6e Congrès de l’Internationale communiste |
Thèses : |
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I. Introduction
1. Le 6e Congrès de l’Internationale communiste déclare que les "Thèses sur les questions nationale et coloniale", élaborées par Lénine et adoptées par le 2e Congrès mondial[2], conservent toute leur importance et doivent continuer à guider l’activité des partis communistes. Après le 2e Congrès, l’importance des colonies et semi‑colonies, comme facteur de crise du système impérialiste mondial, a augmenté d’actualité.
D’une part, en tant qu’objet d’exploitation dont l’impérialisme ne saurait se passer, les colonies sont devenues, plus encore qu’auparavant, une source perpétuelle de conflits et guerres entre les impérialistes. Les guerres de rapine et les nouveaux plans militaires des États impérialistes contre divers peuples restés plus ou moins indépendants, les préparatifs croissants des puissances impérialistes en vue de guerres pour un nouveau partage des colonies se développent sans cesse.
D’autre part, le monde immense des colonies et des semi‑colonies s’est transformé en un foyer inextinguible de mouvements révolutionnaires de masses. Ce phénomène, dont la signification historique est gigantesque, résulte en partie des changements qui se sont opérés pendant et après la guerre impérialiste, dans la situation intérieure des principales colonies et semi‑colonies, dans leur structure économique et sociale: renforcement des éléments de développement industriel capitaliste, aggravation de la crise agraire, accroissement et commencement d’organisation du prolétariat, paupérisation de grandes masses paysannes, etc., en partie aussi des changements dans la situation internationale: d’une part, les difficultés rencontrées par les principales puissances impérialistes pendant la guerre et la crise d’après-guerre de l’impérialisme mondial, plus tard, l’agressivité accrue de la politique coloniale de l’Angleterre, du Japon, des États‑Unis, de la France, de l’Italie, de la Hollande, comme conséquence, de la "paix" impérialiste; d’autre part, la transformation de la Russie de puissance impérialiste en puissance prolétarienne antiimpérialiste, la lutte victorieuse des peuples de l’U.R.S.S. contre l’impérialisme mondial pour la défense de leur indépendance, l’exemple de la solution révolutionnaire de la question nationale, l’influence de l’édification socialiste de l’Union soviétique, enfin le renforcement du mouvement communiste dans les pays capitalistes, et son action en faveur des colonies.
Tous ces faits ont considérablement accéléré l’éveil politique des formidables masses populaires des pays coloniaux et semi‑coloniaux et provoqué une série de grands soulèvements révolutionnaires qui, pour la plupart, lièrent étroitement, d’une façon originale, la lutte libératrice antiimpérialiste et le développement des forces de la lutte de classes à l’intérieur.
2. La Révolution chinoise a eu la plus grande importance internationale. Le massacre des ouvriers chinois à Shanghaï, le 30 mai 1925, fut le signal du déchaînement d’une formidable vague révolutionnaire en Chine. Les plus grands centres industriels: Shanghaï, Tientsin, Hankéou, Canton et la colonie anglaise de Hongkong furent l’arène de grèves révolutionnaires de masses, qui soulevèrent une vague d’action des masses paysannes contre les propriétaires fonciers chinois et la "gentry"[3]. Déjà, à cette étape initiale du large mouvement national-révolutionnaire, la bourgeoisie nationale s’est efforcée de limiter la lutte révolutionnaire exclusivement à des objectifs nationaux, tels que la lutte contre les militaristes, le boycott des impérialistes, etc. Au moment même où se levait la vague révolutionnaire, la contre-révolution commençait à organiser ses forces (coup d’État de Tchang Kaï Chek en mars 1926, massacre des manifestations d’étudiants à Pékin, organisation de l’aile droite du Kuomintang[4] qui engagea la lutte contre les paysans dans le Kvantoung et le Kvangsi, etc.). L’expédition vers le Nord, qui commença en été 1926, la conquête d’une série de provinces, la défaite et l’effondrement de nombreux groupements militaristes réactionnaires furent accompagnés d’une formidable croissance du mouvement des masses (occupation des concessions anglaises à Hankéou et Kioukiang, grève générale à Shanghaï, qui se transforma en une insurrection armée, croissance gigantesque du mouvement paysan). L’insurrection victorieuse de Shanghaï, en avril 1927, posa la question de l’hégémonie du prolétariat dans le mouvement national-révolutionnaire, poussa définitivement la bourgeoisie indigène dans le camp de la réaction et détermina le coup d’État contre-révolutionnaire de Tchang Kaï Chek.
Les actions indépendantes des ouvriers luttant pour le pouvoir, et surtout l’essor continu du mouvement paysan, se transformant en révolution agraire poussèrent aussi le gouvernement de Wouhan, formé sous la direction de l’aile[5] petite-bourgeoise du Kuomintang, dans le camp de la contre-révolution. Cependant, la vague révolutionnaire déclinait déjà. Dans une série d’insurrections (insurrection de Ho Lung, Vé Ting, soulèvements paysans dans le Hounan, Houpé, Kvantoung, Kiangsou) la classe ouvrière et les paysans tentèrent d’arracher le pouvoir aux impérialistes, à la bourgeoisie et aux propriétaires fonciers et d’empêcher par là la défaite de la révolution. Ils n’y réussirent pas. La dernière puissante manifestation de cette vague révolutionnaire fut l’insurrection de l’héroïque prolétariat de Canton, qui, sous le mot d’ordre des Soviets, tenta de lier la révolution agraire au renversement du Kuomintang et à l’établissement de la dictature du prolétariat et des paysans.
3. Aux Indes, la politique de l’impérialisme anglais, entravant le développement de l’industrie indigène, souleva un fort mécontentement de la bourgeoisie hindoue dont la consolidation, en tant que classe, remplaça la division antérieure en sectes religieuses et en castes, s’exprima en 1916 par la fusion du Congrès national hindou[6] ‑ organe de la bourgeoisie hindoue ‑ avec la Ligue musulmane et dressa, face à l’impérialisme anglais, le front uni national. La crainte d’un mouvement révolutionnaire pendant la guerre obligea l’impérialisme anglais à faire des concessions à la bourgeoisie indigène; elles s’exprimèrent dans le domaine économique, par une augmentation des droits de douane sur les produits importés, dans le domaine politique, par les piètres réformes parlementaires introduites en 1919. Cependant, les conséquences désastreuses de la guerre impérialiste (famine et épidémies de 1918), l’aggravation catastrophique de la situation des grandes masses de la population laborieuse, l’influence de la révolution d‘Octobre en Russie et d’une série de soulèvements dans les pays coloniaux (par exemple, la lutte du peuple turc pour l’indépendance) suscitèrent dans les masses du peuple hindou une intense fermentation qui s’exprima par une série d’actions révolutionnaires contre l’impérialisme anglais. Ce premier grand mouvement antiimpérialiste aux Indes (1919‑1922) se termina par la trahison de la bourgeoisie hindoue envers la cause de la révolution nationale, trahison déterminée surtout par la crainte de la vague grandissante des insurrections de paysans et des grèves des ouvriers contre les patrons indigènes. La débâcle du mouvement national-révolutionnaire et la désagrégation graduelle du nationalisme bourgeois permirent à l’impérialisme anglais de revenir à la politique d’entraves au développement industriel des Indes. Les dernières mesures de l’impérialisme anglais aux Indes démontrent que la contradiction objective entre le monopole colonial et la tendance des Indes à un développement économique indépendant s’aggrave d’année en année et mène à une nouvelle et profonde crise révolutionnaire.
