7e congrès de l’Internationale communiste |
Wilhelm Pieck : |
26 juillet et 1er aout 1935 |
Source : [Nous reproduisons ce texte avec l’accord du responsable du site 321ignition.free.fr] |
Rapport sur l’activité du C.E. de l’I.C.
Les deux voies de développement soumises à l’épreuve de l’histoire
Camarades,
Sept années d’une lutte pénible et dure de sacrifices des masses travailleuses contre leurs oppresseurs et exploiteurs séparent les 6e et 7e congrès mondiaux de l’Internationale communiste. Ces sept années ont apporté un grand changement aux rapports de forces entre les classes dans le monde entier et fourni au prolétariat une expérience révolutionnaire d’une richesse immense.
La question décisive qui se posait devant notre 6e congrès mondial était celle-ci: Où mène le développement international? Cette question se posait également au congrès de la 2e Internationale qui se tenait au même moment à Bruxelles. Elle était posée aussi par les économistes et politiques bourgeois.
C’était la période de la stabilisation relative partielle du capitalisme, période où l’industrie et le commerce dépassèrent le niveau d’avant-guerre et connurent une phase de prospérité. Quelle fut la réponse des social-démocrates à la question de la perspective du développement international?
Le capitalisme ayant réussi, jusqu’à un certain point, à se mettre en selle, la production, la technique et le commerce étant en progression et les relations entre les puissances impérialistes réglées par tout un système de traités internationaux, les chefs social-démocrates en concluaient que l’époque des révolutions et des guerres était terminée, que les bolchéviks avaient fait faillite dans leur théorie et leur pratique et que force était à l’Union soviétique de capituler devant la bourgeoisie internationale ou de périr.
Mais les social-démocrates en tiraient encore cette autre conclusion: si une époque de "capitalisme organisé", de prospérité éternelle et de développement pacifique est imminente, la théorie marxiste de la lutte de classes et du renversement violent de la domination de la bourgeoisie est périmée, il faut qu’elle cède la place à la théorie de la pénétration pacifique dans le socialisme à l’aide du renforcement du pouvoir d’État placé prétendument au-dessus des classes, de la paix économique et de la participation aux gouvernements de coalition.
Mais ce n’était pas là seulement l’attitude de la social-démocratie officielle. Son influence avait pénétré même dans nos rangs. C’était les éléments de droite qui, dans les sections de l’Internationale communiste, défendaient la théorie que le développement international conduisait à une consolidation de la stabilisation du capitalisme, que celui-ci avait réussi à se réorganiser, que le développement technique rendait possible un nouvel essor du capitalisme. Les droitiers prétendaient encore qu’il n’y avait pas à compter sur une rapide victoire du socialisme dans l’Union soviétique et qu’on ne saurait pas prévoir dans un avenir prochain une montée nouvelle de la vague révolutionnaire.
Contrairement à ces conceptions social-démocrates et opportunistes de droite sur la marche de développement de l’Union soviétique, le camarade Staline ‑ partant de la théorie léniniste qu’un pays isolé peut, par ses forces intérieures, édifier la société socialiste et que la victoire du socialisme en U.R.S.S. est d’une grande importance internationale ‑ conduisait l’Union soviétique dans la voie de l’industrialisation, dans la voie de la collectivisation de l’économie paysanne.
Contrairement à toutes les conceptions social-démocrates et opportunistes de droite sur la durabilité et la solidité de la stabilisation capitaliste, sur le triomphe du capitalisme et la possibilité d’un développement pacifique et sans crises, le camarade Staline traçait, dès décembre 1927, la perspective suivante:
De la stabilisation elle-même, du fait que la production s’accroît, que le commerce se développe, que la technique progresse et que les possibilités de production augmentent, pendant que le marché mondial, les limites de ce marché et les sphères d’influence des différents groupes impérialistes restent plus ou moins stables, résultera précisément la crise la plus profonde et la plus aiguë du capitalisme mondial, crise qui provoquera de nouvelles guerres et mettra en question toute stabilisation quelle qu’elle soit[2].
Le camarade Staline disait:
Si un fait tel que l’assassinat de Sacco et Vanzetti a pu être l’occasion de manifestations de la classe ouvrière, cela prouve indubitable ment que des énergies révolutionnaires se sont accumulées au sein de la classe ouvrière, énergies qui cherchent et chercheront une occasion, un événement, parfois tout à fait insignifiant, en apparence, pour se faire jour et monter à l’assaut du système capitaliste[3].
C’est sur la base de cette analyse marxiste-léniniste juste de la situation mondiale par le camarade Staline que le 6e congrès mondial de l’Internationale communiste donna, à l’encontre de la social-démocratie et des opportunistes de droite, cette orientation que la nouvelle période commençante, la troisième du développement d’après-guerre est la période de l’aggravation de toutes les contradictions du capitalisme, la période d’un nouvel essor révolutionnaire et de l’ébranlement de la stabilisation du capitalisme. Nous avons montré que nous nous trouvions à la veille non d’un développement pacifique, mais de l’aggravation de la lutte de classe et de la menace croissante d’une nouvelle guerre impérialiste.
Qui avait raison? Nous ou la social-démocratie?
La social-démocratie ainsi que les opportunistes de droite ont fait faillite, leurs théories ont subi un échec piteux.
La perspective du développement mondial que posait le 6e congrès mondial de l’I.C., la perspective de l’édification victorieuse du socialisme en U.R.S.S. et de l’ébranlement de la stabilisation capitaliste, a été confirmée par tout le cours du développement.
La période écoulée a été celle d’un revirement dans tout le développement mondial. Dans l’Union soviétique ce fut une période d’essor impétueux et de victoire du socialisme; dans les pays capitalistes, celle d’un déclin continu: une crise économique profonde, sans précédent, la recherche infructueuse d’une issue, une période de l’aggravation de la crise générale du capitalisme.
L’Union soviétique est devenue, au point de vue économique et politique, une grande puissance socialiste, débordante de forces qui, à un degré croissant, exerce son influence sur tout le développement mondial. Le monde capitaliste, par contre, est affaibli par la crise et ébranlé jusque dans ses fondements par des antagonismes profonds, insurmontables entre les classes et les États, antagonismes dont le développement ultérieur conduit à la maturation des conditions nécessaires pour le renversement de la domination de la classe des exploiteurs.
Le mouvement révolutionnaire des travailleurs, dans les pays capitalistes, n’a cessé de croître durant ces sept années. Les Partis communistes qui ont donné aux masses des mots d’ordre justes et les ont orientées vers la lutte, ont grandi et deviennent dans un nombre toujours croissant de pays, des facteurs importants de la vie politique.
Le grand revirement historique des masses passant du réformisme au communisme, du soutien du capitalisme à la lutte pour le socialisme, a commencé.
***
Dans mon rapport sur l’activité du Comité exécutif de l’I.C., je mettrai au premier plan deux grands groupes de questions: les résultats du travail des communistes parmi les masses et le développement de notre travail de parti.
Pour avoir une vue d’ensemble de la situation, je diviserai, conformément au développement de la lutte de classe et aux formes déterminées du mouvement révolutionnaire qui prédominent à chaque moment donné, la période faisant l’objet de ce rapport en trois secteurs de lutte.
1. La maturation du nouvel essor du mouvement révolutionnaire.
2. Le mouvement révolutionnaire dans les années de la plus forte aggravation de la crise.
3. Le tournant des ouvriers socialistes vers le front unique avec les communistes.
I. ‑ La maturation du nouvel essor du mouvement révolutionnaire
Aussitôt après le 6e congrès mondial, les événements ont confirmé la justesse de notre analyse des perspectives du mouvement révolutionnaire. Nous avions raison de dire que le développement de la révolution en Chine, l’insurrection d’Indonésie[4], les puissantes manifestations qui se déroulèrent en Europe et en Amérique contre l’exécution de Sacco et Vanzetti[5], la grève générale en Angleterre (1926)[6], les événements de juillet 1927 à Vienne[7] et l’accroissement marqué du mouvement gréviste dans la plupart des pays capitalistes depuis 1927 étaient les indices du nouvel essor révolutionnaire commençant. Nous prédisions l’accroissement ultérieur de cet essor, qu’aucune muraille de Chine ne sépare de la crise révolutionnaire, nous avons prédit l’essor ultérieur de la révolution. Le congrès fixa comme tâche aux sections de l’Internationale communiste d’organiser et de diriger la lutte grandissante des travailleurs contre les classes des exploiteurs.
Les luttes économiques et politiques du prolétariat
Quelques mois après le 6e congrès on vit déjà monter dans tous les pays d’Europe une vague de grèves économiques telle qu’on n’en avait pas vu depuis longtemps. À Lodz commençait une des plus grandes grèves du textile dans l’histoire du mouvement ouvrier polonais, action gréviste qui se transforma en une grève générale du prolétariat de Lodz[8]. Dans la Ruhr, 200.000 ouvriers luttèrent cinq semaines pour une augmentation des salaires[9]. Dans le nord de la France, les textiles se mirent en grève[10]. Aux élections parlementaires en Allemagne, en Pologne et en France, le nombre des voix données aux communistes augmentait considérablement, ce qui indiquait le caractère politique croissant de l’animation commençante.
Ce nouvel essor révolutionnaire ne se limitait nullement aux pays européens. Il se manifestait dans la révolution antiimpérialiste et agraire en Chine, dans le mouvement national révolutionnaire et le mouvement ouvrier dans l’Inde.
Le mouvement a montré que les grandes masses de travailleurs qui s’étaient remises des défaites essuyées de 1921 à 1923 n’avaient pas l’intention de prendre sur elles une nouvelle aggravation de leur situation provoquée par la rationalisation et la crise générale du capitalisme. La production capitaliste fut bien l’objet d’un fort accroissement, mais la situation de la classe ouvrière empira à vue d’œil. Une partie des ouvriers occupés touchaient bien des salaires plus élevés que dans les premières années d’après-guerre, mais, en revanche, l’exploitation du fait de la rationalisation s’intensifiait dans une mesure inouïe, et une grande partie de la classe ouvrière était chassée du processus de la production.
Les socialistes parlaient de "prospérité", mais le chômage allait croissant. Ils parlaient de "démocratie économique", mais l’exploitation éhontée et les brimades dans les entreprises devenaient intolérables. Les social-démocrates faisaient des phrases sur le "capitalisme organisé" qui surmonte ses contradictions intérieures, mais les antagonismes de classe s’aggravaient de jour en jour et provoquaient l’accentuation de la lutte de classe.
La social-démocratie dans tous les pays du monde se mettait entièrement au service du développement de l’économie capitaliste. Sa perspective de l’évolution de l’économie capitaliste au socialisme, elle la déduisait de la croissance et des succès du capitalisme dans cette période. D’où sa théorie de la possibilité d’une "prospérité éternelle", d’un "développement sans crises", d’un "capitalisme organisé" et d’une "démocratie économique", dans laquelle ouvriers et patrons seraient des "contractants égaux en droits" dans la solution des questions économiques.
Dans quelques pays les social-démocrates ont appelé cela "socialisme constructif", prétendant ainsi que le développement de l’économie capitaliste conduirait au socialisme par la voie de la démocratie parlementaire et de la coalition gouvernementale.
Guidée par ces conceptions, la social-démocratie se rapprochait de plus en plus de l’État bourgeois et participait en Allemagne, en Angleterre, au Danemark, aux gouvernements capitalistes. Elle s’incorporait également dans les organismes dirigeants des trusts et obtenait de la bourgeoisie des postes dans les conseils d’administration. La conséquence toute naturelle, c’était que la social-démocratie s’employait à limiter la lutte de classe, préconisait la paix économique et cherchait à faire échouer les grèves des ouvriers. Toutes les questions touchant les intérêts économiques de la classe ouvrière devaient être tranchées par les tribunaux d’arbitrage de l’État.
Du fait de cette orientation des chefs social-démocrates et des positions puissantes que la bourgeoisie occupait face à la classe ouvrière, il va de soi que le prolétariat se trouvait complètement livré à la merci de la bourgeoisie et qu’il serait resté sans aucune direction dans ses luttes économiques si les communistes n’avaient pas, avec la plus grande vigueur, opposé la lutte de classes à cette collaboration de classes de la social-démocratie avec la bourgeoisie et essayé d’organiser une direction révolutionnaire des luttes économiques et politiques, du prolétariat.
Cette nécessité de défendre les intérêts vitaux des masses travailleuses, d’accroître leur capacité de lutte contre l’exploitation et l’oppression renforcées, de rassembler des masses pour cette lutte, détermina la 9e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C., en 1928 [11], à fixer pour les communistes la tâche de
Mettre en relief, d’une manière plus précise et plus vigoureuse, leur ligne politique particulière, différant fondamentalement de celle des réformistes, de la mettre en relief aussi bien dans toutes les questions politiques générales (guerre, attitude à l’égard de l’Union soviétique, de la Chine, de l’Inde, de l’Égypte, etc.) que dans celles des luttes quotidiennes de la classe ouvrière (contre les tribunaux d’arbitrage, la réduction des salaires, la prolongation de la journée de travail, contre le soutien des capitalistes dans la question de la rationalisation, contre la "paix dans l’industrie", etc.)[12].
Cette ligne politique des communistes a trouvé son expression dans la tactique ayant pour mot d’ordre "classe contre classe", la classe des prolétaires contre la classe bourgeoise.
La tactique "classe contre classe" était dirigée contre le bloc de la coalition de la social-démocratie avec la bourgeoisie. Elle visait à détruire ce bloc des chefs de la social-démocratie avec la bourgeoisie. Elle n’était pas dirigée contre le front unique des communistes avec les socialistes pour la lutte contre la bourgeoisie, mais l’impliquait au contraire. Elle tendait à la création d’une direction révolutionnaire des luttes économiques et politiques du prolétariat.
La résolution du C.E. de l’I.C. de février 1928 sur la tactique "classe contre classe" en Angleterre le dit très nettement[13]:
Dans la mesure où des couches importantes de la classe ouvrière suivent encore les chefs réformistes, il est absolument nécessaire de proposer le front unique à l’échelle nationale, comme aussi dans le cadre local, pour avoir, une fois de plus, l’occasion de démasquer les chefs du Labour Party, et des syndicats, qui préfèrent à l’unité avec les ouvriers révolutionnaires l’unité avec les capitalistes.
Une démarcation nette entre la politique réformiste et la politique communiste, démarcation qui est une nécessité absolue et une des bases essentielles de notre tactique "classe contre classe", ne signifie nullement que les communistes, aux élections, ne puissent, tout en menant indépendamment leur campagne électorale, s’engager, en Angleterre, par exemple, à soutenir ceux des candidats du Labour Party qui voteront pour les revendications urgentes de la classe ouvrière ou de conclure, en France, dans certains cas, des accords électoraux avec les socialistes, pour empêcher l’élection de candidats réactionnaires. Sans réaliser ce front unique des ouvriers contre les capitalistes, il est impossible de défendre efficacement les intérêts vitaux des ouvriers dans la lutte contre la bourgeoisie.
L’application de la tactique "classe contre classe" a consolidé les Partis communistes et leur a permis de s’affirmer devant la classe ouvrière, comme force indépendante, dans la direction de la lutte de classe. En Angleterre, les communistes ont commencé, pour la première fois, à mener d’une façon indépendante dans tout le pays, de grandes campagnes de masse. En France, les communistes se sont dressés comme facteur indépendant face au bloc des gauches. En Allemagne, seule l’application résolue d’une ligne indépendante a permis au Parti communiste d’Allemagne d’entraîner à sa suite des groupes importants de grandes masses qui se détournaient de la social-démocratie, d’organiser de puissants mouvements grévistes et de grandes manifestations et de former un front solide de la lutte de classe révolutionnaire.
Mais ces succès ne doivent pas nous leurrer sur le fait que dans l’application de cette tactique "classe contre classe" un certain nombre de fautes sectaires ont été commises. Si juste que ce fût pour les communistes, en Angleterre, de présenter aux élections parlementaires des candidatures indépendantes contre les chefs du Labour Party et de lutter pour elles, c’était cependant une faute pour le petit Parti communiste de concentrer toute son attention sur ses propres candidats, sans guère s’occuper de faire présenter des candidats par des conférences ouvrières des syndicats locaux et des organisations locales du Labour Party. Si juste qu’il fût, pour les communistes d’Allemagne, de se discriminer résolument d’avec la social-démocratie et de mener une lutte intransigeante contre Zoergiebel[14] et Sévering[15], il était par contre erroné, de la part des communistes, de commencer à s’isoler aussi des ouvriers social-démocrates et de les traiter de "petits Zœrgiebels". Si juste qu’il fût pour les communistes d’Allemagne, de France et d’Angleterre et d’un certain nombre d’autres pays, dans les conditions des années 1928-1929, de ne pas adresser des propositions de front unique aux dirigeants de la social-démocratie, c’était, par contre, une faute d’interpréter les décisions de l’Internationale communiste en ce sens que nos camarades ne devaient pas non plus faire de telles propositions aux organisations locales de la social-démocratie et des syndicats réformistes.
Par suite de cette application défectueuse de notre tactique "classe contre classe" et même de sa déformation fréquente jusqu’à dire que cette tactique excluait prétendument le front unique, nos sections n’ont pas obtenu dans cette phase de la lutte les succès qui auraient pu l’être. C’est seulement lorsque l’essor commença dans le mouvement gréviste, lorsque la social-démocratie s’opposa à ce mouvement, mit en marche la machine d’arbitrage de l’État et se mit à étouffer les grèves, que la tactique révolutionnaire des communistes gagna les sympathies de grandes masses ouvrières. Nos sections commencèrent à se rendre compte de l’importance qu’il y a pour la lutte des ouvriers à organiser des comités de grèves indépendants, élus par les ouvriers eux-mêmes.
Certes, les communistes, à ce propos, entrèrent en conflit avec les chefs syndicaux réformistes qui, en invoquant la discipline syndicale et en agitant la menace d’exclusion, cherchaient à détourner les communistes de l’organisation de la lutte gréviste. Mais les communistes ne devaient, en aucune circonstance, renoncer, par respect de cette discipline syndicale, à lutter pour les revendications des masses et à organiser ces luttes. Si l’on n’avait pas violé la discipline syndicale manipulée pal les chefs réformistes et si on n’avait pas organisé des directions indépendantes de lutte, on n’aurait eu ni la grève de Lodz, ni la lutte de la Ruhr, ni le puissant mouvement gréviste de Tchécoslovaquie.
Étant donné la politique social-démocrate de paix économique, s’il n’y avait pas eu de direction communiste des luttes grévistes, la bourgeoisie aurait réussi dans une mesure beaucoup plus grande, dès les années de haute conjoncture économique, à réaliser son plan de réduction des salaires, de prolongation de la journée de travail et d’aggravation des conditions de travail. Des milliers et des milliers d’ouvriers, ne voyant personne diriger leur lutte, se seraient détournés, déçus, de la lutte de classe.
C’est ainsi que les communistes sauvèrent de nouveau, comme en 1914, l’honneur du mouvement ouvrier, l’honneur du socialisme.
Les communistes, en se mettant à la tête d’une série de grandes grèves et de nombre de petites, en organisant des piquets de grèves et des manifestations et en entraînant les masses des batailles économiques à la lutte politique, ont montré la plus grande combativité et fait eux-mêmes les plus grands sacrifices. Ils ont gagné de la sorte une influence considérable parmi les masses ouvrières et dans toutes les organisations de masse des ouvriers.
Les conséquences des fautes sectaires
Mais dans ce mouvement également les communistes ont commis nombre d’erreurs sectaires. Ils n’ont pas su implanter organiquement leur influence dans les organisations réformistes et parmi les ouvriers inorganisés. En organisant la lutte gréviste, les communistes ont renforcé l’esprit de la lutte de classe dans le prolétariat bien que la social-démocratie se prononçât pour la paix économique et prêchât le "mondisme"[16] et autres théories analogues. Cependant, les communistes ont souvent commis la faute de continuer la grève alors que la majorité des grévistes avaient déjà repris le travail. De la sorte, ils se sont assez souvent isolés des grandes masses ouvrières.
Au moyen du mot d’ordre de la direction indépendante des grèves par la minorité révolutionnaire, les communistes ont contribué à déclencher des grèves et à libérer le travail syndical-révolutionnaire des chaînes de l’appareil syndical réformiste. Mais en réalisant ce mot d’ordre on a négligé la tâche essentielle primordiale de la minorité révolutionnaire: assurer le ralliement de la majorité des ouvriers de l’entreprise à la déclaration de la grève et la formation d’un comité de grève indépendant, élu par les grévistes.
Bien que les communistes eussent raison de s’élever contre l’attitude aristocratique traditionnelle des réformistes à l’égard des inorganisés et de se prononcer pour l’entraînement des inorganisés dans les grèves, pour leur entrée dans les comités de grève, un certain nombre d’entre eux, en Allemagne surtout, se sont laisse aller à sous-estimer l’importance des ouvriers organises et 1 influence des syndicats réformistes non seulement sur les ouvriers organisés, mais aussi sur les inorganisés.
L’Internationale syndicale rouge a posé d’une manière juste la tache de briser la prétention de la bureaucratie syndicale réformiste de décider souverainement des luttes économiques, prétention dont elle n’usait que pour les empêcher. Mais la décision de la conférence de Strasbourg tenue au début de 1929[17] dépassait cet objectif en proclamant que "les comités de grève et les comités d’action ont pour tâche de préparer et de diriger d’une façon indépendante la lutte gréviste, malgré et contre la volonté des syndicats réformistes". Cela se rapporte également à la consigne donnée quʹ"aux élections des comités de lutte dans les lock-outs, ainsi que des comités de grèves et autres organismes de lutte, toutes les personnes liées à la social-démocratie et à la bureaucratie syndicale doivent être écartées comme briseurs de grève".
Les expériences des luttes ont également enseigné que les chefs syndicaux réformistes, sous la pression de l’état d’esprit des masses, de plus en plus favorables à la grève, n’ont pas toujours pu y opposer leur refus et que, par conséquent, la tactique du front unique était possible et nécessaire. Les opportunistes dans nos rangs soutenaient l’opinion qu’il fallait bien, dans la question de la grève, placer les bonzes syndicaux réformistes sous la pression de la masse des membres, mais que dans le cas où les chefs syndicaux refuseraient la grève, il fallait se soumettre à leurs décisions. Cette conception opportuniste devait, il va de soi, être combattue par nous. Mais c’était, d’un autre côté, une faute de supposer qu’il est opportuniste d’exercer en général une pression sur la bureaucratie syndicale réformiste à l’aide de la masse des membres, sens qu’on a donné en Allemagne, et plus tard dans d’autres pays également, à notre point de vue, contre le mot d’ordre brandlérien[18]: "Imposez votre volonté aux bonzes". La minorité révolutionnaire concentrait toute son attention sur la direction indépendante des grèves, mais perdait alors de vue la tâche de prendre part aux mouvements grévistes dirigés par les chefs syndicaux réformistes comme à un travail qui contribue à nous y faire conquérir une forte influence sur la majorité des ouvriers participant à ces mouvements grévistes.
En dépit de ces fautes sectaires, l’influence des communistes sur les masses des ouvriers organisés s’est très rapidement accrue. Aussi les chefs syndicaux réformistes, en Allemagne, en Angleterre et aux États-Unis, ainsi’ que dans divers autres pays, ont-ils commencé à exclure les communistes des syndicats.
Le Parti communiste allemand adopta, pour combattre ces mesures, une tactique de combat tout à fait juste en recommandant à ses adhérents de signer les engagements proposés par les chefs syndicaux réformistes concernant la soumission à la discipline syndicale, afin de conserver ainsi la possibilité de rester dans les syndicats. L’indignation croissante des ouvriers révolutionnaires contre les exclusions et contre la politique réformiste scissioniste poussa maints militants communistes à poser la revendication, pseudo-radicale, mais absolument sectaire, de la cessation du versement des cotisations. Les chefs syndicaux réformistes en profitèrent naturellement aussitôt pour procéder avec plus de vigueur encore à l’exclusion de l’opposition. Une politique scissioniste analogue fut pratiquée par les réformistes aussi dans les organisations sportives et éducatives.
Cette politique des réformistes exigeait une consolidation organique de l’opposition syndicale révolutionnaire, surtout en Allemagne et en Pologne. Et, en effet, en 1928-1929, on obtint quelques succès. Mais, en même temps, on commit de nouveau une faute sectaire en transformant l’O.S.R.[19] en de nouveaux syndicats et en s’isolant ainsi de la masse principale des syndiqués réformistes. Une autre faute, ce fut pour nos sections dans d’autres pays, de reprendre cette décision du P.C.A. d’une façon mécanique sans tenir compte de la situation concrète, toute différente de leur pays.
L’exemple de sectarisme le plus criant dans le mouvement syndical fut fourni par l’Angleterre où, devant les violences des attaques des membres droitiers du Conseil général et les hésitations des chefs syndicaux de gauche, les communistes usèrent d’une tactique si maladroite et si sectaire que le mouvement minoritaire fut en proie à une désagrégation réelle. Les communistes qui s’orientaient vers la direction indépendante des luttes économiques, par suite des erreurs de droite commises précédemment et de l’implantation organique insuffisante du mouvement minoritaire, se mirent à transférer le centre de gravité de leur activité des groupes syndicaux, sur les membres individuels, et des syndicats, sur les inorganisés, opposant leurs forces insignifiantes à l’ensemble du mouvement syndical. Ces fautes s’aggravèrent encore du fait que les communistes considéraient le mouvement minoritaire comme les embryons de nouveaux syndicats, qu’ils cessaient de recruter des ouvriers pour les syndicats et qu’ils les appelaient à adhérer au mouvement minoritaire. On doit se rappeler que ces fautes ont été commises par nos camarades dans un pays où les syndicats réformistes possèdent les traditions les plus anciennes. Il ne pouvait manquer d’en résulter un isolement des communistes d’avec le mouvement syndical en général, et de ce fait une désagrégation du mouvement minoritaire. C’est à grand’peine seulement que nos camarades anglais, qui se sont rendus compte de leurs erreurs et qui ont modifié leur tactique en conséquence, parviennent à regagner leur influence dans le mouvement syndical.
C’est précisément parce qu’ils ont sous-estimé la force des traditions qui lient les masses aux vieilles organisations syndicales, parce qu’ils ont transféré le centre de gravité de notre activité sur le renforcement des syndicats rouges et le développement de l’opposition syndicale révolutionnaire que les communistes, durant quelques années, ont négligé le travail dans les syndicats réformistes, bien que ce travail fût parfaitement possible. Ce fait devait naturellement avoir des répercussions tout à fait fâcheuses sur l’extension de notre influence parmi les masses syndicalement organisées.
II n’en reste pas moins que ce sont les communistes qui, dans la période précédant la crise, alors que la grève économique constituait la principale forme du développement de la lutte de classe, ont été les principaux promoteurs et chefs de la lutte gréviste dans nombre de pays. Les Partis communistes, durant ce temps, se sont raffermis politiquement et leur influence idéologique sur les masses s’est considérablement élargie. Mais ils n’étaient pas encore devenus une force capable d’utiliser dans toute son ampleur, pour la lutte de classe du prolétariat, la nouvelle situation qui s’était constituée avec le début de la crise économique.
Et c’est ainsi que j’en arrive au second secteur de lutte durant la période envisagée, comprenant le mouvement révolutionnaire durant les années de la plus grande acuité de la crise.
II. ‑ Le mouvement révolutionnaire durant les années de la plus grande acuité de la crise
En automne 1929, commença aux États-Unis la crise industrielle qui se combina à la crise agraire dans les pays agricoles et à la crise dans les colonies et qui gagna avec une rapidité inusitée le monde capitaliste tout entier.
Cette crise jeta les masses travailleuses dans une misère inouïe. Des millions et des millions d’ouvriers et d’employés furent renvoyés des usines, des puits et des bureaux. Selon les statistiques du bulletin du Bureau international du travail près de la Société des nations, le nombre des chômeurs, rien que dans 34 pays industriels, est passé de 6.538.000, en 1929, à 29.042.000, en 1932. Aux États-Unis, en 1932, selon les statistiques officielles, il y a eu 12 millions de chômeurs et, selon les statistiques de l’institut Hamilton, même 17 millions. En Allemagne, le nombre des chômeurs atteignit, selon les statistiques officielles, 7 millions en 1932.
Les salaires des ouvriers occupés ont diminué dans tous les pays. Des millions d’ouvriers ont été réduits au chômage partiel et leurs salaires ont diminué proportionnellement. Les ouvriers qualifiés ont été ramenés au niveau d’existence des ouvriers non qualifiés; les ouvriers occupés à celui des chômeurs.
En Allemagne, selon l’Office gouvernemental de statistique, la somme globale des salaires des ouvriers, employés et fonctionnaires serait descendue de 44,5 milliards de marks en 1929 à 26 milliards en 1932. La somme globale des salaires est tombée, aux États-Unis, de 17,2 milliards de dollars en 1929 à 6,8 milliards en 1932.
Nul ouvrier ou employé, dans aucun pays capitaliste, n’était plus sûr du lendemain. Des millions de travailleurs souffraient de la faim et du froid et sont devenus des mendiants et des sans-abri, passant la nuit sur les bancs des parcs, sur les places ou sous les ponts. La classe ouvrière, créatrice de toutes les richesses de la société moderne, sombrait dans une détresse de mémoire d’homme inconnue.
Cependant, toute la misère et la détresse des paysans travailleurs n’est pas moindre que celle de la classe ouvrière. Pour rançonner les grandes masses paysannes, le Capital monopoliste, les trusts et les banques compriment les prix des produits agricoles, livrés par les paysans, tout en maintenant les prix des marchandises industrielles. Les banques font impitoyablement rentrer les intérêts de leurs prêts et de leurs dettes hypothécaires. Le fardeau des impôts est toujours plus lourd, parce que l’État subventionne les banques et les trusts en faillite.
Cette politique de rançonnement de la paysannerie accélère la décadence de l’économie paysanne, ruine totalement des dizaines de milliers d’exploitations paysannes et condamne des millions d’autres exploitations à végéter lamentablement. Dans certains pays, des éléments de féodalisme sont réintroduits et consolidés. Les couches les plus pauvres de la paysannerie sont victimes des usuriers. L’huissier est devenu lʹ"hôte" permanent de la maison du paysan. Des régions agricoles entières de la Pologne, du nord-est du Japon, de l’Ukraine carpathique sont en proie à la famine. Une partie considérable des farmers américains est dans la misère.
La situation paraît d’autant plus atroce lorsqu’on pense que dans tous les pays, les magasins et les entrepôts regorgent de grains, que les locomotives sont chauffées avec du blé, que l’on jette des sacs de café à la mer, tandis que les paysans producteurs de ces denrées végètent et meurent de faim.
La petite bourgeoisie des villes est dans la même situation. Les trusts et les gros capitalistes profitent de sa paupérisation pour s’emparer de ce qu’elle possède. Les intellectuels petits-bourgeois perdent toujours davantage leurs possibilités d’existence. Des milliers d’instituteurs, de médecins, d’avocats et plus particulièrement d’ingénieurs et d’agronomes, restés sans place, végètent misérablement. Capacités et connaissances perdent toute signification du moment que les capitalistes n’en peuvent plus tirer de profit.
Mais la situation des peuples des colonies et. des pays dépendants est encore plus désespérée. Ils sont ruinés par la chute encore plus grande des prix des produits de leur travail sous la pression des monopoles impérialistes et par les prix élevés des marchandises industrielles. Des centaines de millions de paysans coloniaux souffrent de la faim; des épidémies que jadis l’on croyait disparues, éclatent avec une nouvelle virulence el déciment les populations physiquement épuisées. Les chômeurs endurent une faim horrible en Chine, dans l’Inde, dans l’Indochine et en Afrique, sans recevoir le moindre secours.
La rapacité de la bourgeoisie impérialiste qui n’a nul égard pour les masses affamées, déclenche parmi les travailleurs une vague montante toujours plus forte de mouvements contre leurs exploiteurs et leurs bourreaux. Et ces mouvements menacent de plus en plus la domination des impérialistes dans les colonies et dans les pays dépendants.
La bourgeoisie impérialiste cherche une issue dans la guerre et le fascisme
La bourgeoisie impérialiste ne peut se limiter au rançonnement des masses travailleuses de son propre pays et des possessions coloniales dont elle s’est emparée. L’aggravation des luttes de classes, le resserrement des profits, les faillites, la régression du commerce extérieur l’incitent à préparer la guerre pour accroître ses profits par la conquête et le pillage de pays étrangers. Cette préparation de la guerre vise en même temps et en premier lieu la destruction de l’Union soviétique ‑ foyer, base et rempart de la révolution prolétarienne. Et voilà que commence une course frénétique aux armements.
Le Japon s’empare de la Mandchourie[20] pour en faire une base d’opérations pour la guerre contre l’Union soviétique. Pour soumettre la Chine à son influence, il a rasé Chapeï, le faubourg prolétarien de Changhaï. La guerre éclate entre le Paraguay et la Bolivie[21].
En Allemagne, les éléments les plus chauvins, les plus nationalistes et les plus réactionnaires du Capital financier instaurent la dictature du fascisme. Ils propagent le "mythe du sang et de l’honneur", la "théorie des races", cette théorie de l’impérialisme allemand avide de guerres. Ils prêchent la croisade contre l’Union soviétique et l’extermination du marxisme dans le monde entier.
L’impérialisme italien prépare l’annexion de l’Abyssinie, créant ainsi un nouveau foyer de guerre.
En effet, la bourgeoisie est prête aux crimes les plus sanguinaires, les plus féroces, les plus affreux, pour accroître ses profits, ou plus encore pour les empêcher de diminuer.
Pourtant l’essor révolutionnaire croissant, la sympathie toujours plus grande des masses travailleuses pour l’Union soviétique comme, d’autre part, le rançonnement sans précédent des masses, les armements insensés pour une nouvelle guerre et l’organisation des forces fascistes par la bourgeoisie montrent que de formidables batailles de classes approchent, révélant en même temps la faiblesse de la bourgeoisie.
Les premiers indices de l’approche de ces luttes apparaissaient déjà en 1930 et 1931. En Espagne, le puissant mouvement spontané des masses a renversé la dictature fasciste au printemps de 1931 et chassé le roi Alphonse. La révolution bourgeoise démocratique espagnole a commencé.
En Chine, une nouvelle vague de la révolution agraire et anti impérialiste a déferlé et son expression a été la création de Soviets et la formation d’une puissante Armée rouge.
En Indochine, les masses paysannes se sont soulevées pour secouer le joug impérialiste.
Mais le système impérialiste a été également ébranlé profondément dans les plus grands pays impérialistes. La 11e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. a pu constater, dès le printemps de 1931, qu’en Allemagne mûrissent les prémices de la crise révolutionnaire et que grandissent en Pologne les éléments de la crise révolutionnaire[22]. La 12e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. a constaté, pendant l’automne de 1932, que la stabilisation partielle temporaire du capitalisme avait pris fin et qu’on s’engageait dans un nouveau cycle de révolutions et de guerres[23].
La 12e Assemblée plénière, pour faire cette constatation, s’est basée sur les nouveaux progrès de l’essor révolutionnaire, sur la maturation de la crise révolutionnaire en Allemagne et en Pologne, sur les révolutions en Chine et en Espagne sur le déclenchement de l’offensive japonaise contre la Chine. Elle s’est basée aussi sur l’ébranlement profond du système de Versailles, sur la rupture de l’entente des pays vainqueurs contre l’Allemagne, ainsi que sur la rupture de l’entente de l’Angleterre, du Japon, des États-Unis et de la France pour l’exploitation commune de la Chine. À cela s’ajoutait encore la maturation d’une nouvelle guerre impérialiste, simultanément au développement de la puissance politique, économique et militaire de l’Union soviétique.
La classe ouvrière cherche une issue dans la révolution.
L’Internationale communiste a montré à tous les travailleurs que dans l’Union soviétique la dictature du prolétariat a fait disparaître le chômage dans les villes et le paupérisme dans les campagnes, que la situation des masses travailleuses s’y améliore chaque jour, que le socialisme y a triomphé.
L’Union soviétique a montré aux masses travailleuses l’unique voie à suivre pour sortir de la misère, de la détresse et des souffrances inouïes. C’est la voie salvatrice pour échapper au fascisme et à la guerre.
Faire mieux comprendre aux masses travailleuses du monde entier ce formidable exemple que l’Union soviétique leur a donné, leur inculquer à fond la grande leçon de cet exemple, les en imprégner jusqu’à la moelle, telle fut la tâche que l’Internationale communiste posa à ses sections.
Cet exemple devait signifier que les travailleurs doivent rompre avec toutes les théories charlatanesques bourgeoises et social-démocrates qui veulent faire croire à la classe ouvrière que du moment que les crises sont inhérentes au capitalisme, la classe ouvrière doit en supporter humblement toutes les charges; qui font croire aux masses travailleuses que du moment que les guerres sont inhérentes au capitalisme, il leur est impossible de les empêcher; qui veulent faire croire aux masses travailleuses que du moment que le développement du capitalisme pourri conduit au fascisme, celui-ci est inévitable.
La tâche tactique immédiate, durant la crise, était d’organiser la lutte pour empêcher que le fardeau de cette crise fût rejeté sur le dos des masses en proie à la faim et au froid. Le point stratégique essentiel de cette lutte se trouvait en Allemagne.
Mais la classe ouvrière s’engageait divisée dans cette lutte. La social-démocratie, le plus ancien et le plus grand parti ouvrier, était rongé par la rouille réformiste et, dans les conditions de la crise, elle se plaçait sur le terrain de la collaboration de classe avec la bourgeoisie. Seul, le Parti communiste, relativement jeune, ayant dans beaucoup de pays une influence encore insuffisante, se plaçait sur le terrain de la lutte de classe intransigeante.
Collaboration de classe avec la bourgeoisie ou lutte de classe. Cette question déchirait encore les rangs du prolétariat et affaiblissait ses forces.
Les communistes marchaient à la tête de nombreuses actions, petites et grandes, des ouvriers et des paysans et les appelaient à la lutte. La social-démocratie déclarait au contraire que la lutte contre les licenciements et la réduction des salaires est un non-sens en temps de crise.
La lutte des chômeurs
Les communistes parvinrent dans un certain nombre de pays, en dépit de la social-démocratie, à porter à un niveau élevé le mouvement des chômeurs, les masses les plus déshéritées parmi les travailleurs. Dans les pays où les ouvriers sont assurés par l’État contre le chômage, tels que l’Allemagne, l’Angleterre, la Pologne, la Tchécoslovaquie, l’Autriche, les communistes étaient à la tête de la lutte contre l’aggravation du système d’assurances, contre la réduction du taux de secours, contre la réduction du temps pendant lequel les chômeurs ont droit aux secours, contre le remplacement des secours de chômage par les secours de crise. Aux États-Unis, où il n’existe aucun système d’assurance publique contre le chômage, les communistes ont engagé une campagne pour la création d’assurances de ce genre; ils ont élaboré un projet d’assurance contre le chômage; ils ont organisé, pour l’appuyer, des manifestations, des meetings, des congrès et ont acquis, ce faisant, le concours des syndicats et des intellectuels d’avant-garde.
Dans tous les pays, les communistes ont été à la tête de la lutte contre l’expulsion de leur logement des chômeurs qui ne peuvent pas payer leur loyer, pour des secours supplémentaires des municipalités, en argent et en nature: pommes de terre, charbon, etc.
Cette lutte a été extrêmement difficile. C’est seulement en créant tout un réseau d’organisations de chômeurs et en faisant de grandes manifestations, où il y a eu bien souvent de violentes collisions avec la police, qu’on parvint à arracher à l’État bourgeois et à ses organismes des concessions en faveur des chômeurs.
Grâce à cette lutte, on a réussi dans nombre de pays à soulager le sort d’une partie des chômeurs et à opposer une sérieuse résistance à l’aggravation de la législation sociale, sans parvenir cependant à empêcher de telles aggravations.
Si, malgré l’acharnement de la lutte de la partie la plus avancée des chômeurs, on n’est pas arrivé à intensifier encore davantage ce mouvement et à en faire la lutté des grandes masses de travailleurs, si le mouvement des chômeurs a même faibli en 1932 dans la plupart des pays, la cause réside, nous semble-t-il, dans les faits suivants:
1. Le sabotage criminel et la lutte directe des chefs de la social-démocratie contre les revendications et contre le mouvement des chômeurs ont empêché d’obtenir une amélioration sensible du sort des grandes masses de chômeurs, ce qui a provoqué parmi eux de la déception et de la passivité.
2. La social-démocratie a empêché que le mouvement des chômeurs soit appuyé par les mouvements de grèves des ouvriers qui travaillent, et ceux-ci sont restés passifs devant la misère, la détresse, la faim dont souffraient les chômeurs.
3. Nous n’avons réussi à entraîner dans la lutte active qu’une partie peu considérable, 10 à 20 % des chômeurs, tandis que la majorité restait passive.
4. On n’a pas expérimenté toutes les formes et toutes les méthodes de lutte oui auraient pu agiter davantage l’opinion publique et gagner davantage la sympathie de tout le peuple à la lutte des chômeurs. On ne pouvait y parvenir seulement par des manifestations politiques qui n’avaient d’ailleurs pas de but concret. Nous nous souvenons tous de la grande impression que les marches de la faim en Angleterre et aux États-Unis ont produite dans le monde entier. Mais l’impression sur toute l’opinion publique aurait été beaucoup plus grande si vraiment la totalité des chômeurs affamés était descendue dans la rue avec femmes et enfants en exigeant tout simplement du pain et des secours.
5. Les communistes n’ont pas su non plus populariser des mots d’ordre qui, par leur contenu concret, auraient pu mobiliser les chômeurs pour la lutte contre le Capital et lier également à cette lutte les masses des ouvriers qui travaillent.
Il s’agit de revendications telles que confisquer les stocks au profit des chômeurs, imposer spécialement les capitalistes, mise en régie des entreprises qui ferment ou qui licencient leur personnel, et d’autres analogues. Les communistes ont bien lancé de telles revendications dans quelques pays mais, le plus souvent ils ne l’ont pas fait au moment opportun, leur popularisation n’a pas été faite dans d’assez larges proportions et surtout on n’a pas lutté assez sérieusement pour elles.
6. On n’a pas trouvé non plus tous les moyens possibles de faire secourir les chômeurs par l’État et les organismes publics. Je ne veux citer qu’un exemple tiré de l’Union soviétique. Lorsque, en 1921, la famine sévissait dans l’Union soviétique, les masses populaires ont forcé le clergé de l’Église chrétienne, le plus réactionnaire, à céder, pour secourir les affamés, l’or et l’argent qu’il avait amassés. De même, les masses populaires auraient dû exiger que les possédants, l’Église et l’État, en Allemagne, aux États-Unis, en Autriche, en Pologne, et dans les autres pays, ouvrissent leurs trésors aux chômeurs mourant de faim.
Il est hors de doute aussi que la position fataliste de la social-démocratie soutenant qu’il n’y a rien à faire contre la force élémentaire de la crise, a influencé tout le prolétariat. Il y a eu dans la direction du mouvement des chômeurs beaucoup trop de simple agitation et pas assez d’initiative pour l’organisation d’une lutte réelle. Les communistes qui avaient bien su organiser des milliers et des dizaines de milliers de chômeurs, n’avaient pas encore acquis l’aptitude nécessaire pour en gagner des millions au mouvement.
Telle fut la raison pour laquelle en Allemagne une partie des chômeurs a donné dans le piège des fascistes lorsque ceux-ci ont ouvert leurs soupes populaires pour chômeurs, s’est laissée séduire par leur propagande de la "communauté du peuple", se détournant ainsi de la lutte révolutionnaire. L’activité du mouvement a aussi faibli dans d’autres pays.
Le mouvement de grèves
Je passe maintenant au mouvement de grèves durant la crise. Si les communistes n’ont pas réussi, durant les premières années de la crise, de 1930 à 1932, à entraîner les ouvriers d’entreprises dans les grèves, si ceux-ci sont restés sourds aux appels des communistes à la grève, la cause en fut dans le sabotage de chaque mouvement de grève par les chefs syndicaux réformistes, dans la conception social-démocrate qu’on ne peut pas faire grève en temps de crise. De plus, l’exclusion en masse des communistes des syndicats avait considérablement affaibli leur influence dans les entreprises sur les ouvriers syndiqués.
Mais, finalement, les ouvriers commencèrent en 1932 dans nombre de pays, à entrer plus fréquemment et spontanément en lutte. Ce désir croissant des masses de recourir à la grève obligea les chefs syndicaux à s’y résigner et même à se mettre à leur tête.
