confusion auprès d’eux et de leur faire avaler l’idée que l’entrée de communistes dans un cabinet socialiste serait synonyme de gouvernement ouvrier. C’est pour cela que la social-démocratie de Sachsen a pu impunément mettre en échec le Parti communiste sur le terrain de l’agitation et a pu se permettre le luxe de dire: la social-démocratie est pour un gouvernement et elle est pour l’entrée des communistes dans ce gouvernement. Que nous n’avons pas réussi à faire prendre aux ouvriers de Sachsen ou au moins aux travailleurs communistes, ni même aux membres communistes, une conscience claire concernant la nature du gouvernement ouvrier, à cela la meilleure preuve est apportée par le fait que le refus de toutes les exigences ‑ pas d’une, pas de la neuvième, non, de toutes les exigences ‑ n’a pas déclenché la moindre protestation d’importance sérieuse parmi le prolétariat de Sachsen.

Si de cette manière nous envisageons les faits réels, alors je suis de l’avis qu’une discussion telle que nous l’avons conduite hier et aussi par ailleurs, au sujet de la question du gouvernement ouvrier, ne fait que perturber le développement sain du Parti. Nous devons parler non seulement des possibilités futures, mais des tâches actuelles, puisqu’il s’agit là d’une question vitale. Nous devons faire prendre aux masses une conscience claire sur la question de savoir ce qu’est un gouvernement ouvrier et ce qu’il n’est pas. Il n’est pas ‑ et là-dessus je n’ai pas besoin d’en dire quoi que ce soit ‑ l’entrée des communistes dans un cabinet social-démocrate; mais il n’est pas non plus la dictature du prolétariat, dans le meilleur des cas il peut être la rupture avec la politique social-démocrate menée jusqu’ici, non pas au sens que, si nous avons 10 élus et les autres 40, nous exigeons des social-démocrates et de ces masses de travailleurs, qu’ils devraient faire une politique communiste. Non! Si vous posez la question du gouvernement ouvrier de manière à exiger des social-démocrates et des masses qu’ils guident une politique communiste, alors c’est conduire en erreur nos propres masses de travailleurs, ‑ au lieu d’une clarification une confusion! Mais autre chose est possible: non pas que les autres fassent une politique communiste, mais que nous les forçons à transformer en réalités, dans leur propre politique, les promesses agitatoires faites à l’occasion des élections, et cela, si nous pourrions les forcer, vaut éventuellement l’implication et la participation de communistes au gouvernement, parce que cela signifie la séparation des masses de travailleurs social-démocrates de la bourgeoisie, cela serait une rupture avec la politique social-démocrate menée jusqu’ici. Si nous réussissons, non pas à faire immédiatement de ces masses de travailleurs des communistes, mais simplement de partir de leurs propres besoins, de déployer une propagande claire en faveur du gouvernement ouvrier en distinction par rapport au gouvernement de coalition avec la bourgeoisie, de profiter d’abord du parlementarisme et des organes de classe propres: syndicats, conseils d’entreprise ou conseils d’ouvriers, ‑ afin que de cette manière ces organes soient mis au service de la lutte de classe prolétarienne, fut-ce en imaginant qu’on reste sur le terrain de la démocratie bourgeoise, dans le cadre constitutionnel existant ‑, si nous réussissons ainsi à amener les masses de travailleurs à la lutte, alors ce serait d’une importance immense pour la révolution. Car alors commence la lutte, et une fois la lutte initiée, on ne peut pas prévoir la fin: alors elle ne peut plus être limitée à des formes démocratiques. Mais le point de départ de notre agitation ne doit pas être que nous disons: gouvernement ouvrier égal dictature, ni: tant que le gouvernement ouvrier ne franchit pas le pas vers de mesures dictatoriales, une participation de communistes à ce gouvernement ouvrier est hors question! ‑ ce n’est pas ainsi que nous arriverons à la décomposition du VSPD en tant que parti et à gagner les masses de travailleurs au communisme, mais si nous partons de leurs illusions démocratiques, si nous trouvons la façon de partir de la vision des travailleurs dans une situation relativement aisée, s’il est possible de mettre au service de la lutte de classe prolétarienne l’état conquis par la voie parlementaire, et son pouvoir. Tant que nous n’avons pas été en mesure par la pratique, de prouver par la participation de communises à un tel gouvernement, qu’il ne suffit pas de mettre l’état bourgeois au service du prolétariat, aussi longtemps nous pouvons parler comme nous voulons: nous ne serons pas en mesure d’éradiquer la foi superstitieuse des travailleurs en la démocratie, et si une vague favorable nous emmènerait à la conquête du pouvoir, mais si préalablement les illusions n’auraient pas été détruites, nous perdrions le pouvoir exactement comme en 1918 et 1919. Celui qui pense qu’on peut passer outre à ces faits concrets par des vains mots, celui-là n’est pas un révolutionnaire, mais il est ‑ comme je m’exprime à ma manière rude ‑ un communiste peureux. Ce radicalisme n’est pas un communisme radical ‑ dans le sens de Marx qui traduit "radical" par "être rigoureux" ‑ mais c’est la peur que les camarades avec une telle politique communiste mise en oeuvre pratiquement perdent leur communisme.

[…]

Notes



[1]. [321ignition] Sauf indication contraire, les annotations sont ajoutées par nous.

[2]. [321ignition] Traduit de l’allemand par nous.

[3]. En avril 1917 d’anciens membres du SPD tiennent un congrès pour constituer le “Unabhängige Sozialdemokratische Partei Deutschlands” (Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne, USPD). Pour marquer la distinction vis-à-vis de l’USPD, le SPD est alors désigné comme “Mehrheits-Sozialdemokratische Partei Deutschlands” (Parti social-démocrate majoritaire d’Allemagne, MSPD). Après l’intégration de l’aile gauche de l’USPD au KPD en décembre 1920, le reste de l’USPD rejoint en septembre 1922 le SPD. Pendant quelque temps est alors d’usage la désignation “Vereinigte sozialdemokratische Partei Deutschlands” (Parti social-démocrate unifié d’Allemagne, VSPD).