Le véritable danger pour la domination anglaise vient non pas du camp de la bourgeoisie, mais du mouvement de masses croissant des ouvriers hindous qui se développe en de formidables grèves; en même temps, l’aggravation de la crise à la campagne témoigne de la maturation de la révolution agraire. Ces phénomènes déterminent un changement total de la situation politique aux Indes.
4. En Indonésie, l’impérialisme hollandais est de plus en plus obligé d’accorder aux puissances plus fortes (impérialismes américain et anglais) la possibilité d’importer toujours plus de marchandises et de capitaux. L’impérialisme hollandais est ainsi obligé de jouer en fait en Indonésie un rôle subalterne, un rôle "d’agent" qui exerce en outre les fonctions de gendarme et de bourreau. L’insurrection qui éclata à Java, en novembre 1926 [7], fut directement causée par la crise économique qui aggrava la situation des grandes, masses de la population et par la répression cruelle du mouvement national-révolutionnaire par le gouvernement. L’insurrection fut dirigée en grande partie par les communistes. Le gouvernement réussit à la noyer dans le sang, à écraser le parti communiste, à exterminer ou à emprisonner des milliers des meilleurs combattants du prolétariat et des paysans. Les réformes insignifiantes mises en scène plus tard par le gouvernement pour atténuer la haine des larges masses populaires et pour acheter le soutien des chefs national-réformistes, dans l’oeuvre "d’apaisement" des masses n’améliorèrent en rien la situation des couches laborieuses du peuple. La crise économique qui continue, celle des industries du sucre et du caoutchouc, en particulier l’offensive du capital pour aggraver les conditions de travail et le chômage croissant, créent les conditions objectives de nouvelles actions inévitables des masses ouvrières et paysannes contre l’impérialisme.
5. En Afrique du Nord, commença en 1923 une série de soulèvements des tribus kabyles du Riff[8] contre les impérialismes français et espagnol. Elles furent suivies d’un soulèvement des tribus Druzes[9], de la Syrie, sous "mandat", contre l’impérialisme français. Au Maroc, les impérialistes ne réussirent à maîtriser ce soulèvement qu’après une guerre prolongée. La pénétration renforcée du capital étranger dans ces pays donne naissance à de nouvelles forces sociales. L’apparition et la croissance du prolétariat urbain s’exprime par une vague de grèves de masses qui, pour la première fois, se développent en Palestine, en Syrie, en Tunisie et en Algérie. Peu à peu, quoique très lentement, les paysans de ces pays entreront aussi dans la lutte.
6. L’expansion économique et militaire croissante de l’impérialisme nord‑américain dans les pays de l’Amérique latine fait de ce continent un des principaux théâtres des antagonismes de tout le système colonial impérialiste. L’influence de l’Angleterre qui, avant la guerre, était décisive dans ces pays, réduisant beaucoup d’entre eux à l’état de semi‑colonie, fut supplantée après la guerre par une dépendance, plus forte encore, à l’égard des États‑Unis. Grâce à une exportation croissante de capitaux, l’impérialisme nord‑américain conquiert les postes de commande de l’économie de ces pays, soumet leurs gouvernements à son contrôle financier et, en même temps, les excite les uns contre les autres. Cette politique agressive de l’impérialisme américain prend de plus en plus un caractère de violence non déguisée, allant jusqu’à l’intervention armée (Nicaragua)[10]. La lutte d’émancipation nationale contre l’impérialisme américain qui a commencé en Amérique latine est en grande partie dirigée par la petite bourgeoisie. La bourgeoisie nationale, qui forme une couche très réduite de la population (sauf en Argentine, au Brésil, au Chili) liée, d’une part, aux grands propriétaires fonciers, et, d’autre part, au capital américain, est dans le camp de la contre-révolution.
La révolution mexicaine, qui débuta par la lutte révolutionnaire des paysans pour la terre, contre les propriétaires fonciers et l’Église, revêtit en même temps à un degré considérable le caractère d’une lutte des masses contre l’impérialisme américain et anglais et[11] aboutit à la constitution d’un gouvernement de la petite-bourgeoisie, qui s’efforce de conserver le pouvoir par des concessions aux grands propriétaires fonciers et à l’impérialisme nord‑américain. Les insurrections paysannes, les grèves des ouvriers, etc., en Équateur, contre le gouvernement des propriétaires fonciers de la côte et contre le gouvernement des banquiers et de la bourgeoisie commerçante de Guayaquil déterminèrent un coup d’État militaire et l’instauration d’un gouvernement militaire dictatorial en 1925; une série de coups d’État militaires au Chili; une guerre de partisans au Nicaragua contre l’impérialisme nord‑américain; une série d’insurrections dans le sud du Brésil; l’insurrection des ouvriers agricoles de Patagonie[12], en Argentine; les soulèvements d’indiens, en Bolivie, Équateur et Colombie, les rébellions, les grèves générales spontanées et les manifestations de masses au Venezuela et en Colombie; les mouvements antiimpérialistes de masses à Cuba et dans toute l’Amérique Centrale, en Colombie, etc., etc., tous ces événements des dernières années témoignent d’un élargissement et d’un approfondissement du processus révolutionnaire et surtout de la colère croissante des pays de l’Amérique latine contre l’impérialisme mondial.
7. Dans la plupart des cas l’impérialisme a jusqu’à présent réussi à noyer dans le sang le mouvement révolutionnaire des pays coloniaux. Mais toutes ces questions fondamentales qui provoquèrent ces mouvements sont restées sans solution. La contradiction objective entre la politique coloniale de l’impérialisme mondial et le développement indépendant des peuples coloniaux n’a nullement disparu ni en Chine, ni aux Indes, ni dans aucun autre des pays coloniaux et semi‑coloniaux, au contraire, elle s’aggrave toujours plus et ne peut être éliminée que par la lutte révolutionnaire victorieuse des masses travailleuses des colonies. Tant que cette contradiction n’aura pas été éliminée, elle agira dans chaque colonie et semi‑colonie comme un des principaux facteurs objectifs de la révolution. En même temps, la politique coloniale des États impérialistes agit comme un des plus puissants générateurs d’antagonisme et de guerres, entre eux. Cet antagonisme s’aggrave de plus en plus et joue, dans les semi‑colonies surtout, en dépit de blocs fréquents des impérialistes, un rôle plus ou moins considérable. Mais les antagonismes entre le monde impérialiste d’un côté, l’U.R.S.S. et le mouvement ouvrier révolutionnaire des pays capitalistes de l’autre, ont la plus grande importance pour le développement du mouvement révolutionnaire dans les colonies.