En Pologne, 50.399 ouvriers seulement ont fait grève en 1930 contre la réduction des salaires, le licenciement des ouvriers et la fermeture des usines; il y en avait, en 1931, 106.985, déjà, en 1932, 313.934 et, en 1933, 458.399. Dans certains cas, les grévistes ont occupé les usines, dans lesquelles ils se sont barricadés pour empêcher la fermeture des établissements et le licenciement des ouvriers. Cet acharnement extrême des ouvriers polonais a forcé dans bien des cas les patrons à renoncer à la réduction des salaires et aux licenciements. Les communistes prirent une part éminente dans l’organisation de ces luttes. On a ainsi prouvé à la classe ouvrière qu’il est possible, même en temps de crise, de repousser l’offensive du Capital, ce qui a, en même temps, accru la combativité des ouvriers et augmenté le prestige des communistes en tant qu’organisateurs de la lutte.
En Angleterre, dès le début de la crise, la classe ouvrière a opposé une résistance considérable à l’offensive du capitalisme. En 1930, 307.000 ouvriers ont fait grève; en 1931, 490.000; en 1932, 379.000. Environ le quart des grèves s’est terminé à l’avantage des ouvriers et 34 % environ par un compromis. Là aussi, il a été prouvé que l’on peut victorieusement faire grève en temps de crise.
Mais dans d’autres pays, où la crise a été particulièrement profonde, comme en Allemagne et aux États-Unis, la classe ouvrière, durant les premières années de la crise, n’a pas été à même d’opposer par la grève une résistance quelque peu sérieuse à la réduction des salaires. C’est en 1933 seulement que le mouvement de grèves a commencé à prendre son essor aux États-Unis, avec 774.763 grévistes. En Allemagne, le mouvement de grèves n’a éclaté qu’en automne 1932, après la période de calme général, avec la formidable grève des ouvriers des transports de Berlin, qui acquit une grande importance politique. Mais cette grève fut étranglée également par les social-démocrates.
Il s’avéra, comme les communistes l’avaient prédit aux ouvriers dès le début de la crise, que la politique et la stratégie social-démocrates entraînaient la paralysie des forces combatives du prolétariat et, partant, une aggravation énorme de sa misère. Il en fut ainsi parce que les ouvriers n’avaient pas répondu aux appels des communistes à la lutte contre la réduction des salaires et les licenciements, à la lutte pour le maintien et l’augmentation des secours de chômage, permettant ainsi aux capitalistes d’aggraver encore davantage la situation des travailleurs et d’améliorer la leur à leurs dépens.
En dépit de cette politique de la social-démocratie visant à empêcher de grandes luttes, des groupes avancés de travailleurs engagèrent sans cesse la lutte politique contre le Capital, montrant ainsi la voie juste à des millions et des millions de travailleurs.
Il suffit de rappeler les grandes manifestations du 6 mars 1930, d’environ un million de chômeurs aux États-Unis[24], la série de grandes manifestations en Allemagne en 1930 et 1931, l’imposante manifestation de chômeurs à Budapest le 1er septembre 1930[25], la grève des farmers aux États-Unis en 1932, la grande marche des vétérans de la guerre sur Washington, en 1932, la révolution espagnole du 14 avril 1931 [26], la grève de la marine de guerre anglaise le 14 septembre 1931 à Invergordon[27], la révolte de la marine de guerre au Chili en septembre 1931 [28], les soulèvements de paysans en Ukraine occidentale en 1932 [29], la mutinerie du navire de guerre hollandais De Zeven Provincien (les Sept Provinces) en février 1933[30].
Les lacunes dans l’organisation de la lutte de masse des travailleurs
Mais pourquoi ces mouvements politiques impétueux des travailleurs n’ont-ils jeté qu’une vive flamme sans résultats sérieux pour la lutte libératrice? Pourquoi n’ont-ils pas tourné en une lutte politique de masse contre l’État bourgeois?
Les causes en résident dans quatre faiblesses essentielles:
1. Ces mouvements étaient pour la plupart spontanés, sans préparation sérieuse, sans rassemblement organique de toutes les forces, sans objectif concret. Une petite partie seulement de ces mouvements se sont déclenchés a l’appel du Parti communiste.
2. Le Parti communiste s’est bien efforcé de donner à ces mouvements des mots d’ordre concrets, de les élargir, de les porter à un niveau plus élevé de la conscience politique des masses. Mais la social-démocratie et les syndicats réformistes s’y sont opposés de toutes leurs forces. Les Partis communistes n’étaient pas encore assez forts et assez influents pour organiser les masses qui engageaient spontanément la lutte politique et leur donner une solide direction.
3. À ces mouvements ont pris part communistes, social-démocrates et inorganisés. Ces masses entrées spontanément dans la lutte n’auraient pu garder leur cohésion et être conduites plus avant dans la lutte que si l’on avait créé un front unique entre les organisations communistes et social-démocrates. Mais la social-démocratie s’opposait à un tel front unique et l’a rendu impossible. Il eut fallu aussi constituer des organismes permanents, élus par les masses, composés de communistes, de social-démocrates et de sans-parti pour diriger la lutte, des organismes possédant une autorité assez .grande pour entraîner dans la lutte des masses toujours plus grandes et, en même temps, assurer à tout le mouvement une direction révolutionnaire. Or, de tels organismes n’ont pas été créés.
4. L’idée de tels organismes permanents a bien surgi dans le mouvement des chômeurs. Mais les comités de chômeurs de villes et de quartiers, créés çà et là par les communistes, n’avaient ni une base assez large ni assez d’autorité dans les masses pour accomplir cette grande tâche. Ils n’ont été nulle part un centre politique tant soit peu considérable, un centre d’attraction de la sympathie de tous les travailleurs, ils ne sont pas devenus la chose de toute la classe. Les communistes n’ont pas tenté une seule fois d’une façon sérieuse de faire comprendre aux travailleurs le sens et l’importance de ces organismes. Il en est résulté que la bourgeoisie et la social-démocratie ont pu les faire passer pour des organisations "sans responsabilité", occasionnelles, ou pour des instruments du Parti communiste, et affaiblir ainsi leur influence sur les ouvriers non communistes.
Les Partis communistes, dans les conditions de la crise, avaient à assumer une grande et difficile tâche dans la conduite des masses; les communistes devaient compter avec les millions de travailleurs et chercher à entraîner dans le front de lutte toutes leurs couches. Cette tâche était d’autant plus difficile à accomplir que les Partis communistes, dans la plupart des pays, étaient avant la crise, des organisations numérique ment faibles, exerçant une influence sur une couche relativement étroite d’ouvriers.
Le changement rapide de la situation, ainsi que la croissance immense du mécontentement des masses, les progrès du danger fasciste et de la menace de guerre nécessitèrent de la part des communistes un contrôle constant de la situation, du rôle des différents partis, groupes ou personnes, le lancement en temps opportun de mots d’ordre répondant aux situations modifiées. Cette complexité de la situation exigeait aussi un formidable travail d’organisation. Dans l’accomplissement de ces tâches, les communistes fournirent plus d’un exemple éclatant de travail exemplaire. Mais avec le développement politique précipité et compliqué, leurs mots d’ordre venaient parfois trop tard, ils n’appréciaient pas toujours d’une façon juste le rapport des forces de classe, ils persistaient parfois sur des mots d’ordre et sur des méthodes de lutte qui, encore justes peu de temps auparavant, se trouvaient déjà périmés une fois la situation changée.
Les Partis communistes se sont bien assimiles les constatations importantes du 6e congrès mondial, qu’un nouvel essor révolutionnaire est en train de grandir. Mais, bien des fois, ils ne se sont pas suffisamment représentés que l’essor révolutionnaire n’est pas séparé de la crise révolutionnaire par une muraille de Chine. Maintes fois, ils se sont fait une idée par trop simpliste de la façon dont les masses ouvrières rompront avec leurs vieux chefs réformistes et se rallieront à la lutte révolutionnaire.
Toujours être avec les masses, à la tête des masses.
Dans un certain nombre de cas, les communistes ont surestimé la maturité politique des masses et ont pensé qu’on n’avait plus besoin d’un travail difficile et opiniâtre pour apprendre aux masses la lutte politique et les convaincre de sa nécessité. Ils ont pensé qu’il suffisait de populariser le pouvoir soviétique, d’expliquer aux masses le programme que les communistes réaliseront après la prise du pouvoir pour inciter aussitôt les ouvriers à les suivre. Ces idées erronées ont fait que certains Partis communistes sont devenus temporairement de simples organismes de propagande de notre programme au lieu de lier a la propagande du programme la tâche de lancer en temps opportun dans les masses des mots d’ordre qui les mobilisent a retape donnée de la lutte.
Ces conceptions erronées de beaucoup de communistes sont apparues notamment dans la question syndicale et dans le développement de la lutte économique. Les communistes exclus des syndicats réformistes ont pris une attitude hostile à ces derniers, s’imaginant que plus nous combattrions les syndicats réformistes pour leur passivité, leur sabotage des grèves leur réformisme, et plus vite les masses rompraient spontanément avec eux pour passer aux petites organisations syndicales de cadres des communistes.
Les communistes avaient oublié ce que le camarade Staline avait dit le 9 mai 1925 à la réunion des militants de Moscou[31]:
Si les Partis communistes veulent devenir une véritable force de masse qui soit capable de faire avancer la révolution, il faut qu’ils se lient aux syndicats et s’appuyent sur eux.
Le camarade Staline avait signalé que certains communistes[32]:
…ne comprennent pas que les simples ouvriers, membres des syndicats, que ceux-ci soient bons ou mauvais, voient en eux les forteresses qui les aident à défendre leur salaire, leur journée de travail, etc.
C’est précisément pendant la crise où s’abattit une grande misère sur les masses travailleuses que le simple ouvrier sentit d’une façon particulièrement forte que son syndicat, si mauvais qu’il pût être, n’en était pas moins en état de défendre ses droits et de lui assurer une aide matérielle, fût-ce minime, que ce syndicat n’en constituait pas moins une certaine force, et c’est pour cette raison qu’il ne voulait pas rompre avec lui.
Dans un certain nombre de pays, les communistes ont commis la faute de ne pas tenir compte de cet état d’esprit des masses, de ne pas travailler dans les syndicats et aussi de ne pas savoir changer à temps leur attitude envers eux, de ne pas savoir passer du front unique seulement par en bas au front unique avec les organisations. En Allemagne, au moment de l’offensive du fascisme, certains communistes ont même parlé de la nécessité de "détruire" les syndicats réformistes, contribuant ainsi à isoler les communistes des ouvriers organisés.
Aux États-Unis, les communistes ont déclaré pendant longtemps que la Fédération américaine du travail (American Federation of Labour) était une organisation purement capitaliste, de briseurs de grèves, ne voyant que son leader Green[33], et ignorant les ouvriers.
La 12e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. en automne 1932 a condamné la conception assez répandue que les "syndicats sont une école du capitalisme". Ce n’est qu’en automne 1932 que le Parti communiste allemand a donné aux communistes la consigne de défendre les organisations ouvrières et leurs biens, ce qui eut pour effet de provoquer parmi tous les adhérents des syndicats, des coopératives et du Parti social-démocrate, de grandes sympathies pour les communistes. C’est d’une façon bien plus tardive encore et même en Allemagne seulement après la prise du pouvoir par Hitler, que les communistes ont donné le mot d’ordre clair: "Défense des syndicats libres", puis, plus tard: "Rétablissement des syndicats libres". Il fallut beaucoup de temps pour que les communistes comprissent dans d’autres pays la grande importance du travail dans les syndicats.
Une faute aussi grande que celle de sous-estimer le danger fasciste fut, d’autre part, de voir le fascisme même là où il n’existait pas encore. Cette faute venait de ce que certains publicistes communistes avaient interprété d’une façon mécanique ce que signalait le 6e congrès, à savoir que la bourgeoisie cherche à se servir de plus en plus des méthodes de domination fasciste.
En Allemagne, les communistes ont pensé assez longtemps que le gouvernement Hermann Muller[34] réalisait la fascisation, que le gouvernement Brüning[35] était déjà un gouvernement de dictature fasciste. D’autre part, ils ont sous-estimé le mouvement hitlérien, s’imaginant qu’en un pays comme l’Allemagne, où la classe ouvrière était organisée à un degré élevé, il serait impossible aux hitlériens de prendre le pouvoir et que les masses petites-bourgeoises qui affluaient spontanément aux hitlériens leur tourneraient aussi rapidement le dos.
En Autriche, le gouvernement Schober a été qualifié encore en 1929 de gouvernement fasciste. En Tchécoslovaquie, le groupe Masaryk-Benès a été traité par les communistes de groupe fasciste. Il y a encore nombre d’autres exemples de telles conceptions erronées.
Ces conceptions erronées de la nature du fascisme, cette absence d’une analyse sérieuse du fascisme italien et polonais ont fait que les communistes n’ont pas été capables de lancer à temps des mots d’ordre pour défendre, contre le fascisme passé à l’attaque, ce qui restait encore de démocratie bourgeoise et d’exploiter les antagonismes au sein de la bourgeoisie.
En Allemagne, c’est seulement à l’élection de la présidence à la Diète prussienne en 1932 que les communistes ont déclaré qu’ils voteront pour les candidats de la social-démocratie et du centre pour empêcher l’élection des fascistes.
Même en Pologne où, après 1926, les communistes se sont livrés plus que dans beaucoup d’autres pays à l’étude du fascisme et ont lancé dans les masses des mots d’ordre de lutte contre la destruction des restes des libertés démocratiques bourgeoises, lorsque le bloc "centriste des gauches" a été créé les communistes n’ont pas été capables d’exploiter les divergences entre le camp gouvernemental et le camp de l’opposition bourgeoise-démocratique.
Ces fautes provenaient de l’idée absolument fausse que tous les partis bourgeois sont fascistes, "qu’il n’y a pas deux méthodes de domination de la bourgeoisie", qu’il ne sied pas aux communistes de défendre les restes de la démocratie bourgeoise. Tant que nous ne pouvons pas remplacer la démocratie bourgeoise par la démocratie prolétarienne, par la dictature du prolétariat, le prolétariat est intéressé à tout lambeau de la démocratie bourgeoise et doit s’en servir pour préparer les masses au renversement du Capital, à la conquête de la démocratie prolétarienne.
De telles conceptions sectaires, qui n’ont rien de commun ni avec les enseignements de Marx, Engels, Lénine, Staline, ni avec les décisions du 6e congrès de l’I.C., ont freiné les progrès de l’influence des Partis communistes et empêché notamment la conquête des ouvriers social-démocrates à la lutte commune.
Il est impossible, si l’on n’extirpe pas ces conceptions sectaires, de former le front unique avec les ouvriers social-démocrates ni de créer le large front populaire avec celles des masses travailleuses qui se tiennent encore éloignées des communistes et qui, cependant, peuvent lutter de concert avec nous contre le fascisme et la guerre, contre l’offensive du Capital, pour leurs revendications partielles et pour la défense des restes de démocratie bourgeoise.
La lutte pour les alliés du prolétariat
À cette étape de notre lutte, le caractère rétrograde de notre action pour la conquête des alliés du prolétariat parmi les paysans et la petite bourgeoisie des villes se fit sentir avec une force extraordinaire. Nous avons bien triomphé de la sous-estimation de principe et du mépris corporatif des vieux partis social-démocrates pour les masses petites-bourgeoises, selon lesquels le prolétariat ne saurait se commettre avec les masses petites-bourgeoises. Néanmoins, dans la plupart des pays, abstraction faite de la Pologne et des Balkans, les communistes, jusqu’au moment de la crise, n’ont guère été au delà de la simple reconnaissance de principe de la nécessité du travail dans les masses petites-bourgeoises des villes et des campagnes.
En Pologne, les communistes possèdent depuis longtemps une influence considérable dans la partie avancée des paysans, qui souffrent des vestiges du féodalisme ainsi que du manque de terres. Le Parti communiste polonais a lutté pour la conquête des masses paysannes sous le mot d’ordre: "Toute la terre aux paysans", et, en même temps, il a lancé des revendications partielles telles que, par exemple: "Pas un sou d’impôt au gouvernement fasciste", "Contre le remembrement fasciste des terres", "Contre la suppression des droits d’usage", "Contre la corvée des routes" (charvarka), et "Contre le système des paiements en travail". Ces revendications étaient très populaires dans les masses, mais elles peuvent, de par leur nature, à peine être considérées comme des revendications partielles. Elles avaient pour but principal de pousser les paysans à des collisions directes avec le pouvoir d’État. Une fois la crise révolutionnaire survenue, quand le prolétariat s’engagerait dans la lutte, le mouvement paysan pourrait, sous ces mots d’ordre, apporter un sérieux renfort au prolétariat. Mais lorsque, après l’insurrection paysanne en Galicie centrale, une régression du mouvement paysan se fit sentir et que le prolétariat n’apporta pas à la lutte le concours nécessaire, il eût été du devoir du Parti de transférer le centre de gravité sur des revendications partielles, telles qu’elles eussent été capables de mener à la lutte les plus grandes masses paysannes.
Souvent, les communistes n’ont pas eu, dans leur tactique, assez de souplesse pour réaliser, malgré la menace d’expéditions punitives, des succès partiels en faveur des paysans par la diminution des paiements en travail, de la corvée des routes, etc., et conserver ainsi leur influence sur les masses paysannes et leurs organisations en vue de la lutte ultérieure.
Dans les pays où la paysannerie, durant la crise, à la suite de la misère qui s’était abattue sur elle, a commencé à tourner le dos à la bourgeoisie, les communistes ont négligé de donner en temps opportun au mouvement paysan qui déferlait, des mots d’ordre de lutte contre la toute-puissance du Capital monopoliste ruinant les paysans, contre les bas prix et contre lʹ" esclavage de l’usure".
En Allemagne, où le mécontentement des masses paysannes à la suite des prix exorbitants des impôts et des intérêts usuraires, s’était énormément accru, le Parti communiste a publié pendant l’automne de 1931 son programme d’aide aux paysans[36], dans lequel il faisait de la propagande pour l’annulation des dettes, pour l’abolition des impôts indirects, pour l’expropriation de la grosse propriété foncière et où il réclamait l’aide de l’État aux paysans travailleurs. Grâce à ce programme, un groupe de paysans du nord de l’Allemagne, qui était lié auparavant aux fascistes, se tourna en 1931 vers le Parti communiste. Mais le Parti, n’ayant pas assez de propagandistes et d’organisateurs pour les campagnes, ne sut pas aborder comme il convenait l’explication de ce programme dans les campagnes et s’opposer ainsi à l’influence croissante des fascistes qui usaient largement de leur démagogie "contre les trusts et les banques". Le paysan se tourna vers le Parti qu’il ne connaissait pas encore par ses actes et qui n’était pas encore au pouvoir, mais qui lui promettait d’augmenter les prix des denrées agricoles et d’améliorer le sort des paysans sans renverser le capitalisme.
En France et aux États-Unis, le mécontentement des paysans provoqua un vaste mouvement contre les bas prix des produits agricoles. Le Parti communiste soutint très tard, lorsque le mouvement commençait déjà à reculer, les revendications des paysans; il s’éleva contre les profits des intermédiaires et des minoteries, préparant ainsi le terrain à l’extension ultérieure de son influence parmi les paysans.
Dans les couches moyennes des villes, les communistes ne surent pas non plus se mettre à la tête de leur mouvement contre les banques et les trusts monopolistes et entraîner ces couches à leur suite. Lorsque la Danatbank fit, en Allemagne, une faillite où de grandes masses de la petite bourgeoisie perdirent leurs épargnes[37], le Parti communiste ne donna à ces couches aucun mot d’ordre pour leur lutte, perdant ainsi une excellente occasion d’acquérir une grande influence sur elles. Dans la plupart des autres pays également, la petite bourgeoisie ne trouva pas de soutien suffisant chez les communistes dans sa résistance contre les trusts et les banques qui lui suçaient le sang. Il en est résulté que ces couches sont restées à l’écart de la lutte et ont fini par suivre les fascistes et par les aider à triompher.
Bien que l’influence et l’importance du Parti communiste dans les masses travailleuses se fussent puissamment accrues, les communistes ne furent pas assez forts pour briser l’influence des chefs du Parti social-démocrate et des syndicats sur les grandes masses ouvrières et empêcher ainsi ceux-ci de détourner, au nom de la simple discipline, les masses de la lutte. Il apparut que les Partis communistes n’étaient pas assez éduqués sur les terrains de la théorie et de la pratique pour trouver les formes d’influence et de direction des masses qui auraient rapidement fait disparaître la division du mouvement ouvrier, accru la force et l’organisation de la classe ouvrière, conditions premières de la lutte victorieuse de la classe ouvrière.
C’est précisément la faiblesse de la classe ouvrière, provoquée par sa division et par la trahison de la social-démocratie envers les intérêts des ouvriers, qui a permis à la bourgeoisie allemande de profiter des flottements de la petite bourgeoisie et de la paysannerie pour attirer momentanément ces couches dans le camp du fascisme. Les communistes allemands n’ont pas assez rapidement tenu compte de l’importance extrême du joug de Versailles qui faisait peser un fardeau inouï sur les masses travailleuses, ils n’ont pas été assez habiles pour utiliser la situation ainsi créée dans l’intérêt de la lutte de classe. Ils ont permis à la bourgeoisie allemande de mettre la haine contre le joug de Versailles au service du maintien de sa domination.
L’offensive des fascistes contre les travailleurs d’Allemagne
La défaite du prolétariat allemand et l’instauration de la dictature fasciste en Allemagne sont le plus grand événement de ces premières années de crise, dans les pays capitalistes. Les organisations les plus anciennes de la classe ouvrière, fondées sous le drapeau du marxisme, furent démolies par une horde bestiale de brigands. Un des peuples les plus avancés et les plus cultivés passa sous la férule du parti le plus chauvin et le plus réactionnaire du capital financier. Un des pays les plus cultivés devint le foyer de la réaction européenne, la plus horrible chambre de tortures, l’instigateur d’une nouvelle guerre.
De grave importance est la question de savoir si les masses travailleuses d’Allemagne auraient pu empêcher cette catastrophe. Il n’est pas douteux qu’elles eussent été à même de le faire. Mais pour cela, la classe ouvrière aurait dû former le front unique, elle aurait dû briser le front unique contre- révolutionnaire de la social-démocratie et des chefs syndicaux réformistes avec la bourgeoisie, elle n’aurait pas dû se laisser aveugler par la théorie social-démocrate que la lutte de classe est impossible en temps de crise et qu’il faut attendre passive ment qu’elle passe, qu’il est inutile de se dresser contre le fascisme. Il eût fallu pour cela que la classe ouvrière passât à la contre-attaque contre l’offensive du Capital et lui imposât l’aide à ceux qui sont dans la misère. Il eût fallu pour cela que la classe ouvrière ne tolérât pas que la Ligue du front rouge fût brisée et désarmée, mais qu’elle imposât sa fusion avec la Bannière d’Empire et fît de cette dernière, en changeant sa politique, une puissante organisation de lutte révolutionnaire du prolétariat. La classe ouvrière n’avait pas le droit de regarder tranquillement les fascistes s’armer sous la conduite d’Hitler, mais elle devait forcer le gouvernement de la République de Weimar à désarmer les bandes fascistes, à confisquer les biens de leurs organisations et à emprisonner leurs chefs, la classe ouvrière ne devait pas permettre aux fascistes de développer leur démagogie contre le joug de Versailles, mais il lui fallait obliger le gouvernement de la République de Weimar à déchirer le traité de Versailles.
Mais la classe ouvrière allemande ne l’a pas fait. Dans sa majorité, elle a continué à suivre aveuglément la social-démocrate, restant sourde aux avertissements des communistes. Voilà pourquoi il lui faut subir maintenant les horreurs de l’enfer fasciste. Les communistes d’Allemagne ne pouvaient, à eux seuls, détourner cette catastrophe des masses ouvrières.
Dès 1930, l’ébranlement du système de Weimar était manifeste. Une rivalité effrénée pour mobiliser les masses commença entre la révolution qui approchait et la contre-révolution qui s’armait contre elle. Il devenait clair que la bourgeoisie allemande ne pouvait régner plus longtemps par les méthodes du parlementarisme et de la démocratie bourgeoise.
Au printemps de 1932, il était déjà nettement visible que les fascistes avaient considérablement devancé les communistes dans la mobilisation des masses et que l’instauration de la dicta ture la plus atroce et la plus sanglante des fascistes était inévitable en Allemagne, si le rapport des forces de classes ne changeait pas rapidement au profit du prolétariat. Les communistes tentèrent d’amener ce changement du rapport des forces en faveur du prolétariat, en faisant tout leur possible pour renforcer la lutte pour le front unique. Ils se fixèrent comme tâche de réaliser à tout prix un accord avec le Parti social-démocrate et avec la Confédération générale des syndicats allemands. Ce front unique aurait eu pour tâche de repousser le fascisme et de défendre ce qui restait encore de la démocratie bourgeoise.
Mais le Parti social-démocrate repoussa résolument toute proposition de ce genre. Même lorsque les fascistes eurent déjà porté la lutte dans la rue, alors qu’ils terrorisaient les ouvriers dans toutes les villes de l’Allemagne et assassinaient lâchement les meilleurs représentants du prolétariat, la social-démocratie continua à se borner exclusivement à de molles protestations au Parlement. Il était clair pour tout homme clairvoyant que la lutte avec les fascistes ne pouvait plus se décider au Parlement, que la question de l’avenir de l’Allemagne et du sort du mouvement ouvrier allemand avait déjà été portée dans la rue par les fascistes.
Même lorsque le gouvernement Papen chassa, le 20 juillet, les ministres social-démocrates de la Prusse[38] et que le Parti communiste proposa au Parti social-démocrate et à la Confédération générale des syndicats de déclarer la grève générale, ces deux organisations invitèrent les ouvriers à garder le calme. Quant aux ministres chassés, ils firent "appel à la haute cour" contre l’infraction à la Constitution.
Même le 30 janvier 1933 encore, lorsque le capital financier avait déjà remis au parti d’Hitler les rênes du gouvernement pour exercer la dictature fasciste, la social-démocratie et la Confédération générale des syndicats repoussèrent de nouveau la proposition de grève générale faite par le Parti communiste. Ils déclarèrent que les communistes étaient des provocateurs et invitèrent les ouvriers à n’opposer aucune résistance.
Les communistes, à ce moment, ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour entraîner les masses travailleuses à la lutte révolutionnaire dans le but d’empêcher la dictature fasciste.
Les communistes ont remporté sous ce rapport d’importants succès. Mais ils n’étaient pas à même de changer le rapport des forces tel qu’il était établi tant que la social-democratic n’abandonnait pas son hostilité au front unique et à la lutte.
Puissent les ouvriers d’Allemagne, puisse le prolétariat mondial juger maintenant sur qui retombe la faute de la défaite allemande; puissent les leçons sanglantes des événements d’Allemagne leur apprendre que cette défaite a été possible seulement parce que la majorité de la classe ouvrière suivait encore aveuglément la social-démocratie et qu’elle ne s’est pas souciée des avertissements des communistes et n’a pas voulu lutter. Il y a de prétendus révolutionnaires "de gauche" qui affirment que les communistes auraient dû malgré tout engager la lutte en dépit du fait qu’une telle lutte de la minorité du prolétariat eût conduit à son écrasement. Ces héros de la phrase pseudo-révolutionnaire ne veulent pas comprendre que cela aurait signifié une défaite encore plus grande et la démolition complète des cadres révolutionnaires du prolétariat allemand.
Le prolétariat allemand a subi une défaite. Les communistes ne voulaient pas et ne veulent pas que les cadres révolutionnaires périssent par pur héroïsme. Ce n’est pas là le plus grand héroïsme! Ils veulent qu’ils organisent les nouvelles luttes et les futures victoires. (Applaudissements.)
La bourgeoisie n’a pas réussi à affaiblir la volonté de lutte des masses
La défaite du prolétariat en Allemagne à un des points stratégiques les plus importants de la lutte de classe internationale, eut pour effet de ralentir un court moment la croissance du mouvement révolutionnaire de masse, d’arrêter momentanément la maturation des éléments de la crise révolutionnaire en Pologne également. La défaite d’Allemagne rendit la réaction internationale plus audacieuse, elle accrut la menace de guerre, renforça la pression de la bourgeoisie sur la classe ouvrière et multiplia les tentatives d’instaurer le fascisme aussi dans d’autres pays.
Au moment même où les fascistes accablaient les travailleurs d’Allemagne, le prolétariat réussissait à remporter une série de grandes victoires dans d’autres pays. Les prolétaires et paysans chinois érigeaient leur République des Soviets. Au cours des campagnes militaires que le gouvernement de Nankin entreprenait contre l’Armée rouge, les masses populaires donnaient d’admirables exemples d’héroïsme et de dévouement à la révolution. Devant 1 agression des impérialistes japonais et le renoncement à la lutte du gouvernement de Nankin contre cette agression, les Soviets chinois ont levé le drapeau de la lutte pour affranchir le peuple chinois du joug japonais, le drapeau de la guerre révolutionnaire populaire contre l’impérialisme japonais, entravant ainsi son avance dans l’intérieur de la Chine. En peu de temps, les Soviets chinois sont devenus une force dont la politique internationale des impérialistes est obligée de tenir compte.
En Espagne, nous voyons, malgré la division de la classe ouvrière, un puissant essor du mouvement de masse, une large vague de grèves de masse, un accroissement des grèves politiques et du mouvement des paysans qui s’emparent des terres seigneuriales.
Dans tous les pays capitalistes et coloniaux on peut enregistrer une vague de plus en plus grande de grèves et de mouvements paysans.
Cependant, ce qui est d’une importance décisive pour tout le front mondial révolutionnaire, c’est que précisément durant les années où les masses travailleuses du monde entier étaient plongées par le capitalisme dans une misère indicible, où, en Allemagne, le fascisme démolissait les organisations ouvrières, l’Union soviétique achevait le premier plan quinquennal et améliorait de jour en jour le bien-être de tous les travailleurs. C’est précisément durant ces années que le socialisme triomphait définitivement et irrévocablement dans l’Union soviétique.
Cette victoire historique mondiale du socialisme dans l’Union soviétique sape le système de l’impérialisme mondial, multiplie les forces de la révolution, accroît l’importance de l’Union soviétique en tant que facteur de paix, en tant que base de la révolution mondiale et renforce la volonté des travailleurs du monde entier de lutter pour le socialisme, pour le pouvoir soviétique.
La bourgeoisie a réussi à la fin de cette étape de la lutte à améliorer sa situation aux dépens des ouvriers, des paysans et des peuples coloniaux, à créer les conditions lui permettant de passer de la crise à la dépression et à infliger une défaite au prolétariat allemand. En revanche, la bourgeoisie n’a pas réussi à affaiblir le front révolutionnaire mondial, à démolir le Parti communiste en Allemagne, elle n’a pas réussi à créer les prémices d’un nouvel essor économique.
Le rapport international des forces a changé non pas eu faveur du capitalisme, mais du socialisme, non pas en faveur de la bourgeoisie, mais du prolétariat.
J’aborde maintenant la troisième étape de la lutte durant la période envisagée, celle qui comprend le revirement des ouvriers socialistes vers le front unique avec les communistes.
III. ‑ Le revirement des ouvriers socialistes vers le front unique avec les communistes
Sous l’influence de la victoire définitive et sans retour du socialisme dans l’Union soviétique et, d’autre part, devant les atrocités du fascisme en Allemagne, tout le système de conception du monde des grandes masses de travailleurs qui, récemment encore, croyaient que le capitalisme, que la démocratie bourgeoise étaient inébranlables, qu’il était possible d’arriver pacifiquement au socialisme, sans révolution et sans guerre, commence à s’effondrer. La base idéologique sur laquelle reposaient le programme, la tactique des partis réformistes, s’écroule.
La classe ouvrière a compris que c’est la division du mouvement ouvrier qui a conduit à la victoire du fascisme en Allemagne et qu’elle a besoin d’unité.
La victoire du fascisme en Allemagne n’a nullement inauguré, comme le prédisaient les social-démocrates, une longue période de réaction. Bien au contraire, on peut constater dans le monde entier "une tendance à la maturation la plus accélérée de. la crise révolutionnaire", ainsi que le soulignait la 13e Assemblée plénière[39]. Dans le monde entier, "l’idée de l’assaut contre le capitalisme mûrit dans la conscience des masses", comme l’a formulé le camarade Staline au 17e congrès du P.C. de l’U.R.S.S.
C’est dans cette situation que l’Union soviétique conquiert toujours davantage le coeur et l’esprit des travailleurs et leur montre le chemin de la lutte. C’est dans cette situation que la victoire du socialisme incite des millions de travailleurs à changer totalement d’opinions et d’idées. C’est dans cette situation que s’accomplit un revirement dans l’esprit des grandes masses travailleuses et, avant tout, dans l’esprit des ouvriers membres des Partis social-démocrates et de ceux qui sont organisés dans les syndicats réformistes.
Les premières formes où s’est exprimé ce revirement furent premièrement le front unique du prolétariat mondial organisé spontanément sur une grande échelle pour défendre les inculpés de Leipzig[40] où la défense courageuse du communisme par notre camarade Dimitrov eut une grande importance historique pour l’établissement du front unique; deuxièmement, le passage des ouvriers à la riposte active contre le fascisme dans leur propre pays. Le prolétariat ne recule déjà plus sans lutte devant le fascisme comme cela eut lieu en Allemagne, mais il répond à l’offensive fasciste par la grève générale en France en février 1934 [41] et par la lutte armée en Autriche en février 1934 [42] et en Espagne en octobre 1934 [43].
La lutte armée en Autriche et en Espagne a montré la combativité puissante de la classe ouvrière, l’héroïsme illimité et l’esprit de sacrifice, la fermeté révolutionnaire et l’endurance des ouvriers en lutte. Les hardis schutzbundlériens[44], les héros de Floridsdorf, les défenseurs des Karl Marx-Hof et Goethe-Hof à Vienne, Koloman Wallisch, l’ingénieur Weissel, Munichreiter entrent tous et pour toujours dans l’histoire de la lutte du prolétariat pour sa libération.
Les mineurs héroïques des Asturies, les premiers combattants de la Garde rouge espagnole, les défenseurs d’Oviedo, communistes, socialistes, anarchistes et sans-parti, se sont couverts d’une gloire immortelle. Nous envoyons notre salut aux milliers de révolutionnaires espagnols qui s’étiolent dans les geôles de Lerroux[45] et de Gil Robles[46], ainsi qu’au chef des socialistes espagnols, Caballero, qui languit dans son cachot.
Les chefs social-démocrates qui ont fui les champs de bataille et ont oublié leurs devoirs élémentaires de chefs de la lutte se sont couverts par contre de honte et d’infamie. Les chefs anarchistes espagnols qui, au cours de la lutte, l’ont brisée et ont agi de concert avec Lerroux et Gil Robles, se sont couverts pour toujours de honte et d’infamie.
Camarades, rappelons-nous quel souffle révolutionnaire passa sur les quartiers ouvriers des villes du monde entier à la nouvelle des événements en Autriche et en Espagne. Comme les combats héroïques des prolétaires pour défendre Oviedo galvanisèrent les travailleurs de tous les pays! Quel enthousiasme se déchaîna chez tous les ouvriers en apprenant que l’étendard de la lutte pour le pouvoir soviétique était levé dans les Asturies!
La banqueroute de la politique de la social-démocratie
Mais pourquoi donc la lutte armée du prolétariat en février 1934 en Autriche et en octobre 1934 en Espagne n’a-t-elle pas mené à la victoire du prolétariat, contrairement à l’insurrection armée d’octobre 1917 en Russie?
En avril 1931, la monarchie fut renversée en Espagne comme elle le fut en Russie en février 1917. La révolution bourgeoise démocratique commença en Espagne. À l’encontre les bolchéviks, qui ont-lutté dans les Soviets pour la continuation de la révolution, les socialistes espagnols sont entrés comme ministres dans le gouvernement d’Azana[47], suivant ainsi l’exemple des menchéviks et des socialistes révolutionnaires russes, qui étaient entrés alors comme ministres dans le gouvernement de Kérenski.
Que firent les ministres socialistes espagnols, que fit tout le Parti socialiste espagnol au cours des trois années de la révolution, ce même Parti socialiste qui, en octobre 1934, appela les ouvriers à la lutte armée?
Au lieu de lutter pour le désarmement de la garde civile fasciste réactionnaire, les socialistes espagnols ont voté des crédits pour son développement ultérieur et firent du général Sanjurjo, monarchiste, qui s’était dressé les armes à la main contre la République, après qu’il fut mis en liberté, le chef de cette garde civile qui devait défendre la République. Au lieu de lutter pour l’éloignement des officiers réactionnaires et pour la démocratisation de l’armée, ils laissèrent les coudées franches aux réactionnaires dans l’armée. Au lieu de désarmer les ennemis du peuple, les fascistes, et de les mettre en prison, ils poursuivirent les communistes et promulguèrent la loi pour la défense de la République, sur la base de laquelle sont jugés les participants des combats d’octobre, socialistes et communistes.
Ils ne touchèrent pas aux terres, aux propriétés et aux droits de l’Église réactionnaire pas plus qu’à ceux des couvents et ne donnèrent pas de terre aux paysans qu’il fallait gagner à la révolution.
Ils n’introduisirent pas de contrôle ouvrier sur la production, ils n’améliorèrent pas la situation des ouvriers et ne les armèrent pas pour la défense de la révolution. Au lieu d’acculer la bourgeoisie réactionnaire à une impasse, ils lui permirent de s’organiser et de s’armer. Est-ce que c’est ainsi que les bolchéviks ont agi en 1917, est-ce ainsi qu’ils ont préparé le succès du prolétariat dans la révolution? Les socialistes espagnols n’ont-ils pas agi précisément comme Kérenski dont le gouvernement tut renverse par les bolchéviks?
Encore, en février 1917, sous la pression des bolchéviks, la gendarmerie tsariste fut-elle liquidée, les comités de soldats institués, les droits civiques accordés aux soldats, le tsar et les plus hauts fonctionnaires arrêtés. Les bolchéviks firent l’insurrection sous les mots d’ordre: Paix, pain, terre et liberté, ils luttèrent pour ces mots d’ordre à toutes les étapes de la révolution et ils mobilisèrent les masses du peuple.
Déjà le premier jour de l’insurrection ils décrétèrent la remise de toute la terre aux paysans.
Aussitôt après la victoire, ils luttèrent pour la conclusion d’un traité de paix, ils donnèrent la liberté aux peuples asservis, ils introduisirent le contrôle ouvrier dans les entreprises, procédèrent à la confiscation de la propriété des contre-révolutionnaires et détruisirent intégralement la classe des propriétaires fonciers et l’appareil bourgeois servant à l’oppression des travailleurs.
Longtemps encore avant la révolution, l’activité entière des bolcheviks était orientée vers la mobilisation du prolétariat et de ses alliés pour renverser la domination bourgeoise, pour créer la dictature du prolétariat ‑ qui devait transformer en actes les revendications les plus brûlantes du peuple. C’est pourquoi aussi la majorité de tous les travailleurs appuya les bolchéviks et les aida à triompher.
L’activité entière des chefs socialistes espagnols dans le gouvernement de Azana et en dehors de celui-ci avait pour but de s’entendre avec la bourgeoisie, de maintenir la propriété privée, de protéger les intérêts des propriétaires fonciers, de l’Église et de la bourgeoisie contre l’assaut révolutionnaire des masses et de laisser intact l’ancien appareil d’État bourgeois. De ce fait, ils ont affaibli le prolétariat et renforcé les fascistes. En Autriche, il n’y avait pas de situation révolutionnaire avant les combats armés, comme c’était le cas en Espagne, mais le prolétariat autrichien avait cet avantage que la majorité écrasante des ouvriers était organisée en un parti et dans les syndicats suivant ce parti et que le pourcentage du prolétariat dans ce petit pays était extraordinairement élevé.
Mais le Parti social-démocrate, que suivaient 90 % des prolétaires autrichiens, n’était pas un parti révolutionnaire ayant préparé systématiquement et d’après un plan la lutte pour la victoire du prolétariat. Ce Parti avait encore aidé, pendant la révolution de 1918 à 1920, la bourgeoisie à prendre le dessus et s’était contenté du fait qu’il restait à la classe ouvrière des droits démocratiques de pure forme et quelques conquêtes sociales.
Lorsque les fascistes engagèrent la lutte contre la démocratie bourgeoise, les chefs de la social-démocratie reculèrent pas à pas, abandonnant, les unes après les autres, les conquêtes de la révolution de 1918. Ils donnèrent leur assentiment à l’extension des droits du président, au changement de la Constitution au préjudice des travailleurs, ils tolérèrent l’interdiction de leur presse et le désarmement partiel du Schutzbund. Pendant des années, ils persuadèrent les masses de rester sur le terrain de la démocratie bourgeoise, ne pensant pas à la révolution prolétarienne et n’y préparant pas les masses.
Les forces de combat de la bourgeoisie se développèrent tandis que celles du prolétariat s’affaiblirent. La foi des masses travailleuses dans la possibilité d’une amélioration de leur situation sous la direction social-démocrate disparut.
C’est une ridicule entreprise de la part de Otto Bauer de vouloir maintenant, après que la social-démocratie autrichienne a désorganisé les travailleurs par sa façon d’agir et n’a pas préparé la lutte, essayer de prouver qu’il a agi d’après l’exemple des bolchéviks en adaptant seulement la tactique des bolchéviks "asiatiques" aux conditions "européennes"[48].
L’insurrection armée doit être préparée comme la cause de toute la classe ouvrière. Pour cela, il faut gagner la majorité du prolétariat, il y a plus, il est indispensable d’avoir le soutien de la lutte par la majorité des travailleurs. Les socialistes espagnols et autrichiens, par contre, ont fait de l’insurrection une affaire des seules formations de combat.
Pour qu’une insurrection triomphe, il est nécessaire de choisir le moment le plus favorable au prolétariat. Les socialistes espagnols et autrichiens, par contre, ont depuis longtemps laissé échapper l’initiative de leurs mains, abandonnant aux fascistes le soin de fixer le moment du combat.
Pour le succès d’une insurrection armée, il est nécessaire que les masses connaissent clairement les objectifs de lutte pour suivis. Or, les chefs social-démocrates espagnols et autrichiens n’ont pas formulé ces objectifs de lutte. Ils n’avaient pas saisi les armes pour renverser la bourgeoisie, mais uniquement pour faire pression sur la bourgeoisie et se défendre contre son offensive.
Le prolétariat russe forma en 1917 des Soviets, en tant qu’organismes capables de grouper tous les ouvriers, paysans, employés, soldats et marins.
Les bolchéviks ont lutté pour la direction des masses au sein des Soviets. Les bolchéviks ont transformé les Soviets en organismes de la préparation et de la réalisation de l’insurrection prolétarienne.
En Espagne, par contre, Largo Caballero[49] déclara qu’on n’avait pas besoin de Soviets parce que la classe ouvrière entière était organisée dans les syndicats et dans les partis. Est-ce juste? Non, absolument pas. En Espagne comme dans tous les autres pays capitalistes, la majorité des ouvriers n’est pas organisée.
En se prononçant contre la formation des Soviets, Largo Caballero et les socialistes espagnols voulaient transformer l’insurrection qui ne peut être que la cause de la classe ouvrière entière en la cause du Parti socialiste, ou en celle d’un Bloc des partis pour atténuer la force du mouvement et son caractère de masse.
En Autriche, Bauer et Deutsch[50] ne pensaient guère à des organismes de masse de préparation et de direction de la lutte, mais ils suivaient la vraie méthode blanquiste en abandonnant la cause de la lutte armée uniquement au Schutzbund qui luttait isolement. Il aurait suffi de leur part d’appeler les masses à la lutte pour créer en quelques jours des organismes qui eussent été capables de mobiliser pour le combat les grandes masses de travailleurs et d’organiser l’appui des Schutzbundlériens en lutte. Cela aurait changé tout le cours du développement ultérieur des combats à l’avantage du prolétariat.
Cependant, les socialistes autrichiens et espagnols trouvèrent également opportun de négliger au moment de la lutte armée l’expérience de la révolution russe. Des milliers de prolétaires durent payer de leur vie et de tortures inouïes cet oubli voulu de l’expérience russe.
Nous reconnaissons le fait important que tant en Espagne qu’en Autriche, une partie des chefs social-démocrates, bien que ce ne fût que sous la pression des niasses, se sont décidés à la lutte armée contre la bourgeoisie. Les communistes les ont appuyés d’une façon décisive.
En Espagne, les communistes adhérèrent à l’Alliance ouvrière, "bien qu’ils n’eussent aucune influence sérieuse dans celle-ci". En Espagne comme en Autriche, les communistes combattirent aux premiers rangs, car la place des. communistes est partout où l’on mène la lutte. Mais, précisément, l’expérience de ces combats armés qui se sont déroulés sous la direction social-démocrate montre que sous cette direction le prolétariat ne peut pas vaincre.
Les succès de la lutte armée dans les Asturies où fut organisée la Garde rouge, où sous la direction des communistes la lutte armée s’est développée en une véritable insurrection confirment ce que la révolution russe a déjà démontré: que pour le succès de la lutte armée du prolétariat une direction communiste bolchevik est nécessaire. Mais, par suite de la faiblesse et de la jeunesse des Partis communistes tant en Espagne qu’en Autriche, cette direction n’a pas existé.
Aussi les éléments révolutionnaires du Schutzbund et des socialistes espagnols en ont-ils tiré les conclusions justes, en passant dans les rangs du Parti communiste, montrant ainsi qu’ils ne considéraient pas la lutte comme terminée.
Les succès du front unique et du front populaire antifasciste
La lutte en France qui prit des proportions particulièrement considérables en février 1934, resta dans sa manifestation extérieure à un degré de lutte plus bas qu’en Espagne et en Autriche, mais du fait que les actions de lutte du prolétariat français furent tournées au moment nécessaire contre le fascisme, elles exerçaient une influence plus grande sur le développement de la lutte prolétarienne dans tous les pays.
Quel est le trait distinctif de la lutte en France?
Lorsque les bandes fascistes, pour la première fois, descendirent en masse dans les rues de Paris, le prolétariat français ne se laissa pas endormir comme en Allemagne par la théorie du moindre mal et par le bavardage sur la démocratie de pure forme, mais sans distinction de parti, il déferla dès la première offensive fasciste dans les rues pour faire face au fascisme par la manifestation politique puissante du 9 février et par la grève générale politique du 12 février 1934. Ce faisant, le prolétariat français a repoussé la première grande offensive des fascistes en France. (Applaudissements.)
Le prolétariat français qui, dans les journées de février, a établi le front unique de lutte, a démontré ainsi quelle formidable force représente le prolétariat lorsqu’il est uni et lorsqu’il n’évite pas la lutte, mais au contraire fait, à temps, face à l’ennemi.
Par cette action, le prolétariat contraignit le Parti socialiste français à accepter d’établir le front unique avec le Parti communiste, bien qu’avec de grandes hésitations. Cela fut la base des actions antifascistes communes de l’ensemble du mouvement ouvrier organisé qui exercent une influence énorme sur la majorité inorganisée de la classe ouvrière et des masses petites-bourgeoises dans les villes et les campagnes.
Notre Parti communiste français, puissamment accru et faisant preuve de grande initiative, ne s’est pas contenté d’établir le front unique avec les socialistes, mais il a établi un programme de revendications attaquant la bourgeoisie en pleine chair. Ce sont des revendications comme: l’imposition sans ménagement de la fortune, ou encore des revendications désorganisant le fascisme, comme, par exemple, la revendication d’interdire les organisations fascistes et leur presse, l’arrestation des chefs fascistes et la confiscation des ressources matérielles des organisations fascistes; ou des revendications tendant à atténuer le danger de guerre, comme, par exemple, la revendication du pacte de paix avec l’Union soviétique et de la vraie lutte contre les instigateurs de la guerre. Ce sont autant de revendications oui allègent la situation des masses travailleuses et fortifient leurs positions.
Le Parti communiste français, par sa façon d’agir, a posé les fondements d’un vaste front populaire en vue de la lutte contre le fascisme et la guerre, qui attire des couches de plus on plus grandes de paysans, de la petite bourgeoisie urbaine et des intellectuels, amène au mouvement les adhérents du Parti radical-socialiste, et assure, de plus en plus, au prolétariat révolutionnaire, l’hégémonie et la direction de la lutte de tous les travailleurs.
La puissante manifestation antifasciste, le 14 juillet 1935, jour de la fête nationale française, où défilèrent ensemble les communistes, les socialistes et les radicaux-socialistes, et à laquelle participèrent plus de 500.000 travailleurs, fut non seulement la plus forte de toutes les manifestations tenues jusqu’à présent dans les pays capitalistes, mais elle fut également l’expression de l’influence puissante exercée par le front unique sur la combativité des ouvriers, par l’intermédiaire desquels les autres couches travailleuses sont entraînées dans le front populaire. (Applaudissements prolongés.)
Cela s’est également manifesté dans les succès électoraux importants du P.C.F. aux dernières élections municipales de cette année. Ces succès furent le résultat de la lutte du P.C. pour la formation du front unique de la classe ouvrière et du front populaire antifasciste pour la défense des droits démocratiques, le résultat de l’activité et de l’initiative des communistes au sujet des crises gouvernementales et de la lutte en faveur du pacte d’assistance mutuel entre la France et l’Union soviétique en cas d’agression armée.
Ce succès du P.C. de France renforce le prolétariat français rendant ainsi plus difficile pour la bourgeoisie son passage à des méthodes fascistes de domination.
La situation en France s’est extrêmement aggravée. Le sort de la 3e République et de la démocratie, le sort des masses travailleuses dépend maintenant du développement ultérieur du front unique et du front populaire, de l’activité des masses.
La lutte du prolétariat français a une grande importance internationale. Les succès du prolétariat français qui, en février 1934, a refoulé le premier assaut de masse des fascistes grâce au front unique des communistes et des socialistes qui, le 14 juillet 1935, a déclenché sa formidable marche de lutte contre le fascisme, ont montré aux travailleurs de tous les pays, que seule la lutte commune des travailleurs sur la base d’une tactique révolutionnaire peut repousser l’offensive du Capital et du fascisme, et mettre fin aux manœuvres des instigateurs de la guerre.
La lutte du prolétariat français a montré à tous les travailleurs comment doit agir le prolétariat dans les pays capitalistes pour repousser les attaques du fascisme et pour marcher à la conquête de la dictature du prolétariat, au socialisme.
L’accord de front unique entre les socialistes et les communistes en France, auquel les socialistes n’ont consenti que sous la pression des masses, contre la volonté de l’Exécutif de la 2e Internationale, a montré le chemin aux social-démocrates de gauche dans tous les pays.
Des accords de front unique se sont réalisés entre les communistes et les socialistes en Autriche, en Espagne, en Italie, et des actions de masse de la classe ouvrière sur la base du front unique ont eu lieu en Angleterre, aux États-Unis, en Pologne, en Tchécoslovaquie et dans beaucoup d’autres pays où les dirigeants des Partis socialistes, de même que l’Exécutif de la 2e Internationale, continuent à décliner tout accord avec les communistes.
En Angleterre, le petit Parti communiste a réalisé le front unique avec le Parti socialiste indépendant, avec de nombreux syndicats et avec des organisations de base du Labour Party. Le 9 septembre 1934, le P.C. réussit à entraîner 150.000 ouvriers dans la rue[51] et, en janvier-février 1935, à forcer le gouvernement, par une vague de manifestations, de réunions et de grèves, à renoncer à l’application de la deuxième partie de la loi sur le chômage, loi qui a prévu l’organisation des camps de travail[52] et qui a confié à une commission extra-parlementaire le règlement des secours de chômage[53]. L’établissement du front unique avec les organisations syndicales locales et le travail tenace des communistes dans leur sein ont eu ceci pour résultat: les syndicats, dans nombre de cas, ont pris position contre le Conseil général des syndicats et ont répudié la "circulaire noire" rédigée par celui-ci qui exige l’expulsion des communistes des syndicats.
Aux États-Unis, les ouvriers révolutionnaires ont réussi, grâce à la tactique du front unique, à consolider et à étendre leur influence dans nombre des organisations de la F.A.T., à gagner dans une large mesure les syndicats en vue d’appuyer le projet de loi sur l’institution d’assurances contre le chômage présenté par les communistes et à faire ainsi de cette revendication la cause de tous les travailleurs. Ce faisant, les ouvriers révolutionnaires parvinrent à gagner une influence décisive dans la grande grève de 1934, dans la grève des marins sur la côte du Pacifique et dans la grève générale à San Francisco[54], et à obtenir ainsi nombre d’avantages, matériels pour les ouvriers ainsi qu’à renforcer les positions politiques générales et la conscience de classe du prolétariat américain. De la sorte, le caractère du mouvement ouvrier américain a subi un changement profondément marqué qui a poussé la classe ouvrière à s’engager dans la voie d’une politique indépendante.
En Pologne, bien que la direction du Parti social-démocrate (P.P.S.) eut rejeté tout accord avec les communistes, le revirement dans l’esprit des masses a fait que les communistes réalisèrent avec diverses organisations socialistes le front unique et que le mouvement antifasciste des grandes masses travailleuses se renforça. Cela se manifesta de la façon la plus claire dans la vague puissante de grèves politiques et de mouvements paysans déclenchés sur l’initiative du Parti communiste contre la nouvelle Constitution fasciste. Cette vague gagna tous les centres industriels et certains districts paysans du pays, et fut appuyée par les deux Partis. Ce mouvement gréviste politique à la direction exclusive duquel prétend le P.S.P., tout en s’efforçant en même temps de le diviser en grèves séparées, conduira indubitablement à la révolutionnarisation ultérieure des masses influencées par le Parti socialiste polonais et au développement ultérieur du front unique sous forme d’accords entre communistes et socialistes pour la lutte contre le fascisme, pour la défense de la légalité des syndicats et des organisations ouvrières.
Le mouvement de front unique des travailleurs se fraie la voie dans tous les pays capitalistes, quoi que fassent les chefs de la social-démocratie, quelle que soit, chez les chefs, la peur de l’influence revolutionnarisante du front unique avec les communistes sur les masses qui les suivent. Il me faudrait trop de temps pour exposer dans ce rapport tous les succès de ce front unique des travailleurs.
Ce mouvement se manifeste sous les formes les plus variées, en commençant par des accords entre les Partis et le mouvement au-dessus des Partis d’Amsterdam-Pleyel contre le fascisme et la guerre[55], à la tête duquel se trouvait notre ami Henri Barbusse, jusqu’à la fusion d’organisations syndicales, d’organisations des jeunes, sportives, culturelles et autres. Les chefs réformistes, malgré toute la peine qu’ils se donnent, ne sont plus en mesure de briser l’influence puissante du mot d’ordre de l’unité de la lutte de tous les prolétaires contre le fascisme et la guerre. Ils réussissent encore moins à arrêter l’influence grandissante qu’exerce la victoire du socialisme dans l’Union soviétique sur les masses travailleuses du monde entier.
Que les social-démocrates siègent dans les gouvernements de Tchécoslovaquie, de Belgique, de Danemark, de Suède et de Norvège, que le Labour Party s’empare du gouvernement en Angleterre ‑ les communistes les protègeront contre les fascistes ‑ les masses ouvrières de ces pays ont commencé à comprendre que leur force ne réside pas dans les postes de ministres, mais dans la lutte du front unique.
Mais les ministres social-démocrates de Tchécoslovaquie, du Danemark, de Suède, de Norvège ne mènent pas de lutte réelle contre le fascisme.
Le peuple tchèque est saisi d’inquiétude sur le sort de son indépendance nationale. Cette inquiétude est partagée aussi par les communistes. Or, que font les ministres social-démocrates? Au lieu de faire perdre du terrain aux agents hitlériens en Tchécoslovaquie par une politique conforme aux intérêts nationaux et économiques des masses travailleuses, ils cultivent le mouvement fasciste de Henlein et lui permettent d’entraîner dans son parti la majorité des Allemands de Tchécoslovaquie. Au lieu de mobiliser toutes les forces du peuple contre le fascisme ils persécutent les communistes. Au lieu de jeter les fascistes dans les prisons et les camps de concentration, ils y jettent les communistes et les antifascistes. Au lieu de lutter contre les instigateurs de la guerre, les gouvernements social-démocrates du Danemark et de Suède soutiennent objectivement par leur politique les fascistes allemands. Cette politique anti-ouvrière menée par les Partis social-démocrates de Tchécoslovaquie et des pays Scandinaves fait clairement comprendre aux masses ouvrières que les ministres social-démocrates ne sont pas une digue contre le fascisme, les préparatifs de la guerre et l’offensive du Capital.
Cette compréhension pousse la classe ouvrière, comme cela est particulièrement manifeste en Tchécoslovaquie, à rechercher le front unique avec les communistes pour régler son compte de façon prolétarienne au fascisme et aux instigateurs de la guerre, et pour éviter une situation identique à celle que le prolétariat allemand doit souffrir à présent et ne pas permettre à l’avenir une nouvelle boucherie mondiale.
La grande force et la valeur du front unique ont été comprises, en premier lieu, par la classe ouvrière dans les pays fascistes. En dépit d’un certain nombre de conceptions sectaires qui, récemment encore, se manifestaient dans la direction du Parti communiste d’Allemagne et en dépit de la résistance des chefs social-démocrates, les masses ouvrières de l’Allemagne se rendent de plus en plus compte que c’est seulement par le front unique des communistes et des social-démocrates que peut être menée une lutte efficace contre le fascisme et qu’on peut le renverser.
En Hongrie, les ouvriers comprennent qu’ils ne peuvent défendre leurs syndicats et même les organisations social-démocrates que par le front unique avec ces mêmes communistes qui, récemment encore, étaient dénoncés à la police par les chefs social-démocrates.
La voie pour venir à bout de la scission dans la classe ouvrière
Le mouvement pour le front unique des communistes et des socialistes a de profondes racines. Il part de l’impression profonde que la victoire du socialisme dans l’Union soviétique produit sur les grandes masses ouvrières, sous l’influence de laquelle mûrît dans la conscience des masses l’idée de l’assaut contre le capitalisme. Il part des expériences du mouvement ouvrier international tout entier dans les pays capitalistes, de l’expérience de la défaite allemande, de l’expérience des combats armés en Autriche et en Espagne, de l’expérience de la grève générale du front unique en France. La classe ouvrière en tire la conclusion que la lutte contre le capitalisme ne doit être menée qu’en front unique et dans la liaison la plus étroite avec I Union soviétique.
C’est cette conclusion des masses tirée de leur propre expérience de lutte qui a opéré dans le mouvement ouvrier international le plus grand revirement depuis la révolution d’Octobre.
Camarades, le mouvement pour le front unique signifie beaucoup plus que l’addition arithmétique des forces des deux partis ouvriers. La majorité de la classe ouvrière dans les pays capitalistes est inorganisée et dans beaucoup de pays elle suit encore les partis bourgeois. Le front unique du mouvement ouvrier signifie une telle augmentation de ses forces qu’il devient une force d’attraction, puissante pour les masses prolétariennes jusqu’à présent sans conscience de classe, qu’il les détache des partis bourgeois et les entraîne dans la lutte de classe.
En Pologne, où le P.S.P. est encore légal, tandis que les communistes sont en butte aux persécutions les plus féroces, où les ouvriers socialistes et sans-parti prenant part à des actions communes avec les communistes sont soumis aux mêmes persécutions que ceux-ci, le front unique témoigne de l’accroissement puissant de la révolutionnarisation des masses ouvrières et de leur volonté de faire des sacrifices pour la lutte révolutionnaire. Si les 3 millions de membres du Labour Partv anglais s’orientent vers l’unité de front avec le Parti communiste, nous n’avons nullement affaire ici à une addition arithmétique des forces des deux partis, mais c’est qu’il se produit ici un tournant des masses du réformisme vers la politique révolutionnaire.
Le front unique est le premier pas en avant pour mettre fin à la division du mouvement ouvrier, pour créer un fort parti révolutionnaire unique du prolétariat.
En Autriche, les communistes ont soulevé la question de la fusion avec le Parti des socialistes révolutionnaires. Cette fusion n’a pas encore eu lieu jusqu’à présent, parce que les socialistes ne l’ont pas voulue.
En France. les communistes ont commencé avec le Parti socialiste des pourparlers pour un parti révolutionnaire unique.
Dans les Pays baltes se font entendre les voix de maints socialistes qui considèrent nécessaire le rapprochement politique avec le mouvement ouvrier soviétique et nous ne pouvons que les saluer.
Ce mouvement pour un parti révolutionnaire unique se développera indubitablement, car la victoire du socialisme dans l’Union soviétique a détruit les fondements du réformisme et tous les travailleurs du monde entier se rallieront autour de la politique de l’Union soviétique.
Cela est confirmé non seulement par le développement dans les pays impérialistes, mais aussi par le développement dans les pays coloniaux et dépendants.
Le raid victorieux des Soviets chinois
L’événement dominant de toute la période d’après-guerre imprimant son cachet à tout le monde colonial, est la révolution chinoise qui, après le 6e congrès mondial de l’I.C., a pris la forme des Soviets. La formation et le développement victorieux du mouvement soviétique en Chine ont une importance historique mondiale de la plus grande portée. La lutte héroïque de l’Armée rouge chinoise qui s’est couverte de gloire immortelle est un illustre exemple pour les travailleurs de l’ensemble du monde colonial. Six fois déjà, les militaristes du Kuomintang[56] ont armé des expéditions avec tout l’appui des impérialistes internationaux pour écraser le mouvement soviétique.
Malgré les moyens et les forces énormes qui furent mis en oeuvre dans ce but par les ennemis du peuple chinois, l’Armée rouge des ouvriers et des paysans chinois a pu parer tous les coups des impérialistes et des classes contre-révolutionnaires exploitrices chinoises. (Applaudissements.) Les six campagnes des généraux contre les régions soviétiques se terminèrent toutes par la défaite des militaristes du Kuomintang. (Applaudis sements.)
Bien que l’Armée rouge chinoise, pour éviter son encerclement par les troupes du Kuomintang, fut contrainte, après la sixième campagne, d’abandonner le territoire de l’ancienne région soviétique centrale de la province de Kiangsi, elle a réussi à déjouer le plan des impérialistes et des militaristes chinois, dont l’objectif était d’encercler et de décimer l’Armée rouge chinoise. Au cours de combats acharnés, l’Armée rouge a augmenté considérablement ses effectifs. La marche brillamment exécutée par les forces principales de l’Armée rouge chinoise se dirigeant sur la province de Setchouan montre les perspectives du développement ultérieur de la révolution soviétique en Chine. Les enseignements de la lutte militaire de l’Armée rouge chinoise fournissent la preuve frappante qu’un peuple piétiné par l’impérialisme est capable de lutter avec succès contre un ennemi supérieur et contre l’impérialisme international armé jusqu’aux dents, lorsqu’au cours de la guerre révolutionnaire les besoins fondamentaux des travailleurs sont satisfaits.
Les succès des Soviets chinois sont une confirmation brillante de la justesse de la ligne de l’Internationale communiste s’appuyant sur la théorie de Lénine et Staline de la révolution coloniale. Les succès des Soviets chinois sont l’expression de l’influence puissante de la Révolution socialiste d’Octobre qui a inauguré une époque nouvelle dans l’histoire de la société humaine.
Pour la première fois dans l’histoire du monde, une lutte pour la libération nationale révolutionnaire en Chine aboutit à une dictature démocratique révolutionnaire souveraine du prolétariat et de la paysannerie. Pour la première fois dans l’histoire mondiale, la révolution agraire anti-impérialiste d’un pays semi-colonial se déroule sous la forme de la lutte pour les Soviets. Ainsi, la possibilité de l’établissement du pouvoir soviétique dans un pays colonial est démontrée en pratique, d’un pouvoir soviétique, s’affirmant ici comme la forme étatique de la dictature révolutionnaire démocratique du prolétariat et de la paysannerie, et assurant la transformation de la révolution bourgeoise démocratique en révolution socialiste.
La révolution chinoise fournit l’exemple de la première révolution coloniale où se réalise l’hégémonie idéologique du prolétariat, ainsi que son hégémonie étatique sous sa forme initiale. En la personne de la classe ouvrière chinoise, le prolétariat colonial a montré en pratique sa capacité de résoudre de grands problèmes historiques, de défendre la complète indépendance économique et politique du pays, de mettre intégralement fin aux survivances féodales, de liquider la grande propriété foncière, d’éliminer le chancre de l’usure et de procéder à des transformations révolutionnaires qui frayent le chemin à la victoire du socialisme.
La politique des Soviets chinois, les mesures pratiques prises par eux assurant une amélioration absolument tangible de la situation des ouvriers et des paysans, contribuent à éveiller les grandes masses des travailleurs à une vie politique active et à intensifier rapidement leur esprit d’organisation et leur conscience politique. Parmi la population travailleuse des territoires de la Chine du Kuomintang, qui vit dans des conditions telles qu’elle est privée de tous droits, vouée à la ruine, à la famine, à la disparition, que le régime du Kuomintang condamne à un nouvel esclavage colonial, se renforce la conviction que seuls les Soviets peuvent les sauver. Chaque jour, des masses plus grandes de travailleurs chinois en arrivent à comprendre que seuls les Soviets sont la force capable de défendre l’unité et l’indépendance de la Chine, d’unifier le pays, de repousser les attaques des conquérants impérialistes et d’assurer une amélioration radicale de la situation des masses travailleuses.
Les succès du développement du mouvement soviétique en Chine remplissent d’enthousiasme les travailleurs de tout le monde colonial pour lesquels les Soviets chinois sont devenus l’exemple et le drapeau de la lutte révolutionnaire pour la liberté.
Camarades, j’en ai fini avec l’analyse des trois étapes de la lutte. Résumons les résultats du développement du mouvement ouvrier international depuis le 6e congrès mondial.
L’insupportable joug économique, l’absence de toute perspective d’amélioration à la situation des masses dans le cadre du capitalisme, le danger de guerre immédiat, l’offensive brutale, aveugle de la bourgeoisie contre les derniers restes des libertés démocratiques et du parlementarisme, et les tentatives d’instaurer dans un nombre de plus en plus grand de pays le régime fasciste de sang et de terreur, font monter chaque mois à une hauteur plus grande la vague de la lutte de classe du prolétariat dans le monde capitaliste.
L’Union soviétique devient de plus en plus un point d’attraction pour les masses travailleuses, ce qui signifie que dans la conscience des masses mûrit l’idée de la nécessité de créer leur propre pouvoir soviétique.
Aucun changement temporaire de la conjoncture économique, aucune manoeuvre de gouvernements "de gauche" et social-démocrates ne peuvent changer cette tendance principale dans le mouvement ouvrier international.
Cet essor du mouvement ouvrier et la volonté accrue des masses de lutter pour le socialisme, montrent que la crise révolutionnaire mûrit dans le monde entier.
J’en viens maintenant à la partie de mon rapport qui traite de l’état de nos sections.
IV. ‑ L’Internationale communiste et ses sections
Le développement des événements historiques dépend aujourd’hui, plus que jamais, du degré de conscience et d’organisation de la classe ouvrière, d’une tactique habile et intelligente des communistes, de la puissance et des effectifs de l’Internationale communiste.
Le camarade Staline a dit dans son rapport au 17e congrès du P.C. de l’U.R.S.S. en janvier-février 1934 [57]:
Certains camarades pensent qu’aussitôt que commence une crise révolutionnaire, force est à la bourgeoisie d’entrer dans une situation sans issue, que sa fin est donc déjà déterminée à l’avance, que la victoire de la révolution s’en trouve déjà assurée et qu’ils n’ont qu’à attendre simplement le renversement de la bourgeoisie et à écrire des résolutions de victoire. C’est une grave erreur; la victoire de la révolution ne vient jamais d’elle-même, il faut la préparer et l’emporter de haute lutte. Or, seul un fort parti prolétarien révolutionnaire peut la préparer et la gagner. Il y a des moments où la situation est révolutionnaire, où le pouvoir de la bourgeoisie est ébranlé jusqu’aux fondements, mais où la victoire de la révolution, néanmoins, n’arrive pas, parce qu’il n’y a pas de parti révolutionnaire du prolétariat possédant assez de force et d’autorité pour conduire les masses et pour prendre le pouvoir entre ses mains. Il serait absurde de croire que de pareils "cas" ne peuvent pas se produire.
Camarades, nous devons avouer que de pareils "cas" se répètent, que de pareils "cas" peuvent encore se répéter, si nous ne tenons pas compte de l’avertissement du camarade Staline, et si nous ne faisons pas tout ce qui est possible et nécessaire pour renforcer les Partis communistes, et veiller à ce qu’ils acquièrent la possibilité de conquérir la majorité du prolétariat.
Souvenons-nous: est-ce que la situation en Allemagne n’était pas révolutionnaire de 1918 à 1920 et en 1923? Et cependant le prolétariat n’a pas vaincu parce qu’il n’y avait pas à ce moment, en Allemagne, de fort parti révolutionnaire du prolétariat capable d’organiser sa victoire sur la bourgeoisie. Même en 1932, le P.C.A. ne se montra pas encore suffisamment fort pour mener les ouvriers social-démocrates, contrairement a la volonté de leurs chefs, à la grève générale contre le fascisme.
Est-ce qu’en 1920 la situation en Italie n’était pas révolutionnaire? Et cependant le prolétariat n’a pas vaincu; alors ce sont les fascistes, au contraire, qui sont venus au pouvoir, parce qu’il n’y avait pas encore de fort parti révolutionnaire du prolétariat.
Ensuite, est-ce que l’issue des événements en Autriche, en février 1934, n’aurait pas pu être autre s’il y avait eu alors en Autriche un fort Parti communiste, si le Parti socialiste-démocrate n’avait pas dominé en Autriche, parti qu’Otto Bauer lui-même qualifie de parti non révolutionnaire?
Est-ce qu’en Espagne aussi, où la révolution bourgeoise démocratique piétine déjà depuis quatre années sur place, la situation ne pourrait pas être autre pour le développement ultérieur du mouvement révolutionnaire?
Est-ce que les succès du mouvement des chômeurs et des actions politiques de la classe ouvrière ces dernières années dans nombre de pays capitalistes n’auraient pu être plus grands si les Partis communistes eussent été plus forts, s’ils avaient su créer un système puissant d’organisations prolétariennes de masse, s’ils avaient su entraîner le prolétariat et les grandes masses travailleuses, et les conduire à l’attaque contre le capitalisme?
Si le prolétariat russe a vaincu en octobre 1917, cela fut avant tout parce qu’il y avait en Russie le parti fort et expérimenté des bolchéviks qui, sous la ferme direction de Lénine, avait su établir un contact étroit avec la masse entière des exploités et des opprimés, et conquérir la majorité du prolétariat pour mener le prolétariat entier à la révolution victorieuse triomphale.
Sans un pareil parti, le prolétariat de Russie n’aurait pu, malgré la situation révolutionnaire, conquérir le pouvoir.
La leçon principale qui nous est donnée par l’histoire du mouvement révolutionnaire est donc que nous, communistes, devons travailler inlassablement à l’organisation des masses, au renforcement des Partis communistes et à leur liaison avec les masses, au renforcement de l’Internationale communiste.
Si nous ne nous préparons pas à accomplir cette tâche, alors il pourra arriver, si profonde que puisse être la crise révolutionnaire, que la bourgeoisie réussisse à duper les masses, à écraser encore une fois pour un certain laps de temps le mouvement de libération du prolétariat, à établir la dictature fasciste dans nombre d’autres pays encore et à chercher dans une nouvelle guerre impérialiste, pour un nouveau partage du monde, une issue à sa situation difficile.
La période entre les 6e et 7e o congrès mondiaux de l’Internationale communiste a été, comme je l’ai déjà dit auparavant, une période de revirement dans les masses ouvrières en faveur de la lutte révolutionnaire, une période d’accroissement rapide de l’influence des Partis communistes sur les masses et, en même temps, une période de consolidation organique et politique des Partis communistes.
Cette consolidation politique et organique des Partis communistes s’est réalisée dans la lutte contre les éléments de droite qui poussaient le Parti à capituler devant la social-démocratie. Aussitôt après le 6e congrès mondial, ce fut le soulèvement des droitiers contre la ligne du congrès; Brandler en Allemagne, un peu plus tard Lovestone[58] aux États-Unis, Jilek[59] en Tchécoslovaquie, Kilbom[60] en Suède, Sellier[61] et plus tard Doriot[62] en France.
Cependant, ni en Allemagne, ni aux États-Unis, ni en Tchécoslovaquie, ni en France, les opportunistes de droite n’ont réussi à entraîner à leur suite une partie tant soit peu importante des membres du Parti. Ce n’est qu’en Suède que le groupe de Kilbom réussit à scinder le Parti communiste de Suède par suite d’un travail d’explication défectueux et des fautes des partisans de la ligne de l’I.C., et à détacher de l’I.C. une partie des ouvriers révolutionnaires.
Dans la lutte contre les droitiers, de même que dans la lutte simultanée contre les conceptions sectaires "de gauche" menant le Parti à l’isolement des larges masses, les Partis communistes se sont suffisamment trempés pour se défendre de l’influence opportuniste; ils ont contrôlé leurs rangs, en ont rejeté les éléments pourris, inaptes à la lutte, acquérant en même temps la capacité de mieux manœuvrer dans la lutte contre la bourgeoisie et le réformisme, et de mieux adapter leur tactique aux conditions concrètes de la lutte de classe du prolétariat dans chaque pays.
Les héroïques détachements de lutte du communisme
Par suite de la consolidation au sein du Parti, grâce à l’expérience recueillie dans la nouvelle étape de lutte et d’éducation sérieuse des cadres, les Partis communistes sont parvenus a un nouveau degré, à un degré supérieur. On en trouve le témoignage dans les combats héroïques de l’Armée rouge chinoise a la tête de laquelle sont des paysans, des ouvriers agricoles, des étudiants qui, au cours de ces sept années, ont été éduqués par le Parti et se sont développés en organisateurs et guides marquants des masses et en hommes d’État prolétariens.
On en trouve le témoignage dans le travail du Parti communiste d’Allemagne, dans le travail de ses cadres de base qui, malgré la désorganisation fréquente de la direction centrale par la Gestapo [police Secrète d’État] et une atroce terreur moyenâgeuse, savent s’orienter d’une façon indépendante dans les questions politiques compliquées, publient des milliers de journaux illégaux et organisent la lutte des ouvriers contre les nationaux-socialistes. On en trouve le témoignage dans la tac tique habile du P.C. de France qui a amène 1 établissement du front unique et l’union des grandes masses du peuple pour la lutte contre l’offensive des fascistes. On en trouve le témoignage dans les combats d’octobre en Espagne, où cinq ans auparavant il n’y avait qu’un insignifiant groupe de propagande communiste, dirigé par des éléments semi-trotskistes qui, plus tard, brisèrent même avec l’I.C., mais où, au cours des dernières années, fut fondé un fort Parti communiste qui a dirigé les combats armés dans une importante partie des Asturies.
Les sept années écoulées ont pu montrer au monde que par tout où les masses travailleuses commencent la lutte contre le joug impérialiste, contre le rançonnement des travailleurs par la haute finance, les banques et les trusts, pour la défense de la liberté des peuples et pour la culture humaine, les communistes ont lutté dans les tout premiers rangs.
Au cours des sept années écoulées, le monde a pu se persuader de la fermeté et de l’abnégation, du dévouement illimité des cadres de l’Internationale communiste à la cause de la lutte pour la libération de tous les exploités et opprimés.
Souvenez-vous de l’attitude du camarade Dimitrov au procès de Leipzig, rappelez-vous les procès contre Rakosi[63] en Hongrie, Antikainen[64] en Finlande, Fiete Schulze[65] en Allemagne, souvenez-vous de la mort héroïque des camarades Tsou Tso Bo (Strakhov)[66], de Lütgens[67], Kofardjiev[68], souvenez-vous enfin des nombreux héros et victimes de la grande lutte de libération dans tous les pays du monde.
Il faut attribuer une importance exceptionnelle au fait que, dans la période qui fait l’objet de ce rapport, des Partis isolés ou plusieurs Partis ensemble ont souvent pris l’initiative d’actions internationales dans la cause de la lutte pour les chômeurs, contre le fascisme et la guerre. D’une importance exceptionnelle a été aussi le fait que les Partis plus forts, ayant le plus d’expérience, ont aidé de leurs conseils les Partis plus faibles, ont élaboré pour eux des programmes et des documents, que les communistes des pays impérialistes ont aidé constamment dans leur travail les communistes des pays coloniaux, ainsi que les partis plus faibles tant pour leur consolidation intérieure que dans leur lutte contre la bourgeoisie.
Le fait que dans ces dernières années un revirement s’est produit dans la conscience des grandes masses ouvrières, des ouvriers social-démocrates surtout, donne aux Partis communistes des possibilités incomparablement plus grandes de gagner les masses ouvrières. Nos mots d’ordre acquièrent de la popularité parmi des couches de plus en plus larges de la classe ouvrière et aussi dans les rangs des Partis social-démocrates.
Il faut que la position des chefs social-démocrates soit mauvaise parmi les masses pour que beaucoup d’entre eux se mettent aujourd’hui à reconnaître la dictature du prolétariat, la forme soviétique de l’État, la confiscation des moyens de production et leur nationalisation, le renversement violent du pouvoir de la classe des exploiteurs. Cette victoire des mots d’ordre et idées de l’Internationale communiste montre que si les Partis communistes, durant les années de stabilisation, n’ont pu élargir que lentement leur influence et n’ont pas pu briser celle des vieux partis réformistes plus influents, toutes les conditions préalables se trouvent désormais réalisées permettant aux Partis communistes d’accroître plus rapidement leur influence et de progresser plus rapidement dans la conquête de la majorité de la classe ouvrière.
La bourgeoisie s’efforce de rendre plus difficile pour les Partis communistes la conquête de la majorité de la classe ouvrière, en restreignant la liberté de la propagande communiste, en paralysant le travail légal des Partis communistes, en procédant par la terreur contre les communistes et en opposant à leurs mots d’ordre les mots d’ordre des différents partis bourgeois, semi-fascistes et fascistes.
Face à l’abandon impétueux du réformisme par les masses, à la menace de la révolution prolétarienne, la bourgeoisie pro cède à la suppression des derniers vestiges des libertés démocratiques bourgeoises et des organisations du prolétariat, y compris celles des Partis social-démocrates et des syndicats.
Par suite de cette offensive de la bourgeoisie contre les organisations ouvrières, sur les 67 sections de l’Internationale communiste dans les pays capitalistes, 22 sections seulement, dont 11 en Europe, peuvent aujourd’hui travailler légalement ou semi-légalement. 45 sections, dont 15 en Europe, sont contraintes de travailler dans la plus stricte illégalité et dans les conditions de la terreur la plus cruelle. Dans le nombre, il y a quelques pays comme l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche, la Lettonie où les fascistes ont détruit toutes les organisations du prolétariat, y compris aussi celles des Partis social-democrates et des syndicats, et poussent de force les ouvriers dans les organisations fascistes.
Il faut expliquer clairement aux masses le programme, la stratégie et la tactique de l’I.C.
Les formes et méthodes de la lutte des communistes pour la conquête des masses ouvrières, l’agitation et la propagande, le travail d’organisation, sont déterminés par la situation des Partis communistes, dans chaque pays pris en particulier. Cependant, dans tous les pays capitalistes sans exception, cette lutte se déroule sous les mots d’ordre généraux de la lutte contre l’offensive du Capital, le fascisme et la préparation d’une nouvelle guerre impérialiste. Dans tous les pays, le travail des communistes a lieu sous le mot d’ordre fondamental de l’I.C., le mot d’ordre de la lutte pour le pouvoir soviétique.
Notre agitation et notre propagande ont été déterminées par le fait que les communistes, dans leur lutte contre le capitalisme, le fascisme et la guerre, ont dû, en même temps, combattre la social-démocratie qui empêche les masses de lutter. Sans combattre la social-démocratie, il était impossible de lutter contre la bourgeoisie, car il s’agissait de gagner les ouvriers social- démocrates à la lutte.
C’est précisément la situation présente qui nous oblige à accentuer la critique contre ceux des Partis et chefs social-démocrates qui continuent à empêcher les masses de lutter et à jouer dans la lutte de la classe ouvrière le rôle de briseurs de grève. Mais, en même temps, nous devons, dans notre agitation et propagande, lutter avec la plus grande vigueur contre la bourgeoisie, notamment contre ses partis les plus réactionnaires, fascistes, qui cherchent à capter par leurs mots d’ordre démagogiques, anticapitalistes, les masses autrefois politiquement passives et sans conscience de classe qui se détournent du réformisme et se mettent pour la première fois en mouvement.
Les méthodes d’agitation et de propagande employées par les fascistes, et par un grand nombre d’autres partis bourgeois et de leurs chefs sont le témoignage que la bourgeoisie se sent faible, qu’elle n’est déjà plus en mesure de maintenir sa domination en s’affirmant ouvertement pour le capitalisme devant les masses.
Beaucoup de nos agitateurs et de nos rédacteurs pensent que notre tâche est de faire la preuve théorique que ces mots d’ordre de la bourgeoisie ne sont pas scientifiques et ne sont pas conformes à 1 économie politique marxiste-léniniste. Préoccupation tout à fait oiseuse. Notre tâche est de démontrer par tous les moyens que les chefs bourgeois, à l’aide de ces mots d’ordre, trompent les masses, qu’aucun parti bourgeois ne peut les réaliser, mais que seul le pouvoir soviétique libérera les travailleurs de la domination des banques et des trusts, du joug du Capital, de la pauvreté, de la faim et de la misère.
Notre tâche est de montrer aux masses que dans le "national- socialisme" allemand il n’y a pas trace de socialisme. Les démagogues fascistes cherchent à se draper dans la toge des tribuns du peuple se préoccupant de sauver les "intérêts" de l’ensemble de la nation.
C’est pourquoi notre tâche est de les démasquer comme les agents des trusts les plus puissants, des rois du canon, de montrer aux masses ce qui se cache derrière la légende de l’unité nationale, comment une poignée de capitalistes et de chefs fascistes s’engraissent aux dépens du peuple. Nous devons montrer aux masses que seule la dictature du prolétariat, cette unique et véritable démocratie pour les travailleurs, créée sur le modèle de l’Union soviétique, peut aider les travailleurs.
Le système capitaliste se montre aux travailleurs sous un aspect toujours plus odieux. Contre le système capitaliste se dressent tous les hommes éminents du moment présent. Le communisme apparait aux masses comme la seule planche de salut.
Les masses travailleuses sont contre le capitalisme, elles ont perdu la foi dans le réformisme et commencent à rompre avec lui. Les masses travailleuses sont pour le front unique de lutte contre le Capital, le fascisme et la guerre.
Les communistes qui organisent de façon conséquente la lutte contre l’offensive du Capital, le fascisme et la guerre, sont pour le front unique comme étant la forme d’unité qu’il faut réaliser aussitôt.
Mais l’unité d’action seule n’est pas tout. Le revirement survenu dans les masses du fait du changement de la situation mondiale, grâce à la victoire du socialisme en Union soviétique et au fait que la bourgeoisie est passée aux méthodes de dictature fasciste dans un nombre de plus en plus grand de pays, a eu pour résultat que les masses social-démocrates se sont mises à s’orienter spontanément vers le front unique. Mais cela ne veut pas encore dire que ces masses viendront tout aussi spontanément au communisme.
Les ouvriers sont pour un parti unique, mais souvent ils se représentent la création de ce parti d’une manière par trop simple Pour que tous les ouvriers révolutionnaires soient rassemblés en un seul parti, il faut que les masses elles-mêmes discutent largement les questions de programme et de tactique, les objectifs de la lutte.
Un parti véritablement unique du prolétariat ne peut être créé que sur la base de l’unité du programme, de la stratégie et de la tactique. Le programme et la tactique de la social- démocratie ont fait faillite. Le programme, la stratégie et la tactique de l’Internationale communiste ont subi avec succès toutes les épreuves. C’est pourquoi nous sommes tout à fait en droit de faire comprendre aux ouvriers social-democrates notre programme, notre tactique et notre stratégie, de lutter sur cette base pour l’union de toutes les forces révolutionnaires et de passer sur tout le front à l’offensive contre le réformisme.
La liaison avec les masses – Loi du bolchévisme
Je passe maintenant à l’état d’organisation de nos sections. Dans tous les pays, nos sections ont grandi politiquement et numériquement. Mais les progrès d’organisation ne répondent pas à l’accroissement de notre influence et il peut en résulter que les Partis communistes soient incapables de se montrer pleinement à la hauteur de la tâche formidable que leur impose la situation politique dans la question de la direction des masses.
Les progrès d’organisation des sections de l’Internationale communiste dans les pays où le mouvement est légal, se heurtant aujourd’hui avant tout à un certain nombre de défauts dans le recrutement de nouveaux membres, dans le travail de leur éducation, ainsi que dans le développement des organisations du Parti. C’est ce qui ressort tout particulièrement dans les fluctuations d’effectifs: les membres nouvellement gagnés au Parti ou bien n’entrent pas réellement dans ses rangs ou le quittent à nouveau au bout de quelques mois. Beaucoup parmi les ouvriers nouvellement affiliés au Parti sont politiquement encore peu éduqués, ne sont pas encore suffisamment actifs et disciplinés. Il faut donc que l’organisation du Parti s’occupe beaucoup d’eux pour en faire des communistes voulant lutter et des militants du Parti. Or, c’est précisément de cela que souvent les anciens membres se préoccupent fort peu. Le développement organique des sections de l’Internationale communiste dans les pays où le mouvement est illégal se trouve fortement entravé par les mesures de répression policière et par la peur de la pénétration de provocateurs dans l’organisation. Mais dans les sections illégales, les nouveaux adhérents, en règle générale, sont mieux disciplines et plus actifs. Cependant, là également, de grands défauts se manifestent.
Très souvent les cellules ne sont pas des organisations politiques examinant les diverses questions politiques, ce qui ne s’explique nullement par les besoins éventuels de la conspiration. Les cellules ne sont souvent que des organisations qui encaissent les cotations ou répartissent les fonctions du travail du Parti.
Dans beaucoup d’organisations, aussi bien dans les sections légales qu’illégales, règne une peur sectaire de l’afflux d’anciens ouvriers social-democrates. Ce sectarisme, dans maintes organisations d’Allemagne, a atteint un tel point qu’on a établi pour les anciens social-démocrates des conditions spéciales d’admission ou qu’on les a groupés dans des cellules spéciales, en formulant même souvent, à leur égard, des exigences politiques trop élevées. Une telle façon de traiter les anciens social-démocrates témoigne d’une incompréhension totale du revirement qui se produit parmi les masses social-démocrates.
Ce revirement ressort de l’exemple de notre Parti autrichien, qui, aujourd’hui, se compose pour plus des deux tiers de camarades qui, il y a une année encore, étaient dans le Parti social-démocrate et sont aujourd’hui des membres fidèles, dévoués et actifs du Parti communiste d’Autriche. Et il en est ainsi non seulement des simples membres du rang de la social-démocratie, mais également des anciens militants social-démocrates. Je soulignerai avec une joie particulière que la délégation de notre section autrichienne à ce congrès se compose pour une partie notable de camarades qui, jusqu’à février 1934, étaient des militants éminents du Parti social-démocrate. (Applaudissements.) La composition de la délégation autrichienne est précisément la meilleure preuve du déclin du réformisme et de la victoire de nos mots d’ordre.
Le principe fondamental de notre organisation du Parti, c’est qu’il faut qu’elle sache maintenir le contact le plus étroit avec les masses et utiliser toutes les possibilités pour organiser la lutte et entraîner les ouvriers dans cette lutte. À cet effet, il faut s’appuyer sur les couches décisives des ouvriers des entreprises et branches d’industrie les plus importantes.
Je voudrais ici indiquer deux secteurs particulièrement importants du travail d’organisation de nos Partis qui sont précisément les plus négligés, c’est le travail parmi les femmes et parmi les jeunes. Les prémices dans tous les pays sont des plus favorables, précisément à l’heure actuelle pour les gagner à la lutte révolutionnaire.
Le travail des communistes dans les syndicats et dans les autres organisations groupant des masses ouvrières est la condition première, décisive pour le succès du travail de masse des communistes et pour la conquête des masses pour les Partis communistes. Sans assurer leur influence sur les masses des membres de ces organisations, il ne saurait être question pour les Partis communistes de conquérir la majorité de la classe ouvrière.
Ces derniers temps, une certaine amélioration de notre travail est à noter dans les syndicats amsterdamiens[69] en Angleterre, en Hongrie, en Pologne et dans la Fédération du travail d’Amérique (American Federation of Labour). Cela a déjà eu comme résultat, que les réformistes n’ont pu, ni en Angleterre, ni aux États-Unis, appliquer les directives données dans ce qu’on appelle leur "circulaire noire" sur l’exclusion des communistes, En Hongrie et en Pologne, notre travail a rendu plus difficile aux fascistes la suppression des organisations syndicales.
Les communistes d’Autriche et d’Allemagne ont déployé également une grande initiative ces derniers temps, participant activement au rétablissement des syndicats libres. Mais beaucoup de communistes considèrent toujours les syndicats amsterdamiens comme un fief de la social-démocratie et non comme leurs propres organisations, non comme des organisations fondamentales de la classe ouvrière, pour le renforcement de laquelle il nous faut faire un travail concret.
Dans les pays où toutes les organisations ouvrières sont détruites par les fascistes, les communistes ne pourront toucher les grandes masses ouvrières s’ils n’utilisent toutes les possibilité légales ou semi-légales, s’ils ne travaillent dans les syndicat fascistes en Italie et en Autriche ainsi que dans les rangs du prétendu "front du travail" en Allemagne, si dans ces organisations ils ne luttent pour conquérir l’influence sur les masses, pour leur direction.
Notre mot d’ordre, dans la lutte pour la conquête de la majorité du prolétariat pour le Parti communiste est: élargir le front, pénétrer pins profondément dans tontes les organisations de masse.