8. La formation d’un front de combat entre les forces actives et la révolution socialiste mondiale (l’Union soviétique et le mouvement ouvrier dans les pays capitalistes) d’une part, et, de l’autre, les forces de l’impérialisme, ont, à l’époque actuelle de l’Histoire universelle, une signification primordiale décisive. Les masses laborieuses des colonies luttant contre l’esclavage impérialiste forment une puissante armée militaire de la révolution socialiste mondiale. Les pays coloniaux sont actuellement pour l’impérialisme mondial le secteur du front le plus dangereux. Les mouvements révolutionnaires libérateurs des colonies et des semi‑colonies se groupent de plus en plus autour du drapeau de l’Union soviétique, convaincus par une amère expérience, qu’il n’y a pour eux de salut que dans l’alliance avec le prolétariat révolutionnaire, dans la victoire de la révolution prolétarienne mondiale sur l’impérialisme mondial. De leur côté, le prolétariat de l’U.R.S.S. et le mouvement ouvrier dans les pays capitalistes, dirigés par l’Internationale communiste, soutiennent et soutiendront de plus en plus énergiquement par leur action, la lutte émancipatrice de tous les peuples coloniaux dans leur lutte pour l’émancipation définitive du joug de l’impérialisme. Plus: l’alliance de l’U.R.S.S. et du prolétariat révolutionnaire des pays impérialistes crée pour les masses laborieuses des peuples de Chine, des Indes et de tous les pays arriérés coloniaux et semi‑coloniaux la possibilité d’un développement indépendant, libre, économique et culturel, brûlant l’étape de la domination du régime capitaliste et même le développement des rapports capitalistes en général.
L’époque de l’impérialisme, des guerres et des révolutions, dans laquelle naît la dictature du prolétariat, ouvre ainsi une perspective tout à fait nouvelle au développement des peuples coloniaux. Étant donné que de l’analyse d’ensemble de l’économie mondiale contemporaine ne résulte nullement de la perspective d’une nouvelle période prolongée de prospérité capitaliste, mais, au contraire, la chute inévitable du capitalisme, qui a déjà terminé son rôle historique progressif et est devenu un frein au progrès, se décompose cédant la place à la dictature prolétarienne (U.R.S.S.) et mène l’humanité à de nouvelles catastrophes. Ainsi il y a la possibilité objective d’un développement non capitaliste des colonies arriérées, d’une transformation de la révolution démocratique-bourgeoise en révolution socialiste prolétarienne dans les colonies avancées grâce à l’aide de la dictature prolétarienne des autres pays. Si les conditions objectives sont favorables, cette possibilité devient réalité, la marche réelle des événements étant déterminée par la lutte, et seulement la lutte. Défendre cette voie en théorie et en pratique, lutter pour elle avec abnégation, est le devoir de tous les communistes. Cette perspective pose également devant les colonies le problème de la prise du pouvoir révolutionnaire par les Soviets.
Toutes les questions fondamentales du mouvement révolutionnaire des colonies et des semi‑colonies se trouvent ainsi en liaison étroite avec la lutte formidable et historique, entre le système capitaliste et le système socialiste, menée actuellement, à l’échelle mondiale, par l’impérialisme contre l’U.R.S.S. et, à l’intérieur de chaque pays capitaliste, entre la domination de classe de la bourgeoisie et le mouvement communiste.
Dans cette lutte, la collaboration du prolétariat révolutionnaire au monde entier et des masses laborieuses des colonies est la garantie la plus sûre de victoires sur l’impérialisme. Dans cette lutte, tout conflit armé entre deux États impérialistes, et toute guerre des impérialistes contre l’U.R.S.S. doivent être utilisés pour mobiliser les masses des colonies et les entraîner dans une lutte décisive contre l’impérialisme, pour l’émancipation nationale, pour la victoire des ouvriers et paysans.
II. Traits caractéristiques de la vie économique
des colonies et de la politique coloniale impérialiste
9. L’histoire contemporaine des colonies ne peut être comprise que si elle est considérée comme une partie de l’histoire du développement de l’économie capitaliste dans son ensemble, de ses formes les plus primitives à sa dernière étape: l’impérialisme.
À mesure que le capitalisme englobe de plus en plus l’immense domaine colonial dans la sphère de son économie mondiale basée sur l’exploitation et la chasse au profit, l’histoire économique et politique des pays coloniaux et semi‑coloniaux reflète, comme un miroir, tous les traits caractéristiques de la soi-disant "mission civilisatrice et culturelle" du mode de production capitalisme et de l’ordre social bourgeois. Elle découvre surtout, avec une franchise implacable, les méthodes et la pratique de l′"accumulation primitive du capital". Une politique de conquêtes et d’oppression d’une cruauté inouïe avec sa rapine coloniale et ses expéditions punitives, ses guerres d’opium et ses incursions de pirates, son ravitaillement forcé de la population indigène en eau‑de‑vie, en bibles et autres poisons, produits en abondance par les pays très chrétiens d’Europe et d’Amérique, tels furent les principaux facteurs qui favorisèrent le renforcement du régime capitaliste.
En dépit des odieux mensonges des impérialistes et de leurs valets réformistes (MacDonald, Otto Bauer et Cie) qui affirment que l’impérialisme "apporte aux peuples arriérés la prospérité, le progrès et la culture", le passage à l’époque du capitalisme monopoliste n’a aucunement allégé le fardeau qui pèse sur les formidables masses des peuples coloniaux. Les conséquences désastreuses qu’entraîne partout le développement capitaliste, surtout dans la première phase de son existence, se reproduisent dans les colonies à un degré monstrueux et avec une rapidité accrue grâce à la pénétration du capital étranger. Le progrès provoqué par le capitalisme, au contraire, ne s’y fait généralement pas du tout sentir. Là où l’impérialisme régnant a besoin dans les colonies d’un appui social, il s’unit d’abord aux couches dirigeantes de l’ancien régime social ‑ les féodaux et la bourgeoisie marchande et usurière ‑ contre la majorité du peuple. Partout, l’impérialisme s’efforce de conserver et d’éterniser toutes les formes d’exploitation précapitalistes (surtout dans les campagnes) qui sont la base d’existence de ses alliés réactionnaires. Les masses populaires de ces pays sont contraintes de payer des sommes immenses pour l’entretien de l’armée, de la gendarmerie et de l’appareil administratif du régime colonial. La famine, et les épidémies qui se développent surtout parmi les paysans paupérisés; l’expropriation en masse des terres de la population indigène; les conditions inhumaines de travail (dans les plantations et les mines des capitalistes blancs, etc., etc.), pires parfois que l’esclavage avoué ‑ exercent partout leur influence néfaste sur la population des colonies et déterminent parfois l’extinction de peuplades entières. Le "rôle éducatif culturel" des États impérialistes dans les colonies est en réalité celui de bourreau.