La tâche de notre travail au sein du Parti est: renforcer le Parti et élever le niveau politique de ses organisations.
Les sections les plus importantes de l’I.C.
Je vais parler maintenant de l’état de quelques-unes de nos plus importantes sections.
Dans les sept années écoulées, les Partis communistes ont appris à conduire des millions de travailleurs et ont acquis une formidable expérience de lutte. Dans tous les pays, l’importance des Partis communistes s’est énormément accrue. Nos sections sont devenues plus fortes.
Le Parti communiste allemand, notre plus grand Parti dans le monde capitaliste, qui n’a pas cessé un seul jour, après la défaite du prolétariat allemand en janvier 1933, sa lutte contre la bourgeoisie, a été réduit à l’illégalité. C’est dans l’histoire du mouvement ouvrier, le plus grand Parti illégal du prolétariat. En dépit de la terreur et en surmontant la position sectaire d’une partie de la direction, le Parti mobilise les masses prolétariennes contre le fascisme et contre la préparation d’une nouvelle guerre, il lutte pour la satisfaction des besoins courants des ouvriers. À l’encontre des déclarations des chefs des nationaux-socialistes prétendant avoir anéanti le marxisme, le Parti a prouvé qu’on peut détruire le pseudo-marxisme social-démocrate et les illusions démocratiques, mais qu’on ne saurait anéantir Je marxisme. (Applaudissements.) Il ne saurait être question, d’une consolidation du régime national-socialiste pour longtemps.
Le Parti communiste autrichien qui, il y a une année et demie encore, n’était qu’un petit groupe de propagande, ne jouissant que d’une faible influence, est devenu, après la faillite de la social-démocratie, le seul héritier des traditions révolutionnaires et le Parti dirigeant du prolétariat autrichien. (Applaudissements.) Il lutte avec succès contre les vestiges du réformisme, pour le front unique, pour le rassemblement de tous les ouvriers révolutionnaires dans un seul parti, un Parti communiste unique.
Le Parti communiste espagnol qui, au temps du 6e congrès mondial, était un groupe sectaire, composé en majeure partie d’émigrés, est devenu un Parti de masse cohérent et trempé dans la lutte, un puissant facteur dans le développement de la révolution espagnole. (Applaudissements.) Ses mots d’ordre sont repris par des masses toujours plus nombreuses. En octobre 1934, il joua dans les luttes armées déjà un grand rôle politique.
Récapitulant ce qui a été dit sur ces trois partis, nous pouvons souligner avec une grande fierté l’endurance et la ténacité inouïes des communistes allemands dans les conditions d’une terreur féroce, ainsi que le fait extrêmement important que les communistes d’Espagne et d’Autriche n’ont pas été seulement aux tout premiers rangs sur les barricades, mais aussi qu’après la défaite, sans perdre de temps, ils ont montré les faiblesses du front prolétarien aux masses ouvrières, fait front contre le réformisme et organisé le front unique de tous les prolétaires pour créer ainsi les fondements solides pour les victoires futures.
Notre Parti communiste de Chine, couvert de gloire, s’est tenu, durant les sept dernières années, aux tout premiers avant-postes de combat dans la lutte des peuples des colonies et pays dépendants. Il compte plus de 300.000 membres. Il a créé une Armée rouge et conquis le pouvoir dans une partie importante de la Chine. (Applaudissements.) Ses succès montrent que seuls les mots d’ordre de l’Internationale communiste servent d’étoile conductrice aux grandes masses travailleuses des peuples coloniaux. Mais notre Parti chinois n’a pas encore conquis la majorité des travailleurs dans la Chine du Kuomintang. Il n’a pas su encore organiser les prolétaires des centres industriels les plus avancés et il voit se poser devant lui, dans la lutte contre la bourgeoisie nationale et l’intervention japonaise, la tâche immense et extrêmement difficile d’étendre la révolution soviétique à toute la Chine.
Un autre événement d’immense importance dans le développement du mouvement révolutionnaire des colonies est la création du Parti communiste de l’Inde. (Applaudissements.) Le Parti communiste français a à enregistrer, comparativement aux Partis communistes des autres pays impérialistes, les plus grands succès. Il a triplé ses effectifs et est devenu, par l’application couronnée de succès de la tactique du front unique, un facteur extrêmement important en France. (Applaudissements.) Il a pour tâche de renforcer le front unique de tous les travailleurs contre l’offensive du fascisme et la guerre, pour les revendications quotidiennes des masses ouvrières, de repousser les futures attaques du fascisme et de conduire les travailleurs de la lutte contre le fascisme à la lutte pour les Soviets.
Le Parti communiste d’Angleterre, petite organisation en comparaison du Labour Party, a augmenté ses effectifs d’un tiers, a réalisé le front unique avec l’I.L.P. et, par son travail efficace parmi les masses et une juste application de la tactique du front unique, a consolidé sa position dans le mouvement syndical et, partant, en même temps dans toute la classe ouvrière. Il soutient les revendications démocratiques des masses dans leurs aspirations à la formation d’un gouvernement du Labour Party et propage en même temps le programme d’une révolution prolétarienne, seule issue à la misère et à la détresse Cependant, le Parti communiste anglais est resté une petite organisation.
Le Parti communiste des États-Unis, après avoir surmonté la lutte fractionnelle, s’est accru numériquement de façon considérable et au fur et à mesure de l’aggravation de la crise économique, a commencé à élargir son influence parmi deux grandes masses de la classe ouvrière, parmi les farmers et les intellectuels. Mais pour renforcer encore davantage son influence dans les masses ouvrières, il faut que le Parti grandisse lui-même et consolide ses positions dans, le mouvement syndical. Il faut qu’il mène plus énergiquement que jusqu’à présent la lutte pour la création d’un grand parti de masse des ouvriers et des paysans, en tant que coalition de toutes les organisations des travailleurs contre la bourgeoisie.
Le parti communiste du Japon, qui travaille sous un régime de terreur inouïe, a organisé d’une manière bolchévik la lutte contre l’offensive de l’impérialisme japonais et prêté un sérieux appui aux masses travailleuses de Chine. Cependant, la terreur gouvernementale et les provocations ont eu pour- résultat de l’affaiblir notablement. Pour pouvoir obtenir de nouveaux succès, les communistes japonais doivent extirper résolument les survivances sectaires et utiliser réellement toutes les possibilités légales en vue de la lutte pour les intérêts quotidiens de la classe ouvrière. C’est là, en même temps, la condition première de la consolidation politique et d’organisation du Parti, pour conduire les masses travailleuses à la lutte contre la réaction.
Le Parti communiste de Pologne n’a pas seulement surmonté sa lutte longue fractionnelle, mais a plus que triplé ses effectifs entre les 6e et 7e congrès mondiaux, élargi son influence politique, et il a su, grâce à ses mots d’ordre de combat justes, se mettre à la tête de grands mouvements de masse. (Applaudissements.) Le front unique a permis au Parti de se rapprocher encore davantage des grandes masses. Il faut qu’il utilise toutes les possibilités légales et défende les derniers vestiges des libertés et droits démocratiques du peuple travailleur, afin de rendre les masses mûres pour la lutte en vue du renversement de la dictature fasciste et afin de les entraîner en vue de la lutte pour une Pologne soviétique.
Le Parti communiste de Tchécoslovaquie a dirigé, durant les années écoulées, de grands mouvements de masse, et s’est consolidé au point de vue politique et d’organisation. Grâce à son bon travail de masses, il a pu, malgré le rejet catégorique de toutes les propositions de front unique par la direction de la social-démocratie, réaliser le front unique avec de nombreuses organisations social-démocrates locales. Les résultats des élections parlementaires de 1935, qui ont donné au Parti 850.000 voix, montrent l’influence notablement croissante du Parti parmi les masses ouvrières et paysannes. Le Parti doit développer largement le front unique contre l’offensive du Capital, soviétique contre l’oppression nationale dans les territoires allemands, ukrainiens et slovaques. En organisant les luttes pour les revendications partielles, le Parti doit conduire les masses à la lutte contre la bourgeoisie, à la lutte pour le pouvoir. Et pour conclure, camarades, quelques mots encore sur la plus grande section, la section de tète de notre internationale, sur le parti de Lénine et de Staline, sur le Parti communiste de l’Union soviétique. (Applaudissements.) ,
Durant la période écoulée, il a remporté, sous la direction du camarade Staline, de nouvelles victoires d’une portée historique mondiale et il mène une lutte victorieuse pour la création d’une société socialiste sans classe. Il est pour nous le grand exemple de la façon dont il faut lutter et vaincre.
Camarades, je n’ai mentionné dans ce rapport que quelques-uns des plus grands Partis de notre Internationale. Faire à ce congrès un rapport même bref, sur chaque section, eut été extrêmement difficile.
Le style léniniste de la direction
D’une manière générale, je ne veux souligner tout particulièrement qu’un seul point. Un nombre de plus en plus grand de Partis communistes qui, au moment du 6e congrès mondial, n’étaient encore que de simples groupes de propagande, commencent aujourd’hui à se transformer en partis de masse et à devenir des facteurs politiques importants dans leur pays. Dans tous les Partis communistes des grands pays, il s’est déjà formé des organismes dirigeants fidèles à nos principes et capables de résoudre de façon indépendante, en se basant sur les décisions de nos congrès et Assemblées plénières, les questions politiques et tactiques les plus complexes de leur pays.
Ce fait modifie les fonctions du Comité exécutif de l’Internationale communiste et permet au C. E. de l’l. C. de porter le centre de gravité de son activité sur l’élaboration de l’orientation politique et tactique fondamentale du mouvement ouvrier international, étant bien entendu que, pour la solution de toutes les questions, il faut partir des conditions concrètes et des particularités de chaque pays donné, se faire une règle d’éviter l’immixtion dans les questions d’organisation intérieure des différents Partis, et venir en aide à tous les Partis pour la consolidation d’organismes dirigeants véritablement bolcheviks, dans la question de l’agitation, de la propagande et de l’utilisation internationale de l’expérience du mouvement communiste mondial.
Étant donné la gravité exceptionnelle et l’aggravation de la situation actuelle, nous estimons en même temps d’une nécessité urgente la participation plus active et permanente des représentants les plus autorisés de toutes les sections plus ou moins grandes de l’Internationale communiste aux travaux du Comité exécutif, de son Présidium et de son secrétariat.
Cela renforcera davantage encore notre direction internationale et portera notre organisme dirigeant et tout notre travail à un niveau encore plus élevé.
Le style et les méthodes de notre travail se modifient au fur et à mesure des changements de la situation politique, du développement; et du renforcement de nos Partis. Si, au moment du 6e congrès, beaucoup de nos Partis étaient déchirés par des dissensions intérieures et des luttes de fraction, nous avons aujourd’hui plus d’union et plus de cohésion que jamais. (Applaudissements.).
Il faut que nous donnions à notre travail une beaucoup plus forte impulsion et il ne doit pas y avoir aujourd’hui, ni dans la politique intérieure et extérieure des pays, ni dans les rapports réciproques entre le Parti et les groupes, de questions sur lesquelles les communistes ne portent pas leur attention, au sujet desquelles ils ne prennent pas position, afin d’influencer tout le cours du développement historique.
Un modèle de ce nouveau style de notre travail est l’activité du Parti communiste français, qui, grâce au front unique et au front populaire, est arrivé à organiser les partis de gauche pour la résistance à la formation d’un gouvernement de droite et à souder les plus grandes masses du peuple pour la manifestation antifasciste du 14 juillet.
C’est de l’activité des communistes, de leur aptitude à utiliser tout changement dans la politique de la bourgeoisie de leur pays, tout antagonisme parmi les classes dirigeantes, pour se défendre contre la réaction, le fascisme et les fauteurs de guerre, que dépend aujourd’hui le renforcement du front des travailleurs, contre le front de la bourgeoisie en proie à la folie furieuse, le renforcement du front du communisme contre le front du capitalisme.
L’ère de la 2e Internationale est close
L’ère de la 2e Internationale dans le mouvement ouvrier est close. La situation dans les pays capitalistes, la situation du capitalisme mondial, incapable de trouver une issue aux difficultés dans lesquelles il se débat, incapable d’alléger la misère et la famine des masses, montre qu’un nouvel essor, une nouvelle période de prospérité ne sont déjà plus possibles pour le réformisme. Il se peut que dans quelques pays, pour une courte période, les Partis social-démocrates se consolident, que çà et là ils parviennent encore au pouvoir et participent au gouvernement bourgeois. Mais ce ne sera plus parce que les masses nourrissent encore l’illusion que cela conduira au socialisme, mais seulement parce que les masses ne se sentent pas encore assez fortes pour renverser la domination de la bourgeoisie et pensent pouvoir ainsi repousser les agressions de la réaction, fut-ce même à l’aide de gouvernements social-démocrates.
La 2e Internationale traverse une profonde crise politique. C’est la crise du réformisme mondial, provoquée par l’aggravation de toute la situation mondiale, par le regroupement commençant des masses, par leur revirement vers la lutte contre la bourgeoisie, leur revirement vers la révolution.
La crise de la social-démocratie et de la 2e Internationale toute entière pose devant tous les ouvriers social-démocrates, devant tous les militants social-démocrates honnêtes la question "Où allons-nous?"
Nous avons, à plusieurs reprises, proposé au Comité exécutif de la 2e Internationale d’établir le front unique de lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la guerre. Ce n’est pas pour faire des déclarations, mais ayant en vue la lutte véritable que nous avons proposé en 1933 d’entamer des pourparlers entre les différents Partis. Cependant la 2e Internationale a décliné notre proposition et déclaré que les pourparlers ne pouvaient être menés qu’entre les deux Internationales. En 1934, nous avons proposé au Comité exécutif de la 2e Internationale des pourparlers directs sur des actions communes concrètes. Nos propositions furent à nouveau déclinées. En 1935, avant le ler Mai, nous avons encore une fois proposé au C.E. de la 2e Internationale d’établir le front unique. Cette fois, il a déclaré que les pourparlers peuvent être menés entre les Partis et non pas entre les Internationales.
Que veut la 2e Internationale? Où veut-elle mener les masses?
De deux choses l’une: ou elle ne peut déjà plus agir comme une organisation internationale ou elle sabote l’unité du prolétariat. Si les chefs de la 2e Internationale espèrent survivre à ces temps difficiles pour le réformisme, s’ils croient qu’une conjoncture favorable au réformisme peut encore revenir, nous déclarons devant les grandes masses ouvrières: chaque manoeuvre de la social-démocratie dans l’espoir que la conjoncture favorable au réformisme reviendra, est vaine pour les chefs réformistes et catastrophique pour la classe ouvrière.
Nous proposons à tous les socialistes, nous proposons à tous les Partis socialistes de suivre avec nous, communistes, le seul chemin juste et possible, le chemin du front unique de lutte contre le fascisme, la guerre et le capitalisme, pour le socialisme.
Nous proposons l’union de toutes les forces révolutionnaires du prolétariat en un seul parti révolutionnaire sur la base éprouvée dans la théorie et dans l’organisation des doctrines de Marx et de Lénine.
Nous, les communistes du monde entier, nous avons devant nous une tache de la plus haute importance, la tâche de faire en sorte que toute possibilité soit enlevée aux coquineries de la bourgeoisie de duper par une démagogie quelconque les masses qui ont perdu leurs illusions dans le réformisme, nous avons la tâche de mener le prolétariat sur la base du front unique à la lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la guerre, de gagner le prolétariat à la révolution, à la lutte pour le pouvoir soviétique.
Maintenant, camarades, j’arrive à la partie clôturant mon rapport, à la question des perspectives du développement mondial et de la révolution mondiale.
V. ‑ Les perspectives du développement mondial et de la révolution mondiale
Quelles sont les perspectives du développement mondial, quelles sont les perspectives de la révolution mondiale?
Le système capitaliste est ébranlé jusque dans ses fondements par le développement de la crise générale du capitalisme, par la crise économique mondiale, par la révolutionnarisation croissante des travailleurs et par les symptômes de la crise politique qui se manifestent dans nombre de pays.
Les forces de la bourgeoisie se sont affaiblies, les forces du prolétariat se sont consolidées. Le rapport des forces à l’échelle mondiale a changé en faveur du socialisme, au détriment du capitalisme.
L’U.R.S.S., orgueil et gloire du prolétariat mondial
L’Union soviétique est devenue le facteur le plus puissant et le plus important dans la lutte mondiale pour le socialisme. Si, au moment du 6e congrès mondial de l’I.C., elle était encore un État relativement faible qui ne possédait pas de grande industrie digne d’être mentionnée, aujourd’hui l’Union soviétique est devenue une grande puissance socialiste, regorgeant de forces au point de vue économique et politique qui s’appuie sur une industrie lourde parachevée et sur la meilleure technique moderne.
Aujourd’hui, l’Union soviétique, par l’ensemble de sa politique, a une influence de plus en plus forte sur les destinées du capitalisme mondial et sur le développement de la lutte pour la libération du prolétariat mondial, et des peuples des pays coloniaux et dépendants. C’est dans cette influence de plus en plus croissante de la victoire du socialisme dans l’Union soviétique sur le développement mondial et sur la conscience des masses travailleuses des pays capitalistes que se manifeste l’importance mondiale de la victoire du socialisme dans un seul pays, car c’est une victoire qui ne peut rester isolée, mais qui mène à la victoire du socialisme dans le monde entier.
Nous n’avons aucun doute que le revirement qui s’est fait dans les masses travailleuses, c’est-a-dire l’orientation de ces masses vers la lutte révolutionnaire contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la guerre, soit dû dans une mesure décisive aux succès de l’Union soviétique. Ces succès ont démontré au monde entier que la classe ouvrière est capable d’édifier par ses propres forces une nouvelle société, une société socialiste, que le socialisme apporte aux travailleurs une vie de joie, de liberté et de bien-être.
La supériorité du nouveau système économique, du système socialiste, sur le système capitaliste, la supériorité du nouvel ordre social socialiste sur la société de classe bourgeoise, le contraste entre l’Union soviétique et les pays du fascisme qui saute aux yeux, voilà la force qui, au moyen d’un travail énergique et sérieux des communistes, est capable en peu d’années de réduire à néant l’influence de masse du réformisme.
La victoire du socialisme dans l’Union soviétique démontre en même temps que la victoire du socialisme dans le monde entier est inévitable.
Sur la base des avantages énormes de l’économie socialiste s’appuyant sur la meilleure technique du temps présent, et sur l’agriculture collectivisée, sur la base de la consolidation de la propriété sociale, le niveau matériel et culturel des travailleurs continuera à s’élever avec une rapidité extraordinaire, la puissance économique et politique de l’Union soviétique, continuera à grandir et la démocratie soviétique continuera à se perfectionner pour tous les travailleurs.
Le pays des Soviets apparaîtra dans une mesure de plus en plus grande devant le monde entier comme le pays de la culture et de la technique avancée, comme le pays de’ la paix et du bien-être de tout le peuple, comme le pays de la démocratie et de la liberté, comme le grand pays socialiste où chaque homme a la possibilité de développer complètement ses capacités et aptitudes individuelles.
C’est dans la victoire du socialisme en U. R. S. S. et les perspectives illimitées du développement futur de l’U. R. S. S. dans la voie du socialisme que nous puisons l’assurance que notre influence sur les masses travailleuses du monde entier s’accroîtra avec une rapidité énorme, que la victoire du socialisme orientera vers le communisme la classe ouvrière de tous les pays et entraînera la victoire du socialisme dans le monde entier.
Il suffit pour cela de la paix assurant la possibilité de nouvelles victoires du socialisme en U.R.S.S. Il suffit pour cela de la possibilité d’instruire et d’organiser les travailleurs des pays capitalistes, il suffit pour cela de l’énergie, de la force, de la volonté, du dévouement des communistes à la cause de la lutte pour le socialisme pour que notre victoire soit assurée à l’échelle mondiale dans un court délai historique.
Si moins de cinquante années furent nécessaires pour arriver de la première véritable révolution bourgeoise, la grande Révolution française de 1789, à l’aube de l’époque où une vague de révolutions bourgeoises, qui anéantira définitivement la puissance du féodalisme, a déferlé sur toute l’Europe, on aura besoin d’un délai non pas plus grand, mais essentiellement plus court pour arriver de la victoire de la première révolution socialiste, la grande Révolution d’Octobre 1917, à la victoire du socialisme dans le monde entier.
La crise révolutionnaire mûrit
Mais le système capitaliste n’abandonnera pas sans lutte l’arène de l’histoire mondiale.
Le système capitaliste est affaibli, mais le capitalisme a réussi à remonter du point le plus bas de la crise économique. Cependant, trois ans après que fut dépassé ce point le plus bas de la crise, malgré l’influence notoire des préparatifs de guerre sur l’accroissement de la production, la production dans la majorité des pays n’a néanmoins pas atteint à nouveau le niveau de la période d’avant la crise. Quant au commerce extérieur, il continue jusqu’aux derniers temps à se resserrer par suite du relâchement des relations économiques mondiales.
L’accroissement énorme du chômage par comparaison avec la période précédant la crise, le niveau de vie extrêmement réduit de tous les travailleurs, la crise agraire dans les pays agricoles, le niveau extrêmement bas des investissements de capitaux dans l’industrie, dans la grande majorité des pays, l’accroissement colossal du parasitisme de l’État, le fait que l’État, sous forme d’impôts fiscaux, accapare une partie considérable du revenu national pour financer les préparatifs de guerre et pour entre tenir l’appareil d’État démesurément développé ‑ tout cela a fortement réduit la capacité d’achat du marché intérieur des pays impérialistes.
En outre, le renforcement formidable des trusts et des cartels monopolistes qui cherchent à maintenir les prix élevés du marché intérieur, fait obstacle à l’extension du marché et a l’absorption des réserves de marchandises et entraîne une accumulation accélérée de nouveaux stocks de marchandises. Les barrières douanières prohibitives, l’annulation des vestiges du libre-échange, la guerre commerciale, le dumping, la réduction de la capacité d’absorption des marchés coloniaux, la crise persistante dans les colonies, la désagrégation du système monétaire et de crédit international ‑ tout cela fait obstacle au rétablissement des liaisons internationales et à l’extension du commerce extérieur. Et cela réduit les limites de l’essor possible de la production industrielle et rend extrêmement difficile un essor sérieux général de la production pour tous les pays.
La tension générale des relations entre les classes et les États, le danger immédiat de la guerre et les symptômes d’une crise politique dans un grand nombre de pays créent une atmosphère d’inquiétude défavorable à la consolidation de l’économie et à l’essor économique.
Ce que nous venons de dire montre que la crise générale du capitalisme, sur la base de laquelle se développe la crise économique a créé une situation dans laquelle continuent à persister les conditions défavorables au développement de l’économie, qui empêchent l’économie capitaliste d’avoir un mouvement ascendant quelque peu sérieux et qui favorisent le processus de décomposition.
Ces causes font que dans la plupart des pays domine une tendance manifeste à la prolongation ultérieure de la dépression d’un caractère particulier et il est tout à fait probable que l’accroissement de la production de peu de durée, inégal dans les différents pays et branches, s’accompagnera de nouveaux accès de la crise économique.
Cette situation économique, qui est caractérisée par une dépression de nature particulière, qui condamne dans tous les pays capitalistes des dizaines de millions de chômeurs à la famine et à la mort lente et des centaines de millions d’ouvriers, de paysans, d’intellectuels, de petits bourgeois et d’esclaves coloniaux à l’indigence, a encore approfondi l’abîme entre le petit groupe de monopolistes du Capital financier et les masses fondamentales du peuple vouées à la misère et au désespoir.
La foi dans le capitalisme, dans l’aptitude des chefs el des dirigeants de l’économie capitaliste et de l’État, à trouver une issue à la crise et à arriver à une nouvelle prospérité, est sapée parmi les grandes masses du peuple. L’autorité des impérialistes est affaiblie dans les colonies, tous les fondements économiques sociaux et politiques de la société bourgeoise sont ébranlés, de sorte que les classes dominantes elles-mêmes sont obligées de recourir à une démagogie anticapitaliste.
Telle est la situation qui, mettant sous les yeux des masses travailleuses de la façon la plus tangible le contraste entre le capitalisme et le socialisme, aggravera rapidement la lutte des opprimes contre leurs oppresseurs, fera rapidement grandir l’indignation des masses contre le régime capitaliste, amènera à sa maturité la crise révolutionnaire et fera mûrir dans la conscience des masses prolétariennes de plus en plus importantes l’idée de l’assaut du capitalisme.
Mais il peut arriver que, dans quelques pays, l’économie capitaliste, surmontant les conditions défavorables à son développement, connaisse encore un essor passager, que la bourgeoisie de ces pays trouve un allègement. Cependant un tel essor de l’économie capitaliste dans les conditions d’aggravation générale de la crise du capitalisme ne saurait amener la stabilisation et le reflux de la vague révolutionnaire. Au contraire, cela ne fera que renforcer la lutte entre les différents groupes de la bourgeoisie qui s’empresseront de profiter de la conjoncture améliorée, cela accentuera la lutte sur l’arène internationale, car les marchés sont protégés par de hautes barrières douanières, car, en fin de compte, l’essor d’un pays quelconque se fera aux dépens d’autres pays qui seront refoulés à l’arrière-plan.
Tout cela aggravera la situation politique tout entière, le danger de guerre grandira, l’incertitude des masses quant à leur avenir n’en sera pas diminuée. Cela signifie que, quel que soit le développement économique des prochaines années, la décomposition du capitalisme est déjà si avancée qu’une amélioration sérieuse de la situation du capitalisme est déjà impossible. Cela signifie que tout le développement du capitalisme va à la maturation de la crise révolutionnaire.
Le déclin du système capitaliste d’une part et, d’autre part, la victoire du socialisme en U. R. S. S. et l’accroissement de son influence sur les travailleurs des pays capitalistes révolutionnent les masses travailleuses du monde entier et rendent la situation des classe dominantes de plus en plus mal assurée et chancelante.
La bourgeoisie se sent faible et isolée. Le pouvoir de la bourgeoisie devient de plus en plus instable, sa base sociale réformiste vacille et disparaît de plus en plus. C’est pourquoi la bourgeoisie ne peut plus conserver son masque démocratique qui lui était utile pour réaliser sa domination, elle est contrainte de l’enlever. La bourgeoisie, non qu’elle le veuille, mais contrainte par la nécessité, cherche de plus en plus dans un nombre de plus en plus grand de pays nouveaux à assurer sa domination en passant des méthodes parlementaires à la méthode gouvernementale de terreur fasciste, en privant les travailleurs des derniers vestiges des droits démocratiques et du droit de défense de leurs intérêts.
Le fascisme, c’est la guerre
Mais la politique d’autarchie, la politique de nationalisme économique pratiquée par les fascistes dans le but de mettre le marché intérieur à la disposition exclusive de la bourgeoisie du pays pour détrousser les masses, désorganise encore davantage le commerce extérieur et l’économie monétaire. L’orientation vers un nouveau partage du monde renforce le joug militariste, désorganise de plus en plus les finances de l’État, entraîne le pillage d’une partie, de plus en plus grande, du revenu national pour le financement des préparatifs de guerre et aggrave de plus en plus la situation des travailleurs.
Le chauvinisme effréné des fascistes et les préparatifs guerre des pays fascistes les plus importants mènent au renforcement du chauvinisme et de la fièvre d’armement dans tout le monde capitaliste.
Mais là où la bourgeoisie a réussi à rétablir la dictature fasciste, les masses ouvrières du fait de l’oppression, de l’absence de tous droits de l’exploitation croissante et de la préparation de la guerre, comprennent de plus en plus clairement que le fascisme agit non pas dans l’intérêt du peuple, mais uniquement dans les intérêts d’une oligarchie financière. Là s’accroît rapidement le mécontentement des masses qui ont perdu leurs illusions sur le capitalisme, sur les voies démocratiques de lutte. Là mûrit dans les ténèbres de la dictature fasciste les soulèvements des masses populaires contre le fascisme.
L’offensive de la bourgeoisie, ses tentatives d’instaurer la dictature fasciste ont déjà mené à des crises politiques en Autriche, en Espagne, en France. Maintenant, où chaque ouvrier sait déjà ce que lui réserve le fascisme, la résistance des masses à l’instauration de la dictature fasciste se renforcera chaque jour, le mécontentement des masses grandira dans des proportions toujours plus grandes.
Toute la politique des fascistes produit un renforcement du mouvement antifasciste dans les pays où sont encore restés des vestiges de parlementarisme et de’ libertés démocratiques. La bourgeoisie de ces pays en a plus de difficultés pour passer à la dictature fasciste. Cela désorganise de plus en plus tout le système impérialiste. Notre mot d’ordre c’est la lutte contre le fascisme.
Le socialisme, c’est la paix
Nous sommes persuadés qu’il est possible d’éviter la guerre, au moyen de la lutte commune pour la paix du prolétariat des pays capitalistes et de l’U. R. S. S.
Si Ion réussit, par la lutte de l’Union soviétique et des travailleurs de tous les pays, à empêcher les impérialistes de déchaîner une nouvelle boucherie mondiale et à maintenir la paix, cela ne témoignera pas seulement d’une croissance formidable des forces du prolétariat, cela aura aussi pour effet que l’édification du socialisme dans l’Union soviétique et le contraste toujours plus grand entre celle-ci et le monde capitaliste assureront une croissance formidable de la révolutionnarisation des masses travailleuses.
Si par la lutte de l’Union soviétique et des travailleurs de tous les pays capitalistes pour la paix on ajourne la guerre, ne fût-ce que pour un certain temps, cela permettra aussi au prolétariat de mieux développer ses positions dans les pays capitalistes, de renforcer encore davantage la puissance de l’Union soviétique et de se créer des conditions plus favorables pour transformer la guerre entre les impérialistes, ou la guerre des impérialistes contre l’Union soviétique en une révolution victorieuse, triomphale.
Mais si le prolétariat ne réussit pas à empêcher la guerre, la nouvelle guerre mondiale ourdie par les impérialistes sera une guerre de brigands impérialistes pour le pillage des peuples de l’Union soviétique, pour l’assouvissement des peuples petits et faibles aujourd’hui encore indépendants, pour un nouveau partage des colonies et des sphères d’influence des grandes puissances impérialistes.
La guerre apportera à tous les travailleurs une misère indicible. Les travailleurs souffriront-ils cela?
Si la guerre du Japon contre le peuple chinois a déjà provoqué une effervescence des masses populaires dans les deux pays, une poussée des gens les meilleurs du peuple chinois vers l’union pour la lutte commune, aux côtés de l’Armée rouge chinoise, si les préparatifs de guerre de l’Allemagne ont provoqué dans le monde entier un mouvement contre la guerre, il ne saurait y avoir de doute que le déclenchement d’une guerre des impérialistes contre l’Union soviétique ou entre eux provoquera une conflagration ouverte de toutes les contradictions du système impérialiste et conduira les prolétaires de tous les pays, les travailleurs du monde entier et des peuples tout entiers, à l’accentuation extrême de la lutte de classe.
Le déchaînement de la guerre par les impérialistes signifiera le début de la crise révolutionnaire dans le monde capitaliste tout entier.
Le devoir des prolétaires de tous les pays sera de lutter pour la victoire de la révolution, pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile contre la bourgeoisie.
Quel que soit le développement ultérieur de la situation, il conduit à la révolution.
La crise révolutionnaire n’est pas encore mure, mais elle mûrit dans le monde entier. La bourgeoisie, par ses préparatifs effrénés de guerre et par les tentatives d’instaurer la dictature fasciste dans des pays toujours nouveaux, aggrave toujours davantage la situation, accélère la maturation de cette crise. Les paroles suivantes de Lénine caractérisent la situation[70]:
La bourgeoisie se conduit comme un forban sans vergogne qui a perdu la tête. Elle fait bêtise sur bêtise, aggravant la situation et précipitant sa propre ruine… Il s’agit de "démontrer" maintenant par la pratique des partis révolutionnaires, que ces derniers ont assez de conscience, d’esprit et d’organisation, d’attaches avec les masses exploitées, de résolution, de savoir-faire pour exploiter cette crise au profit d’une révolution victorieuse.
Sous le drapeau de Lénine-Staline, à l’assaut du capitalisme
Nul ordre social ne tombe de lui-même, si pourri qu’il soit, il faut le renverser. Nulle crise révolutionnaire ne peut octroyer la victoire au prolétariat, si celui-ci ne sait pas organiser cette victoire et la remporter.
Notre tâche est d’organiser ces masses travailleuses qui se lèvent contre le capitalisme en une armée révolutionnaire cohérente du prolétariat et de la conduire à l’assaut du capitalisme.
Notre congrès mondial doit raffermir la volonté de tous les prolétaires de mettre fin à la division dans la classe ouvrière, d’établir un vaste front unique capable de mobiliser les plus grandes masses du peuple pour la lutte contre l’offensive du Capital, contre le fascisme et la guerre.
Notre congrès mondial doit montrer au prolétariat la voie vers un parti révolutionnaire unique se plaçant sur le terrain inébranlable du marxisme-léninisme.
Nous tous, nous devrons emporter de ce congrès la claire conscience que le sort du prolétariat et de toute l’humanité dépend de nous, de notre travail.
Nous devrons emporter de ce congrès la claire conscience que seul le renversement de la domination des classes exploiteuses, seule l’instauration de la dictature du prolétariat et du pouvoir soviétique peuvent arracher les masses travailleuses à la misère, à la détresse et à leur sort horrible.
Le prolétariat s’est avéré, dans de nombreuses luttes de classe, encore trop faible, parce qu’il est divisé, parce que les Partis communistes étaient encore trop faibles.
L’heure exige de renforcer les Partis communistes en tant que guides dans la lutte pour le pouvoir soviétique. La situation mondiale est extrêmement tendue. Chaque jour peut nous placer devant de grands événements révolutionnaires, devant la nécessite de nous mettre à la tête d’un mouvement de millions de travailleurs pour leur affranchissement, nous communistes, nous montrons aux masses la seule issue de la crise, l’issue des ouvriers et des paysans de l’Union soviétique, l’issue du pouvoir soviétique.
Notre tâche n’est pas seulement de montrer cette issue aux masses, mais de nous y engager avec elles, à leur tête.
Nous partons en lutte pour la liberté, pour la paix, pour le pain, pour le pouvoir soviétique, pour le socialisme.
Notre principal mot d’ordre est la lutte pour le pouvoir soviétique.
Notre drapeau est le drapeau de Marx, d’Engels, de Lénine, de Staline!
Notre chef est Staline!
Sous ce drapeau pénétrons plus profondément dans les masses, resserrons nos liens avec les masses, élargissons le front unique avec le prolétariat!
Communistes! Cimentez la classe révolutionnaire en une seule armée politique de millions d’organisés!
Discours de clôture sur la discussion du rapport sur l’activité du C.E. de l’I.C.
Camarades, les six jours de débats sur le rapport d’activité du Comité exécutif de l’Internationale communiste auxquels 60 orateurs de 46 pays ont participé, ont montré quel chemin formidable l’Internationale communiste, l’avant-garde du prolétariat mondial, a parcouru dans son développement depuis le 6e congrès mondial. Les Partis communistes se sont renforcés dans tous les pays et se sont placés à la tête de grands mouvements de masse des travailleurs. Si, au moment du 6e congrès mondial, nous avions encore dans une série de sections un travail fractionnel intérieur à enregistrer, l’I.C. et ses sections ont aujourd’hui une homogénéité et une cohésion telles qu’elles n’en connurent jamais auparavant. Les débats ont fourni un témoignage éloquent de la cohésion idéologique et politique de toutes nos sections, ainsi que de l’augmentation de leur influence sur les masses. (Applaudissements enthousiastes.)
Le rapport du Comité exécutif a trouvé l’approbation entière des orateurs de tous les Partis communistes. Tout ce que les camarades intervenus dans les débats ont exposé, au sujet des expériences faites dans leurs luttes, confirme entièrement la justesse de la ligne bolchevik de l’I.C., son analyse et ses perspectives du développement international.
La formation du front unique prolétarien et la formation du front populaire de tous les travailleurs pour la lutte contre l’offensive du Capital, le fascisme et la guerre, ont été posées par toutes les sections comme la tâche principale, étant donné qu’un certain nombre de sections dans la lutte pour l’accomplissement de cette tâche extrêmement importante, ont déjà enregistré quelques succès. Mais il nous faut malheureusement constater que les orateurs n’ont pas suffisamment pris position dans les débats à l’égard de l’expérience internationale exposée dans le rapport, mais qu’ils se sont, au contraire, pour le plus grand nombre, exclusivement bornés à mettre en lumière les événements passés dans leur propre pays, ainsi que les expériences qui y ont été faites.
Dans le rapport du C.E. de l’I.C., une critique tout à fait sérieuse a été faite du travail et des fautes de nos différents Partis. La plupart des camarades ont bien reconnu dans leurs discours, au cours de la discussion, la justesse de cette critique, mais il s’en faut de beaucoup qu’ils en soient arrivés aux conclusions qu’il faut en tirer pour améliorer leur travail. Nous espérons que dans la discussion du second point de l’ordre du jour qui posera les problèmes du front unique, les camarades combleront cette lacune.
Il faut faire remarquer aussi que, dans leurs interventions, quelques camarades ont manifesté de la suffisance relative aux succès obtenus, et ils n’ont pas assez expliqué pourquoi, malgré les conditions favorables, notre influence n’a pu être implantée plus fortement dans es masses.
Le camarade Cachin a parlé du grand travail que le Parti communiste de France a fait pour le front unique du prolétariat et pour le front populaire de tous les travailleurs contre le fascisme. La tactique des camarades français a résisté victorieusement à l’épreuve et a fourni au Parti de grands succès politiques, mais les succès obtenus ont besoin encore de consolidation. Mais le danger fasciste est extrêmement grand en France, et c’est pourquoi nous sommes en droit d’exiger des camarades français de nouveaux succès dans la lutte contre le fascisme, sur la base de la ligne juste dans laquelle s’est engagé le Parti et qui est un exemple pour l’ensemble de l’I.C.
Nous sommes en France à la veille de luttes formidables. Les deux camps mobilisent pour ces combats et la victoire ou la défaite du front populaire sera d’une portée immense pour l’ensemble du mouvement ouvrier international, pour l’ensemble de la situation mondiale.
Le travail de notre Parti français, qui a su éveiller et organiser la volonté de résistance contre la barbarie fasciste dans les couches les plus profondes du peuple français, doit être un exemple pour tous nos partis.
Le représentant du Parti communiste d’Espagne, le camarade Garcia, nous a fait un tableau vivant des grands combats d’octobre et des efforts du Parti pour établir le front unique du prolétariat.
Mais le Parti espagnol a des faiblesses politiques. À la différence du Parti communiste autrichien, nos camarades d’Espagne, après l’insurrection armée en octobre 1934, n’ont pas su expliquer aux masses les fautes de la direction social-démocrate et n’ont pas abouti à un tournant des grandes masses social-démocrates vers le communisme.
La lutte en Espagne n’est pas terminée. Il faut que le Parti déploie maintenant plus d’initiative encore dans l’organisation des masses. Il faut qu’il fasse encore de plus grands efforts pour instaurer le front unique avec les ouvriers socialistes et anarchistes, afin de se préparer aux combats politiques d’avenir.
Nous avons l’assurance que les camarades espagnols qui se trouvent sur la voie juste, non seulement corrigeront les lacunes de leur travail, mais remporteront aussi de nouveaux grands succès.
Le camarade Furini, au nom de la délégation italienne, a exprimé son accord complet avec ma déclaration qui constate le commencement d’un revirement dans les sentiments des ouvriers italiens. Cependant, cela seul ne suffit pas. Le Parti communiste d’Italie travaille encore de façon faible dans les organisations fascistes. Or, sans un travail sérieux dans ces organisations, il ne saurait établir le contact avec les grandes masses. Il importe de vaincre les restes des orientations sectaires, afin que le travail puisse être mieux développé dans les organisations fascistes de masse. C’est une chose d’autant plus nécessaire que la situation qui se forme par suite de la guerre imminente contre l’Abysinie[71], exige impérieusement que le Parti devienne le véritable chef des grandes masses de la classe ouvrière.
Les trois camarades chinois qui sont intervenus au congrès nous ont présenté un tableau des luttes qui se déroulent en Chine et nous ont montré comment le Parti chinois, dans les conditions les plus difficiles, organise la lutte contre les oppresseurs du pays et de l’étranger, la lutte pour le pouvoir soviétique. Leurs interventions nous ont montré le grand chemin que le P.C. de Chine a parcouru dans la période écoulée entre le 6e et le 7e congrès, chemin qui remplit le coeur des communistes du monde entier d’orgueil et de joie. (Vifs applaudissements.)
Les camarades ont indiqué comment le Parti est devenu une immense organisation de masse, comment fut formée l’Armée rouge et comment a été instauré le nouvel État soviétique.
Ils nous ont indiqué comment des chefs d’armée et des hommes d’État ont été formés d’anciens ouvriers, paysans, artisans et étudiants, et comment, sous la direction du Parti, un peuple de 450 millions d’êtres humains, foulé aux pieds et martyrisé par les impérialistes, mène la lutte pour sa libération.
Le P.C. de Chine est un modèle pour tous les communistes des colonies et des pays dépendants. Mais à côté du P.C. de Chine, les Partis communistes de quelques pays coloniaux se trouvaient aussi, entre le 6e et le 7e congrès, à la tête de vastes mouvements de masse. Cependant, ces mouvements furent écrasés par les impérialistes. Il faut que les partis de ces pays concentrent désormais leurs forces pour de nouveaux combats.
Il faut qu’un certain nombre d’autres partis des pays coloniaux qui constituent encore des groupes d’avant-garde insignifiants, concentrent maintenant leur attention de façon à faire pénétrer, par le moyen de l’organisation de la lutte elle-même pour les plus petites revendications quotidiennes, la conscience révolutionnaire dans les grandes masses ouvrières et a créer des cadres de révolutionnaires. Il faut extirper jusque dans la racine le sectarisme encore répandu dans les sections de ces pays.
Tous les camarades qui ont pris la parole dans la discussion ont reconnu la nécessité de notre travail dans toutes les organisations de masse des travailleurs. Nous avons déjà entendu à nos sessions précédentes de l’Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. reconnaître de cette façon la nécessite du travail de masse et, néanmoins, ce travail n’a progressé que très lentement. On ne peut expliquer cela que par le fait que les communistes préfèrent ne travailler que dans des organisations révolutionnaires et considèrent le petit travail journalier dans les organisations créées par les partis réformistes, bourgeois-démocratiques ou fascistes comme une tâche secondaire, nullement importante ou même indigne d’un communiste. Il faut en finir tout à fait résolument avec de telles conceptions et orientations.
Le rapport d’activité du C.E. de l’I.C. a souligné un certain nombre de lacunes importantes non seulement dans le travail de certaines sections, mais aussi dans le travail du Comité exécutif de l’Internationale communiste. Le Comité exécutif de l’I.C. considère comme d’une nécessité pressante et comme une chose importante l’amélioration de son travail. Un certain nombre de sections ont présenté des propositions spéciales pour l’amélioration du travail du Comité exécutif de l’Internationale communiste et j’en ai déjà mentionné quelques-unes dans le rapport du Comité exécutif. Le projet de résolution rédigé sur la base des propositions des délégations présente à votre ratification ces propositions d’amélioration.
Dans le travail du Comité exécutif il y avait un certain nombre de défectuosités. Naturellement, cela n’est pas d’une grave importance si, dans certains cas, le Comité exécutif n’a pas répondu à temps à telle ou telle lettre ne touchant pas à des questions politiques fondamentales de notre mouvement. Il est tout à fait possible que des cas de ce genre se soient produits et que le camarade Muller, du Parti communiste de Luxembourg, ait tout à fait raison de se plaindre à ce sujet. Cependant beaucoup plus importants sont les cas où le Comité exécutif a tardé à soutenir telle ou telle section dans les questions politiques importantes. Au cours des débats, le camarade Campbell, le représentant du Parti communiste d’Angleterre, s’est occupé particulièrement de ces défectuosités politiques générales du travail du Comité exécutif. Nous soulignons expressément que nous approuvons tout à fait la critique du camarade Campbell. Mais cette critique n’est pas juste dans tous les cas. Si je m’arrête sur cette critique, c’est seulement dans le but de mettre un peu plus au premier plan la question soulevée par le camarade Campbell.
Le Comité exécutif porte au même titre que les sections la responsabilité de toutes nos insuffisances. Mais dans son effort pour renforcer et améliorer le travail, le Comité exécutif de l’I.C. ne peut s’appuyer que sur les sections elles-mêmes. Nous avons souligné catégoriquement cette grande lacune que le Comité exécutif dans son travail n’était pas suffisamment aidé par les sections. Nous ne pourrons supprimer les fautes et lacunes de notre travail que lorsque les meilleurs représentants des sections collaboreront d’une façon permanente au Comité exécutif, et lorsque les sections elles-mêmes soumettront au Comité exécutif les affaires correspondantes.
Le camarade Campbell s’est occupé d’une façon particulièrement détaillée du travail syndical et des tendances sectaires qui s’y sont fait jour. Il a posé la question de savoir s’il est vrai que toute la responsabilité des fautes sectaires qui ont été commises dans la stratégie et la tactique grévistes, pèse sur les différents partis et si le Comité exécutif a pris à temps l’initiative de combattre les tendances à nier la nécessité du travail dans les syndicats réformistes.
Dans le rapport du Comité exécutif, les fautes sectaires qui sont apparues dans le travail syndical ont été amplement condamnées, en s’appuyant sur les citations des passages correspondants de la résolution de Strasbourg. Mais le camarade Campbell, dans sa critique, n’a pas suffisamment tenu compte du fait que les 10e, 11e et 12e Assemblées plénières du Comité exécutif de l’I.C. se sont prononcées contre les tendances sectaires dans la question syndicale qui se sont fait jour aussi dans la résolution de Strasbourg. Aussi suis-je obligé de faire quelques citations.
Dans la résolution de la 10e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C.[72], il est dit expressément que les communistes ne doivent "dans aucun cas inviter les ouvriers à sortir des syndicats réformistes". Au sujet du travail dans les syndicats réformistes, on peut lire: "au contraire, il faut encore renforcer ce travail". Il y a plus encore, la 10e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. s est prononcée, d’une façon tout à fait résolue, contre les "tendances dangereuses à renoncer au travail dans les syndicats réformistes", contre toute "révision des décisions" sur le travail au sein des syndicats réformistes. À cet effet, on cite encore dans cette résolution de la 10e Assemblée plenière du C.E. de l’I.C. la phrase suivante tirée du livre de Lénine, la Maladie infantile du communisme[73]:
Pour aider les "masses", pour s’acquérir le soutien, la sympathie, l’adhésion de la "masse", on ne doit pas craindre les difficultés, on ne doit craindre aucune intrigue, aucune perfidie, aucune chicane, aucune offense, aucune répression de la part des "chefs"…, et il faut absolument travailler là où sont les masses.
La 11e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. déclare dans sa résolution qu’une lacune essentielle dans le travail de la plupart des sections de l’I.C. réside:
…dans la sous-estimation opportuniste ou sectaire et dans la négligence du travail d’une immense importance au sein des syndicats réformistes[74].
La 12e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. a aussi pris nettement position contre les tendances antisyndicales. Je ne citerai que le paragraphe suivant de cette résolution[75]:
Une des raisons les plus importantes de la mobilisation insuffisante des masses par les Partis communistes et les organisations syndicales révolutionnaires pour la lutte contre l’offensive du Capital est le travail d’une faiblesse inadmissible dans les syndicats réformistes… L’influence de la bureaucratie syndicale réformiste… ne peut être brisée ni par de grands cris sur la destruction des syndicats que les communistes ne recherchent pas, ni par la fuite hors des syndicats, mais seulement par un travail opiniâtre dans les syndicats réformistes, par la lutte pour chaque poste électif dans le syndicat….
Je pense donc qu’il n’y a pas de raison pour faire au Comité exécutif le reproche de n’avoir pas pris l’initiative de s’opposer aux tendances sectaires dans le travail syndical. Néanmoins, il est possible que le Comité exécutif, en effet, dans quelques cas, ne soit pas intervenu immédiatement et pas avec l’énergie nécessaire contre les tendances sectaires qui se sont fait jour dans le travail du Parti et en particulier dans le travail syndical.
Le Comité exécutif a également tardé à corriger les résolutions de la conférence de Strasbourg, et n’a pas modifié immédiatement les formules qui, s’avérant erronées et ne convenant plus à la situation modifiée, provoquèrent de grandes altérations dans le travail des sections.
Le camarade Campbell s’est plaint que la résolution de Strasbourg ait été "imposée", comme il dit, au Parti communiste d’Angleterre, comme tout à fait correcte dans tous ses détails et toutes ses formulations. Or, le Comité exécutif a toujours pris en considération les conditions particulières à l’Angleterre et attiré particulièrement l’attention de nos camarades anglais sur le fait que les traditions syndicales, fortement implantées en Angleterre, doivent être prises en considération dans le travail du Parti et qu’une importance spéciale doit être accordée au travail dans les syndicats et au contact le plus étroit avec les ouvriers organises syndicalement. Si cependant dans le travail du Parti communiste d’Angleterre des fautes de droite ont été commises, et si l’I.C. a du critiquer ces fautes, cela ne saurait être interprété comme favorisant des fautes sectaires.
Renforcer le travail parmi les jeunes
Passons maintenant à la question de la jeunesse. Le camarade Browder, de la délégation américaine, a trouvé anormal que dans le rapport du Comité exécutif, la question de la jeunesse ait été trop brièvement traitée. En cela il a raison. Nous aurions dû, dans le rapport, indiquer encore davantage les grandes lacunes qui se trouvent dans le travail de nos sections, dans la conquête, des masses de la jeunesse travailleuse et dans le soutien de nos Fédérations communistes de jeunes.
La conquête des masses de la jeunesse laborieuse est une de nos tâches les plus importantes, surtout dans la lutte contre le fascisme et la guerre impérialiste. Il faut que nos sections dans les pays aux conditions de travail, légales et illégales, consacrent à la conquête de la jeunesse la plus grande attention et prennent les mesures pratiques qui, tenant compte du désir ardent de la jeunesse de participer activement au travail dans les domaines sportifs, culturel et politique, soient propres à entraîner la jeunesse dans le front unique et à empêcher qu’elle soit la proie de la démagogie fasciste.
Le camarade Furini, de la délégation italienne, a élevé des reproches très sérieux contre le Comité exécutif de l’Internationale des jeunesses communistes. Il a reproché au Comité exécutif de l’Internationale des jeunesses communistes d’avoir une orientation sectaire et de s’être avéré ainsi dans l’impossibilité de diriger de façon juste nos fédérations communistes de jeunes. Cette affirmation est incontestablement exagérée. Mais c’est un fait qu’il a existé pendant longtemps dans l’I.C.J. de fortes tendances sectaires qui ont empêché la formation d’un mouvement de jeunes de masse. La situation dans l’I.C.J. s’est sérieusement améliorée dans les dernières années. Mais, néanmoins, le mouvement des jeunes n’a pas encore un caractère de masse et on peut y déceler encore de très forts éléments de sectarisme.
Le camarade Andrey, qui a parlé au nom du Comité exécutif de l’Internationale des jeunesses communistes a indiqué comment l’I.C.J. s’est efforcée d’entraîner les Fédérations des jeunesses communistes dans un véritable travail de masse parmi la jeunesse laborieuse. Sa critique des fautes sectaires était tout à fait juste, mais elle avait cette lacune qu’elle ne dépassait pas le cadre des généralités et qu’il y manquait une auto-critique concrète du travail de l’I.C.J. Une analyse approfondie des causes des fautes sectaires y manquait aussi, ainsi que des propositions concrètes pour surmonter ces insuffisances.
Il est certain que l’I.C.J. porte à un grand degré la responsabilité de la faiblesse du travail dans la jeunesse, mais nous autres, le Comité exécutif de l’Internationale communiste, nous autres, les Partis communistes, nous portons avec l’I.C.J. l’entière responsabilité de la conquête de la jeunesse travailleuse pour la lutte révolutionnaire. Il faut que les sections de l’Internationale communiste considèrent le mouvement de la jeunesse comme un des secteurs les plus importants de leur front de travail et qu’elles mènent la lutte pour gagner les masses de la jeunesse travailleuse au front unique, afin de les entraîner dans la lutte révolutionnaire.
C’est la tâche du Comité exécutif de transférer le centre de gravité de son activité sur l’élaboration des orientations politiques et tactiques fondamentales du mouvement ouvrier international et d’éviter, plus que par le passé, de s’ingérer dans les affaires d’organisation intérieures des sections. Nous autres, nous sommes, contrairement à la 2e Internationale, un parti mondial à discipline de fer.
Le Comité exécutif continuera, il va de soi, à intervenir encore lorsqu’il se manifestera de grandes lacunes dans le travail de nos sections. Mais ‑ pour le souligner encore une fois ‑ le centre de gravité doit être transféré précisément sur l’élaboration des orientations politiques et tactiques fondamentales du mouvement ouvrier international.
Camarades !
Devant les masses la question est posée:
Fascisme ou socialisme, guerre ou paix.
L’une ou l’autre des solutions dépend de la force de notre classe, du travail de son avant-garde, des communistes.
Sur nos sections pèse une responsabilité écrasante, la responsabilité de gagner dans le délai le plus court sur les masses l’in fluence nécessaire pour les entraîner dans les combats décisifs.
Nous entrons dans une période où nous venons à bout de la scission de la classe ouvrière, créant ainsi dans son sein les forces capables de renverser le capitalisme et d’instaurer la dictature du prolétariat.
La voie dans laquelle nous nous engageons, c’est la création du front unique prolétarien, c’est la création de l’unité syndicale, la création du front populaire de tous les travailleurs, c’est la création d’un parti révolutionnaire unique du prolétariat sur les fondements éprouvés du point de vue théorique et d’organisation de la doctrine de Marx, Engels, Lénine, Staline.
Nous, communistes, nous sommes les initiateurs et les organisateurs du front de lutte le plus large des ouvriers pour la paix, la liberté et le pain, contre le front des exploiteurs et des oppresseurs.
La création d’un tel front n’est pas chose facile. Il faut que nous, communistes, nous arrivions à nous faire comprendre des masses, à leur parler leur langage, à saisir et diriger les masses.
Il faut que nous apprenions à soulever les millions d’êtres humains aux opinions, convictions et conceptions du monde diverses pour la lutte commune. Pour cela, il faut modifier le style et les méthodes de notre travail, afin d’atteindre dans le délai le plus court le maximum de grandes liaisons avec ces masses.
Il faut que nous, communistes, nous sachions utiliser chaque changement dans la politique de la bourgeoisie de chaque pays, chaque contradiction parmi les classes dirigeantes pour riposter à la réaction, au fascisme, au danger de guerre et à l’offensive du Capital.
Les ouvriers et les paysans de l’Union soviétique ont, sous la direction du parti de Lénine et de Staline, montré la voie aux ouvriers du monde entier.
La victoire du socialisme en Union soviétique nous donne, à nous, communistes, et aux masses la force de suivre cet exemple.
Le contraste souligné, dans son discours impressionnant, par le camarade Popov, lorsqu’il comparait le développement de l’Ukraine soviétique et le développement de l’Ukraine occidentale sous la botte des pans polonais, montre, sur un secteur particulier, le contraste de deux mondes: le monde du socialisme et le monde du capitalisme.
La bourgeoisie pousse au fascisme et à la guerre pour échapper au front révolutionnaire des masses travailleuses. C’est de nous, de nous communistes, de la classe ouvrière, que dépend la question de savoir si la bourgeoisie y réussira.
Jamais encore la responsabilité des Partis communistes n’a été posée avec une telle grandeur et une telle gravité qu’aujourd’hui. Le 7e congrès mondial de l’Internationale communiste et ses sections appellent les masses travailleuses à la lutte commune pour la liberté, la paix, le pain, le pouvoir soviétique et le socialisme.
Notre mot d’ordre dans la lutte pour la conquête de la majorité du prolétariat est:
Élargissons le front: Entrons plus profondément dans toutes les organisations de masse.
Noire tâche au sein des Partis communistes est:
Le renforcement des Partis et l’élévation du niveau politique de nos organisations de parti.
Camarades! Luttez pour l’accomplissement de notre tâche historique suprême!
Pour la libération, le bien-être et le bonheur pour toute l’humanité travailleuse!
Notes
[1]. [321ignition] Les annotations sont formulées par nous en tenant compte d’éventuelles notes figurant dans la source.
[2]. Staline: "Rapport politique du C.C. du P.C. de l’U.R.S.S.", dans: XVe congrès du P.C. de l’U.R.S.S., p. 25. (Bureau d’éditions.) [Note de l’éd.]
[321ignition] Cf. Joseph Staline: Rapport politique du C.C. au XVe congrès du P.C.(b) de l’U.R.S.S. (3 décembre 1927) (in: Les Questions du Léninisme, Tome 2, Paris, Éditions sociales internationales, 1931):
Au contraire, le fait même de l’accroissement de la production et du commerce, du développement du progrès technique et de l’augmentation des possibilités de la production, alors que le marché mondial, les limites de ce marché et les sphères d’influence des divers groupes impérialistes restent plus ou moins stables, ce fait précisément fait naître la plus profonde et la plus grave crise du capitalisme mondial, crise qui fait prévoir de nouvelles guerres et menace toute stabilisation.
[3]. Staline: Idem, p. 32. [Note de l’éd.]
[321ignition] Cf. Joseph Staline: Rapport politique du C.C. au XVe congrès du P.C.(b) de l’U.R.S.S.; op. cit.:
Si l’assassinat de Sacco et Vanzetti a pu être la cause d’une telle effervescence dans toute la classe ouvrière, cela montre avec évidence qu’au sein de celle-ci s’est accumulée une énergie révolutionnaire qui cherchera une occasion, parfois insignifiante, pour se donner libre cours et attaquer le régime capitaliste.
[4]. Indonésie, insurrection de 1926.
En décembre 1925 est prise par les dirigeants du Parti communiste d’Indonésie (Partai Komunis Indonesia, PKI) la décision de lancer une insurrection en 1926. Deux représentants, Alimin et Musso, se rendent à Moscou pour obtenir des conseils et un accord sur son déclenchement. Les dirigeants de l’Internationale communiste les mettent en garde. Autant Semaun, dirigeant du PKI présent à Moscou, que Tan Malaka, dirigeant du PKI en exil, se montrent défavorables au projet. Mais l’insurrection est déclenchée avant le retour d’Alimin et Musso en Indonésie. L’action échoue, le PKI est contraint à la clandestinité.
Pour plus de détails cf. L’Indonésie au VIe Congrès de l’Internationale Communiste – 1928 ►.
[5]. Nicola Sacco, Bartolomeo Vanzetti.
Sacco et Vanzetti sont deux immigrés italiens aux USA. Après avoir rejoint, séparément, la même aile du mouvement anarchiste (celle ayant pour principal représentant l’avocat Luigi Galleani), ils se rencontrent en 1917 lorsqu’ils passent au Mexique pour se soustraire à l’enregistrement obligatoire en vue de la mobilisation pour l’armée. Le 15 avril 1920, le caissier de la manufacture de chaussures Slater and Morril, à South Braintree (Massachusetts), située à une vingtaine de kilomètres de Boston, et son garde du corps, porteurs de deux coffres contenant la paye du personnel, sont abattus à coups de révolver par deux hommes. À cette date, la police du Massachusetts enquête sur une affaire semblable, survenue quelques mois plus tôt dans la petite ville de Bridgewater. Le 4 mai 1920, elle arrête Sacco et Vanzetti. Ce dernier est inculpé dans l’affaire du hold‑up de Bridgewater, et condamné à quinze ans de prison. Le procès des auteurs présumés du hold‑up de South Braintree a lieu à Dedham, du 31 mai au 14 juillet 1921, Sacco et Vanzetti sont condamnés à mort. Différentes requêtes en révision du procès sont déposées entre 1921 et 1927, en vain. Le 23 aout 1927 Sacco et Vanzetti sont exécutés à la prison de Charlestown, Massachusetts.
[6]. Grande‑Bretagne, mines, 1926.
En Grande‑Bretagne, le 30 juin 1925 les propriétaires des mines annoncent qu’ils réduiront les salaires des mineurs. Suite à l’opposition du Syndicat national des travailleurs des mines (National Union of Mineworkers), soutenu par le Trades Union Congress (Congrès de Syndicats, TUC, l’unique organisation centralisée de syndicats, liée au Labour Party), le gouvernement conservateur de Stanley Baldwin décide d’intervenir et accorde les fonds nécessaires pour maintenir le niveau des salaires, pendant une période de neuf mois. Il constitue une commission présidée par Herbert Samuel chargée d’examiner la situation de l’industrie minière, laquelle publie son rapport en mars 1926. Elle écarte l’idée d’une nationalisation, recommande l’arrêt des subventions et que les salaires des mineurs soient effectivement réduits. Au même moment les propriétaires des mines, au‑delà des réductions de salaires, modifient de façon plus générale les conditions d’emploi, notamment par un prolongement de l’horaire journalier et la fixation des taux de salaires par district; ils annoncent que si les mineurs n’acceptent pas ces décisions avant le 1er mai, ils procèderont à un lockout.
Le 1er mai, le TUC annonce un appel à la grève pour le 4 mai, et entame des négociations dans l’espoir d’arriver à un accord avant. Depuis le décès du Secrétaire général du TUC Fred Bramley en octobre 1925, Walter Citrine assume la fonction à titre provisoire, il sera officiellement désigné comme Secrétaire général en septembre 1926. Ramsay MacDonald, le dirigeant du Labour Party, est opposé au déclenchement d’une grève générale. Les négociations échouent. Le TUC applique la méthode de mettre en grève d’abord les travailleurs de certains secteurs clé ‑ chemins de fer, transports, ports, imprimeries, construction, sidérurgie. Le 7 mai, Samuel prend contact avec le TUC. Sans se coordonner avec les mineurs, les représentants du TUC s’accordent avec Samuel sur les conditions dans lesquelles la grève pourrait être révoquée en échange d’une poursuite des négociations. Les mineurs rejettent l’arrangement, mais le 11 mai le Conseil général du TUC l’entérine et déclare la fin de la grève. Cependant, le gouvernement ne reprend pas à son compte les termes de l’arrangement.
Le 21 juin, le gouvernement fait adopter une loi qui suspend la loi concernant la journée de travail de sept heures dans les mines (Miners’ Seven Hours Act) pour une durée de cinq ans, ce qui autorise le retour à la journée de huit heures. Ainsi en juillet les propriétaires des mines confirment les mesures annoncées. Les mineurs poursuivent la grève, mais sont contraints de reprendre progressivement le travail; un grand nombre parmi eux sont sanctionnés et restent au chômage.
Par la suite, en 1927, le gouvernement adopte le Trade Disputes and Trade Unions Act (Loi sur les conflits de travail et les syndicats), qui prohibe les grèves générales ainsi que les grèves de solidarité, et interdit aux fonctionnaires publics d’adhérer aux syndicats affiliés au Trade Union Congress.
[7]. Autriche, Vienne, 1927.
Le 30 janvier 1927, à Schattendorf, localité de la province du Burgenland, un groupe d’anciens combattants monarchistes ouvre le feu sur un défilé de la Ligue de protection républicaine (Republikanischer Schutzbund, une organisation prolétarienne armée créée en 1923, liée à la social-démocratie). L’attaque fait deux morts, dont un enfant. Le cas est traité devant le tribunal le 14 juillet à Vienne, les auteurs sont acquittés en dépit du fait qu’ils ne nient pas les faits. Le 15, une grève générale spontanée éclate et conduit à des affrontements autour du Palais de Justice de Vienne. La police fait usage d’armes à feu; le lendemain, les fusillades continuent encore. Dans un premier temps la Ligue de protection ne réagit pas; ensuite elle intervient, mais non armée et dans l’intention de désamorcer l’action des manifestants; finalement, exposée aux attaques meurtrières de la police, elle se retire. Au total on compte 86 morts parmi la population, ainsi que 4 policiers; plus de 1000 blessés sont hospitalisés. Durant la nuit du 15 au 16 juillet, le Parti communiste d’Autriche (Kommunistische Partei Österreichs, KPÖ) diffuse une édition spéciale de son organe Die Rote Fahne énonçant les revendications formulées par le Parti: dissolution et désarmement de toutes les organisations fascistes, épuration de l’appareil d’état (police, armée, gendarmerie) d’éléments réactionnaires, armement des travailleurs. L’après‑midi du 15 juillet, le Parti ouvrier social-démocrate d’Autriche (Sozialdemokratische Arbeiterpartei Deutsch-Österreichs, SDAPDÖ) et les dirigeants syndicaux se décident à appeler à une grève générale de 24 heures ainsi qu’à une grève illimitée des transports et des services de postes, télégraphes et téléphones, en adressant au gouvernement une série de revendications: fin des représailles, inculpation des responsables du carnage, convocation du Parlement. Le chancelier fédéral Ignaz Seipel rejette les revendications et, pour se moquer de la délégation, il remarque qu’en vue de la tenue d’une session du parlement, ils devraient "d’abord faire en sorte que les trains circulent à nouveaux, puisqu’autrement les députés ne peuvent pas se rendre à Vienne". Les social-démocrates annulent effectivement la grève des transports.
Le 16 juillet, le Bulletin d’information de la social-démocratie (Mitteilungsblatt der Sozialdemokratie) écrit: "Plus est total, de la part des camarades, le respect de la consigne de rester aujourd’hui à la maison et de ne pas descendre dans la rue, d’autant plus efficace sera la prompte disposition du Schutzbund d’intervenir en cas de besoin." ["Je vollständiger die Genossen die Parole, heute zu Hause zu bleiben und nicht auf die Straße zu gehen, befolgen, desto wirksamer wird die Bereitschaft des Schutzbundes sein, im Falle der Notwendigkeit einzugreifen."]
Puis le 7 aout, l’Arbeiter‑Zeitung écrit: "Nous n’avons pas été vaincus dans le combat, c’est plutôt que nous avons évité le combat." ["Wir sind nicht im Kampf besiegt, wir sind vielmehr dem Kampf ausgewichen."]
[Citations selon Historische Kommission beim ZK der KPÖ: Geschichte der Kommunistischen Partei Österreichs, 1918-1955: Kurzer Abriss; Wien, Globus Verlag, 1977; p. 103‑104.]
Pour plus de détails cf. Autriche, février 1934 : Un jalon dans la résistance contre le fascisme ►.
[8]. Pologne, Lodz, mouvements de grève.
Lodz est historiquement un centre important d’industrie du textile. Des mouvements de grève importants ont eu lieu à différents moments, notamment en 1892, 1905, 1913, 1923. En ce qui concerne 1905, les combats menés par les ouvriers de Lodz constituaient les premières actions armées du prolétariat en Russie. Les fabricants, après avoir dû faire des concessions suite à une grève en janvier 1905, durcissaient leur attitude en avril. S’en suivirent des mouvements de grève en mai, des troupes interviennent pour les réprimer par la forces des armes, mais les manifestations se poursuivent en juin. Une assemblée organisée par le parti social-démocrate est réprimée, dix ouvriers sont tués. Les ouvriers répondent par la grève générale qui se transforme en insurrection armée. Les combats durent trois jours jusqu’à ce que les troupes réussissent à reprendre le contrôle, 300 ouvriers sont tués, environ 1000 blessés, l’état de guerre est imposé.
En mars 1927 on compte à Lodz environ 80.000 ouvriers du textile en grève. En 1928 le Parti communiste engage une démarche pour préparer l’action en vue de l’expiration de la convention collective, en septembre. Dans ce contexte se produisent en juillet des affrontements entre grévistes et employeurs, puis en septembre le mouvement revendicatif se renforce, 50.000 ouvriers du textile se mettent en grève, il s’en suit des négociations infructueuses, en octobre se développe une grève générale qui s’étend à des localités des environs et inclut notamment les transports et l’approvisionnement en gaz et donc l’éclairage. La police intervient et procède à des arrestations nombreuses. À Varsovie également, environ 2500 ouvriers du textile sont en grève. Le conflit se termine par l’acceptation de la part du syndicat socialiste, d’un accord avec les employeurs. Par la suite, un mouvement de grève se produit en 1932, puis en 1936 une grève à Lodz et dans ses environs qui dure deux semaines et à laquelle participent jusqu’à environ 130.000 ouvriers.
[9]. Allemagne, Ruhr, 1928.
Au printemps 1928, un conflit est en cours dans les mines de charbon de la Ruhr, au sujet des salaires et des horaires de travail. Les fédérations des travailleurs des mines pour la région revendiquent l’introduction de l’équipe de 7 heures sous terre et 8 heures en surface, ce que les employeurs refusent. Le 14 avril est prononcée, par l’administration gouvernementale, une sentence arbitrale, elle est rejetée autant par le l’Association de mines (Zechenverband, l’union des employeurs des mines de la Ruhr) que par les syndicats. Le ministre du travail Heinrich Brauns (Parti allemand du centre – Deutsche Zentrumspartei) entreprend des négociations avec les syndicats, mais ses propositions sont rejetées par les syndicats de la Confédération Générale Syndicale Allemande [Allgemeiner deutscher Gewerkschaftsbund] (ADGB). De leur côté les employeurs font savoir qu’aucune des solutions proposées par Brauns n’est acceptable de leur point de vue. Le 23 avril, Brauns valide la sentence arbitrale d’autorité.
En automne de la même année, dans le secteur de la métallurgie de la Ruhr, des négociations ont lieu à l’approche de l’expiration, au 30 octobre, de la durée d’une sentence arbitrale de décembre 1927. Une nouvelle sentence arbitrale est rendue par le conciliateur Wilhelm Joetten. Mais les employeurs du Groupe Nord‑Ouest de l’Association d’industriels du fer et de l’acier brusquent la situation en annonçant le 15 octobre le licenciement de l’ensemble des travailleurs, au nombre d’environ 213 000, à l’échéance du 1er novembre. Les négociations se poursuivent avec le ministre du travail Rudolf Wissel (Parti social-démocrate d’Allemagne – Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD) qui rend une sentence arbitrale acceptée par les syndicats. Les employeurs imposent néanmoins le lockout. S’ensuite une procédure judiciaire prolongée. En attendant l’issue de celle-ci, le gouvernement du Reich charge le ministre de l’Intérieur Carl Severing (SPD) d’une médiation qui aboutit à la fin du conflit.
[10]. France, textile, Roubaix-Tourcoing 1930‑1931.
Un puissant mouvement de grève a lieu dans l’industrie textile du nord de la France, du 18 mai au 28 juillet 1931.
Le contexte est marqué par un conflit qui s’était déroulé auparavant entre juillet et septembre 1930. Le 1er juillet 1930 entre en application la loi instituant les Assurances Sociales. Les salariés gagnant moins de 18.000 Francs par an y sont seuls assujettis. Ils sont classés en 5 catégories de salaires auxquelles correspondent des cotisations fixes variant de 1,50 à 10,00 F par semaine. L’employeur doit prélever la cotisation à compter de la première paie suivant le 1er juillet 1930. Les ouvriers demandent la prise en charge de leur cotisation par l’employeur, ou à défaut, une hausse de salaires de 0,25 F de l’heure. Dans l’industrie du textile de la région Roubaix-Tourcoing, quelques entreprises indépendantes du Consortium de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing (* cf. la note plus loin ►) acceptent de prendre en charge la cotisation ouvrière. Mais le Conseil d’Administration du Consortium s’y refuse et annonce le 1er juillet à Roubaix-Tourcoing et dans la Vallée de la Lys une "prime de fidélité" ayant pour but de masquer l’effet de la cotisation ouvrière sur le salaire, sans pour autant accepter officiellement sa prise en charge. La prime, payable après un an de présence dans l’entreprise à la condition que le travail n’ait pas été interrompu au cours de l’année, quelles que soient la cause et la durée de l’interruption, est critiquée par les syndicats qui demandent la prise en charge de la cotisation ouvrière. Des mouvements de grève s’observent çà et là à partir du 16 juillet; les entreprises n’adhérant pas au Consortium ‑ qui paient les cotisations ouvrières aux Assurances Sociales ‑ continuent à travailler. Devant l’inflexible rigueur du Consortium, le 4 aout la grève s’étend, à l’appel de la CGT, à l’ensemble des usines du Consortium. Elle se termine le 15 septembre sur l’arbitrage de Pierre Laval, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale: la prime de "fidélité" est supprimée, elle est remplacée par une prime de "présence", versée à l’issue de la première année, et cette prime est ensuite incorporée au salaire et payée en même temps que celui‑ci. La pression des industriels, désireux d’en terminer, est telle que l’administrateur-délégué du Consortium, Désiré Ley, doit s’incliner. Le 11 septembre, la Commission intersyndicale de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing accepte les propositions du ministre du Travail. D’un autre côté, les syndicats CGT et chrétiens acceptent que les ouvriers supportent la retenue de leur cotisation aux Assurances Sociales. Les communistes et la CGTU sont hostiles à la loi sur les Assurances et refusent les retenues sur salaire tout en rejetant la "prime de présence".
Puis, le 14 avril 1931, le Consortium annonce aux délégués de la CGT et des syndicats chrétiens qu’à partir du 20 avril suivant, tous les salaires seront réduits de 10 %; l’échéance est finalement repoussé au 11 mai. Quelques jours avant l’échéance, Adolphe Landry, ministre du Travail et de la Prévoyance sociale dans le cabinet formé le 27 janvier 1931 sous la présidence du Conseil de Pierre Laval, se saisit du litige et obtient un nouveau sursis jusqu’au 18 mai. Le 16, des assemblées des syndicats CGT et chrétiens décident d’appeler à la grève pour le 18. Au même moment, le Consortium annonce par voie d’affiches qu’il n’applique pas la baisse de salaires, mais qu’il supprime la prime de présence, ce qui équivaut à une diminution des salaires de 4 à 5 %. Cependant la Commission intersyndicale précise le sens de cette position en indiquant que la question de la diminution de salaires, en dehors de la suppression de la prime de présence, ne serait pas posée à nouveau avant un délai minimum de trois mois ‑ ce qui signifie qu’elle sera effectivement posée ultérieurement. Les dirigeants des syndicats chrétiens sollicitent la médiation du ministre du travail. Dès le premier jour de la grève, on compte 93.000 grévistes à Roubaix-Tourcoing, le 20, on compte au total 112.000 grévistes sur les 128.000 ouvriers du secteur textile (43.000 sur 47.000 à Tourcoing). Le 6 juin, un industriel qui n’adhère pas au Consortium offre à ses ouvriers de reprendre le travail aux mêmes conditions qu’avant la grève (la question de la prime de présence ne se posant pas puisque les cotisations ouvrières aux Assurances Sociales étaient prises en charge par cet employeur), une réduction de salaires limitée à 3 % n’étant appliquée que le 1er septembre 1931. Un certain nombre de firmes, qui se constituent en Groupement Patronal Interprofessionnel, distinct du Consortium, font leur cette initiative. Le 26 juin le ministre du travail et le président du Conseil entament des nouvelles médiations avec les représentants patronaux et ouvriers, il en ressort le 30 juin la proposition de supprimer la prime de présence tandis que les ouvriers recevraient une augmentation de 2 %. Par une note du 2 juillet, la Commission intersyndicale déclare les pourparlers clos. Le 3 juillet, un accord est conclu entre les industriels indépendants et les syndicats CGT et chrétiens: prime de présence supprimée, prime de compensation de 3 % jusqu’au 15 septembre, puis ramenée à 1 % et intégrée dans le salaire. Le 20 juillet, 46.000 ouvriers ont repris le travail, dont 90 % au moins dans les firmes du Groupement Patronal Interprofessionnel. Le Consortium, qui ne veut pas céder, trouve un allié dans le gouvernement belge qui insiste vivement pour que les travailleurs frontaliers impliqués dans le mouvement cessent la grève. Le 21 juillet, il reste 64.000 grévistes, contre 62.000 ouvriers au travail; le 22, 43.000, contre 83 000; le 23, 31.000, contre 95.000. Le weekend des 25‑26 juillet, la CGT et les syndicats chrétiens annoncent la reprise du travail pour lundi. La CGTU tente de de poursuivre le mouvement mais au bout du compte constate que la grève est terminée le 28 juillet.
* Note au sujet du Consortium de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing et de la Commission intersyndicale de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing:
Durant la Première guerre mondiale, le syndicalisme purement patronal, inconnu en 1914 du fait de la doctrine du syndicat mixte qui avait la préférence des industriels catholiques, s’organise. Les membres de l’Association catholique des patrons du Nord tiennent en commun des réunions bimensuelles à Tourcoing et à Roubaix. Elles commencent le 8 juin 1915 à Tourcoing, le 29 septembre suivant à Roubaix. Louis Tiberghien-Motte, de la firme Tiberghien frères, constate que "l’apostolat à l’usine est moins efficace que nous l’avions espéré" et que l’ouvrier "ne veut plus confier la défense de ses intérêts au patron". Mais le roubaisien Eugène Mathon, très hostile aux syndicats ouvriers, qu’ils soient "confessionnels ou indépendants", et persuadé que le "meilleur moyen" de maintenir la paix sociale est "de traiter les ouvriers avec bienveillance et justice", entraine à sa suite la majorité du patronat textile. La guerre terminée, Mathon met sur pied deux organismes patronaux: le “Consortium de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing”, qui a pour objet la gestion des oeuvres sociales, notamment des allocations familiales instituées bénévolement au profit du personnel des entreprises adhérentes, et la “Commission intersyndicale de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing”, chargée de régler les questions de salaires et de répondre aux revendications ouvrières. Il en confie la direction à Désiré Ley, un ancien ouvrier né à Roubaix en 1883. Les deux hommes ont en commun un paternalisme absolu du patronat, seul maitre de la création des oeuvres sociales et de leur fonctionnement. Ainsi les conditions d’octroi du "sursalaire familial", premier nom des allocations familiales, sont déterminées par l’intérêt patronal: un seul jour d’absence au cours d’un mois suffit à en faire perdre le bénéfice. C’est une arme antigrève très efficace, ce que Louis Blain, l’un des chefs des syndicats chrétiens, souligne dès 1922. Désiré Ley instaure une véritable dictature, qui s’impose même aux chefs d’entreprises, puisqu’il leur est interdit de négocier ou de traiter directement avec leur personnel. Ley refuse tout contact avec les syndicats unitaires et finit par rompre toutes relations d’abord en 1924 avec les syndicats chrétiens, accusés à Rome de connivence avec le socialisme, puis en 1928 avec la CGT.
[11]. Le 9e Plénum du Comité exécutif de l’Internationale communiste se tient du 9 au 25 février 1928.
[12]. Dans: Résolutions adoptées à la IXe Session plénière du C.E. de l’I.C., p. 33 (Bureau d’éditions). [Note de l’éd.]
[321ignition] Extrait de la résolution:
Dans ces conditions, la nécessité impérieuse s’impose au parti communiste, en tirant avantage de la radicalisation grandissante des masses, d’adopter une tactique d’opposition plus claire et plus âpre envers le Labour Party et les chefs des Trade-Unions en vue de gagner les ouvriers de l’aile gauche à la lutte contre la bureaucratie comme moyen de s’assurer la direction de la classe ouvrière dans la lutte de classe contre le capitalisme. Ce n’est qu’en ayant une ligne politique à lui qui se distingue profondément de la ligne réformiste sur toutes les questions de la politique en général (guerre, attitude envers l’U.R.S.S., envers la Chine, envers les Indes, l’Égypte. etc…) et de la lutte quotidienne dc la classe ouvrière (contre les tribunaux d’arbitrage, contre la diminution des salaires, contre l’augmentation de la journée de travail, contre l’aide au capital dans l’oeuvre dc rationalisation, contre la paix industrielle, ete…), que le parti communiste pourra consolider son influence parmi les masses et organiser celles-ci pour combattre les capitalistes et leurs laquais.
[13]. Idem, p. 36. [Note de l’éd.]
[321ignition] Extrait de la résolution:
11. On ne peut comparer la situation qui existait en 1918 et en 1920, quand Lénine préconisait la tactique qui consistait à soutenir le Labour Party et de le pousser au pouvoir, avec la situation actuelle. En 1918 et en 1920, un gouvernement du Labour Party aurait pu jouer le rôle d’un gouvernement de Kérensky, avec ses hésitations. La situation actuelle ne peut non plus être comparée à celle de 1922-23, alors que le L:ıbour P:ırty avait à son programme des revendications auxquelles s’opposait vigoureusement la classe capitaliste (impôt sur le capital, chômage, Russie). Aucuns comparaison possible, également, avec la situation en 1924, quand le gouvernement fut obligé de choisir entre deux issues objectivement révolutionnaires. Actuellement, un tel gouvernement sera dès le début un instrument d’offensive contre les ouvriers. L’expérience du gouvernement Macdonald, la trahison de la grève générale et de la grève des mineurs, le changement de position des instances du Labour Party et des Trade-Unions dans les questions de la guerre, de l’attitude envers l’U.R.S.S., envers la Chine et envers les Indes et l’Égypte, le changement de position dans les questions fondamentales de politique intérieure (rationalisation, bill antisyndical, paix industrielle, etc.), tout cela exige du P.C. anglais qu’il se manifeste toujours plus clairement et plus énergiquement comme un parti politique indépendant, qu’il change son attitude à l’égard du Labour Party et du gouvernement travailliste et que, par conséquent, il remplace le mot d’ordre du gouvernement travailliste par celui d’un gouvernement révolutionnaire ouvrier.
[…]
13. Il est absolument nécessaire de présenter des candidats contre les chefs du Labour Party et du Conseil général. […] Il est indispensable de proposer un front unique tant sur le plan national qu’à l’échelle locale en vue de démasquer encore une fois les chefs du Labour Party et des syndicats qui préfèrent l’unité avec les capitalistes à l’unité avec les ouvriers révolutionnaires.
[14]. Carl Zörgiebel (SPD).
En 1922, Zörgiebel est nommé Préfet de Köln, à partir de 1926 il est Préfet de Berlin. À l’occasion de la journée du Premier mai de 1929, il déploie contre le KPD une campagne planifiée de provocation et de répression meurtrière.
[15]. Carl Severing (SPD).
En avril 1919, Severing est nommé commissaire du Reich et de l’état [Reichs- und Staatskommissar] pour la région industrielle de Rheinland-Westfalen (la Ruhr). En mars 1920, après la mise en échec du putsch Lüttwitz-Kapp, il procède à la répression des luttes armées organisées par les travailleurs de la région. Il est nommé ministre de l’intérieur de Prusse. En mars 1921 il dirige la répression contre le mouvement insurrectionnel en Allemagne du centre. En juin 1928 il entre comme ministre de l’Intérieur au gouvernement de coalition dirigé par Hermann Müller (SPD), auquel participent le Parti populaire allemand (Deutsche Volkspartei, DVP), le Parti du centre (Zentrumspartei, Zentrum) et le Parti démocratique allemande (Deutsche Demokratische Partei, DDP).
[16]. Il s’agit d’une allusion aux conceptions d’Alfred Mond.
Mond est un des principaux représentants du grand capital britannique du secteur de la chimie. Son père, ensemble avec John Brunner, avait fondé en 1873 une société, Brunner, Mond and Co. Alfred Mond poursuit le développement de l’entreprise qui en 1926, à travers la fusion avec d’autres sociétés, devient Imperial Chemical Industries (ICI), dont Mond est président. En novembre 1927, après des contacts exploratoires entre certains représentants des employeurs et la direction de la confédération syndicale britannique (Trade Union Congress, TUC), Mond ensemble avec quelques autres entrepreneurs, adresse une lettre au conseil général du TUC afin de solliciter l’ouverture de négociations directes entre les deux parties. Il écrit entre autre:
"Nous réalisons que la reconstruction industrielle peut être entreprise uniquement en conjonction avec, et avec la coopération de, ceux étant en droit et autorisés à parler pour les travailleurs organisés. C’est pourquoi la nécessité de toute action à prendre pour obtenir les mesures les plus complètes et rapides de reconstruction économique nous pousse à chercher la coopération immédiate de ceux qui sont intéressés en la matière aussi vitalement que nous-mêmes. Nous croyons que les intérêts communs qui nous lient sont plus puissants que les intérêts apparemment divergents qui semblent nous séparer."
["We realise that industrial reconstruction can be undertaken only in conjunction with and with the co-operation of those entitled and empowered to speak for organised labour. The necessity of every action being taken to achieve the fullest and speediest measures of industrial reconstruction therefore impels us to seek the immediate co-operation of those who are as vitally interested in the subject as ourselves. We believe that the common interests which bind us are more powerful than the apparently divergent interests which seem to separate."]
Ainsi, sous l’égide de Mond d’un côté et le président du TUC Ben Turner de l’autre, plusieurs conférences se tiennent entre janvier 1928 et mars 1929, désignés communément comme "entretiens Mond-Turner" ou "Melchett-Turner" (étant donné qu’en 1928 Mond est élevé à la pairie sous le nom de Lord Melchett).
En 1929 Mond, dont les parents sont d’origine juive d’Allemagne, participe à la création de l’Agence juive pour Israël et il est désigné comme président du conseil de cette institution.
Le 11 mai 1928 au cours d’un voyage à Rome, Mond donne une interview qui ensuite est rapportée dans la presse britannique, qui attribue notamment à Mond une appréciation selon laquelle le fascisme "tend vers la réalisation de mes idéaux politiques" ["is tending towards the realisation of my political ideals"]. Interpelé à ce sujet par la direction du TUC, Mond explique:
"Mes références au fascisme étaient entièrement restreintes à son application en Italie. Je ne pense pas, et il ne m’est jamais venu à l’esprit que le fascisme en tant qu’idéal politique soit en une quelconque manière approprié à la méthode britannique ou le sentiment britannique. […] Pour autant que le fascisme puisse avoir amélioré la coopération industrielle en Italie, sous les circonstances particulières de moment et de lieu, j’ai exprimé l’avis que l’Italie en avait tiré bénéfice. […] Personne dans notre pays songera à tenter d’appliquer ni le bolchévisme ni le fascisme au progrès ordonné de notre propre pays. […] C’est uniquement par le progrès ordonné et la coopération industrielle que peut être atteint un niveau de vie plus élevé, que nous tous espérons sincèrement voir progressivement appliqué à ce pays."
["My references to Fascism were entirely restricted to its application to Italy. I do not believe, and it has never occurred to me that Fascism as a political ideal is in any way suitable to the British method or British sentiment. (…) In -so far as Fascism may have improved industrial co-operation in Italy, under the peculiar circumstances of time and place, I expressed the view that Italy had benefited. (…) No one in this country would think of endeavouring to apply either Bolshevism or Fascism to the orderly progress of our own country. It is by orderly progress and industrial co-operation alone that the higher standard of living, which we all so earnestly hope to see progressively applied to this country, can be attained."]
(Les citations proviennent de: Trades Union Congress: Report of Proceedings at the Annual Trades Union Congress, t. 60, 1928.)
[17]. ISR, conférence de janvier 1929.
En mi-janvier 1929 se tient à Berlin une conférence de l’Internationale syndicale rouge (ISR) à laquelle participent des délégués des pays d’Europe centrale et de la Grande-Bretagne. À des fins de camouflage, elle est désignée comme Conférence de Strasbourg.
[18]. Heinrich Brandler.
Brandler fait partie du Groupe Spartakus formé à partir de 1915 autour de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, puis il est membre du Parti communiste d’Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD) fondé en décembre 1918. Au 2e congrès du Parti (octobre 1919) il est élu comme membre de la direction, en février 1921 il devient co-président (aux côtés de Walter Stoecker), en juillet 1922 il est désigné secrétaire du bureau politique. Du 10 au 29 octobre 1923 il fait partie d’un gouvernement régional social-démocrate-communiste en Sachsen. En janvier 1924 il est démis de ses fonctions dans le Parti (le 19 février Hermann Remmele est désigné comme secrétaire, Ernst Thälmann comme secrétaire adjoint). Il se rend Moscou, où il poursuit des activités en tant que membre du PCR. En octobre 1928 il revient en Allemagne. En décembre 1928 il est avec August Thalheimer l’un des principaux fondateurs du KPD-Opposition (KPD-O, aussi KPO). En janvier 1929 il est exclu du PCUS et de l’Internationale communiste.
[19]. Opposition syndicale rouge.
En 1929 se tient du 30 novembre au 1er décembre à Berlin un congrès syndical national convoqué au nom d’un Comité national de l’opposition syndicale révolutionnaire [Reichskomitee der revolutionären Gewerkschaftsopposition] (RGO), structure constituée par le KPD au sein de la Confédération syndicale générale allemande [Allgemeiner Deutscher Gewerkschaftsbund] (ADGB). L’objectif consiste à rassembler les forces antiréformistes parmi les travailleurs. Le congrès maintient le principe que l’opposition syndicale doit se structurer au sein des syndicats existants, autour des fractions communistes, en lien avec la création de “comités de promotion de l’opposition syndicale révolutionnaire” [“Ausschüsse zur Förderung der revolutionären Gewerkschaftsopposition”] locaux.
En aout 1930 se réunit le 5e congrès de l’Internationale syndicale rouge (ISR) à Moscou. Il décide de consolider les groupes syndicaux oppositionnels comme unités autonomes. En octobre, des grèves ont lieu dans la métallurgie à Berlin. Confrontés à l’obstruction de la part de la direction syndicale officielle, les syndicats oppositionnels constituent la “Fédération unitaire des travailleurs de la métallurgie de Berlin” [“Einheitsverband der Metallarbeiter Berlins”]. Les 15‑16 novembre, la RGO tient son 2e congrès national. Il est décidé de transformer la RGO en une organisation indépendante réunissant aussi bien des membres des syndicats que des travailleurs en dehors des syndicats existants. L’importance de la poursuite de l’activité au sein des syndicats de l’ADGB est réaffirmée. Le 11 janvier 1931 la RGO constitue la “Fédération unitaire des travailleurs des mines d’Allemagne” [“Einheitsverband der Bergarbeiter Deutschlands”], et le 18 janvier la “Fédération unitaire des travailleurs des ports et des marins” [“Einheitsverbandes der Hafenarbeiter und der Seeleute”] issu de la “Fédération allemande des transports” [“Deutscher Verkehrsbund”] (DVB). En 1932 la RGO compte environ 250.000 membres.