10. Parmi les pays coloniaux, il faut distinguer entre les colonies des pays capitalistes qui servaient de territoire de colonisation pour le surplus de leur population et qui devinrent ainsi le prolongement de leur système capitaliste propre (Australie, Canada, etc., etc.) et les colonies qui sont exploitées par les impérialistes surtout comme débouchés, source de matières premières et sphère d’investissement des capitaux. Cette distinction a une grande importance, non seulement historique, mais aussi économique et politique. Les colonies du premier type sont devenues, par leur développement général, des Dominions, c’est‑à‑dire des parties de système impérialiste jouissant de droits égaux ou presque égaux à ceux de la métropole. Le développement capitaliste y reproduit, au sein de la population blanche immigrée, la même structure sociale que celle de la métropole, tandis que la population indigène est en grande partie exterminée. Il n’est pas question de régime colonial sous la forme existant dans les colonies du second type. Entre ces deux types, existe un type transitoire où à côté de nombreuses populations indigènes existe une population blanche considérable formée de colons (Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Algérie, etc., etc.). La bourgeoisie, venue de la métropole, représente au fond dans ces pays (colonies d’émigration) un "prolongement" colonial de la bourgeoisie de la métropole. Les intérêts de cette bourgeoisie sont en grande partie identiques aux intérêts coloniaux de la métropole. La métropole est intéressée, jusqu’à un certain degré, à renforcer sa "filiale" capitaliste dans la colonie, surtout quand cette "filiale" de l’impérialisme réussit à subjuguer l’ancienne population indigène ou même à la faire disparaître complètement. D’autre part, la rivalité des divers systèmes impérialistes pour l’influence dans ces pays demi‑indépendants[13] peut aboutir à leur séparation de la métropole et même à leur rattachement aux concurrents de celle‑ci. Ces causes contraignent souvent l’impérialisme à accorder à son agence une certaine indépendance politique et économique dans ces colonies (Dominions) qui deviennent alors des puissances alliées et apparentées à leur impérialisme respectif.
11. Au fond, le régime colonial impérialiste consiste en un monopole, basé non seulement sur la pression économique mais aussi sur la contrainte non économique, de la bourgeoisie du pays impérialiste dans le pays dépendant, monopole qui a deux fonctions principales: d’un côté, l’exploitation impitoyable des colonies (diverses formes de tributs directs ou indirects, surprofits provenant de l’écoulement des produits industriels de la métropole et de l’approvisionnement de l’industrie de la métropole en matières premières à bas prix avec utilisation de main‑d’oeuvre à très bon marché); d’autre part, le monopole impérialiste sert à conserver et à développer les conditions de sa propre existence, c’est‑à‑dire l’assujettissement des masses coloniales.
Dans sa fonction d’exploiteur colonial, l’impérialisme est, par rapport au pays colonial, avant tout un parasite qui suce le sang de son organisme économique. Le fait que ce parasite représente envers sa victime une haute culture, en fait un exploiteur d’autant plus puissant et dangereux, mais du point de vue du pays colonial, ne modifie en rien le caractère parasitaire de ses fonctions. L’exploitation capitaliste de chaque pays impérialiste a suivi la voie du développement des forces productives. Les formes spécifiquement coloniales d’exploitation capitaliste, employées par la bourgeoisie anglaise française et autres, freinent, par contre, en fin de compte, le développement des forces productives de leurs colonies. Elles consistent à n’effectuer que le minimum de travail constructif (chemins de fer, ports) nécessaire à la domination militaire du pays, au fonctionnement ininterrompu de la machine fiscale et aux besoins du commerce du pays impérialiste. L’agriculture des colonies est obligée, en grande partie, de travailler pour l’exportation, mais l’agriculture n’est nullement libérée par là des entraves des formes économiques précapitalistes. En règle générale, elle se transforme en économie marchande "libre" grâce à la subordination des formes de production précapitalistes aux besoins du capital financier, à l’intensification des méthodes précapitalistes d’exploitation, à l’assujettissement de l’économie paysanne au joug du capital marchand et usuraire, qui se développent rapidement, au renforcement des charges fiscales, etc., etc. L’exploitation des paysans se renforce, mais leurs méthodes de production ne sont pas renouvelées. En règle générale, la transformation industrielle des matières premières coloniales s’opère non pas dans la colonie, mais dans les pays capitalistes, avant tout dans la métropole. Les bénéfices tirés des colonies n’y sont pas, pour la plupart, dépensés productivement, ils sont extraits du pays pour être investis soit dans la métropole, soit dans de nouvelles sphères d’expansion de l’impérialisme. Ainsi, l’exploitation coloniale est, par sa tendance fondamentale, un frein au développement des forces productives des colonies, elle opère le pillage des richesses naturelles et, surtout, épuise les réserves de forces productives humaines du pays colonial.
12. Cependant, dans la mesure où l’exploitation coloniale détermine un certain développement de la production dans les colonies, ce développement, grâce au monopole impérialiste, prend une orientation spéciale et n’est encouragé que dans la mesure où il correspond aux intérêts de la métropole, au maintien de son monopole colonial en particulier. Elle peut pousser une partie des paysans, par exemple, à passer de la culture des céréales à celle du coton, du sucre, du caoutchouc (Soudan, Cuba, Java, Égypte, etc.), mais cela s’opère d’une façon qui, non seulement, ne correspond pas aux intérêts du développement économique indépendant des pays coloniaux, mais au contraire, renforce encore davantage la dépendance des colonies à l’égard des métropoles impérialistes. Dans le but d’élargir l’approvisionnement de l’impérialisme mondial en matières premières, on crée de nouvelles cultures agricoles pour remplacer celles qu’anéantit la politique coloniale. Les nouveaux systèmes d’irrigation, construits dans ce but pour remplacer les anciens systèmes détruits, se transforment aux mains des impérialistes en un instrument d’exploitation renforcée des paysans. Dans le but d’élargir le marché intérieur, on fait des tentatives d’adapter au mode de production capitaliste les rapports agraires créés en partie par la politique coloniale elle‑même. Les plantations de toute sorte servent les intérêts du capital financier des métropoles. L’exploitation des richesses minérales des colonies est faite en vue des besoins de l’industrie de la métropole, surtout afin de la rendre indépendante des sources de matières premières des autres pays, sur lesquels ne s’exerce pas son monopole. Ce sont les principales sphères de la production coloniale. Le développement de la production dans les colonies grandit relativement, là seulement où la fabrication est une opération extrêmement simple (industrie du tabac, du sucre, etc.) et où les frais de transport des matières premières peuvent être sensiblement réduits par leur transformation sur place. En tout cas, les entreprises capitalistes, créées dans les colonies par les impérialistes (à l’exception de certaines entreprises créées pour des buts de guerre) portent essentiellement ou exclusivement un caractère capitaliste-agraire caractérisé par une faible composition organique du capital. La véritable industrialisation des pays coloniaux, en particulier la création d’une industrie viable de construction mécanique capable de favoriser le développement indépendant des forces productives du pays, loin d’être encouragée, est au contraire entravée, par la métropole. C’est en cela, au fond, que consiste sa fonction d’oppression coloniale: le pays colonial est contraint de sacrifier les intérêts de son développement indépendant et de jouer le rôle d’appendice économique (agriculture, matières premières) du capitalisme étranger, afin de renforcer, au détriment des classes laborieuses du pays colonial, le pouvoir économique et politique de la bourgeoisie du pays impérialiste, de perpétuer son monopole colonial et de renforcer son expansion dans le reste du monde.