[20]. Araki Sadao.
Le général Araki Sadao est ministre de l’Armée du Japon, de 1931 à 1934. Il est l’un des principaux représentants d’une faction de militaires, désignée comme Kōdōha, (la Voie Impériale). Elle préconise une dictature militaire sous l’égide de l’empereur. L’objectif affiché était la création d’une union économique et militaire regroupant le Japon, la Corée, la Mandchourie et la Chine. Kōdōha entraine l’armée du Kwantung (Kantōgun) dans une conquête de la Mandchourie (* cf. note plus loin ►), sous prétexte d’un sabotage sur la voie ferrée du Sud-Mandchourien, près de Moukden (aujourd’hui Shenyang) le 18 septembre 1931. Les troupes japonaises chassent les autorités chinoises, et en février 1932 le Japon établit l’État vassal du Mandchoukouo, à la tête duquel il place l’ex‑empereur de Chine, Puyi. Le 26 février 1936, la faction Kōdōha s’efforce de provoquer un coup d’état militaire, mais elle échoue dans son entreprise.
Au début de l’ère chrétienne, des nomades d’origine turco-mongole s’établissent en Mandchourie et se sédentarisent. Au début du 13e siècle, les Mongols prennent le pouvoir à Pékin, après s’être approprié la Mandchourie. En 1644, la dynastie mandchoue s’établit sur le trône de Chine à la faveur d’un conflit dynastique et y demeurera jusqu’en 1911 (dynastie des Qing). Il s’ensuit une union prolongée de la Mandchourie avec la Chine. Le pays est l’objet de plusieurs accords entre la Russie et la Chine. La Russie obtient, en 1896, le droit d’établir une voie ferrée à travers la Mandchourie, avec contrôle administratif, pour relier directement Vladivostok au Transsibérien, et, en 1897, la concession du territoire de Port-Arthur (aujourd’hui Lüshun) et Dairen (aujourd’hui Dalian). En 1905, la victoire du Japon dans la guerre russo-japonaise permet à celui-ci de prendre pratiquement la place de la Russie. La Mandchourie est partagée en fait entre les deux zones d’influence, russe et japonaise. L’armée japonaise maintient des troupes dans le nord‑est de la Chine pour assurer la protection de la ligne ferroviaire entre Changchun et Lushun. Ces unités sont réorganisées en 1919 et donnent naissance à l’armée du Kwantung (Kantôgun) connue pour son rôle dans l’expansion militaire du Japon durant les années précédant la guerre sino-japonaise. En 1924, l’URSS renonce officiellement à ses intérêts en Mandchourie, laissant au Japon le champ libre. Celui-ci établit un protectorat. À l’immigration chinoise, très importante à dater de 1776, et devenue une colonisation systématique à partir de 1920 dans le Sud, succède une immigration non négligeable de Japonais et de Coréens.
[21]. Guerre entre le Paraguay et la Bolivie, dite Guerre du Chaco, 1932‑1935.
Le Chaco boréal est une plaine qui s’étend entre les contreforts andins et le Rio Paraguay, pratiquement dépeuplée durant les premières décennies du 20e siècle, à l’exception de petites communautés d’origine indienne et européenne. L’exploitation du quebracho (nom désignant diverses espèces d’arbre dont on extrait du tanin, substance servant au tannage des peaux) et du bétail dans la région fournissait le tiers environ des revenus du Paraguay.
Le Paraguay et la Bolivie entretenaient des revendications antagonistes sur le Chaco Boréal depuis leur indépendance, et ne parvinrent pas à un accord bilatéral sur le tracé de leur frontière commune. Durant la seconde moitié du 19e siècle, les deux pays perdirent une partie de leurs territoires; le Paraguay vit sa taille réduite de moitié lors de la guerre de la Triple Alliance, et la Bolivie dut renoncer à son accès à la mer à l’issue de la guerre du Pacifique. Pour la Bolivie, contrôler le Chaco et établir un port fluvial sur le Rio Paraguay aurait permis de compenser la perte de sa province maritime sur le Pacifique en obtenant un accès, très indirect, à l’océan Atlantique. Les tensions s’accroissent dans les années 1920. La découverte de pétrole au pied des Andes, laissant espérer que le Chaco détient également des gisements pétroliers, accroit encore l’attrait de la région. De plus, des compagnies pétrolières occidentales rivales facilitent alors le financement du réarmement des deux États en leur octroyant des prêts. En juillet 1932, une série d’escarmouches débouche sur un échange d’ultimatums entre les deux nations, qui mobilisent leurs armées, puis la guerre éclate.
Après trois ans de campagnes militaires marquées par des rapports de forces changeantes, le 12 juin 1935 est signé un cessez-le feu qui prend effet le 14 juin. Une trêve entre en vigueur le 21 janvier 1936 puis les belligérants signent deux ans plus tard, à Buenos Aires, un accord cédant au Paraguay les trois quarts du Chaco Boréal, soit 80 % des territoires contestés par les deux pays avant la guerre. Ce n’est qu’en 2009 qu’un traité définisse définitivement le tracé de la frontière commune.
[22]. Le 11e Plénum du Comité exécutif de l’Internationale communiste se tient du 26 mars au 11 avril 1931.
Cf. Thèses adoptées par la 11e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. sur le rapport du camarade Manouilski et sur les co-rapports des camarades Thaelmann, Lenski et Tchémodanov, sur :
La situation et les tâches des Partis communistes d’Allemagne et de Pologne ►.
[23]. Le 12e Plénum du Comité exécutif de l’Internationale communiste se tient du 27 aout au 15 septembre 1932.
Cf. Thèses adoptées par la 12e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. sur le rapport du camarade Kuusinen, sur
La situation internationale et les tâches de l’IC ►.
[24]. USA, manifestations de chômeurs, 1930.
Le 6 mars 1930 le Parti communiste des USA organise une journée de manifestations nationales. Des marches, auxquelles participent un nombre important de noirs, ont lieu à San Francisco, Los Angeles, Detroit, Washington, Boston, New York. Presque partout les manifestations sont violemment réprimées, en particulier à New York où a lieu la manifestation la plus importante. Forts de la mobilisation provoquée par ces manifestations, les communistes poursuivent leurs efforts, créent des "conseils de chômeurs" dans les grandes villes et tentent de les coordonner dans une organisation nationale.
[25]. Hongrie, Budapest, septembre 1930.
Vers l’été 1930, en Hongrie, la volonté de lutte des masses travailleuses se renforce. Sous la pression des circonstances, la social-démocratie décide d’organiser des manifestations contre le chômage. Ainsi le 1er septembre à Budapest et dans d’autres villes elle appelle à des manifestations associées des grèves partielles. De la part de la social-démocratie il devait s’agir d’actions pacifiques. Le Parti communiste appelle à la grève générale et à des manifestations combattives. Les protestations prennent une ampleur jamais atteinte depuis l’écrasement de la république des soviets de 1919. Dès la veille, le pouvoir mobilise la police fortement armée, des chars, procède à plus de 300 arrestations. Les travailleurs ne suivent pas les consignes des social-démocrates, mais celles des communistes. Des affrontements se développent, avec des nombreux blessés des deux côtés, la circulation est totalement désorganisée. Le député social-démocrate Karl Peyer tente de calmer les masses par une tirade anticommuniste et en appelant à la coopération avec la police; il est malmené par les manifestants et se sauve sous protection de la police. Le dirigeant social-démocrate Qarami est extrait de sa voiture, tabassé, la voiture est renversée et incendiée. L’armée intervient. Des restaurants fréquentés par les bourgeois sont dévastés. Des barricades sont érigées. Tard dans la soirée la police réussit à pousser les travailleurs hors du centre vers les quartiers périphériques. Le rapport officiel fait état de deux morts et 57 blessés graves, des récits de la part de la social-démocratie indiquent dix travailleurs tués et 600 personnes blessées. Selon la police, ce sont les dirigeants social-démocrates qui ont appelé la police au secours. Le nombre de manifestants est estimé à 250.000.
[26]. Espagne, instauration de la 2e République, 14 avril 1931.
Dans la nuit du 12 au 13 septembre 1923 le général Miguel Primo de Rivera soulève la garnison de Barcelone et déclare l’état de guerre et la suspension de la Constitution. Au cours des sept années que dura la dictature se succédèrent deux formes de gouvernement: le Directorio Militar (1923-1925) et le Directorio Civil (1925-1929). Progressivement des forces d’opposition émergent, qui tendent à se fédérer autour de revendications communes: la proclamation de la République et la convocation de Cortès constituantes. Primo de Rivera, perdant le soutien des cadres de l’armée et du roi Alphonse XIII, présente sa démission le 30 janvier 1930. Le roi charge un autre général, Dámaso Berenguer, de liquider la dictature et de revenir à la constitution telle qu’elle fonctionnait jusqu’en 1923. D’un autre côté, un comité se réunit en aout 1930 à San Sebastián pour préparer le changement de régime; il regroupe les républicains de toutes les tendances ‑ dont Alcalá Zamora, Alejandro Lerroux (cf. note 45 ►), Manuel Azaña (cf. note 47 ►) ‑ et il obtient l’adhésion des nationalistes catalans, de l’UGT et du parti socialiste avec Largo Caballero (cf. note 49 ►) et Indalecio Prieto; les anarcho-syndicalistes de la CNT acceptent également de s’entendre avec les républicains. Berenguer présente sa démission le 14 février 1931 et est remplacé par l’amiral Juan B. Aznar. Des élections municipales sont convoquées pour le 12 avril. Dans les villes les républicains sont gagnants. Le 14, Eibar, Barcelone, San Sebastián proclament la République. À Madrid, le chef de la Garde civile, José Sanjurjo, ne garantit plus la monarchie. Le roi doit se résigner au départ. Le Comité exécutif, issu du pacte de San Sebastián de 1930, devient gouvernement provisoire, sous la présidence d’un ancien ministre de la monarchie, Alcalá Zamora. Il réunit des tendances très diverses: républicains conservateurs (Miguel Maura), radicaux (Lerroux), radicaux-socialistes et Action républicaine (Azaña), socialistes modérés (Prieto) ou avancés (Caballero), catalanistes et autonomistes galiciens (Casares Quíroga).
[27]. Grande-Bretagne, grève de marins à Invergordon, 1931.
En 1931, le gouvernement britannique décide de procéder à des réductions de salaires dans le secteur public, mesures qui s’appliquent également aux forces armées. Le recrutement de la marine de guerre touche particulièrement les centres industriels connaissant un fort taux de chômage. Début septembre, des informations au sujet des mesures gouvernementales circulent parmi les marins de la flotte d’Atlantique, qui effectue des manoeuvres dans la Mer du Nord. Quand, le 11 septembre, un groupe de dix navires accoste dans le Cromarty Firth en Ecosse du Nord, les marins en permission dans la ville d’Invergordon obtiennent confirmation des rumeurs. Le 12 au soir, un groupe de marins tient une réunion et vote la grève. Le 14, quatre autres navires accostent, des réunions sont organisées. La grève débute le 15. Des manoeuvres au large des côtes sont ordonnées, mais seulement quatre navires sortent, dont d’ailleurs trois finalement reviennent faute de membres de l’équipage prêts à exécuter les ordres. Les grévistes sont rejoints par des membres de la force de police de la marine ainsi que quelques officiers subalternes. Environ 1000 personnes participent. Des négociations ont lieu, le jour même les grévistes obtiennent des concessions, qui sont entérinées par le gouvernement et l’amirauté. Suite au conflit, des grévistes sont emprisonnés, frappés de mesures de représailles. Les bureaux du Daily Worker, journal du Parti communiste de Grande-Bretagne (Communist Party of Great-Britain, CPGB) sont perquisitionnés, plusieurs responsables arrêtés.
[28]. Chili, révolte de la marine de guerre, septembre 1931.
Au Chili, des élections présidentielles ont lieu en 1920. Est élu le candidat libéral Arturo Alessandri, grâce au soutien de la bourgeoisie urbaine et des couches moyennes. Ainsi prend fin un siècle de pouvoir de l’oligarchie conservatrice d’origine espagnole. Cependant, à partir de 1923 des organisations factieuses apparaissent au sein de l’armée. Une loge militaire d’orientation conservatrice intitulée T.E.A. (pour: Ténacité, Enthousiasme, Abnégation) regroupant généraux et amiraux sous la direction de l’inspecteur général de l’armée de terre, Luis Altamirano, se forme dans le but de renverser Alessandri par les armes. Parallèlement, de jeunes officiers progressistes se réunissent régulièrement pour discuter de problèmes d’ordre politique ou professionnel.
Le 5 septembre 1924 un groupe d’officiers constitue un "Comité militaire". Sous la pression de celui-ci, le Congrès national vote un train de lois sociales qui comprend notamment la journée de travail de huit heures, la suppression du travail d’enfants, la règlementation des conventions collectives, la loi sur les accidents de travail, l’assurance-maladie pour les ouvriers, la légalisation des syndicats, la loi des coopératives, la création de tribunaux de conciliation et d’arbitrage en matière du travail.
Poussant plus loin, le Comité militaire demande a Alessandri de dissoudre le Congrès, mais Alessandri voyant que la réalité du pouvoir lui avait échappée, décide, le 9, de s’exiler en Europe. Le 12, s’installe une Junte de gouvernement présidée par Luis Altamirano et comprenant le général Juan Pablo Bennett et l’amiral Francisco Neff, qui décrète la fermeture du Congrès national. Or, cette "Junta de Gobierno" est constituée de militaires de haut rang, âgés, proches de l’oligarchie et du Parti Conservateur. Les jeunes officiers progressistes, qui s’étaient dès le 5 septembre regroupés dans la "Junta Militar y Naval", avaient dans un premier temps apporte leur soutien au putsch de leurs supérieurs. Quand les divergences politiques entre les deux juntes s’accentuent, et qu’il devient clair que la Junta de Gobierno se préparait à rendre le pouvoir aux vaincus de l’élection présidentielle de 1920, la Junta Militar y Naval renverse la Junta de Gobierno par le coup d’État du 23 janvier 1925, et met en place une nouvelle junte présidée par un civil, Emilio Bello, avec en outre deux militaires, le général Pedro P. Dartnell et l’amiral Carlos Ward.
Ce nouveau coup d’État a été exécuté par un nombre réduit de jeunes officiers, dont Marmaduke Grove et Carlos Ibáñez. Leur mouvement reçoit le soutien de la majorité des officiers techniciens et subalternes de la marine, ainsi que de partisans civils d’Alessandri. Les tractations entamées aux lendemains du coup d’État entre le gouvernement provisoire qui est civil (à l’exception de Carlos Ibáñez au portefeuille de la guerre), l’armée et les syndicats, aboutissent au retour d’Alessandri à la présidence, Ibáñez demeurant ministre de la guerre. L’équilibre instable de ce gouvernement, miné par les intrigues d’Ibáñez, ainsi que par la poursuite de l’agitation militaire (un soulèvement de la marine échoue en septembre 1925) ne lui permet de durer que quelque mois; cette brève période a cependant comme résultat la promulgation d’une nouvelle constitution d’essence nettement présidentialiste qui restera en vigueur jusqu’au coup d’État de 1973.
N’ayant pu obtenir le départ d’Ibáñez qui affiche ouvertement ses ambitions présidentielles, Alessandri décide de démissionner à la fin de 1925. Une élection présidentielle (à laquelle Ibáñez préfère ne pas participer) porte au pouvoir Emiliano Figueroa, tandis qu’Ibáñez est nommé ministre de l’Intérieur. Un an et demi seulement après son élection, Figueroa doit démissionner à son tour, et une nouvelle élection présidentielle a lieu en mai 1927 avec cette fois la participation d’Ibáñez. Bénéficiant de l’appui quasi‑total de la gauche, Ibáñez obtient aussi celui de la droite qui, encouragée par l’anticommunisme de certaines de ses déclarations, voit en lui un homme d’ordre, le meilleur rempart contre la révolution, comme il l’avait montré en réprimant fermement des émeutes ouvrières survenues à Iquique en mai‑juin 1925. Ibáñez obtient 96,7 % des suffrages exprimés. Sitôt élu, il se retourne contre les milieux politiques qui venaient de le porter au pouvoir en exilant aussi bien des membres éminents de l’oligarchie que des responsables communistes, anarchistes et syndicalistes.
Dès sa nomination au ministère de la guerre en 1925, Ibáñez avait mis en oeuvre une politique visant à moderniser l’armée et à renforcer sa cohérence, tout en accroissant le poids de son aile progressiste. D’importants moyens financiers permirent l’achat d’énormes quantités de matériel, tandis que la solde des officiers supérieurs se trouve doublée entre 1927 et 1931. Sur le plan politique, une première épuration des officiers conservateurs avait eu lieu en 1924‑25, une seconde vague d’épuration, en février 1927, décime l’État-Major de la marine, après que l’amiral Arturo Swett, ministre conservateur de la marine, eut été remplacé par le capitaine Carlos Frödden, un des chefs de file du courant progressiste de la marine. Tous les officiers limogés sont remplacés par des éléments progressistes et nationalistes.
La politique sociale d’Ibáñez a favorisé les aspirations des masses populaires, mais a aussi tenté de les canaliser dans un syndicalisme d’État tout en réprimant partis de gauche et syndicats. Sa politique économique allait à l’encontre des intérêts la droite politique et la frange la plus archaïque de l’oligarchie (loi de réforme agraire), mais a stimulé le développement économique du Chili (modernisation des instruments d’intervention économique de l’État, importante politique de travaux publics, appel aux investissements américains).
En 1928 des contacts sont noués en Grande-Bretagne entre l’ex-président Alessandri, le général Enrique Bravo, le major Carlos Millán, le colonel Marmaduke Bravo. Il en résulte une tentative de coup d’état en septembre 1930 qui cependant échoue, les impliqués sont déportés à l’Ile de Pâques.
La crise économique mondiale fragilise le gouvernement d’Ibáñez qui s’effondre en juillet 1931 sans que l’armée n’intervienne, après que les étudiants et les organisations de couches moyennes eurent lancé une vague de grèves et de manifestations en faveur du rétablissement des libertés publiques. Ibáñez remet le pouvoir au président du Senat Pedro Opazo Letelier, puis part à l’étranger. Opazo nomme comme vice-président le radical Juan Esteban Montero. Celui-ci accepte aussitôt l’offre de la part des partis politiques, d’être candidat à la présidence. Il transmet la vice-présidence à Manuel Trucco, dont le gouvernement devait se limiter à l’administration du pays et convoquer des élections présidentielles. Ce nouveau pouvoir fut rapidement miné par les intrigues d’Alessandri et d’Ibáñez, ainsi que par l’hostilité d’une grande partie de l’armée, en raison tant du limogeage de nombreux officiers partisans d’Ibáñez que de mesures lésant l’armée sous le prétexte de réduire les dépenses publiques (abaissement des soldes de 30 %, diminution de deux tiers du budget de l’aviation et réduction de la ration de nourriture des équipages de la marine, ce qui déclenche la révolte des marins de Coquimbo et Talcahuano).
Dirigé par des sous-officiers et soutenu par plusieurs milliers de marins, ce mouvement dure du 1er au 8 septembre 1931 avant d’être vaincu par les forces loyalistes dirigées par le général Carlos Vergara, ministre de la guerre. Les chefs de la mutinerie sont emprisonnés.
D’un point de vue idéologique, les marins mutinés affichaient des positions radicales, comme en témoigne cette proclamation:
[Traduit de l’espagnol:]
Au gouvernement du pays. De l’État-major du "Latorre": Devant la conscience du pays nous déclarons qu’en ces moments les équipages, au vu de l’attitude antipatriotique du gouvernement et en considérant que l’unique remède à cette situation est le changement de régime social, nous avons décidé de nous unir aux aspirations du peuple et à nos côtés se trouve à bord une commission d’ouvriers qui représente ce que ressent le prolétariat de la nation, de la Fédération ouvrière du Chili et du Parti communiste. La lutte civile à laquelle nous a poussés le gouvernement se transforme en ce moment en une révolution sociale.
[Texte original en espagnol*:]
Al Gobierno del país. Del Estado Mayor del "Latorre": Declaramos ante la conciencia del país que en estos momentos las tripulaciones, al ver la actitud antipatriótica del gobierno, y al considerar que el único remedio para la situación es el cambio de régimen social, hemos decidido unirnos a las aspiraciones del pueblo y zarpa junto con nosotros, una comisión de obreros que representa el sentir del proletariado de la nación, de la Federación Obrera de Chile y Partido Comunista. La lucha civil a que nos ha inducido el gobierno, se transforma en este momento en una revolución social.
* Edgardo von Schroeders, El delegado del gobierno y el motín de la Escuadra; Santiago, Chile, Sociedad Imprenta y litografía Universo, 1933; p. 7‑8.
Pour la première fois dans l’histoire du Chili, un soulèvement militaire se réclamait explicitement du communisme. Un des chefs des mutins, Pedro Pacheco, adhère par la suite au P.C.
En octobre 1931 se tiennent des élections présidentielles, Montero est élu. Marmaduke Grove revient au pays. En février 1932 Montero le réintégré à l’armée, et en mars le nomme commandant en chef des Forces aériennes. Cependant, Grove organise un soulèvement de l’école de l’aviation d’El Bosque et renverse Montero le 4 juin. Il instaure une République socialiste gouvernée par une junte militaire, qui dure 12 jours, formée par le général Arturo Puga, Carlos Dávila et Eugenio Matte. Le 13, Dávila démissionne et est remplacé par Rolando Merino. Grove est nommé ministre de la Défense nationale (du 5 au 16 juin). Le gouvernement établit des relations diplomatiques avec l’URSS. Les chefs de la mutinerie de 1931 sont libérés. Le 16 juin Carlos Dávila renverse la Junte, Grove est à nouveau déporté à l’Ile de Pâques.
[29]. Ukraine des Carpates (appelée aussi Ruthénie subcarpatique).
En 1921, à l’issue des modifications de frontières appliquées après la Première guerre mondiale, la Pologne intègre notamment deux régions: la Galicie, ayant appartenue précédemment à l’empire Austro-hongrois, et la Volhynie qui est limitrophe à la Galicie au nord, ayant appartenue précédemment à l’empire russe (les deux constituent aujourd’hui la partie la plus occidentale de l’Ukraine). Par ailleurs une région limitrophe de la Galicie, au sud, l’Ukraine des Carpates (appelée aussi Ruthénie subcarpatique), ayant appartenue précédemment à la Hongrie dans le cadre de l’empire Austro-hongrois (tout comme d’ailleurs la Slovaquie), est intégrée dans sa quasi-totalité à la Tchécoslovaquie, dont elle forme la partie la plus orientale.
En juillet 1932 dans le district de Lesko (qui portait jusqu’en 1931 le nom ukrainien Lisko) situé en Galicie de l’Ouest se produit un soulèvement déclenché face à la volonté des autorités d’étendre les différentes formes de travaux obligatoires non rémunérés (Szarwarki). Le soulèvement mobilise 10.000 paysans de 19 villages, durant deux semaines. Environ cent paysans sont tués, cinq condamnés à mort. Suite à une campagne du Secours rouge international les exécutions ne sont pas effectuées. En nombre croissant les paysans fuient dans les forêts et forment des groupes de partisans. Cette aggravation des conflits se propage vers une grande partie de la Galicie de l’Est et de la Volhynie où, partout, la population souffre des effets d’une pénurie de vivres. Pour réprimer les mouvements le pouvoir déploie trois régiments d’infanterie, quatre escadrons de cavalerie, des chars, véhicules blindés, avions, ainsi que des forces de police dont l’effectif s’élève à 15.000. Douze paysans sont exécutés.
[30]. Navire de guerre hollandais De Zeven Provincien, mutinerie du 4 février 1933.
Le Zeven Provincien (Sept Provinces) était un cuirassé garde-côte. L’équipage néerlandais et javanais se rebelle à Sourabaya, au large de Sumatra, parce que la solde a été diminuée. La mutinerie est écrasée dans le sang, avec un nombre élevé de morts et blessés (une source indique douze hommes tués et vingt-cinq blessés, une autre vingt-trois tués et quatorze blessés). Le 31 octobre 1933 dix-neuf accusés comparaissent à un procès.
À l’époque, l’Internationale des marins et ouvriers portuaires [Internationale der Seeleute und Hafenarbeiter/International of Seamen and Harbourworkers] (ISH) agit en Hollande par l’intermédiaire de l’Opposition syndicale révolutionnaire [Revolutionaire Vakverenigings Oppositie] (RVO) des transports par eau mais aussi du Club international (interclub) des marins de Rotterdam. Elle tente de développer sa section en direction des marins chinois et indonésiens, des chômeurs, et autour de l’interclub de Rotterdam. Rotterdam est à l’époque un des premiers ports européens pour le transport de marchandises. Joseph Rimbertus Schaapa est le principal dirigeant de l’interclub de Rotterdam. Il a été nommé en 1928 bien que l’interclub n’ouvrit vraiment ses portes qu’en 1931, après être resté fermé pendant un certain temps suite à des différends au sein du Parti communiste hollandais. Il existe alors une section chinoise dans l’interclub, celui-ci soutient la mutinerie du Zeven Provincien et organise ensuite une campagne de solidarité.
[31]. Staline: Les Questions du léninisme, tome 1, p. 200. E.S.I. [Note de l’éd.]
[321ignition] Cf. Joseph Staline: Résumé des travaux de la XIVe conférence du P.C.R. – Discours prononcé le 9 mai 1925 à l’Assemblée des militants de l’organisation de Moscou (in: Les Questions du Léninisme, Tome 1, Paris, Éditions sociales internationales, 1931):
[Extrait]
II ‑ Tâches courantes des partis communistes dans les pays capitalistes
Ce qui caractérise en ce moment la situation des partis communistes dans les pays capitalistes, c’est que la période de poussée révolutionnaire a fait place à une période de reflux, à une période d’accalmie.
C’est cette accalmie qu’il s’agit de mettre à profit pour renforcer les partis communistes, les bolchéviser et les transformer en véritables partis de masse, appuyés sur les syndicats, pour grouper les travailleurs de certaines catégories sociales non-prolétariennes, et en premier lieu la paysannerie, autour du prolétariat, enfin, pour éduquer les prolétaires dans l’esprit de la révolution et la dictature du prolétariat.
Je n’énumérerai pas toutes les tâches courantes qui se posent aux partis communistes d’Occident. Si vous lisez les résolutions adoptées à ce sujet, notamment les résolutions adoptées par l’Exécutif élargi sur la bolchévisation, vous n’aurez pas de peine à comprendre en quoi consistent pratiquement ces problèmes. Je me bornerai à examiner la tâche essentielle des partis communistes d’Occident et à la mettre en lumière, ce qui facilitera la solution de tous les autres problèmes du moment.
Cette tâche, c’est de cimenter les partis communistes d’Occident et les syndicats, de développer et de mener à bonne fin la campagne en faveur de l’unité du mouvement syndical, d’obliger tous les communistes à adhérer aux syndicats, d’y mener un travail méthodique en faveur du front unique des ouvriers contre le capital et de créer ainsi des conditions permettant aux partis communistes de s’appuyer sur les syndicats.
Sans l’accomplissement de cette tâche, il n’est pas possible de transformer les partis communistes en véritables partis de masse, ni de préparer des conditions favorables à la victoire du prolétariat.
Les syndicats et les partis en Occident ne sont pas ce qu’ils sont chez nous. Leurs rapports ne ressemblent nullement à ceux qui existent en Russie. Chez nous, les syndicats ont fait leur apparition après le parti et autour du parti de la classe ouvrière. Chez nous, avant l’existence des syndicats, le parti et ses organisations dirigeaient déjà non seulement la lutte politique, mais la lutte économique de la classe ouvrière, jusques et y compris les grèves les moins importantes. C’est ce qui, dans une large mesure, permet de comprendre l’autorité exceptionnelle dont jouissait notre parti parmi les ouvriers avant la révolution de Février comparativement aux embryons de syndicats qui existaient alors de-ci de-là. Les véritables syndicats ne firent leur apparition en Russie qu’après février 1917. Mais, à la veille de la révolution d’Octobre, nous avions déjà des organisations professionnelles parfaitement constituées qui jouissaient parmi les ouvriers d’une très grande autorité. Lénine disait à ce moment que, sans l’appui des syndicats, il était impossible d’établir ou de maintenir la dictature du prolétariat. Mais les syndicats n’atteignirent leur plein développement qu’après la prise du pouvoir, et surtout après l’application de la Nep. Il est indubitable que, maintenant, nos puissants syndicats constituent un des plus fermes appuis de la dictature du prolétariat. Le trait le plus caractéristique de leur histoire, c’est qu’ils sont nés, qu’ils se sont développés et consolidés après le parti, autour de lui, dans une atmosphère d’amitié réciproque.
En Europe occidentale, les syndicats se sont développés dans une ambiance très différente. D’abord ils ont surgi et grandi bien avant l’apparition des partis ouvriers. Ensuite, ce ne sont pas les syndicats qui se sont développés autour des partis, mais au contraire, les partis ouvriers qui sont issus des syndicats. Enfin, étant donné que dans le domaine de la lutte économique, qui touche le plus la classe ouvrière, la place était, pour ainsi dire, déjà prise par les syndicats, les partis se virent contraints de se consacrer surtout à la lutte parlementaire, ce qui devait forcément se répercuter sur le caractère de leur travail et sur leur autorité auprès de la classe ouvrière. Et c’est parce que les partis apparurent en Occident après les syndicats et que les syndicats naquirent longtemps avant les partis pour devenir les principales forteresses du prolétariat dans sa lutte contre le capital, que les partis, en tant que forces autonomes, sans point d’appui sur les syndicats, se virent relégués à l’arrière-plan.
Il en résulte que si les partis communistes veulent devenir réellement une force massive, capable d’actionner la révolution, ils doivent étroitement se lier aux syndicats et s’appuyer sur eux.
Ne pas tenir compte de cette particularité de la situation en Occident, c’est à coup sûr nuire à la cause du mouvement communiste.
Et pourtant, il existe encore en Occident certains "communistes" qui ne veulent pas voir cette particularité et qui vont répétant leur mot d’ordre antiprolétarien et antirévolutionnaire: "Abandon des syndicats!". Le mouvement communiste d’Occident n’a pas d’adversaires plus nuisibles que cette espèce de "communistes" qui rêvent de se lancer à l’attaque des syndicats incarnant à leurs yeux des citadelles ennemies. Ils ne comprennent pas qu’une semblable politique doit forcément les faire considérer comme des ennemis par les ouvriers. Ils ne comprennent pas que, bons ou mauvais, les syndicats sont pour l’ouvrier du rang comme des citadelles d’où lui vient le secours pour le maintien des salaires, de la journée de travail, et ainsi de suite. Ils ne comprennent pas qu’une semblable politique ne facilite pas, mais entrave le travail de pénétration des communistes dans les couches profondes de la classe ouvrière.
"Vous attaquez ma citadelle, peut dire le simple ouvrier à de tels communistes, vous voulez détruire l’œuvre à laquelle je me suis consacré pendant des dizaines d’années en me persuadant que le communisme est un progrès sur le trade-unionisme: Il se peut que vous ayez raison dans vos spéculations théoriques sur le communisme, ce n’est pas à moi, simple ouvrier, d’en juger; mais ce que je sais, c’est que j’ai ma forteresse dans mon syndicat, que ce syndicat m’a conduit à la lutte, qu’il m’a défendu tant bien que mal contre les agressions des capitalistes et que celui qui cherche à détruire cette forteresse nuit à mes intérêts. Cessez d’attaquer les syndicats, entrez‑y, militez‑y cinq années et plus s’il le faut, contribuez à les améliorer et à les renforcer, et si vous me persuadez de la supériorité de vos méthodes, soyez sûrs que je ne me refuserai pas à vous soutenir."
Tel est à peu près l’accueil que réserve l’ouvrier moyen de nos jours aux antiprofessionnalistes. Si l’on n’a pas compris ce trait particulier de la psychologie de l’ouvrier moyen, on ne comprendra rien à la situation de nos partis communistes à l’heure actuelle.
En quoi réside la force de la social-démocratie en Occident?
En ce qu’elle a les syndicats pour point d’appui.
En quoi réside la faiblesse de nos partis communistes en Occident?
Dans le fait qu’ils ne se sont pas encore intimement liés et que certains de leurs éléments ne veulent pas se lier aux syndicats.
C’est pourquoi la tâche essentielle des partis communistes d’Occident en ce moment est de développer et de mener à bien la campagne en faveur de l’unité syndicale, d’obliger tous les communistes à entrer dans les syndicats, d’y accomplir un travail méthodique de longue haleine en faveur du groupement de la classe ouvrière contre le capital, et d’arriver ainsi à s’appuyer sur les syndicats.
Tel est le sens de notre campagne en faveur de l’unité syndicale.
Telle est la signification des décisions de l’Exécutif élargi de l’Internationale communiste au sujet des tâches courantes des partis communistes d’Occident à l’heure actuelle.
[32]. Ibidem. [Note de l’éd.]
[33]. USA, American Federation of Labor.
En 1886 est créé aux USA l’“American Federation of Labor” (“Confédération américaine du travail”, AFL). La présidence est assumée par Samuel Gompers. Celui-ci, pendant la Première guerre mondiale, est membre du Conseil national de la défense (Council of National Defense). À la fin de la guerre, le président Woodrow Wilson le nomme à la commission sur la législation internationale du travail dans le cadre de la conférence de Versailles. Il participe ainsi à la mise en place de l’Organisation internationale du travail. À la mort de Gompers en 1924 lui succède William Green. Durant toute une première période, l’AFL ne se préoccupe nullement d’organiser les ouvriers industriels non qualifiés. En 1935 John L. Lewis, de la fédération des mineurs, constitue au sein de l’AFL le “Committee for Industrial Organization” (“Comité d’organisation industrielle”) qui rompt avec l’AFL en 1938 et prend le nom de “Congress of Industrial Organizations” (“Congrès d’organisations industrielles”, CIO). Finalement, en 1955 AFL et CIO fusionnent pour constituer l’AFL-CIO.
[34]. Allemagne, gouvernements Hermann Müller (SPD), 1920/1928.
En 1919, après la prise de fonction de Friedrich Ebert (SPD) comme président du Reich, Hermann Müller conjointement avec Otto Wels est élu comme président du SPD. En mars 1920, après la mise en échec du putsch Lüttwitz-Kapp, il devient chancelier du Reich à la tête d’un gouvernement de coalition incluant SPD, Parti démocratique allemand (Deutsche Demokratische Partei, DDP) et Parti du centre (Zentrumspartei, Zentrum); cependant les résultats des élections de juin conduisent à sa démission. Au Congrès du SPD de 1921 Müller obtient l’approbation d’une résolution qui autorise le parti à former au niveau national de même que celui régional des coalitions avec le Parti populaire allemand (Deutsche Volkspartei, DVP). En juin 1928 il forme un gouvernement de coalition incluant SPD, DVP, Zentrum et DDP, qui restera en place jusqu’en mars 1930.
[35]. Allemagne, gouvernement Heinrich Brüning (Zentrum), 1930.
Le 31 mars 1930, le gouvernement de coalition formé en juin 1928 (cf. note 34 ►) est remplacé par un gouvernement avec à sa tête Heinrich Brüning du Parti du centre (Zentrumspartei, Zentrum), lequel se situe délibérément en dehors d’une coalition parlementaire figée. Le 18 juillet, à l’Assemblée nationale (le Reichstag), Brüning présente un décret signé d’avance par le président Paul von Hindenburg, qui dissout le Parlement. À partir d’octobre 1930, ont lieu de multiples rencontres des principaux acteurs politiques et économiques avec Adolf Hitler et d’autres représentants du NSDAP, dans le but de trouver d’une manière ou d’une autre une formule l’associant au gouvernement. Le 1er juin 1931 est constitué un gouvernement dirigé par Franz von Papen du Parti du centre. Le gouvernement déclare explicitement ne pas être une émanation des partis.
[36]. Parti communiste d’Allemagne (KPD), Programme d’aide aux paysans, 1931.
Le 22 mai 1931, l’organe du KPD, le Rote Fahne (Drapeau rouge), publie un document intitulé "Aide aux paysans opprimés" ("Hilfe für die unterdrückten Bauern"), adopté lors de la réunion du Comité central des 14 et 15 mai. (Cf. le document: ►.) La présentation indique que "le Parti communiste appelle les travailleurs, les employés de bureau, les fonctionnaires subalternes et les petits entrepreneurs à soutenir les millions de paysans qui souffrent dans la lutte pour leur existence même, contre les saisies et les ventes judiciaires" et que "le programme d’aide aux paysans du KPD poursuit clairement la ligne du programme au sujet de la liberté sociale et nationale d’aout 1930". Ce dernier document ("Programmerklärung zur nationalen und sozialen Befreiung des deutschen Volkes"), adopté par le CC, avait été publié le 24 aout 1930. (Cf. le document: ►.) Par ailleurs le KPD publie aussi, le 29 mai 1931, un "plan de création d’emplois" portant le sous-titre "Contre le programme de rapine et la politique de catastrophe du capital financier – Travail et pain pour des millions" ("Arbeitsbeschaffungsplan – Gegen das Raubprogramm und die Katastrophenpolitik des Finanzkapitals – Arbeit und Brot für Millionen").
[37]. Allemagne, Danatbank.
Durant le progrès rapide du processus d’industrialisation en Allemagne au 19e siècle, le système bancaire qui était entre les mains de banquiers privés, ne pouvait initialement se développer au même rythme. Outre l’unification de la monnaie et la disparition des barrières douanières depuis 1834, la création de banques par actions a été une étape importante dans la promotion de l’industrialisation, car seules celles-ci pouvaient fournir un capital suffisamment volumineux sous forme d’actions. La première banque par actions était le Schaaffhausensche Bankverein (Association bancaire de Schaaffhausen), qui doit sa formation à l’été 1848, à un cabinet libéral prussien. En règle générale, toutefois, il n’y avait pas en Prusse de concession pour les banques par actions, car elles étaient considérées comme un instrument spéculatif et seule la responsabilité privée du banquier était considérée comme base d’une activité bancaire saine. À Francfort, centre financier de premier plan, un blocage s’exerçait à l’égard de la création de banques par actions du fait de la grande influence des banquiers privés résidents, avant tout des Rothschild.
Ainsi le développement du système des grandes banques a commencé à Darmstadt en 1853 avec la création de la Banque du commerce et de l’industrie (Bank für Handel und Industrie. C’était la première banque allemande créée intentionnellement comme banque par actions. En 1855-56 a été créée une banque d’émission en tant qu’institution soeur, la Banque pour l’Allemagne du Sud (Bank für Süddeutschland), dirigée en union personnelle avec la Banque du commerce et de l’industrie. La Banque pour l’Allemagne du Sud devient le modèle pour la création de nouvelles banques par actions. Outre les dépôts, l’activité principale consiste en l’émission d’obligations d’État et le financement de l’industrie. Elle assume le rôle de banque fondatrice de nombreuses sociétés industrielles et conserve ses participations de façon prolongée pour assurer le succès de l’opération. La Banque du commerce et de l’industrie joue également un rôle de premier plan dans le financement des chemins de fer et participe à l’expansion de plusieurs lignes en l’Allemagne du Sud, l’Autriche et la Hongrie.
Ultérieurement, les deux banques, la Banque du commerce et de l’industrie et la Banque pour l’Allemagne du Sud, fusionnent pour devenir la Banque de Darmstadt (Darmstädter Bank), puis suit en 1922 la fusion avec la Banque nationale pour l’Allemagne (Nationalbank für Deutschland) à Brême pour former la Banque de Darmstadt et Banque nationale (Darmstädter und Nationalbank, Danatbank). La Darmstädter Bank constitue un vaste réseau de succursales dans tous les centres financiers importants de l’Empire allemand et à l’étranger, à commencer avec New York, et par la suite le Danatbank devient la deuxième plus grande banque d’Allemagne.
La crise économique mondiale qui éclate en 1929 entraine en 1931 en Allemagne une sévère crise bancaire. Lorsque la Österreichischen Creditanstalt se déclare en cessation de paiements, les banques allemandes subissent un brusque assaut de clients souhaitant retirer leurs fonds. La Danatbank est particulièrement affectée par la faillite de la Norddeutsche Wollkämmerei und Kammgarnspinnerei A.G. (Société anonyme de peignage et de filature de laine de l’Allemagne du Nord, appelé Nordwolle), dont elle est le principal fournisseur de fonds. La Nordwolle est la société textile allemande plus importante, elle comprend dix usines, des filiales en Autriche, en Tchécoslovaquie, en Argentine. Les propriétaires de la Nordwolle sont les frères Karl et Heinz Lahussen. Le konzern qu’ils dirigent comprend en outre des usines de savon, des fonderies, des journaux. Une instruction judicaire entamé ultérieurement révèle que les frères Lahussen ont systématiquement falsifié les bilans depuis 1925, détournant 30 millions de marks pour leur propre usage et affectant 170 millions à des dépenses prestigieuses, Aux pertes comptabilisées de 200 millions, la Danatbank participe pour 35 millions, la Dresdner Bank (fondée en 1872) pour 28 millions. Ces évènements s’ajoutent aux difficultés que l’Allemagne subit en raison des paiements à titre de réparations imposés par les puissances vainqueurs. Il en résulte que la Reichsbank n’a plus que 100 millions de marks en or et devises, représentant juste le taux minimal de 40 % de couverture des billets en circulation. Le président de la Danatbank, Jakob Goldschmidt, cherche du secours, il propose en vain une fusion à la Deutsche Bank, finalement il annonce la suspension des paiements. Les difficultés se répercutent notamment sur la Dresdner Bank qui depuis 1930 est liée à la Danatbank par une entente amicale. Le gouvernement décide la fermeture de tous les établissements de crédit les 14 et 15 juillet, et soumet toutes les transactions en devises au contrôle par la Reichsbank. À nouveau les réactions en chaine vont au-delà des frontières: en Autriche, l’État doit contribuer au renflouement du Wiener Bank-Verein et de la Niederösterreichische Escompte-Gesellschaft, à Budapest et à Belgrade, les banques interrompent leurs paiements, la plus importante banque privée de Roumanie, la Marmorosch, Blanc et Cie, fait faillite, en Tchécoslovaquie, les cotations boursières des valeurs bancaires sont suspendues par mesure de précaution. En aout 1931 le gouvernement allemand, afin de consolider la capitalisation de la Dresdner Bank, met à sa disposition 300 millions de Reichsmark sous forme d’actions préférentielles détenues par l’État. Il revend une partie de ces actions à la Deutsche Golddiskontbank, une filiale de la Reichsbank. Ainsi 66 % des actions de la Dresdner Bank sont propriété de l’État, 22 % de la Deutsche Golddiskontbank. Finalement, en mars 1932 le gouvernement décrète la fusion de la Danatbank avec la Dresdner Bank, avec effet rétroactif au 1er janvier 1931. Cette nouvelle institution dispose d’un capital de 220 millions de Reichsmark.
[38]. Allemagne, gouvernement de Prusse, juillet 1932.
Le 20 juillet 1932, le chancelier Franz von Papen (cf. note 35 ►) destitue le gouvernement de Prusse dirigé par le SPD auquel étaient associés le Zentrum, le DDP, le Parti d’État allemand (Deutsche Staatspartei, DStP), et Papen assume la fonction de commissaire du Reich pour la Prusse.
[39]. Le 13e Plénum du Comité exécutif de l’Internationale communiste se tient en décembre 1933.
Cf. Thèses adoptées par la 13e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. sur le rapport du camarade Kuusinen, sur
Le fascisme, le danger de guerre et les tâches des partis communistes ►.
[40]. Allemagne, incendie du bâtiment du Reichstag.
Le 21 septembre 1933 s’ouvre à Leipzig le procès concernant l’incendie du bâtiment de l’Assemblée nationale (le Reichstag). Georgi Dimitrov, Blagoï Popov et Vassili Tanev avaient été arrêtés le 9 mars et inculpés le 24 juillet. Le jugement est prononcé le 23 décembre. Marinus van der Lubbe est condamné à mort pour haute trahison et incendie volontaire, et exécuté le 10 janvier 1934. Dimitrov, Popov et Tanev sont libérés "pour manque de preuves" et expulsés vers l’URSS le 27 février 1934. Ernst Torgler (du KPD) qui avait été inculpé également, est libéré aussi, mais reste jusqu’en novembre 1936 en "détention préventive".
[41]. France, Alexandre Stavisky.