De même que le "capitalisme classique" de l’époque préimpérialiste démontrait, on ne peut plus clairement, par sa rapine dans les colonies, tous les caractères négatifs de la destruction du passé sans édification créatrice d’une économie nouvelle; de même l’indice le plus caractéristique de la décadence de l’impérialisme, son caractère usuraire et parasitaire apparaît clairement dans son économie coloniale. La tendance des grandes puissances impérialistes à adapter toujours davantage et toujours plus exclusivement leurs colonies monopolisées aux besoins de l’économie capitaliste de la métropole, entraîne non seulement la destruction du régime économique traditionnel de la population coloniale indigène, mais aussi à une rupture de l’équilibre entre les différentes branches de la production et, en fin de compte, à un ralentissement artificiel du développement des forces productives des colonies.
La tendance générale commune à toutes les métropoles consiste, d’une part, à faire de la colonie une partie subordonnée de son système impérialiste, afin de permettre à celui-ci de se suffire à lui‑même économiquement et de s’opposer aux autres systèmes impérialistes, et, d’autre part, à priver la colonie des rapports directs avec l’ensemble de l’économie mondiale et à prendre la fonction d’intermédiaire et d’arbitre suprême de ses rapports économiques avec le monde extérieur. Cette tendance des impérialistes à renforcer la dépendance unilatérale des colonies à l’égard de la métropole, aiguise la rivalité des diverses puissances impérialistes, des trusts internationaux, etc.
Le développement des rapports capitalistes et l’exploitation des masses populaires des colonies déterminés par ces conditions revêtent des formes très variées.
13. L’immense majorité de la population des colonies étant attachée à la terre dans les campagnes, les formes rapaces d’exploitation des paysans employées par l’impérialisme et ses alliés (la classe des propriétaires fonciers et le capital marchand et usuraire) acquièrent une importance particulière. Grâce à l’intervention de l’impérialisme (impôts, importation de marchandises industrielles de la métropole, etc.) l’incorporation des campagnes dans l’économie monétaire et marchande est accompagnée de la paupérisation de l’économie paysanne, de la ruine de l’artisanat paysan, etc., etc. et s’opère d’une façon beaucoup plus rapide que naguère dans les pays capitalistes avancés: au contraire, le développement industriel ralenti fixe des limites étroites à la prolétarisation. Cette formidable disproportion entre la destruction rapide des anciennes formes économiques et le lent développement des formes nouvelles a engendré en Chine, aux Indes, en Indonésie, en Égypte, etc., un extraordinaire "manque de terre" et la surpopulation des campagnes, une grande augmentation de la rente foncière et un morcellement extrême des terres cultivées par les paysans. En plus tout le poids des anciens rapports d’exploitation et d’oppression féodaux ou semi‑féodaux, sous des formes quelque peu "modernisées", mais pas plus supportables, pèse comme par le passé sur les paysans. Le capitalisme, qui a englobé les campagnes des colonies dans son système fiscal et son appareil commercial et qui a provoqué un bouleversement dans les rapports précapitalistes (par exemple en supprimant la communauté villageoise) n’a aucunement émancipé par là les paysans du joug des formes précapitalistes d’oppression et d’exploitation, et n’a fait que les exprimer en argent (la corvée et le fermage en nature sont en partie remplacés par le fermage en argent, l’impôt en nature par l’impôt en argent, etc., etc.) ce qui a encore aggravé la misère des paysans. Au "secours" de la situation précaire des paysans sont venus les usuriers qui les spolient et parfois (par exemple, dans certaines régions des Indes et de la Chine) créent un esclavage héréditaire pour dettes.
En dépit de toute la diversité des rapports agraires dans les divers pays coloniaux et même dans les différentes régions d’un même pays, la situation misérable des masses paysannes est presque partout la même: en partie, grâce à un échange non équivalent, en partie, grâce à une exploitation directe, les paysans de ces pays sont hors d’état d’élever le niveau de la technique et de l’organisation de leur culture. La productivité de leur travail et leur consommation diminuent. La paupérisation des paysans dans ces pays est un phénomène général. Aux Indes, en Chine, en Indonésie, la paupérisation des paysans a atteint un tel degré, qu’actuellement le type dominant à la campagne est le paysan pauvre sans terre ou presque sans terre, souvent en proie à la famine. La grande propriété foncière n’est presque jamais liée à la grande exploitation agricole et ne sert qu’à tirer des paysans le paiement des fermages. Il existe du reste souvent toute une hiérarchie de fermiers et de sous‑fermiers, intermédiaires parasitaires entre le cultivateur et le grand propriétaire foncier (gentry, zomindar[14]) ou l’État. Les vieux réseaux d’irrigation artificielle, qui sont dans ces pays d’une grande importance pour l’agriculture, sont d’abord tombés en déchéance grâce à l’intervention de l’impérialisme et lorsqu’ils furent ensuite rétablis sur une base capitaliste, leur usage devint trop coûteux pour le paysan. Les mauvaises récoltes deviennent de plus en plus fréquentes. Devant les calamités et les épidémies de toute sorte le paysan est sans défense. De grandes masses de paysans sont éliminées du processus de production; ils n’ont aucune possibilité de trouver du travail dans les villes, trouvent rarement du travail dans les campagnes et se transforment en misérables coolies[15].
Cette situation misérable des paysans a pour conséquence une crise du marché intérieur pour l’industrie et constitue donc un fort obstacle au développement capitaliste du pays. De même que la bourgeoisie nationale des Indes, de Chine, d’Égypte, l’impérialisme se heurte à cette misère des paysans comme à un obstacle à l’élargissement de son exploitation; mais, comme elle, il est si étroitement lié par ses intérêts économiques et politiques à la grande propriété foncière et au capital marchand et usuraire, qu’il ne peut réaliser une forme agraire de quelque importance.
L’économie domestique et l’artisanat paysan se désagrègent de plus en plus. Le développement du commerce crée une large couche de bourgeoisie commerçante indigène, exerçant aussi la fonction d’accapareur, d’usurier, etc. La prédominance et l’hégémonie du capital marchand et usuraire, dans les conditions spécifiques de l’économie coloniale, entrave la croissance du capital industriel. Dans la lutte pour le marché intérieur, le capital national se heurte toujours davantage à la concurrence des capitaux étrangers importés et au frein que constituent les rapports précapitalistes dans les campagnes. En dépit de ces obstacles naît, dans certaines branches de production, une grande industrie indigène (industrie légère surtout). Le capital national et les banques nationales naissent et se développent.
Les pitoyables tentatives de réaliser des réformes agraires, sans préjudices pour le régime colonial, tendent à réaliser une lente transformation du propriétaire semi‑féodal en propriétaire capitaliste, et dans certains cas, la formation d’une petite couche de paysans riches. En pratique, cela ne conduit qu’à une paupérisation toujours plus grande de l’écrasante majorité des paysans, ce qui paralyse encore davantage le développement du marché intérieur. Sur la base de ces processus économiques contradictoires se développent les principales forces sociales des mouvements coloniaux.
14. Dans la période de l’impérialisme, le rôle du capital financier dans la conquête du monopole économique et politique dans les colonies apparaît avec une netteté particulière. Cela se manifeste en particulier dans certaines conséquences économiques déterminées par l’exploitation du capital dans les colonies. Ce capital afflue particulièrement dans le commerce, joue principalement le rôle de capital usuraire (prêts) et vise à conserver et à renforcer l’appareil d’oppression de l’État impérialiste dans les colonies (par les emprunts d’État, etc.), ou à conquérir un contrôle complet des organes gouvernementaux soi-disant indépendants de la bourgeoisie indigène des pays semi‑coloniaux.
L’exportation du capital dans les colonies y accélère le développement des rapports capitalistes. La partie du capital exporté, qui est investie dans la production des colonies, détermine en partie une accélération du développement industriel; non pas dans le but de favoriser l’indépendance de l’économie coloniale, mais au contraire, pour en renforcer la dépendance à l’égard du capital financier des pays impérialistes. En général, les capitaux importés dans les colonies sont employés presque exclusivement pour saisir et extraire les matières premières ou pour en développer les voies de communication (chemins de fer, constructions navales, aménagement des ports, etc.) qui facilitent l’enlèvement des matières premières et lient plus étroitement les colonies aux métropoles. La forme de prédilection des investissements dans l’agriculture est la participation des capitaux dans les grandes plantations, dans le but de produire des aliments à bon marché et de monopoliser des sources immenses de matières premières. Le transfert dans les métropoles de la plus grande partie de la plus‑value tirée de la main‑d’oeuvre à bas prix des esclaves coloniaux ralentit considérablement l’essor de l’économie des pays coloniaux, le développement de leurs forces productives et fait obstacle à l’émancipation économique et politique des colonies.
Une autre caractéristique fondamentale des rapports entre les États capitalistes et les colonies est la tendance de divers groupes monopolistes du capital financier à monopoliser tout le commerce extérieur de certains pays coloniaux et semi‑coloniaux, à les soumettre ainsi à leur contrôle et à réglementer tous les canaux qui lient l’économie coloniale au marché mondial. L’influence directe que cette monopolisation du commerce extérieur, par un petit nombre de firmes d’exportation monopolistes, exerce sur le développement capitaliste des colonies, s’exprime moins par le développement du marché intérieur national que par l’adaptation du commerce intérieur disséminé des colonies aux besoins de l’exportation et par l’absorption des richesses naturelles des pays coloniaux par les parasites impérialistes. Cette particularité du développement du commerce colonial trouve aussi son expression spécifique dans la forme et le caractère des banques impérialistes dans les colonies: elles mobilisent l’épargne de la population indigène principalement pour financer le commerce extérieur des colonies, etc.
15. Toute la politique économique de l’impérialisme envers les colonies est guidée par le souci de conserver et de renforcer leur dépendance, d’intensifier leur exploitation et d’entraver le plus possible leur développement indépendant. Seules, des circonstances particulières peuvent obliger la bourgeoisie des États impérialistes à favoriser le développement de la grande industrie dans les colonies. Ainsi, la nécessité de conduire ou de préparer une guerre peut, dans une certaine mesure, provoquer la création de diverses entreprises métallurgiques et chimiques dans les colonies qui ont le plus d’importance stratégique (par exemple aux Indes). La concurrence des rivaux plus forts peut obliger la métropole à accorder certaines concessions dans la politique douanière, mais en ayant soin de se garantir de taxes de faveur. Afin de corrompre certaines couches de la bourgeoisie des colonies et semi‑colonies, surtout dans les périodes d’essor du mouvement révolutionnaire, elle peut diminuer, dans une certaine mesure, sa pression économique; mais, dès que ces circonstances extraordinaires, et pour la plupart non économiques, disparaissent, la politique économique des puissances impérialistes s’efforce aussitôt d’opprimer et d’entraver le développement économique des colonies. C’est pourquoi le développement de l’économie nationale des colonies et surtout leur industrialisation, le développement indépendant et complet de leur industrie, ne peuvent s’effectuer qu’en contradiction flagrante avec la politique de l’impérialisme. C’est pourquoi le caractère spécifique du développement des pays coloniaux s’exprime particulièrement en ce que la croissance des forces productives s’effectue à travers des difficultés exceptionnelles, des spasmes et qu’elle est artificiellement limitée à certaines branches industrielles.
Tout cela détermine inévitablement une pression sans cesse croissante de l’impérialisme sur les pays coloniaux et semi‑coloniaux qui suscite une résistance de plus en plus forte des facteurs sociaux économiques engendrés par l’impérialisme lui‑même. L’entrave permanente au développement indépendant renforce toujours davantage l’antagonisme et provoque des crises révolutionnaires, des mouvements de boycott, des soulèvements nationaux-révolutionnaires, etc.
D’une part, les contradictions objectives immanentes du développement capitaliste dans les colonies se renforcent, et par là s’intensifient également les contradictions entre le développement indépendant des colonies et les intérêts de la bourgeoisie des États impérialistes. D’autre part, la nouvelle forme d’exploitation capitaliste crée une force vraiment révolutionnaire: le prolétariat, autour duquel les millions de paysans s’unissent de plus en plus pour opposer une résistance organisée à l’oppression du capital financier.
Toutes ces palabres des impérialistes et de leurs valets sur la politique de décolonisation menée par les puissances impérialistes, sur l’encouragement au "libre essor des colonie" ne sont que mensonges impérialistes. Il est extrêmement important que les communistes démasquent ce mensonge aussi bien dans les pays impérialistes que dans les pays coloniaux.
III. La stratégie et la tactique communistes en Chine,
aux Indes et dans les pays coloniaux semblables
16. Comme dans toutes les colonies et semi‑colonies, le développement des forces productives et la collectivisation du travail en Chine et aux Indes sont à un niveau relativement bas. Cette circonstance, ajoutée à l’oppression étrangère et à la présence des fortes survivances du féodalisme et des rapports précapitalistes, détermine le caractère de la prochaine étape de la révolution dans ces pays. Dans le mouvement révolutionnaire de ces pays, il s’agit d’une révolution démocratique-bourgeoise, c’est‑à‑dire d’une étape où se préparent les prémisses de la dictature prolétarienne et de la révolution socialiste. On peut donc fixer les tâches fondamentales suivantes aux révolutions démocratiques-bourgeoises des colonies et semi‑colonies:
a) Modifier le rapport des forces en faveur du prolétariat; libérer le pays du joug de l’impérialisme (nationalisation des concessions, voies ferrées, banques et autres entreprises étrangères); créer l’unité nationale là où elle n’est pas encore réalisée; renverser le pouvoir des classes exploiteuses derrière lesquelles est l’impérialisme; organiser des conseils ouvriers et paysans et une armée rouge; instaurer la dictature du prolétariat et des paysans; consolider l’hégémonie du prolétariat;
b) Réaliser la révolution agraire; libérer les paysans de toutes les formes précapitalistes et coloniales d’exploitation et d’esclavage, nationaliser la terre; prendre des mesures radicales, pour alléger la situation des paysans, afin d’établir entre la ville et la campagne l’alliance économique et politique la plus étroite.
c) Avec le développement ultérieur de l’industrie, des transports, etc., et la croissance correspondante du prolétariat, développer l’organisation syndicale de la classe ouvrière, consolider le parti communiste et lui acquérir une solide position dirigeante parmi les masses travailleuses, conquérir la journée de huit heures.
d) Établir l’égalité des nationalités et des sexes (égalité des droits pour la femme); séparer l’État et l’Église et abolir les castes; enseignement politique et relèvement du niveau intellectuel général des masses urbaines et rurales, etc.