Le 8 janvier 1934 l’aventurier et affairiste Alexandre Stavisky, à l’origine de la faillite du Crédit Municipal de Bayonne, est retrouvé mort. Un scandale d’État est alors révélé par la presse: Stavisky avait soudoyé des parlementaires et des ministres du gouvernement radical-socialiste de Camille Chautemps. La droite se saisit de la révélation en dénonçant les corrompus et en pointant du doigt la franc-maçonnerie. Le Président Albert Lebrun appelle Édouard Daladier à la Présidence du Conseil pour remplacer Chautemps. Le Préfet de la Seine, Jean Chiappe, dont les sympathies pour les Ligues de droite sont connues, est muté à un poste au Maroc. Les Ligues décident alors d’occuper la rue le 6 février 1934. Toutefois, elles n’ont pas véritablement de ligne commune et vont défiler en ordre dispersé. On trouve l’Action Française monarchiste et organe du "nationalisme intégral" dirigée par Léon Daudet, Charles Maurras et Maurice Pujo; les Jeunesses Patriotes de Pierre Taittinger; l’UNC (Union Nationale des Combattants); les Croix de feu du Colonel François de la Roque. On trouve aussi des membres de mouvements plus radicalisés comme le Faisceau de Georges Valois (se revendiquant du fascisme italien), le Parti Franciste de Marcel Bucard, Solidarité Française du parfumeur François Coty et la Fédération des Contribuables. Ainsi, 30.000 manifestants défilent sans réelle coordination. L’UNC et l’Action Française convergent vers l’Assemblée Nationale. Mais la manifestation tourne à l’émeute. La Police de Paris, les Gardes Mobiles et les Gendarmes tirent. On dénombre plusieurs morts et des dizaines de blessés. Albert Lebrun accepte la démission de Daladier et rappelle Gaston Doumergue qui forme un Gouvernement d’Union Nationale, incorporant notamment le Maréchal Philippe Pétain, André Tardieu et Louis Barthou.
[42]. Autriche, Republikanischer Schutzbund, affrontements armés en février 1934.
En Autriche, en mars 1933 est organisé une grève des travailleurs et employés des chemins de fer. Le 4 mars au parlement doit avoir lieu un vote au sujet des mesures à prendre contre les grévistes. Sous des prétextes de procédure, le chancelier Engelbert Dollfuß déclare lʼ"autodissolution" du parlement. Désormais il gouverne sur la base d’une loi de pleins pouvoirs datant de 1917 et transforme la république en un "état corporatif autoritaire". Il interdit tous les partis, y compris la Ligue de protection républicaine [Republikanischer Schutzbund] (cf. note 44 ►) lié au Parti ouvrier social-démocrate d’Autriche [Sozialdemokratischen Arbeiterpartei Deutsch-Österreichs] (SDAPDÖ), mais pas le Front patriotique [Vaterländische Front], de tendance social-chrétienne.
En janvier 1934 le régime procède à l’élimination complète des structures social-démocrates, le 24 des perquisitions pour confisquer les armes sont mises en oeuvre. La direction social-démocrate, notamment Karl Renner et Otto Bauer, adoptent une position de capitulation tacite. Une opposition de gauche au sein du parti se forme autour Richard Bernaschek qui au niveau de la province de Haute-Autriche [Oberösterreich] est secrétaire du parti et président de la Ligue de protection. Le 12 février, au siège du parti à Linz, il s’oppose avec ses militants à une intervention de la police. À partir de là, se développent des affrontements armés au niveau national qui durent quatre jours. Le Parti communiste d’Autriche [Kommunistische Partei Österreichs] (KPÖ) n’a que peu d’influence sur les évènements, notamment du fait qu’il n’a pas accès aux stocks d’armes de la Ligue de protection. La répression exercée par le pouvoir est meurtrière. Du 14 au 21 février, au moyen de procédures de loi martiale, sont prononcées 21 condamnations à mort, 9 personnes sont effectivement exécutées. Plus de 10.000 combattants sont arrêtés, dont 1200 sont condamnés à des peines de prison s’élevant à 1400 ans au total.
Pour plus de détails cf. Autriche, février 1934 : Un jalon dans la résistance contre le fascisme ►.
[43]. Espagne, insurrection des Asturies, 1934.
En Espagne, en 1933 le Parti radical dirigé par Alejandro Lerroux gagne les élections en coalition avec la Confédération espagnol de droites autonomes (Confederación Española de Derechas Autónomas, CEDA) dirigé par José Gil Robles. Lerroux préside un gouvernement formé de ministres de son parti, appuyé par la CEDA. À partir du début de 1934, se développe une tendance à la radicalisation du mouvement ouvrier. Le Parti socialiste ouvrier espagnol (Partido Socialista Obrero Español, PSOE) est conduit à participer à des "Alliances ouvrières" orientées à s’opposer à la menace fasciste. Une telle structure se forme d’abord en Catalogne, sous l’influence du Bloc ouvrier et paysan (Bloque obrero y campesino, cf. note* ci-dessous). Cependant la Confédération nationale du travail (Confederación Nacional del Trabajo, CNT) anarchosyndicaliste ne se joint pas à ces mobilisations, sauf dans les Asturies où les organisations socialistes et anarchistes forment un Alliance Ouvrière en mars 1934. Le 4 octobre la CEDA entre au gouvernement, ce à quoi le PSOE réagit par un appel à la grève générale de protestation. Dans les Asturies, les travailleurs des mines forment des milices et prennent le contrôle des localités. Puis une troupe d’un millier de miliciens est envoyée pour investir Oviedo qui est la capitale de la région; ils réussissent à cerner les forces gouvernementales de la ville, lesquelles sont obligées à se retrancher. Dans les autres régions du pays, la grève générale va rapidement à l’échec. Les insurgés des Asturies sont la cible de troupes commandées par le général Francisco Franco; ils se rendent le 18 octobre. Dans l’ensemble, environ 2000 personnes meurent victimes de la répression.
* Le Bloc ouvrier et paysan est créé en mars 1931 par la fusion, d’une part du Parti communiste catalan (Partit Comunista Catalá) lequel s’était constitué en novembre 1923 en dehors du Parti communiste espagnol (PCE), et d’autre part de la Fédération Catalano-Balear du PCE laquelle rompt ainsi avec le parti.
[44]. Autriche, Republikanischer Schutzbund.
La situation de l’après-guerre dans le sud-est de l’Europe après 1918 est régie par le traité de Saint-Germain-en-Laye. En particulier, la portée et la composition des forces armées et de police sont limitées. Il existe cependant un certain nombre d’organisations paramilitaires pourvues d’armements.
En 1919, Julius Deutsch, du Parti ouvrier social-démocrate d’Autriche [Sozialdemokratischen Arbeiterpartei Deutsch-Österreichs] (SDAPDÖ), en tant que secrétaire d’État aux Affaires de l’Armée, organise la “Défense populaire autrichienne” [“Deutschösterreichische Volkswehr”], issue des services d’ordre des conseils d’ouvriers ainsi que des milices d’usine, formés durant les années 1918 1919, qui comprend ainsi des volontaires appartenant principalement au camp social-démocrate. À la suite du traité de Saint-Germain-en-Laye, cette formation est dissoute. Après les élections législatives d’octobre 1920, le SDAPDÖ n’est plus partie prenante dans le gouvernement, mais il occupe des positions fortes aux niveaux administratifs inférieurs, notamment à Vienne. En avril 1923 est fondé en Autriche le “Republikanischer Schutzbund” (“Ligue de protection républicaine”), que Deutsch développe en 1923-1924 comme organisation regroupant des troupes de travailleurs armés. Le Schutzbund est rejoint par de nombreux anciens membres de la Volkswehr, et il peut recourir à des stocks d’armes non officiels, mis à disposition en accord avec la SDAPDÖ. Au point culminant de son existence, il compte environ 80.000 membres.
Le gouvernement, pour sa part, tente de placer les armes du Schutzbund sous son contrôle. Lorsqu’il obtient des informations sur un dépôt d’armes dans l’Arsenal de Vienne, le ministre de l’armée, Carl Vaugoin (du Parti social-chrétien) [Christlichsoziale Partei] (CSP), entreprend une action de confiscation le 2 mars 1927. Des groupes du Schutzbund du quartier, alarmés, interviennent, certaines unités de l’armée fédérale sont utilisées. Le président de la Fédération des métallurgistes, Franz Domes, menace le président de la police, Johann Schober, de faire grève de l’alimentation en électricité. L’armée se retire de l’Arsenal. Trois jours plus tard, Vaugoin prépare toute la garnison viennoise à une action renouvelée. Cependant, le maire Karl Seitz (SDAPDÖ) et le chancelier Ignaz Seipel (CSP) conviennent d’entamer des négociations pour le placement des armes. Le 16 mai, les sociaux-démocrates et le gouvernement arrivent à un arrangement selon lequel, en juin, l’entrepôt d’armes est installé dans un autre bâtiment, où il est contrôlé conjointement par un officier et un représentant de confiance social-démocrate. Peu après, à la suite de la crise gouvernementale qui éclaté en septembre, Vaugoin dirige un gouvernement provisoire et prévoit de nouvelles élections le 9 novembre. Passant outre le règlement convenu, il ordonne la confiscation unilatérale des armes de l’Arsenal le 8 novembre.
(Cf. également note 42 ►.)
[45]. Alejandro Lerroux García.
En 1908 Alejandro Lerroux fonde le Parti radical (Partido Radical). Il s’oppose à la dictature instaurée par Primo de Rivera entre 1923 et 1929. En 1931 il fait partie du premier gouvernement provisoire de la République. En 1933 son parti gagne les élections en coalition avec la CEDA dirigé par Gil Robles (cf. note 46 ►). Le nouveau gouvernement applique une politique de répression envers les forces de gauche et le mouvement ouvrier. Lorsqu’éclate la guerre civile en 1936, Lerroux s’installe au Portugal; il revient en Espagne en 1947.
[46]. José María Gil Robles y Quiñones.
En 1922 José Gil Robles adhère au Parti social populaire (Partido Social Popular). En 1931 il prend la direction du parti Action populaire (Acción popular), puis il est à la tête de la Confédération espagnol de droites autonomes (Confederación Española de Derechas Autónomas, CEDA). En octobre 1934 la CEDA entre au gouvernement, puis en mai 1935 Gil Robles lui-même devient ministre de la Guerre. Il place à des postes de responsabilité des militaires comme Francisco Franco qui sont par la suite des protagonistes du soulèvement fasciste. Après la victoire du Front populaire en 1936 Robles est à la tête de l’opposition au parlement. Finalement il quitte le pays. Lorsque s’annonce l’éclatement de la guerre civile, il soutient Franco. Après l’instauration de la dictature, il soutient la monarchie en la personne de Juan de Borbón dont il est conseiller privé.
[47]. Manuel Azaña.
En 1925 Azaña crée le parti Action républicaine (Acción Republicana, AR). Suite à l’instauration de la 2e République en 1931, il préside un gouvernement comprenant notamment des ministres du Parti socialiste ouvrier espagnol (Partido Socialista Obrero Español, PSOE). Lui succède en septembre 1933 un gouvernement dirigé par Alejandro Lerroux.
[48]. Otto Bauer.
En 1900 Bauer adhère au Parti ouvrier social-démocrate d’Autriche (Sozialdemokratische Arbeiterpartei Deutsch-Österreichs, SDAPDÖ). En 1904 il prend contact avec Karl Kautsky, qui dirige l’organe du Parti social-démocrate d’Allemagne (Sozialdemokratische Partei Deutschlands, SPD), le Neue Zeit (Temps nouveau). Bauer collabore par la suite à ce journal, en 1907 il est chargé également de la direction du mensuel nouvellement créé, Der Kampf (Le combat) et fait partie aussi de la direction de l’organe du SDAPÖ, l’Arbeiter-Zeitung (Journal ouvrier). Au cours de la Première guerre mondiale, il est fait prisonnier par les troupes russes, il revient à Vienne après l’éclatement de la Révolution russe. Il devient collaborateur étroit du président du SDAPÖ, Victor Adler. Il prépare notamment le programme qui est adopté en novembre 1926 au Congrès de Linz du Parti. À l’issu des évènements de février 1934 (cf. note 42 ►) il s’établit en exil en Tchécoslovaquie, à Brünn, où il est l’un des principaux membres du Bureau à l’étranger des social-démocrates autrichiens (Auslandsbüro der österreichischen Sozialdemokraten, ALÖS). En mars 1938 il se rend à Bruxelles. Décision est prise de dissoudre l’ALÖS et de créer la Représentation à l’étranger des socialistes autrichiens (Auslandsvertretung der österreichischen Sozialisten, AVOES) au sein de laquelle sont représentés le SDAPÖ et les membres de l’organisation Socialistes révolutionnaires (Revolutionäre Sozialisten).
Les positions défendues par Bauer se caractérisent notamment par l’insistance sur la démocratie comme élément fondamental pour le passage du capitalisme au socialisme. Il tente néanmoins de camoufler ses conceptions bourgeoisies par un semblant de soutien au pouvoir de dictature du prolétariat instauré en URSS. Pour cela, au sujet de ce qu’il considère être une absence de démocratie en URSS, il déclare que cela se justifie par le retard de développement dont souffre l’économie de ce pays. Voici ce qu’il écrit entre autre:
"L’industrialisation rapide de la Russie doit être obtenu au prix de la famine. […] Tous les bouleversements sans précédents se sont accomplis sous une dictature terroriste et peuvent s’accomplir uniquement sous un tel régime. Seulement une dictature terroriste peut obliger un peuple de plus de cent-cinquante millions d’hommes à supporter au nom d’un futur, des privations aussi lourdes dans le présent. Seulement la dictature terroriste peut imposer le déplacement par la contrainte des forces de travail vers les nouvelles régions industrielles. Seulement la dictature terroriste peut obtenir par la force la collectivisation des entreprises agricoles, éliminer par la violence les koulaks."
["Die schnelle Industrialisierung Rußlands muß erhungert werden […] Die gesamte beispiellose Umwälzung vollzog sich unter einer terroristischen Diktatur und kann sich nur unter ihr vollziehen. Nur eine terroristische Diktatur kann ein Volk von mehr als hundertfünfzig Millionen Menschen zwingen, um einer größeren Zukunft willen so schwere Entbehrungen in der Gegenwart auf sich zu nehmen. Nur die terroristische Diktatur kann die zwangsweise Verschiebung der Arbeitskräfte in die neuen Industriegebiete durchsetzen. Nur eine terroristische Diktatur kann die Kollektivierung der bäuerlichen Wirtschaften erzwingen, die Kulaken gewaltsam vernichten."]
(Otto Bauer, Kapitalismus und Sozialismus nach dem Weltkrieg – Band 1 – Rationalisierung-Fehlrationalisierung, Berlin, Büchergilde Gutenberg, 1931. Cf. Werkausgabe, Band 3, Wien, Europa Verlag, 1976, p. 899 et p. 907.)
Karl Kautsky, connu pour ses attaques frontales contre le bolchevisme, publie un article, "Die Aussichten des Sozialismus in Sowjetrußland" ("Les perspectives du socialisme en Russie soviétique") dirigé contre ces efforts de conciliation de la part de Bauer. Dans une lettre adressée à Eduard Bernstein, il évoque son propre texte dans les termes suivants:
"[…] un article contre Otto Bauer, lequel considère que pour les Russes la méthode bolcheviste convient pas mal. Il y aurait deux voies au socialisme, la démocratie et la dictature, la voie européenne et celle asiatique. Et pour l’Autriche, semi-Asie, il semble que les deux voies soient praticables."
["(…) ein Artikel gegen Otto Bauer, der meint, für die Russen sei die bolschewistische Methode ganz gut. Es gebe zwei Wege zum Sozialismus, die Demokratie und die Diktatur, den europäischen und den asiatischen Weg. Und für Österreich, Halbasien, sieht er wohl beide Wege gangbar."]
(Cf. Eva Bettina Görtz, Éd.: Eduard Bernsteins Briefwechsel mit Karl Kautsky 1912‑1932, Frankfurt, Campus Verlag, 2011.)
[49]. Francisco Largo Caballero.
En 1894 Largo Caballero adhère au Parti socialiste ouvrier espagnol (Partido Socialista Obrero Español, PSOE) dont le président est Pablo Iglesias. En 1918 Largo Caballero est élu secrétaire général de l’Union général de travailleurs (Unión General de Trabajadores, UGT) également présidé par Iglesias. À la mort de ce dernier, Julián Besteiro Fernández assume la présidence des deux organisations. Durant la dictature de Primo de Rivera (1923‑1930) Largo Caballero adopte une position de collaboration avec le régime. Avec l’instauration de la 2e république en 1931, Besteiro refuse de participer à la formation du gouvernement et démissionne de sa fonction de président du PSOE; par la suite, en 1932 Largo Caballero est désigné pour lui succéder et en 1934 il le remplace en outre dans le poste de secrétaire général de l’UGT. Cependant en 1935 il abandonne la présidence du PSOE. En septembre 1936, après l’éclatement de la guerre civile, il est nommé président du gouvernement et ministre de la guerre. En 1939 il passe en France, il est détenu par le gouvernement de Vichy jusqu’en 1945.
[50]. Julius Deutsch.
À partir de 1909 Deutsch fait partie du secrétariat central du Parti ouvrier social-démocrate d’Autriche (Sozialdemokratischen Arbeiterpartei Deutsch-Österreichs, SDAPDÖ). En 1919 il est nommé secrétaire d’état pour les questions de l’armée. Il oeuvre à l’organisation d’une armée nommée “Force de défense populaire allemand-autrichienne” (“Deutschösterreichische Volkswehr”) formée principalement de volontaires venant de la social-démocratie. En conformité avec les dispositions du Traité de Saint-Germain-en-Laye signé le 10 septembre 1919 entre l’Autriche et les puissances alliées vainqueurs, lequel autorise seulement la création d’une petite armée professionnelle, la Volkswehr est dissoute. Ses membres sont en partie intégrés dans le “Republikanische Schutzbund” (“Ligue de protection républicaine”) créé en avril 1923 sous la direction de Deutsch (cf. note 44 ►). À l’issue des combats de février 1934 (cf. note 42 ►) Deutsch, de même qu’Otto Bauer, s’établit en Tchécoslovaquie où ils installent le Bureau à l’étranger des social-démocrates autrichiens (Auslandsbüro der österreichischen Sozialdemokraten, ALÖS). De 1936 à 1939 Deutsch se trouve en Espagne aux côtés des troupes républicaines, puis il se rend aux USA.
[51]. Londres, manifestation de la British Union of Fascists, 9 septembre 1934.
En juin 1934, l’Union britannique de Fascistes [British Union of Fascists] (BUF) dirigé par Oswald Mosley * organise un rassemblement à l’Olympia Hall à Londres. Une contremanifestation est organisée, des affrontements se produisent qui font de nombreux blessés. Un Comité pour la coordination d’activités antifascistes [Committee for Coordinating Anti-Fascist Activities] lié au Comité mondiale contre la guerre et le fascisme (Amsterdam-Pleyel) (cf. note 55 ►) est constitué avec John Strachey comme secrétaire. Le 9 septembre 1934 la BUF organise une autre manifestation au Hyde Park, avec une participation d’environ 3000 fascistes. Le Comité pour la coordination d’activités antifascistes organise une contremanifestation sur place. Le Parti travailliste [Labour Party] et le Congrès des syndicats [Trade Union Congress] (TUC) émettent une déclaration appelant les travailleurs à se tenir à l’écart du rassemblement de la BUF. La contre-démonstration rassemble environ 60.000 manifestants; en incluant la foule qui se joint à eux, le nombre atteint environ 150.000. Les effectifs de police présents atteignent 6.000, les manifestants de la BUF finissent par se disperser au bout d’une heure sous leur protection.
* Note: Oswald Mosley.
En 1918 Mosley est élu à la Chambre des communes (House of Commons) pour le Parti conservateur, puis réélu en 1922 comme candidat conservateur indépendant, finalement en 1924 il adhère au Parti travailliste (Labour Party, LP), il est élu à la Chambre des communes en 1926. En 1927 il est élu au Comité exécutif national du LP. Dans le cadre du gouvernement travailliste en place de mai 1929 à aout 1931 il est chargé de la question de la reconstruction nationale, mais le gouvernement rejette les plans qu’il élabore à ce sujet, à la suite de quoi il démissionne de son poste en mai 1930. Il fonde le “New Party” [“Parti nouveau”] (NP). Lors des élections d’octobre 1931, le NP n’obtient aucun siège. En octobre 1932, après une visite auprès de Benito Mussolini en Italie, en janvier de la même année, il dissout le NP et crée la “British Union of Fascists” [“Union britannique de fascistes”], (BUF). (Ne pas confondre la BUF avec l’Union nationale de Fascistes [National Union of Fascists], NUF; ce dernier groupe est créé en 1961 par Keith Goodall lorsque celui‑ci quitte la BUF.)
[52]. Grande-Bretagne, camps de travail, 1928-années 1930.
En Grande-Bretagne, à l’issue de la 1e Guerre mondiale, le ministère du Travail est chargé de superviser la démobilisation et la réinstallation des ex-soldats. Un “Comité pour la démobilisation et la réinstallation civils” [“Civil Demobilisation and Resettlement Committee”] est constitué, il débute son activité le 1er janvier 1919. En mars il est renommé en “Comité pour les interventions d’urgence concernant les dépenses en matière de travail” [“Labour Expenditure Emergency Committee”].
En 1928, ce comité instaure un système de camps de travail. Selon les explications d’un représentant du ministère du Travail, il vise "ceux, en particulier les hommes plus jeunes, qui, du fait du chômage prolongé, sont devenus si “mous” et temporairement démoralisés qu’il ne serait pas praticable d’introduire plus d’un très petit nombre d’entre eux dans nos centres de formation ordinaires sans mettre en péril le moral du centre"* Et un autre représentant du ministère explique: "Le but est d’amener chaque homme à la condition physique nécessaire pour obtenir et conserver un emploi, et de raviver les habitudes d’une bonne ponctualité et d’un travail stable."**
Le premier camp est établi à Blackpool en avril 1929. Entre 1929 et 1938 près de 190.000 personnes ont été internés dans ces camps, le nombre annuel le plus élevé étant atteint en 1934 avec 33.000. À l’origine sont ciblés les personnes registrées comme chômeurs pendant au moins six mois et résidant dans les endroits déclarés "zones sinistrées" [distressed areas], mais ultérieurement la durée est réduit à trois mois et le périmètre élargi à l’ensemble de la Grande-Bretagne. Officiellement la présence est volontaire. La loi de 1934 sur le chômage [Unemployment Act] la rend formellement obligatoire, mais cette disposition n’a jamais été rendu effective jusqu’au bout. Dans la pratique, ce sont les agents locaux chargés des chômeurs qui forcent les individus à se plier à l’exigence sous menace de perdre les allocations. Lʼ"entrainement" consiste en douze semaines de cours incluant du travail subalterne, manuel et dur, tel que l’abattement d’arbres, le concassage de pierres, la construction de routes et le nivèlement de terrains. Le but des camps est de nature disciplinaire et ils sont dirigés selon des méthodes strictement militaires. Le directeur du camp vient invariablement des forces armées. Pour ceux qui partent avant le terme, les allocations sont interrompues pendant six semaines.
* David Colledge, Labour Camps – The British Experience; Sheffield, Sheffield Popular Publishing, 1989; p. 6.
** David Colledge et John Field, "To Recondition Human Material – An account of a British Labour Camp in the 1930s – An interview with William Heard"; History Workshop Journal, vol. 15, issue 1, 1983; p. 156.
[53]. Grande-Bretagne, manifestations contre la Loi sur le chômage, janvier-février 1935.
En 1931 le régime d’indemnisation des chômeurs en vigueur en Grande-Bretagne est remanié. Le système préexistant combinait un régime d’assurance administré par le ministère du Travail et une assistance publique assurée par les Comités locaux d’assistance publique [Public Assistance Committees] (PACs) qui avaient succédés aux Gardiens de la Loi sur les pauvres [Poor Law Guardians]. Désormais, les autorités locales n’apportent plus de financements, mais sont chargées de déterminer les droits d’allocations auxquels un demandeur peut prétendre, sur la base d’une investigation concernant les ressources de sa famille. En outre le montant des allocations est réduit de 10 %. Ces mesures suscitent d’importantes protestations. La Loi sur le chômage [Unemployment Act] de juillet 1934 sépare les allocations en deux dispositifs. En premier lieu, les chômeurs peuvent bénéficier d’allocations sur la base du régime d’assurance. Lorsque ces droits sont épuisés, ils peuvent solliciter des allocations liées au test de ressources. Pour gérer ce dernier dispositif, est créé un Comité d’assistance chômage [Unemployment Assistance Board] (UAB) qui reprend ainsi le rôle des PAC locaux. L’UAB est autonome vis-à-vis du gouvernement, il établit un barème national qui remplace les barèmes locaux des PAC et il dispose de son propre système d’instances de paiement et d’appel.
Le transfert vers ce système débute le 7 janvier 1935. Dans un premier temps il est supposé que cela se fera sans préjudice notable pour les chômeurs concernés. L’UAB prévoit des contestations essentiellement en pays de Galles du Sud et considère pouvoir y faire face localement. Effectivement, le 20 janvier une manifestation de 50.000 participants se produit dans les vallées de Rhondda. Le 22 une protestation massive se déroule à Merthyr Tydfil, soutenue par le Parti communiste, le Parti travailliste indépendant [Independent Labour Party] (ILP) et le Mouvement national des travailleurs sans emploi [National Unemployed Workers’ Movement] (NUWM), tandis que le Parti travailliste [Labour Party] (LP) se tient à l’écart. Par la suite, des manifestations ont lieu tous les jours dans le sud du pays de Galles, à une échelle inattendue. Leur succès déclenche des protestations dans d’autres régions. Le 25, les chômeurs de West Cumberland inondent les autorités locales de plaintes relatives à la réduction des indemnités. En Écosse, des groupes liés au LP et aux syndicats rejoignent les communistes, l’ILP et le NUWM pour exiger une révision significative à la hausse des barèmes. Au cours de la semaine suivante, les conseils municipaux, les syndicats locaux, les groupes de travailleurs et les organisations de chômeurs du nord de l’Angleterre, de l’Ecosse et du pays de Galles commencent à se rassembler pour dénoncer avec véhémence les réductions généralisées. L’agitation s’est propagée en quelques jours à partir des régions les plus déprimées jusqu’à Sheffield, Oldham, Manchester, Stoke, Bolton, Blackburn, etc. Des réunions sont souvent convoquées séparément, d’une part par le NUWM et ses alliés communistes et ILP, ainsi que d’autre part par le LP et ses alliés syndicaux. La campagne de protestation atteint finalement Londres le 28 janvier. Durant le weekend des 2‑3 février des manifestations sont organisées, qui rien qu’en pays de Galles du Sud rassemblent 300.000 participants, et le NUWM, le PC et le ILP poussent à la déclaration d’une grève générale.
Des tractations entre le gouvernement et l’UAB – censé être autonome – se prolongent. Le 5 février est annoncé que pour une durée indéterminée sera appliqué le principe selon lequel les demandeurs d’allocation recevront le montant plus élevé entre celui découlant des règles propres à l’UAB, et celui qu’ils auraient reçu de leur PAC local.
Le règlement du conflit achoppe sur le démarrage des paiements. Les allocations peu élevées au titre de l’UAB seraient versées dans la semaine du 7 au 13 février, tandis que les anciennes indemnités, potentiellement plus élevées, seraient versées à compter du 14 février. La réaction ne tarde pas. À Sheffield dix mille personnes se rendent à l’hôtel de ville le 6, pour demander l’abrogation de la loi sur le chômage et le paiement immédiat des anciennes allocations. Ils se heurtent à un barrage policier et des combats éclatent sur la place. Huit policiers sont blessés et vingt-trois manifestants sont arrêtés. Cette nuit-là, le Parti communiste, pour constituer un fonds de défense, organise un rassemblement auquel assistent 6000 personnes. Le gouvernement, pris de panique, consent à une restauration immédiate à Sheffield seulement. Le lendemain, de nombreuses autorités locales, y compris à Londres et à Manchester, ignorent simplement les instructions et commencent également à appliquer les anciens tarifs PAC. Le 11 à Maryport, dans le comté de Cumberland, le NUWM à la tête de 500 personnes impose le siège à un bureau de la police, qui dure jusqu’au paiement des anciens montants de secours.
Les weekends des 16‑17 et 23‑24 février sont marqués par les dernières actions importantes. Le NUWM organise une marche à Londres le 24. Le Parti communiste tente d’organiser des manifestations de Front uni, avec succès dans certaines régions. Ailleurs, le LP organise ses propres rassemblements. Les manifestations sont impressionnantes à l’échelle nationale. Les plus importantes se déroulent dans le sud du pays de Galles, mais des milliers de manifestants se mobilisent aussi à Bristol, Norwich, Newcastle, Rotherham, Manchester, Hull, Nottingham et Glasgow. Ces rassemblements, tenus après qu’officiellement la crise soit considérée comme réglée, voient la première participation publique des dirigeants syndicaux: Citrine, Cripps, Bevin, Greenwood et Lansbury prennent tous la parole lors de réunions. Les anciens barèmes étant maintenant appliqués, les appels en faveur de la suppression du test de ressources reprennent le dessus. Le critère de ressources du ménage n’a pas été écarté. Or du point de vue du gouvernement, une assurance sociale contributive qui ne serait pas limité en référence à ce critère est impensable. Menacée brièvement en janvier-février 1935, la division des assurances et des secours a survécu et a persisté après 1945.
[54]. USA, grève des marins sur la côte du Pacifique, 1934.
En juin 1933, le Congrès US adopte le National Industrial Recovery Act (NIRA) dans l’objectif de combattre la dépression économique en diminuant la durée du travail, augmentant les salaires et éliminant les pratiques déloyales de commerce. La loi crée aussi la National Recovery Administration (NRA) chargée de travailler avec les industriels et les travailleurs pour développer l’emploi.
Le volume des grèves s’accroit: le nombre d’arrêts de travail double en 1933 (1.695) par rapport à 1932; celui des grévistes est multiplié par quatre (1.170.000 en 1933, il atteint 1.470.000 en 1934). Le taux de participation des travailleurs à ces grèves passe de 1,8 % en 1932 à 6,3 % en 1933 et 7,2 % en 1934. En 1934, parmi les principaux grèves on peut mentionner celle à l’usine Auto-Lite (Toledo, Ohio) et celle des camionneurs à Minneapolis. Il se produit quelques occupations d’usine, dans les industries du caoutchouc (General Tire à Akron, Ohio), de l’automobile (Briggs Manufacturing Company, à Detroit).
Le NIRA incite entre autre les différents secteurs industriels à établir des codes opératoires et accorde aux travailleurs le droit de choisir leurs représentants afin de négocier collectivement avec les employeurs. Du 2 au 5 juillet 1933 se tient une session des sections de l’Association internationale des dockers [International Longshoremen’s Association] (ILA) (* cf. note plus loin ►) du District de la côte Pacifique, qui élabore une proposition d’un tel code. Les employeurs du secteur maritime ont leur propre document et refusent une démarche commune avec les travailleurs. Du 25 février au 6 mars 1934 les délégués de l’ILA pour la côte Pacifique se réunissent à nouveau et élisent un comité chargé d’entamer des négociations avec l’association des employeurs du front de mer de San Francisco [Waterfront Employers Association of San Francisco]. Le comité a pour instruction de demander que le district de l’ILA soit reconnu comme instance officielle de négociation, et qu’en cas de réponse négative serait votée la grève. Les employeurs se montent disposés à négocier au sujet des salaires et des conditions de travail, mais refusent que les syndicats contrôlent l’embauche. Les négociations étant bloquées, et la date du 23 mars ayant été annoncée pour le début de la grève, le président Franklin D. Roosevelt demande au Comité exécutif de l’ILA de la côte Pacifique de repousser la grève et crée une commission de médiation, laquelle cependant n’obtient aucun résultat.
Le 9 mai 12.000 dockers se déclarent en grève. Tous les ports de la côte Nord-Ouest – Bellingham, Everett, Tacoma, Aberdeen, Grays Harbor, Olympia, et Portland – sont bloqués, de sorte que pour la première fois les employeurs du secteur ne disposent d’aucun port de recours pour le transit des cargaisons, et compte tenu de la participation des matelots et des camionneurs, la grève s’étend vers le sud jusqu’à San Francisco et San Diego.
Dans l’ensemble le mouvement mobilise près de 35.000 travailleurs et se poursuit pendant 83 jours. Les dockers sont soutenus par les matelots, mécaniciens, capitaines, et d’autres syndicats de la marine. Parallèlement, par des grèves séparées, les navigants demandaient des hausses de salaire, le passage à trois tours de garde au lieu de deux, et la reconnaissance de leurs syndicats par les employeurs. Seule une infime minorité de dockers franchit les piquets de grève.
L’Union internationale des gens de la mer [International Seamen’s Union] déclare la grève le 16 mai, puis les syndicats des officiers, entre le 19 et le 21. Les camionneurs (dont le syndicat porte toujours la désignation anachronique de "teamsters") décident qu’après le 13 ils ne transporteront plus de cargaisons déchargés par des briseurs de grève. Néanmoins ils continuent de transporter des cargaisons à partir des entrepôts, ce qui concerne les cargaisons acheminées entre les quais et les entrepôts en passant par une ligne de chemin de fer propriété de l’état (le Belt Line Railroad). Finalement dès le 14 ils refusent aussi de prendre en charge ce dernier type de transports.
Dès le troisième jour de la grève, les dockers de Tacoma constituent une unité spéciale appelée “Brigade volante” [“Flying squad”] s’occupant de tenir les briseurs de grève à l’écart des quais de Seattle. En tout, 600 dockers de Tacoma et 200 d’Everett protègent le front de mer entre le Quai Nelson et le Terminal de Bell Street. La Brigade vient également au secours aux dockers dans d’autres ports de l’état de Washington. Tout au long de la grève se succèdent ces actions avec un certain succès, tandis que les employeurs renouvèlent constamment leurs tentatives de remplacer les grévistes par des "jaunes". Ainsi, le 15 mai se produit un conflit entre grévistes et briseurs de grève à Wilmington, California (Port of Long Beach). Deux grévistes, Richard Parker et John Knudsen sont blessés mortellement par balles.
Les affrontements les plus acharnés se produisent à Seattle, dans le périmètre du Smith Cove (dénommé ainsi en mémoire de Henry A. Smith, qui s’était installé dans la zone en 1853). Le 14 juin, le maire de Seattle, Charles L. Smith, déclare l’état d’urgence et crée 500 nouveaux groupes antiémeutes pour le service de police, tandis que les employeurs du secteur riverain constituent une force de sécurité privée. Après une confrontation tendue entre la police et les dockers, Smith décide d’ouvrir le port de force le 20 juin. Plus de 300 policiers fortement armés ont été massés sur les lieux. Sous leur protection, une centaine de briseurs de grève commencent à décharger une cargaison de navires amarrés au quai. Le 21, 600 membres du syndicat forment des piquets de grève pour faire face à la police. Les employeurs s’apprêtent à évacuer les marchandises en train, les dockers graissent les rails, ils parviennent à convaincre le mécanicien de ne pas faire partir le convoi. Les cheminots et les camionneurs refusent également de prendre en charge les marchandises se trouvant à Smith Cove. Le 30 juin, au terminal pétrolier de Point Wells (localisé un peu plus au nord que Smith Cove), les grévistes ont été alertés au sujet d’une intervention de briseurs de grève qui devraient faire sortir deux bateaux-citernes. Lorsqu’ils tentent d’intervenir, des gardiens de la Standard Oil Company les interceptent, l’un des syndicalistes, Shelvy Daffron, est tué par un tir dans le dos.
Le 3 juillet, à San Francisco, l’Association industrielle [Industrial Association] de la ville en coordination avec la police entreprend une action d’envergure pour ouvrir le port. Plus de 3.000 grévistes résistent, la bataille se prolonge tout l’après-midi. Après une pause durant le 4, la police revient à la charge le 5. 2000 grévistes sont délogés d’un des quais, puis 5000 de Rincon Hill, endroit qui jouxte le front de mer et le chemin de fer de la Belt Line. La police appuyée par la Garde nationale attaque le local des syndicats, un gréviste, Howard Sperry, et un militant, Nick Bordoise, sont tués. Cette opération permet aux employeurs d’évacuer les cargaisons vers les entrepôts, mais elles restent bloquées du fait que les camionneurs refusent de les transporter. La grève persiste.
Par l’entrée en scène de l’Association industrielle de San Francisco, la dimension du conflit passe à un niveau supérieur. Pour faire face, il semble désormais nécessaire de passer au stade de la grève générale. Le 12 juillet, les camionneurs cessent le travail, les bouchers, les chaudronniers de navires, mécaniciens, soudeurs, les travailleurs de blanchisserie suivent. D’autres comme les travailleurs du bâtiment, du nettoyage, les cuisiniers, serveurs, coiffeurs, mécaniciens de voiture, teinturiers, personnel de tramway, n’attendent que l’appel du comité de grève générale, nommé par le président du Conseil du travail, Edward Vandeleur, qui depuis le début était opposé à la grève. Le samedi 14, la grève générale semble se dessiner pour le lundi. Cependant, les syndiqués de base, militants, ne contrôlent pas le cours des évènements. Dès le premier jour, les dirigeants au niveau central décident de faire rentrer les chauffeurs municipaux. Le jour suivant, les transports d’alimentation obtiennent le passage libre par les piquets de grève. Certains restaurants sont autorisés à ouvrir, finalement la totalité. L’embargo des camions citernes est bientôt levé, et finalement le 19 la grève générale est révoquée. Lorsque les camionneurs décident de reprendre le travail, les dockers, eux aussi bien que contrariés votent le retour au travail.
Les employeurs et l’ILA conviennent d’avoir recours à un arbitrage moyennant une commission spéciale désignée par le président Roosevelt.
L’arbitrage est favorable aux grévistes: les embauches seront gérées par les syndicats, conjointement avec les employeurs; des augmentations des salaires et une diminution des heures de travail seront accordées; les contrats couvriront désormais l’ensemble de la côte. Les syndicats approuvent cet accord le 24, cependant les employeurs tentent de prendre de fait le contrôle des embauches. Les grévistes récusent les manoeuvres, et la reprise du travail est effective seulement le 31. Le règlement final du conflit intervient en octobre. Concernant les embauches, la décision de l’affectation incombe au représentant du syndicat. Le regroupement de l’ensemble des dockers de la côte Pacifique, de Bellingham a San Diego, en une organisation unifiée est officiellement reconnu.
La constitution des syndicats de dockers sur la côte du Pacifique remonte au 19e siècle. À l’époque les départs de navires se faisaient souvent de manière imprévue et la main-d’oeuvre était alors recrutée à la dernière minute, par des personnes le long du rivage criant: "Men along the shore!" ("Hommes le long du rivage!"), d’où vient la désignation traditionnelle aux USA pour les dockers.
En 1892 des délégués des dockers de 11 ports se réunissent à Detroit, se constituent en Association nationale des dockers des États-Unis [National Longshoremen’s Association of The United States]. En 1895, le nom est changé en International Longshoremen’s Association pour tenir compte du nombre croissant de membres canadiens. Peu après l’ILA s’affilie à la Fédération du Travail américaine [American Federation of Labor] (AFL) (cf. note 33 ►). En 1902, les dockers de la côte Pacifique prennent contact avec l’ILA. Mais les liens de ces syndicats avec la direction au niveau national sont faibles, et l’existence des syndicats est souvent éphémère. Au cours de la décennie suivante, les syndicats de dockers de la côte se développent lentement. Chaque section locale protège son périmètre géographique de compétence et ses opportunités limitées pour du travail, et aucune ne souhaite céder son autonomie à une autorité extérieure. Néanmoins en 1909, lors d’une convention à Portland, dans l’Oregon, une fédération vaguement structurée est créée. L’objectif est principalement de se protéger contre les matelots qui de plus en plus effectuent des travaux sur les côtes et dont le contrat de 1902 prévoit qu’ils s’occuperont de tout navire, quitte à faire concurrence aux dockers syndiqués. Lors de la convention de cette fédération à San Francisco en 1910, les dockers décident de s’affilier à nouveau l’ILA, sous la condition que soit garantie l’autonomie pour le District de la côte Pacifique nouvellement établi au sein de l’ILA. Les sections locales sont autonomes au sein du district et le district est autonome au sein du syndicat international.
Les employeurs pouvaient tirer bénéfice de cette autonomie, en exploitant les divisions entre les syndicats locaux, ce qui causait des défaites successives des dockers durant des grèves en 1916, 1919 et 1921. Subissant les effets de la dépression consécutive à la crise de 1929, les dockers redéfinissent leur relation avec l’ILA en structurant leur organisation comme une unité unique englobant toute la côte ouest et toute la profession. En avril 1935 est constituée la Fédération maritime du Pacifique [Maritime Federation of the Pacific], réunissant une majorité des syndicats de front de mer et de navigants.
À cette époque, les divergences au sujet des structures d’organisation prennent de l’ampleur au sein de l’AFL. Sous l’impulsion de John L. Lewis, dirigeant des Travailleurs unis des mines [United Mine Workers], est constitué en novembre 1935 le Comité d’organisation industrielle [Committee for the Industrial Organization], réunissant les mineurs de charbon, les industries du textile, les typographes, les travailleurs des champs pétroliers et raffineries, les fondeurs. Alors que traditionnellement l’AFL organise en premier lieu les travailleurs qualifiés dans des syndicats structurés par métier, le CIO vise à développer l’organisation des travailleurs non qualifiés de toute origine et par branche d’industrie. L’AFL est hostile à cette initiative et expulse les syndicats concernés. Alors en 1937, dans leur grande majorité les syndicats de la côte Pacifique se désaffilient de l’ILA et constituent l’ILWU qui inclut également les travailleurs des entrepôts. L’ILWU s’affilie au CIO. Le CIO rompt avec l’AFL en 1938 et prend le nom de “Congrès d’organisations industrielles” [“Congress of Industrial Organizations”, CIO]. Finalement, en 1955 AFL et CIO fusionnent pour constituer l’AFL-CIO.
L’ILA a toujours été, et est toujours caractérisée par des positions anticommunistes prononcées, allant de pair avec une pratique de collaboration de classe. Elle s’en vante dans la présentation historique qu’on trouve sur son site Internet*. Celle-ci souligne entre autre que Daniel Keefe, fondateur en 1877 dans la région des Grands Lacs, de l’organisation qui allait devenir ultérieurement l’ILA, et qui la dirigeait jusqu’en 1908, avait été bien inspiré en optant pour le "refus à être impliqué dans le mouvement pour la journée de huit heures qui s’est terminé dans la révolté sanglante de Haymarket en 1877". Au sujet d’une grande grève organisée par les syndicats de la côte Pacifique de fin octobre 1936 à début février 1937 la présentation affirme qu’une "infiltration communiste du district de la côte Pacifique de l’ILA conduisait à la grève maritime infructueuse de 98 jours". En ce qui concerne Joseph Ryan, président de l’ILA de 1927 à 1953, parmi les témoignages élogieux à son égard on peut citer celui prononcé en 1952 par George Meany, président de l’AFL**: "L’Association internationale des dockers a été un facteur vital pour notre économie américaine tout au long de cette période d’un quart de siècle, qui coïncide avec la présidence de Joseph P. Ryan. […] Et les membres de l’ILA sont aux premiers rangs, bataillant contre la menace quotidienne qui pèse sur notre mode de vie – le communisme. Sur notre front de mer vital, il n’y a pas de place pour les communistes ou leurs compagnons de route. L’ILA a fait comprendre cela clairement. Elle est allée même plus loin, avec la distribution de littérature anticommuniste sur les navires qui se dirigent vers des ports étrangers, et par son attitude adoptée en ce qui concerne les cargaisons de produits issus du travail forcé [c’est-à-dire les marchandises exportées par l’URSS]."
* https://ilaunion.org/ila-history/
** New Jersey-New York Waterfront Commission Compact : hearing before Subcommittee No. 3 of the Committee on the Judiciary, House of Representatives, Eighty-third Congress, first session, on H.R. 6286, H.R. 6321, H.R. 6343, and S.2383, bills granting the consent of Congress to a compact between the State of New Jersey and the State of New York, known as the Waterfront Commission compact, and for other purposes, July 22, 1953; United States Government Printing Office, Washington; p. 214‑215.
[55]. Mouvement dit d’Amsterdam-Pleyel.
En aout 1932, se tient à Amsterdam un congrès aboutissant à la constitution d’un “Comité mondial contre la guerre impérialiste”. Les délégués viennent de 30 pays et comprennent des sans-parti, des socialistes et des communistes. Puis, dans le prolongement de cette initiative, en juin 1933 se tient à Paris à la salle Pleyel un second congrès “ouvrier européen antifasciste”.