La marche du mouvement révolutionnaire des ouvriers et des paysans, ses succès ou ses défaites dans la lutte contre les impérialistes, les féodaux et la bourgeoisie détermineront dans quelle mesure la révolution démocratique-bourgeoise pourra réaliser pratiquement toutes ses tâches fondamentales, et la partie d’entre elles qui ne pourra être réalisée que par la révolution socialiste. La libération des colonies du joug impérialiste est facilitée par le développement de la révolution socialiste dans le monde capitaliste et ne peut être assurée définitivement que par la victoire du prolétariat dans les pays capitalistes avancés. Un certain minimum de conditions sont indispensables au passage de la révolution à sa phase socialiste; par exemple, un certain niveau de développement industriel, une organisation syndicale prolétarienne et un puissant parti communiste. Le plus important est précisément le développement d’un fort parti communiste ayant une grande influence sur les masses, ce qui, dans ces pays, serait un processus lent et pénible au plus haut point, s’il n’était accéléré par la révolution démocratique-bourgeoise engendrée déjà par les conditions objectives de ces pays.
17. Dans les colonies, la révolution démocratique-bourgeoise se distingue de la révolution démocratique-bourgeoise dans un pays indépendant, surtout par sa liaison organique avec la lutte pour l’émancipation nationale du joug impérialiste. Le facteur national a une grande influence sur le processus révolutionnaire de toutes les colonies et semi‑colonies, où l’esclavage impérialiste apparaît dans tout son cynisme qui exaspère les masses populaires. D’une part, l’oppression nationale accélère la maturation de la crise révolutionnaire, renforce le mécontentement des masses ouvrières et paysannes, facilite leur mobilisation et donne aux explosions révolutionnaires le caractère d’un mouvement élémentaire de masse, d’une véritable révolution populaire. D’autre part, le facteur national peut non seulement influencer le mouvement de la classe ouvrière et des paysans, mais encore modifier, au cours de la révolution, la position de toutes les autres classes; en premier lieu, la petite-bourgeoisie pauvre des villes et les intellectuels petits-bourgeois tombent dans une mesure assez large, au début, sous l’influence des forces révolutionnaires actives; deuxièmement, la position de la bourgeoisie coloniale dans la révolution démocratique-bourgeoise a, en grande partie, un caractère de duplicité; au cours de la révolution, ses oscillations sont encore plus fortes que celles de la bourgeoisie des pays indépendants (par exemple, celles de la bourgeoisie russe en 1905‑1917). Il est très important, selon les circonstances concrètes, d’étudier attentivement l’influence particulière du facteur national, qui détermine en grande partie l’originalité de la révolution coloniale; il est très important d’en tenir compte, dans la tactique du parti communiste intéressé.
À côté de la lutte pour l’émancipation nationale, le problème de la révolution agraire constitue l’axe de la révolution démocratique-bourgeoise dans les pays coloniaux avancés. C’est pourquoi les communistes doivent suivre avec la plus grande attention le développement de la crise agraire et l’aggravation des contradictions de clases à la campagne; ils doivent, dès le début, donner une orientation consciente et révolutionnaire au mécontentement des masses ouvrières et au mouvement paysan; les orienter contre l’exploitation et l’esclavage impérialistes et contre le joug des divers rapports précapitalistes féodaux ou semi‑féodaux, qui ruinent l’économie paysanne. L’état considérablement arriéré de l’agriculture, l’existence d’un système de fermage inhumain, le joug du capital marchand et usuraire sont les plus grandes entraves au développement des forces productives de l’agriculture des colonies et sont en contradiction inouïe avec les formes très développées, créées et monopolisées par l’impérialisme, de l’échange entre la production agricole des colonies et le marché mondial.
18. La bourgeoisie nationale de ces pays coloniaux n’occupe pas une position uniforme envers l’impérialisme. Une partie de cette bourgeoisie, la bourgeoisie marchande avant tout, sert directement les intérêts du capital impérialiste (la bourgeoisie dite des compradores). Dans l’ensemble, elle défend d’une façon plus ou moins conséquente, comme les alliés féodaux de l’impérialisme et les fonctionnaires indigènes les mieux rétribués, un point de vue anti‑national, impérialiste, dirigé contre tout le mouvement national. Le reste de la bourgeoisie indigène, en particulier la fraction représentant les intérêts de l’industrie indigène, se place sur le terrain du mouvement national et constitue une tendance particulièrement hésitante et encline aux compromis qu’on peut appeler national-réformisme (ou, d’après la terminologie des thèses du 2e Congrès: orientation "démocratique-bourgeoise"). Il est vrai qu’on n’observe plus en Chine, après 1925, cette position intermédiaire de la bourgeoisie nationale entre le camp révolutionnaire et le camp impérialiste. Par suite de la situation particulière, une grande partie de la bourgeoisie nationale chinoise s’est mise, au début, à la tête de la guerre nationale libératrice; plus tard, elle a passé définitivement au camp de la contre-révolution. Aux Indes et en Égypte, nous observons encore pour le moment un mouvement nationaliste bourgeois typique, ‑ un mouvement opportuniste, enclin à de grandes hésitations, oscillant entre l’impérialisme et la révolution.
L’indépendance du pays à l’égard de l’impérialisme, qui correspond aux intérêts de tout le peuple colonial correspond aussi aux intérêts de la bourgeoisie nationale, mais elle est en contradiction absolue avec toute la nature du système impérialiste. Mais les divers capitalistes indigènes sont en grande partie liés par leurs intérêts immédiats et d’une façon très variée au capital impérialiste. L’impérialisme peut en corrompre directement une partie importante; il pourrait même leur créer dans une plus large mesure que jusqu’ici, une certaine position de compradore, d’intermédiaire commercial, d’exploiteur subalterne, de garde-chiourme du peuple asservi. Mais l’impérialisme se réserve la position de maître d’esclaves et d’exploiteur monopoliste suprême. L’impérialisme ne consentira jamais volontairement à la bourgeoisie nationale une domination souveraine, la possibilité d’un développement capitaliste indépendant et "libre" et l’hégémonie sur le peuple "indépendant". Ici, la contradiction d’intérêts entre la bourgeoisie nationale des pays coloniaux et l’impérialisme est objective, fondamentale sur ce point, l’impérialisme exige la capitulation de la bourgeoisie nationale.