[56]. Guomindang ou Kuomintang ("Parti nationaliste")
Au cours de l’année 1911, l’Alliance révolutionnaire (Zhongguo geming Tongmenghui, c’est‑à‑dire Ligue révolutionnaire unie de Chine, ou simplement Tongmenghui), fondée par Sun Yìxian (Sun Yat‑sen) en 1905, intervient activement pour développer l’agitation, qui se dirige contre le régime impérial et amène l’effondrement de celui‑ci. Le 29 décembre, des représentants des diverses provinces choisissent Sun Yìxian comme président de la République. En février 1912 Yuan Shikai, chargé par la Cour de réprimer les révoltes, obtient l’abdication du jeune empereur Puyi; une Assemblée réunie à Nanjing (Nanking) désigne Yuan Shikai comme président de la République. La Tongmenghui est transformée en Guomindang, qui formule comme programme les “Trois Principes du peuple”: nationalisme, démocratie, bienêtre *. Cependant en 1913 des soulèvements provoquent la dissolution du Guomindang par le régime. En 1914 le Japon s’empare des concessions allemandes en Chine (Qingdao, dans la province Shandong) et en 1915 impose à la Chine son protectorat. Yuan Shikai décède en 1916, la Chine entre alors dans une longue période de luttes entre les chefs républicains et les généraux. En Chine du Nord les dujun ("seigneurs de la guerre") rivaux ‑ Zhang Zuolin, gouverneur de Mandchourie, Cao Kun, gouverneur du Zhili (correspondant approximativement à la province actuelle Hebei), etc. ‑ s’opposent dans des conflits armées qui se poursuivront jusqu’en 1927.
En 1921 est créé à Shanghai le Parti communiste chinois (PCC), qui adhère à l’Internationale communiste l’année suivante. En 1922 Sun Yìxian est porté à Guangzhou (Canton) à la présidence de la République. Il se donne pour objectif la reconquête de toute la Chine du Sud et la prise de Beijing (Pékin), face aux deux factions ennemis, dont l’une soutenue par le Japon, l’autre par la Grande‑Bretagne. À partir de 1923‑1924 il obtient le soutien de l’U.R.S.S. et le Guomindang accepte le principe d’un front uni impliquant l’intégration des communistes en son sein. Après la mort de Sun Yìxian en 1925, s’opère une scission au sein du Guomindang entre, d’une part, une fraction autour de Wang Jingwei et Song Qingling (veuve de Sun Yìxian) et, d’autre part, celle dirigée par Jiang Jieshi (Chiang Kai‑shek). En 1926 Jiang Jieshi l’emporte et exclut les communistes des organes dirigeants. Il organise une “expédition vers le Nord” dans l’objectif de reconquérir les provinces tenues par les divers gouverneurs. Le 12 avril 1927 un soulèvement des travailleurs de Shanghai, animé par le PCC, est réprimé par l’armée de Jiang Jieshi, le massacre fait des milliers de victimes. Nanjing devient le siège du gouvernement du Guomintang de Jiang Jieshi. Les communistes sont privés de leurs bases urbaines, Mao Zedong, Zhou Enlai et Zhu De rassemblent des troupes pour former une armée populaire de libération qui se regroupe dans les montagnes du Hunan puis du Jiangxi. En 1928 Jiang Jieshi marche vers le nord et entre en juin à Beijing, qui est déclaré capitale.
En novembre 1931 est créé une République soviétique chinoise (capitale Ruijin au Jiangxi). En septembre de la même année les Japonais occupent la Mandchourie qui l’année suivante devient le Mandchoukouo, État prétendument indépendant, placé sous l’autorité de Puyi, dernier empereur mandchou (cf. note 20 ►).
* “Trois Principes du peuple” (en chinois “Sanmin zhuyi”, “min” signifie peuple, citoyen): nation (minzu), démocratie (minquan), bienêtre (minsheng).
[57]. Staline: Deux Mondes, p. 16‑17. (Bureau d’éditions.) [Note de l’éd.]
[321ignition] Extrait:
Certains camarades pensent que, dès l’instant où il y a crise révolutionnaire, la bourgeoisie doit tomber dans une situation sans issue; que sa fin est, par conséquent, prédéterminée, que la victoire de la révolution est, par cela même, assurée, et qu’il ne leur reste donc qu’à attendre la chute de la bourgeoisie et à écrire des résolutions triomphales. C’est là une erreur profonde. La victoire de la révolution ne vient jamais d’elle-même. Il faut la préparer et la conquérir. Or, seul un fort parti prolétarien révolutionnaire peut la préparer et la conquérir. Il est des moments où la situation est révolutionnaire, où le pouvoir de la bourgeoisie est ébranlé jusque dans ses fondements, mais où, pourtant, la victoire de la révolution n’arrive pas, parce qu’il n’y a pas de parti révolutionnaire du prolétariat suffisamment fort et autorisé pour entraîner à sa suite les masses et prendre le pouvoir en mains. Il ne serait pas raisonnable de croire que des "cas" pareils ne puissent se produire.
Il ne serait pas superflu ici, de rappeler les paroles prophétiques de Lénine sur la crise révolutionnaire, prononcées par lui au IIe congrès de l’Internationale communiste*:
Nous voici arrivés maintenant au problème de la crise révolutionnaire, base de notre action révolutionnaire. Ici encore, il faut avant tout signaler deux erreurs très répandues. D’une part, les économistes bourgeois représentent cette crise comme un simple "malaise", selon l’élégante expression des Anglais. D’autre part, les révolutionnaires s’efforcent parfois de démontrer que cette crise est absolument sans issue. C’est là une erreur. Il n’est point de situation absolument sans issue. La bourgeoisie se conduit comme un forban sans vergogne, qui a perdu la tête. Elle commet bêtise sur bêtise, aggravant la situation et précipitant sa propre ruine. C’est entendu. Mais on ne peut "démontrer" qu’il lui soit absolument impossible d’endormir, à l’aide de certaines petites concessions, une minorité d’exploités et de réprimer tel mouvement ou telle insurrection, d’une certaine partie des opprimés et des exploités. Tenter de "démontrer" à priori que la situation est "absolument" sans issue, serait vain pédantisme ou jeu de mots et d’idées. Sur ce point et d’autres analogues, seule la pratique peut être une "démonstration" véritable. L’ordre bourgeois traverse dans le monde entier une profonde crise révolutionnaire. Il faut "démontrer" maintenant par la pratique des partis révolutionnaires que ces derniers ont assez de conscience, d’organisation, de contact avec les masses exploitées, de résolution, de savoir-faire pour exploiter cette crise en faveur d’une révolution victorieuse.
* "Rapport sur la situation internationale et les tâches fondamentales de l’Internationale communiste".
[58]. Jay Lovestone.
En 1915 Lovestone adhère au Parti socialiste d’Amérique (Socialist Party of America, SPA). En février 1919 il participe à la constitution d’une aile gauche favorable à l’orientation du PCR(b). La direction du SPA réagit avec des exclusions massives, ce qui conduit en juillet à la création du Parti communiste des États-Unis (Communist Party of the United States, CPUS). En 1927 Lovestone est désigné comme secrétaire national du parti. En mai 1929 il est la cible de critiques de la part du Comité exécutif de l’Internationale communiste, William Z. Foster le remplace comme secrétaire national. Lovestone participe alors à la création d’un nouveau parti, nommé d’abord “Communist Party (Majority Group) ” puis “Communist Party (Opposition)”, “Independent Communist Labor League” et finalement en 1938, “Independent Labor League of America”. Parallèlement Lovestone assume diverses fonctions dans l’appareil de la Confédération américaine du travail (American Federation of Labor, AFL) et noue des liens avec la CIA qui finance certaines activités de l’AFL.
[59]. Bohumil Jilek.
Avant la Première guerre mondiale, Jilek adhère au Parti socialiste tchèque. En 1921 une aile gauche se sépare du parti et fonde le Parti communiste tchécoslovaque, dont Jilek devient membre du comité central, et secrétaire. En octobre 1922 il est exclu du Parti avec six autres membres du Comité central, mais en novembre le Comité exécutif de l’Internationale communiste annule cette décision, Jilek reste membre du parti mais est démis de ses fonctions de direction. Après le 3e congrès du Parti en 1925 il est à nouveau secrétaire. En 1926 il participe au 7e plénum élargi du CE de l’IC, au 9e plénum en 1928 il est élu membre du présidium. Au 6e congrès de l’IC il est confirmé dans ces fonctions. Au 5e congrès du Parti en février 1929, il est démis de ses fonctions de dirigeant, et exclu en juin. Par la suite il coopère avec le Parti socialiste tchèque.
[60]. Karl Kilbom.
En Suède, le Parti communiste est issu du Parti social-démocrate à travers deux scissions successives de 1917 et 1921. En 1924 le Parti communiste subit à son tour une scission: une fraction majoritaire sous la direction de Zeth Höglund quitte le Parti et rejoint en 1925 le Parti social-démocrate. En 1929 le Parti communiste se divise une nouvelle fois par la séparation d’une fraction menée par Kilbom, le Parti communiste ayant maintenant comme dirigeants Sven Linderot et Hugo Sillén. Dans un premier temps, jusqu’en 1934, la fraction de Kilbom utilise le nom de Parti communiste, puis se nomme Parti socialiste. En 1937 Kilbom avec la majorité de ce Parti socialiste rejoint le Parti social-démocrate.
[61]. Louis Sellier
Sellier adhère à la SFIO en 1909. Avec le congrès de Tours en décembre 1920 il suit la création du PCF, il est membre du Comité directeur. Il participe au 1er plénum élargi du Comité exécutif de l’Internationale communiste tenu en février‑mars 1922 où il est élu au Présidium, puis au 2e plénum élargi en juin de la même année. En octobre il est exclu du Comité directeur du Parti. À l’issue du 4e congrès de l’IC qui se tient en novembre-décembre 1922, est constituée au sein du PCF une nouvelle direction dont Sellier fait partie. En janvier 1923, après la démission d’Oscar Louis Frossard (dit Ludovic Oscar Frossard), il devient avec Albert Treint l’un des deux secrétaires du Parti. Au congrès du Parti de janvier 1924 il est nommé secrétaire général et membre du Bureau politique. En juin-juillet 1924 il participe au 5e congrès de l’IC et devient membre du CE. En aout Pierre Sémard le remplace comme secrétaire général du Parti. Toutefois Sellier est reconduit dans ses fonctions au Comité directeur et au Bureau politique jusqu’en 1929, mais il est exclu du Parti en novembre de cette année. En décembre 1929 est constitué le “Parti ouvrier paysan” (POP) avec comme principal dirigeant Sellier. En décembre 1930 le POP fusionne avec le Parti socialiste-communiste (un avatar d’organisations créées en 1922-1923 par des exclus du PCF, dont Frossard) pour former le “Parti d’unité prolétarienne” (PUP) qui survit jusqu’en 1937. En 1937 Sellier rejoint la SFIO et en juin 1940 il vote en faveur des pleins pouvoirs pour Pétain.
[62]. Jacques Doriot.
En 1916 Doriot adhère aux Jeunesses socialistes. Au congrès de Tours il suit la création du PCF. Il participe au 3e congrès de l’Internationale communiste, devient en 1922 secrétaire général des Jeunesses communistes, puis en 1924 en prend la direction et entre au Comité directeur du Parti. À la suite d’une conférence nationale du Parti tenue en juin 1934, est annoncée l’exclusion de Doriot. En juin 1936 il crée le “Parti populaire français” (PPF), au sein duquel il est rejoint par d’anciens communistes (dont Henri Barbé), d’anciens maurassiens, d’anciens Croix de feu (comme Pierre Pucheu) ainsi que, entre autres, Bertrand de Jouvenel, Pierre Drieu la Rochelle. À partir de 1940, Doriot choisit la collaboration, il est nommé membre du Conseil national instauré par Vichy. Le 8 juillet 1941, il appuie la création de la Légion des volontaires français (LVF), en novembre 1944 il est intégré dans le SS (Schutzstaffel, c’est-à-dire escadron de protection).
[63]. Mátyás Rákosi.
Rákosi adhère au Parti social-démocrate hongrois (Magyarországi Szociáldemokrata Párt, MSzDP) en 1910. Pendant la Première guerre mondiale en 1915 il est fait prisonnier par les troupes russes. En avril 1918, il est échangé contre un prisonnier de guerre russe, il retourne en Hongrie et participe à la création du Parti communiste hongrois (Magyar Kommunista Párt, MKP) en novembre 1918. Il est arrêté en février 1919, puis libéré en mars. Il fait partie de la direction de la République de Conseils, de mars à juillet. Après la chute de la République des conseils le 1er aout 1919, il émigre à Vienne, où il est arrêté. Libéré en mai 1920, il se rend en Russie. Il participe au 2e Congrès de l’Internationale communiste (juillet-aout 1920). À l’issue du 3e Congrès de l’IC (juin-juillet 1921), il est élu secrétaire du Comité exécutif de l’IC et le reste jusqu’au 4e Congrès (novembre-décembre 1922), ensuite il occupe le poste de secrétaire adjoint du CE de l’IC jusqu’au 5e Congrès (juin-juillet 1924). Il participe au congrès de réorganisation du Parti avec Bêla Kun et d’autres en aout 1925 à Vienne. Il est arrêté en septembre, condamné l’année suivante à huit ans et demi de prison; après avoir purgé la peine il est inculpé à nouveau, condamné à la prison à vie. Absent lors du 7e Congrès de l’IC (juillet-aout 1935), il est élu au Présidium du CE. En octobre 1940, il est mis en liberté dans le cadre d’un échange de prisonniers politiques entre les gouvernements soviétique et hongrois. De 1940 à 1944 il dirige le Bureau à l’étranger du Parti à Moscou; revenu en Hongrie en février 1945, il devient secrétaire général.
[64]. Toïvo Antikaïnen.
Antikaïnen participe à la fondation du Parti communiste de Finlande en aout 1918. À partir de 1923 il est membre du Comité central, puis à partir de 1925, du Bureau politique. Il est arrêté en 1934 et après avoir été libéré il se rend en URSS en 1940.
[65]. Fiete Schulze.
En 1913 Schulze adhère au SPD, en 1919 il passe à l’USPD, puis en 1920 il suit l’unification de l’aile gauche de l’USPD avec le KPD. Il participe activement, à Hamburg, à la tentative d’insurrection organisée par le KPD en octobre 1923. Il quitte l’Allemagne, revient illégalement en 1925, puis se rend à Moscou, finalement il rentre à nouveau en Allemagne en 1932. Pour la direction locale du KPD du district Wasserkante* il constitue une unité d’autodéfense. Il est arrêté le 16 avril 1933, condamné à mort en mars 1935 et exécuté.
* À l’époque le district Wasserkante rassemblait des territoires correspondant maintenant à Schleswig-Holstein, Hamburg, ainsi que la partie nord-est de Niedersachsen.
[66]. Tsou-tsu-bo (Strakhov).
Autres transcriptions: Tsiou Tsiou-Bo, Tsiui Tsube, Qu Qiubai.
Qu Qiubai s’engage d’abord dans le Mouvement du 4 mai 1919. Ce jour-là se déroule une vaste manifestation d’étudiants sur la place Tian’anmen, à Pékin, pour protester contre le traitement réservé à la Chine par les puissances signataires du traité de Versailles, le mois précédent. Ultérieurement, à partir de cet évènement se développe un mouvement culturel. Le Parti communiste chinois est créé en 1921, avec comme principaux dirigeants Chen Duxiu et Li Dazhao. En 1920 Qu entame un séjour en Union soviétique, où il adhère au PCC en 1922. Après son retour en Chine en 1923, il est élu au Comité central au 3e congrès du Parti. En 1924 il est élu comme membre suppléant du Comité central exécutif du Guomindang. En 1927 il tient un rôle dirigeant au cours de la deuxième insurrection ouvrière de Shanghai, l’insurrection échoue. Avec la rupture entre le Guomindang et le PCC, Qu se trouve en opposition à Chen Duxiu. Celui-ci est écarté de la direction, le 5e Congrès du Parti, en aout, élit un nouveau Bureau politique préside par Qu. En juin 1928 se tient le 6e congrès du Parti, à Moscou. Qu est remplacé par Xiang Zhongfa, mais reste au Bureau politique. Au 6e congrès de l’Internationale communiste en juillet il est élu au Comité exécutif de l’IC. En juillet 1930 l’IC l’envoie en Chine. En janvier 1934 il reçoit l’ordre de la direction du PCC de rejoindre la base de la République soviétique chinoise de Ruijin, où il est nommé Commissaire à l’éducation dans le gouvernement présidé par Mao Zedong. Lorsqu’ en octobre débute la Longue marche, il est laissé dans le Jiangxi, il est capturé par les troupes du Guomindang. Il est condamné à mort, et exécuté le 18 juin 1935.
[67]. August Lütgens.
Le 2 juin 1933, un tribunal spécial fasciste établi à Altona (maintenant partie de Hambourg) prononce des condamnations à mort à l’encontre d’August Lütgens, Walter Möller, Karl Wolff et Bruno Tesch. Il s’agit d’une machination dont l’origine réside dans des évènements survenus le 17 juillet 1932: durant des affrontements à Altona entre un cortège de la SA (Sturmabteilung, c’est-à-dire section d’assaut) et des habitants du quartier, deux membres de la SA avaient été tués. Peu après déjà, la justice avait construit des accusations alléguant un complot communiste et en automne 1932 les quatre personnes citées avaient été placées en détention provisoire, puis la procédure avait été abandonnée, mais les résultats de l’enquête servent de base à la justice fasciste. Lütgens, Möller, Wolff et Tesch sont exécutés le 1er aout.
[68]. Nikola Kofardjiev.
Kofardjiev adhère au Parti Communiste bulgare en 1922. En 1925 il émigre en URSS. De 1926 à 1928 il est Secrétaire du Comité central de l’Union des Jeunesses communistes de Bulgarie. Entre 1928 et 1930, il travaille au Comité exécutif de l’Internationale Communiste de la Jeunesse. À partir de 1930 il est Secrétaire du CC du Parti communiste de Bulgarie. En Bulgarie, suite aux élections de juin 1931, est formé un gouvernement porté par une coalition dite "Bloc populaire", dirigé par Alexandre Malinov, du Parti démocrate bulgare. Le 19 mai 1934, un groupe d’officiers mené par le colonel Damyan Velchev effectue un coup d’état, Kimon Georgiev est désigné pour diriger un nouveau gouvernement, le roi Boris III abdique. La constitution, datant de 1879, est suspendu, tous les partis politiques sont interdits par un décret du 14 juin. Ultérieurement, Boris reprend le pouvoir en main, le 22 janvier 1935 il charge le général Pentcho Zlatev de former un nouveau gouvernement, puis le 18 avril il investit un gouvernement dirigé par Andrey Toshev. En octobre 1931 Kofardjiev est assassiné dans la rue au cours d’un accrochage avec la Police.
[69]. Fédération syndicale internationale (dite “Internationale syndicale d’Amsterdam”).
En 1901 se tient à Copenhague une réunion entre représentants des centrales syndicales de Norvège, Suède, Finlande, Danemark, Allemagne, France et Belgique. Une autre rencontre suit en 1903, et se constitue un secrétariat international avec Carl Legien (SPD) comme secrétaire. En 1913 est adoptée la désignation “Fédération syndicale internationale” (FSI). La 1e guerre mondiale induit le clivage correspondant aux alliances belligérantes. En 1919 la FSI est reconstituée. Une première réunion se tient en février 1919 à Bern, en juillet-aout le siège est établi à Amsterdam. La FSI est reconnue par la nouvelle Organisation internationale du travail. L’admission à la FSI des syndicats de l’Union soviétique est refusée. La Fédération américaine du travail (AFL) adhère finalement à la FSI en 1937.
[70]. Lénine: Œuvres complètes, tome 25, p. 420. E.S.I. (Sous presse.) [Note de l’éd.]
[321ignition] Cf. V. I. Lénine: Rapport au 2e Congrès de l’IC sur la situation internationale et les tâches fondamentales de l’IC (19 juillet 1920) (in: Oeuvres, Tome 31, Paris, Éditions sociales, 1961; p. 233‑234):
Camarades, nous abordons maintenant la question de la crise révolutionnaire, base de notre action révolutionnaire. Et ici, il faut avant tout noter deux erreurs très répandues. D’une part, les économistes bourgeois représentent cette crise comme un simple "malaise", selon l’élégante formule des Anglais. D’autre part, des révolutionnaires s’efforcent parfois de démontrer que cette crise est absolument sans issue.
C’est une erreur. Il n’existe pas de situation absolument sans issue. La bourgeoisie se conduit comme un forban sans vergogne qui a perdu la tête; elle commet bêtise sur bêtise aggravant la situation et hâtant sa propre perte. C’est un fait. Mais il n’est pas possible de "prouver" qu’il n’y a absolument aucune chance qu’elle endorme une minorité d’exploités à l’aide de petites concessions, qu’elle réprime un mouvement ou une insurrection d’une partie des opprimés et des exploités. Tenter d’en "prouver" à l’avance l’impossibilité "absolue" serait pur pédantisme, verbiage ou jeu d’esprit. Dans cette question et dans des questions analogues, seule la pratique peut fournir la "preuve" réelle. Le régime bourgeois traverse dans monde entier une profonde crise révolutionnaire. Il faut "démontrer" maintenant, par l’action pratique des partis révolutionnaires, qu’ils possèdent suffisamment de conscience, d’organisation, de liens avec les masses exploitées, d’esprit de décision et de savoir‑faire pour exploiter cette crise au profit d’une révolution victorieuse.
[71]. Éthiopie.
Historiquement, l’Éthiopie constitue une région composée principalement de la Nubie et de l’Abyssinie. Cependant, l’Abyssinie ou Haut-Éthiopie est toujours resté nettement distincte de la Basse-Éthiopie, dénommée selon les époques Méroé, Nubie, ou Soudan.
Selon la tradition éthiopienne, la reine de Saba (nommée Makeda) et Salomon ont un fils, Ménélik Ier, qui fonde la dynastie royale de l’Éthiopie. En 1889, Sahle Maryam, roi de Choa ‑ une des composantes territoriales de l’Éthiopie ‑, accède au trône du roi des rois d’Éthiopie, sous le titre de Ménélik II. Il entame des relations avec l’Italie, concrétisées par un traité signé en 1889 et complété en 1891, qui permet à ce pays de s’installer en Érythrée. En 1893, Ménélik dénonce le traité, ce qui suscite, en 1895, l’envoi en Abyssinie d’un corps expéditionnaire italien. Ce dernier est balayé par l’armée éthiopienne le 1er mars 1896 à Adoua. Cette victoire permet à Ménélik d’imposer désormais ses propres conditions aux puissances européennes, qui en 1906 reconnaissent l’intégrité de l’Éthiopie,
Ménélik décède en 1913, son testament désigne son petit‑fils Iyasu comme son successeur. Mais l’épouse de Menelik, Taytu, manoeuvre et obtient que Zewditu Ire, fille de Mélénik, est associée à Iyasu. Toutefois, les dignitaires fidèles à Ménélik et à son testament préfèrent Iyasu à Zewditu, et celui‑ci est intronisé empereur. Iyasu est renversé par un coup d’État qui intronise, en 1916, Zewditu comme "reine des reines" d’Éthiopie. Elle se voit toutefois attribuer un régent, Ras Tafari Makonnen, petit‑neveu de Ménélik. Celui‑ci, lorsque Zewditu décède en 1930, accède au trône du roi des rois d’Éthiopie, sous le titre de Haïlé Sélassié Ier.
Entretemps, l’Italie avait déployé des efforts pour participer à la course aux colonies, sans résultat notable. En 1922, l’Empire ne se composait que des rudes plateaux de l’Érythrée, des déserts somaliens et de quelques points d’ancrage en Libye. Dans la décennie qui suivit, Mussolini tenta une politique de pénétration pacifique pour arriver à une sorte de protectorat. Il appuya même la demande d’adhésion de l’Éthiopie à la Société des nations (SDN) de Genève. Dès 1933, l’Italie entama des préparations pour conquérir militairement l’Éthiopie. Les opérations militaires elles‑mêmes commencèrent en octobre 1935, en mars 1936 Haïlé Sélassié demande la paix.
[72]. Le 10e Plénum du Comité exécutif de l’Internationale communiste se tient du 3 au 19 juillet 1929.
[321ignition] Cf. Thèses adoptées par la 10e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. sur les rapports de Thälmann et Lozovski, sur :
La lutte économique et les tâches des partis communistes ►.
Extrait de la résolution:
1. Le nouveau caractère du réformisme syndical, la fusion ouverte de l’appareil réformiste syndical avec l’État bourgeois font que la question de notre tactique au sein des syndicats réformistes acquiert de nouveau de l’actualité. La 10e Session plénière du C.E. de l’I.C. confirme encore une fois que la politique de scission du mouvement syndical menée par la bureaucratie syndicale social-fasciste (exclusion des communistes et des membres de l’opposition révolutionnaire du sein des syndicats réformistes, les clauses reversales, etc…), ne doit en aucun cas aboutir à un relâchement de l’action pour la conquête des syndicats de masses, donc, par conséquent, à inviter les ouvriers à quitter les syndicats réformistes. Au contraire, ce travail doit redoubler d’intensité. "Pour aider la masse et gagner sa sympathie, son appui, il ne faut pas craindre les difficultés, ne pas craindre les chicanes, les subterfuges, les attaques, les brimades des “leaders” (qui, étant opportunistes et social-chauvins, sont, dans la plupart des cas, liés directement ou indirectement à la bourgeoisie et à la police), mais il faut travailler absolument là où il y a des masses." (Lénine, "La Maladie infantile du communisme". Voir le chapitre "Les révolutionnaires doivent‑ils mener une action dans les syndicats réactionnaires?").
2. La poussée grandissante du mouvement ouvrier et la crise croissante dans les syndicats réformistes ont donné naissance à des tendances dangereuses qui veulent renoncer au travail dans les syndicats réformistes. En même temps, cette croissante du mouvement ouvrier a soulevé un nouveau problème: la constitution de nouveaux syndicats révolutionnaires à certaines étapes et dans des conditions déterminées.
3. La première tendance a pour base une conception erronée du problème des inorganisés, une confusion des syndicats avec les comités de lutte, une sous‑estimation de la possibilité de conquérir les syndicats en gagnant les masses syndiquées (création artificielle des formes d’organisation "transitoires" vers de nouveaux syndicats). Ces tendances se trouvent en contradiction directe avec les décisions maintes fois adoptées par l’I.C. sur la conquête des masses ouvrières dans les syndicats. La provocation croissante de la part des réformistes dans le but d’obtenir la scission du mouvement syndical, qui s’exprime par l’exclusion des communistes et des membres de l’opposition révolutionnaire, ne peut être un prétexte pour réviser les décisions sur le travail au sein des syndicats réformistes dans les pays où n’existent pas de syndicats révolutionnaires indépendants et ne peut servir à justifier le relâchement du travail pour la conquête des masses syndiquées et pour l’organisation artificielle de nouveaux syndicats. La période actuelle impose à l’I.C. non pas une politique d’abandon des syndicats réformistes ou de création artificielle de nouveaux syndicats révolutionnaires, mais la lutte pour gagner la majorité de la classe ouvrière, au sein des syndicats réformistes, comme au sein des organisations dont l’influence s’étend sur de plus grandes masses (comités de lutte, comités d’usines) qui, avec le mouvement révolutionnaire, poursuivent les mêmes buts, mais qui les réalisent par des moyens qui leur sont propres.
4. Ce serait en même temps une illusion opportuniste nuisible que de penser que nous pouvons dans les conditions actuelles nous emparer de l’appareil syndical réformiste, même si nous avions avec nous la masse des syndiqués. Cela ne signifie nullement que l’opposition révolutionnaire et les communistes doivent être passifs dans les élections à la direction syndicale. Au contraire, la lutte pour chasser des syndicats tous les bureaucrates et les agents des capitalistes, la lutte pour chaque fonction élective dans les syndicats, en particulier la lutte pour les délégués syndicaux à la base doit être, entre nos mains, une arme puissante pour dé masquer le rôle de la bureaucratie syndicale social-fasciste et lutter contre elle.
5. En corrélation avec ceci, se trouve la lutte contre la politique scissionniste de la bureaucratie syndicale sociale fasciste. Cette lutte contre les exclusions et autres mesures de scission doit devenir une lutte contre la politique réformiste du monde industriel, pour l’unité sur la base de la lutte de classes, pour la démocratie prolétarienne dans les syndicats. L’activité scissionniste de la direction réformiste a pour but l’affaiblissement de la force organisée des masses ouvrières dans leurs luttes pour les revendications économiques et politiques, et l’isolement des communistes et de l’opposition révolutionnaire de la masse ouvrière organisée. C’est pourquoi, une des tâches les plus importantes consiste à mobiliser les grandes masses ouvrières contre l’activité scissionniste de la bureaucratie syndicale social-fasciste. En même temps, il est nécessaire de combattre énergiquement tout esprit de capitulation. La capitulation en face de la bureaucratie syndicale équivaudrait non seulement à discréditer, mais aussi à briser l’opposition révolutionnaire.
Il faut répondre à l’exclusion d’organisations syndicales entières, par une continuation active de la lutte et un renforcement de ces organisations, tout en luttant simultanément pour la réintégration dans le syndicat sous le mot d’ordre de l’unité sur la base de la lutte de classes. Ces organisations syndicales qui auront été exclues ne peuvent devenir le point de rassemblement des ouvriers exclus des autres organisations syndicales. Lors d’exclusions isolées d’ouvriers révolutionnaires, il faut tendre toutes les forces pour mobiliser les masses dans la lutte contre la politique de scission des réformistes. La lutte pour la réintégration des exclus devra s’effectuer sous le mot d’ordre de la conquête aux côtés de l’opposition révolutionnaire des ouvriers qui se trou vent encore sous l’influence des réformistes.
Dans ces pays, la lutte contre la politique scissionniste de la bureaucratie syndicale doit s’effectuer non pas par ¡’organisation des communistes et des membres de l’opposition révolutionnaire exclus dans de nouveaux syndicats, mais par une accentuation de la lutte pour la démocratie prolétarienne dans les syndicats, contre le réformisme, pour le renvoi des bureaucrates syndicaux réformistes. La fusion de l’appareil syndical réformiste avec l’appareil de l’État bourgeois, d’une part, l’influence croissante des partis communistes sur les masses ouvrières et dans les syndicats réformistes de masses, d’autre part, non seulement élargissent les possibilités de lutte contre la dictature des réformistes, mais rendent indispensable la mobilisation des masses pour briser les statuts et rompre avec le légalisme des syndicats réformistes.
6. L’opposition révolutionnaire ne peut également tolérer la dispersion des membres de l’opposition révolutionnaire exclus en masses toujours plus grandes du sein des syndicats réformistes. Pour cette raison, il est nécessaire que l’opposition révolutionnaire se lie activement avec tous les membres de l’opposition exclus des syndicats. Cependant, ceci ne doit pas être un motif à la création de nouvelles organisations (par exemple, en exigeant des cotisations spéciales), qui pourraient être des formes artificielles "transitoires" vers de nouveaux syndicats.
7. Mais les communistes ne peuvent être en principe contre la scission des syndicats. La résolution du 2e Congrès de l’I.C. donne les conditions auxquelles les communistes sont tenus d’accepter la scission. Elles sont les suivantes: "Les communistes ne doivent pas s’arrêter devant la scission des organisations syndicales, si le renoncement à la scission signifiait le renoncement à la lutte révolutionnaire dans les syndicats, le renoncement à organiser la partie la plus exploitée du prolétariat." L’accroissement du mouvement de grèves depuis le 6e Congrès de l’I.C et la lutte acharnée de la bureaucratie syndicale social-fasciste laquelle emploie les exclusions et la dissolution d’organisations entières (A.D.G.B.)[2] et restreint artificiellement, à l’aide d’en traves corporatives, le cercle de prolétaires syndiqués (l’exemple le plus frappant est la Fédération américaine du Travail et son action ouverte de briseur de grèves), ont créé dans certains pays des conditions telles que, parfois, il a été nécessaire de former de nouveaux syndicats révolutionnaires.
La 9e Session plénière du C.E. de l’I.C. et le 6e Congrès de l’I.C. ont prévu pour le Parti communiste américain la création de nouveaux syndicats, en premier lieu dans les branches d’industrie où les organisations syndicales font défaut en général et, en outre, dans les cas où, à la suite de l’action révolutionnaire des ouvriers, les masses ouvrières sont sorties des syndicats, par suite de la trahison de la bureaucratie syndicale et que le mouvement syndical était détruit. Le parti a entrepris ce travail et il doit le réaliser avec la plus grande énergie en gagnant aux nouveaux syndicats les masses énormes d’ouvriers inorganisés des États‑Unis. Il en fut ainsi en Angleterre, où un nouveau syndicat de la Couture et un nouveau syndicat des Mineurs d’Ecosse ont été créés. Il en fut ainsi en Pologne où, sur la base du mouvement de grèves de masses à Lodz et de la scission du P.S.P., il fut nécessaire de soulever le problème de la création d’un nouveau syndicat unique du textile sur la base de la lutte de classe révolutionnaire (à Lodz); cette question se pose aussi chez les mineurs (dans la région de Dombrovo). Il en fut de même au Mexique où fut constituée, sur la base de la radicalisation des masses ouvrières et de la dégénérescence réactionnaire de la C.R.O.M., une nouvelle C.G.T.U. révolutionnaire comptant environ 100.000 adhérents.
8. Mais les communistes doivent comprendre que la scission des syndicats ne consiste pas à former d’une façon mécanique de nouveaux syndicats. Il faut lutter énergiquement contre toute orientation vers la scission en bloc des syndicats. La création de nouveaux syndicats n’est possible qu’en cas d’essor de la vague de grèves, que là où la lutte politique prend une plus grande acuité, où de grandes masses du prolétariat ont déjà compris la nature social-impérialiste de la bureaucratie syndicale réformiste et lorsque ces masses appuient activement la création d’un nouveau syndicat. Mais, même si toutes ces conditions existent, la création de nouveaux syndicats dans les pays où n’existait pas jusqu’à présent de mouvement syndical révolutionnaire indépendant (par exemple en Allemagne) ne doit avoir lieu que dans certains cas, en prenant en considération la situation objective.
[73]. V. I. Lénine: La Maladie infantile du communisme, p. 42. E.S.I. [Note de l’éd.]
[321ignition] Cf. V. I. Lénine, Oeuvres, Tome 31, Paris, Éditions sociales, 1961; p. 41):
[Extrait]
6. Les révolutionnaires doivent‑ils militer dans les syndicats réactionnaires?
[…]
Mais nous luttons contre "l’aristocratie ouvrière" au nom de la masse ouvrière et pour la gagner à nous; nous combattons les leaders opportunistes et social-chauvins pour gagner à nous la classe ouvrière. Il serait absurde de méconnaître cette vérité élémentaire et évidente entre toutes. Or, c’est précisément la faute que commettent les communistes allemands "de gauche" qui, de l’esprit réactionnaire et contre-révolutionnaire des milieux dirigeants syndicaux, concluent à… la sortie des communistes des syndicats ! Au refus d’y travailler! et voudraient créer de nouvelles formes d’organisation ouvrière qu’ils inventent ! Bêtise impardonnable qui équivaut à un immense service rendu par les communistes à la bourgeoisie. Car nos mencheviks, de même que tous les leaders opportunistes, social-chauvins et kautskistes des syndicats, ne sont pas autre chose que des "agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier" (ce que nous avons toujours dit des mencheviks) ou "les commis ouvriers de la classe capitaliste" (labour lieutenants of the capitalist class), selon la belle expression, profondément juste, des disciples américains de Daniel De Leon. Ne pas travailler dans les syndicats réactionnaires, c’est abandonner les masses ouvrières insuffisamment développées ou arriérées à l’influence des leaders réactionnaires, des agents de la bourgeoisie, des aristocrates ouvriers ou des "ouvriers embourgeoisés" (cf. à ce sujet la lettre d’Engels à Marx sur les ouvriers anglais, 1858).
La "théorie" saugrenue de la non-participation des communistes dans les syndicats réactionnaires montre, de toute évidence, avec quelle légèreté ces communistes "de gauche" envisagent la question de l’influence sur les "masses", et quel abus ils font dans leurs clameurs du mot "masse". Pour savoir aider la "masse" et gagner sa sympathie, son adhésion et son appui, il ne faut pas craindre les difficultés, les chicanes, les pièges, les outrages, les persécutions de la part des "chefs" (qui, opportunistes et social-chauvins, sont dans la plupart des cas liés – directement ou indirectement – à la bourgeoisie et à la police) et travailler absolument là où est la masse. Il faut savoir consentir tous les sacrifices, surmonter les plus grands obstacles, afin de faire un travail de propagande et d’agitation méthodique, persévérant, opiniâtre et patient justement dans les institutions, sociétés, organisations – même tout ce qu’il y a de plus réactionnaires – partout où il y a des masses prolétariennes ou semi-prolétariennes. Or les syndicats et les coopératives ouvrières (celles-ci dans certains cas, tout au moins) sont justement des organisations où se trouve la masse.
[74]. Thèses et résolutions de la XIe Assemblée plénière du C.E. de l’I.C., p. 22. (Bureau d’éditions.) [Note de l’éd.]
[321ignition] Cf. Thèses adoptées par la 11e Assemblée plénière du C.E. de l’I.C. sur le rapport du camarade Manouilski et sur les corapports des camarades Thaelmann, Lenski et Tchémodanov, sur :
La situation et les tâches des Partis communistes d’Allemagne et de Pologne ►.
Extrait de la résolution:
À côté de ces succès, la 11e session plénière constate dans le travail de la majeure partie des sections de l’I.C. certaines graves faiblesses et lacunes qui consistent surtout en ce que les partis communistes retardent sur la radicalisation des masses, qu’ils ne démasquent pas suffisamment la social-démocratie; ces faiblesses et lacunes sont particulièrement dangereuses dans les conditions de l’étape actuelle, élevée, de la lutte de classes. Ces lacunes ont trouvé leur expression dans les faits suivants:
a) Le suivisme dans certains grands mouvements révolutionnaires: mouvements des chômeurs, grèves, mouvements paysans; la faiblesse du travail des -partis communistes dans les campagnes, en particulier parmi les ouvriers agricoles.
b) Une mobilisation tardive des masses sur la base de la défense des intérêts quotidiens des ouvriers, une liaison insuffisante de la lutte pour ces revendications avec la lutte pour la dictature du prolétariat (faible activité de la plupart des sections de l’I.C. dans la Journée internationale de lutte contre le chômage du 25 février).
c) Une passivité intolérable pour répondre à l’offensive du fascisme, comme cela eut lieu en Finlande lors du coup d’État de Lappo, ce qui fut reconnu et critiqué par le Comité central et par la conférence du Parti communiste de Finlande.
d) Une passivité- opportuniste en ce qui concerne l’action dans l’armée, la lutte contre la menace de guerre impérialiste et d’intervention militaire en U.R.S.S. (en particulier l’utilisation insuffisante, par la plupart des partis communistes, des procès du Parti industriel et des menchéviks pour renforcer cette lutte).
e) Un soutien absolument insuffisant par les partis communistes des pays impérialistes du mouvement révolutionnaire d’affranchissement des colonies et semi-colonies, une faible participation des partis communistes des nations dominantes aux mouvements révolutionnaires d’affranchissement des peuples opprimés des pays d’Europe.
f) Une sous-estimation opportuniste ou sectaire et un mépris pour le travail, excessivement important, à l’intérieur des syndicats réformistes; une action insuffisante dans les usines, en particulier les grandes usines décisives et dans les principales industries; la faiblesse de la vie politique des cellules.
g) Le travail d’organisation est en général faible; la consolidation organique de l’influence politique du Parti reste faible, il y a une intolérable passivité dans la lutte contre la fluctuation des effectifs.
Partout où les communistes ne déploient pas une activité, suffisant dans la lutte contre le danger de droite en leur sein, où ils appliquent mécaniquement la tactique juste "classe contre classe" sans tenir compte du niveau du mouvement communiste, sans adapter cette tactique aux conditions spéciales du pays même, où ils identifient le fascisme et le social-fascisme, les chefs social-fascistes et la masse ouvrière social-démocrate, les communistes affaiblissent leur direction indépendante de la lutte de classe et le caractère offensif de leur lutte contre la social-démocratie, permettant ainsi à cette dernière de manoeuvrer en simulant la lutte contre le fascisme (Autriche, Pologne) et de tromper les masses qui la suivent.
[75]. Thèses, décisions, résolutions de la XIIe Assemblée plénière du C.E. de l’I.C., p. 23. (Bureau d’éditions.) [Note de l’éd.]
[321ignition] Cf. Résolution adoptée par la 12e session plénière du C.E. de l’I.C. sur le rapport du camarade Thälmann, et les corapports des camarades Lenski et Gottwald., sur :
Les leçons des grèves économiques et de la lutte des chômeurs ►.
Extrait de la résolution:
Une des principales causes de la mobilisation insuffisante des masses par les partis communistes et les organisations syndicales révolutionnaires pour la lutte contre l’offensive du capital, est le faible travail, chose inadmissible, à l’intérieur des syndicats réformistes.
La lutte quotidienne et conséquente des communistes et des partisans du mouvement syndical révolutionnaire pour le front unique des ouvriers pose catégoriquement devant toutes les sections de l’I.C. et de l’I.S.R. la question du travail à l’intérieur des syndicats réformistes et des méthodes de ce travail. L’influence de la bureaucratie syndicale réformiste, surtout dans les pays où il existe de forts et vieux syndicats réformistes, est un des freins les plus sérieux au développement de la lutte de classe. On peut détruire cette influence non pas en poussant des hauts cris sur la destruction des syndicats, ce que les communistes ne visent pas, non pas en quittant les syndicats, mais en menant un travail opiniâtre au sein des syndicats réformistes, en luttant pour chaque membre du syndicat réformiste, pour chaque poste électif dans le syndicat, pour évincer les bureaucrates syndicaux réformistes et conquérir les organisations locales des différents syndicats, ainsi que la direction des Unions locales des syndicats réformistes.
La 12e session plénière du C.E. de l’I.C. invite toutes les sections de l’I.C. à poursuivre d’une façon bolchéviste, conséquente et énergique, la lutte contre la capitulation devant la bureaucratie syndicale réformiste, comme étant le principal danger, et contre les éléments opportunistes au sein des partis communistes et du mouvement syndical révolutionnaire qui sont jusqu’à présent les adversaires des syndicats rouges existants et de l’opposition syndicale révolutionnaire, et de l’organisation et de la conduite par ces derniers des grèves économiques indépendante. Ces éléments opportunistes soutiennent, par contre, le mot d’ordre: "Obliger les bureaucrates syndicaux à lutter" (Zwingt die Bonzen). Le C.E. de l’I.C. propose à toutes les sections de l’I.C. d’expliquer aux membres des partis et aux ouvriers révolutionnaires sans parti qu’on ne peut démasquer avec succès les bureaucrates syndicaux, libérer de leur influence la masse des adhérents aux syndicats de masse réformistes, catholiques, nationalistes, kuomintaniens, jaunes et autres syndicats semblables, que si les partisans de l’I.S.R., tout en effectuant un travail constant et minutieux, tout en expliquant et en présentant leurs propositions, interviennent dans toutes les réunions, assemblées, conférences et congrès sur toutes les questions de l’organisation et de la tactique de la lutte économique, en critiquant et en démasquant la direction de ces syndicats parce qu’ils mènent les pourparlers dans les coulisses avec le patronat, parce qu’ils acceptent volontairement l’aggravation des conditions de travail, font échouer la lutte des masses, étouffent l’initiative de la masse des adhérents et des membres du rang et quand ils ne peuvent faire échouer la lutte ils la commencent avec retard et capitulent devant les bourgeois à l’insu des ouvriers.
Les sections de l’I.C. doivent mener une lutte implacable contre les éléments sectaires de "gauche" au sein des partis communistes et du mouvement syndical révolutionnaire, qui utilisent la lutte de l’I.C. contre le mot d’ordre opportuniste "Poussez les bureaucrates syndicaux" pour renoncer en fait au travail révolutionnaire au sein des syndicats réformistes. La 12e session plénière du C.E. de l’I.C. invite toutes les sections de l’I.C. à lutter énergiquement contre la renonciation sectaire de "gauche" à combattre pour les fonctions électives dans les syndicats réformistes, ce qui est le devoir de chaque communiste conformément aux décisions de la 10e session plénière du C.E. de l’I.C.
Dans les pays où il y a des organisations syndicales fascistes de masse ou d’autres organisations réactionnaires de masse semblables (Italie, Chine) et surtout là où les syndicats fascistes jouissent du monopole, les communistes doivent travailler activement et d’une façon organisée à l’intérieur de ces organisations, en profitant de toutes les possibilités légales et semi‑légales pour entraîner la masse des adhérents de ces organisations dans la lutte de classe, pour discréditer ces organisations aux yeux des masses, pour renforcer les positions du mouvement syndical révolutionnaire dans les masses.