La bourgeoisie indigène plus faible est toujours prête à capituler devant l’impérialisme. Sa capitulation n’est toutefois pas définitive tant que le danger d’une révolution de classe n’est pas immédiat, réel, aigu, menaçant de la part des masses. Pour éviter ce danger, et, pour renforcer sa position à l’égard de l’impérialisme, ce nationalisme bourgeois s’efforce, dans ces colonies, de gagner l’appui de la petite-bourgeoisie, des paysans et d’une partie de la classe ouvrière. Elle a peu de chances de succès en ce qui concerne la classe ouvrière (après l’éveil de la classe ouvrière à la vie politique dans ces pays), il lui importe donc d’autant plus d’obtenir le soutien des paysans. Mais là est le point le plus faible de la bourgeoisie coloniale. L’exploitation insupportable des paysans dans les colonies ne peut être abolie que par la révolution agraire. Les intérêts immédiats de la bourgeoisie de la Chine, des Indes et de l’Égypte sont si étroitement liés à la propriété foncière, au capital usuraire et, en général, à l’exploitation des masses paysannes, que la bourgeoisie intervient non seulement contre la révolution agraire, mais aussi contre toute réforme agraire décisive. Elle craint, non sans raison, que le seul fait de poser nettement le problème agraire ne provoque l’effervescence révolutionnaire et n’accélère son allure parmi les masses paysannes. Aussi la bourgeoisie réformiste est‑elle presque incapable d’aborder la solution pratique de ce problème fondamental et difficile.
Par contre, elle cherche, par des phrases et des gestes nationalistes sans portée, à maintenir les masses petites-bourgeoises sous son influence et à obliger l’impérialisme à certaines concessions. Mais les impérialistes tendent de plus en plus fortement la corde, la bourgeoisie nationale n’étant pas en état de leur opposer la moindre résistance sérieuse. C’est pourquoi la bourgeoisie nationale cherche dans chaque conflit avec l’impérialisme, d’une part, à simuler une "fermeté de ses principes nationalistes", d’autre part, à semer des illusions sur la possibilité d’un compromis pacifique avec l’impérialisme. Les masses sont nécessairement détrompées sur les deux points et perdront ainsi graduellement leurs illusions réformistes.
19. Une fausse appréciation de cette tendance fondamentale nationale réformiste de la bourgeoisie nationale crée dans ces pays coloniaux l’éventualité de lourdes fautes dans la stratégie et la tactique des partis communistes. Deux genres d’erreurs sont possibles:
a) L’incompréhension de la différence entre l’orientation national-réformiste et la tendance national-révolutionnaire peut conduire à une politique qui consiste à se mettre à la remorque de la bourgeoisie, à une délimitation politique et organique insuffisamment nette du prolétariat à l’égard de la bourgeoisie, à une imprécision des mots d’ordre révolutionnaires les plus importants (notamment du mot d’ordre de la révolution agraire). Ce fut l’erreur fondamentale du parti communiste en Chine en 1925‑27.
b) La sous-estimation de l’importance particulière du national-réformisme bourgeois ‑ distinct du camp féodal impérialiste ‑ grâce à sa grande influence sur la petite-bourgeoisie, les paysans et même une partie de la classe ouvrière, au moins dans les premières étapes du mouvement, peut conduire à une politique sectaire, à l’isolement des communistes des masses laborieuses, etc.
Dans les deux cas, on n’accorde pas une attention suffisante à l’application des tâches que le 2e Congrès de l’Internationale communiste a déjà fixées comme les tâches particulières des partis communistes des pays coloniaux, c’est‑à‑dire la lutte contre le mouvement démocratique bourgeois au sein même du pays. Sans cette lutte, sans la libération des masses travailleuses de l’influence de la bourgeoisie et du national-réformisme on ne peut atteindre le but stratégique fondamental du mouvement communiste dans la révolution démocratique bourgeoise: l’hégémonie du prolétariat. Sans hégémonie du prolétariat, dont la position dirigeante du parti communiste est partie intégrante, la révolution démocratique bourgeoise, à son tour, ne peut être menée jusqu’au bout ‑ sans parler de la révolution socialiste.
20. La petite-bourgeoisie joue un rôle très important dans ces pays coloniaux et semi‑coloniaux. Elle est constituée par diverses couches qui jouent un rôle très différent dans les diverses périodes du mouvement national révolutionnaire.
L’artisan, qui souffre de la concurrence que lui font les marchandises importées, est hostile à l’impérialisme. Mais, en même temps, il est intéressé à exploiter sans limites les compagnons et apprentis qu’il occupe, et c’est pourquoi il est également hostile au mouvement ouvrier conscient de ses buts de classe. Il souffre largement lui‑même de l’exploitation du capital marchand et usuraire. La position incertaine et contradictoire au plus haut point de cette couche détermine ses oscillations; elle tombe souvent sous l’influence de réactionnaires utopiques. Le commerçant, citadin et rural, est lié à l’exploitation des campagnes par le commerce et l’usure[16], il s’agrippe aux vieilles formes d’exploitation et les préfère aux perspectives d’élargissement du marché intérieur. Mais ces couches ne forment pas une masse homogène. La bourgeoisie commerçante, liée sous une forme quelconque aux compradores, a une autre position que celle dont l’activité se limite exclusivement au marché intérieur. Les intellectuels petits-bourgeois, les étudiants, etc., sont très souvent les représentants les plus énergiques non seulement des intérêts spécifiques de la petite-bourgeoisie, mais encore des intérêts objectifs et généraux de l’ensemble de la bourgeoisie nationale. Dans la première période du mouvement national, ils interviennent fréquemment comme champions des aspirations nationales. Leur rôle est relativement grand à la surface du mouvement. En général, ils ne peuvent être les défenseurs des intérêts paysans, le milieu social dont ils sortent étant lié à la propriété foncière. La vague révolutionnaire montante peut les pousser dans le mouvement ouvrier, où ils apportent leur idéologie petite-bourgeoise hésitante et indécise. Quelques‑uns seulement peuvent rompre avec leur classe, au cours de la lutte, s’élever jusqu’à concevoir les tâches de la lutte de classe du prolétariat et devenir d’actifs défenseurs des intérêts prolétariens. Il n’est pas rare que des intellectuels petits-bourgeois donnent à leur idéologie une couleur socialiste et même communiste. Dans la lutte contre l’impérialisme, ils ont joué et jouent encore aujourd’hui dans certains pays, comme l’Inde, l’Égypte, un rôle révolutionnaire. Le mouvement de masse peut les entraîner mais aussi les pousser dans le camp de la pire réaction ou bien favoriser la diffusion, dans leurs rangs, de tendances réactionnaires utopiques.
À côté de ces couches, existe dans les villes coloniales une nombreuse population citadine pauvre, que sa situation pousse objectivement vers la révolution: artisans n’exploitant pas le travail d’autrui, marchands des rues, intellectuels sans travail, paysans ruinés à la recherche d’un gagne‑pain, etc… En outre, dans les villes comme dans les campagnes, existe une nombreuse couche des "coolies", semi-prolétaires qui n’ont pas passé par l’école de la fabrique et vivent de gains occasionnels.
Les paysans sont, aux côtés du prolétariat et comme alliés du prolétariat, une des forces motrices de la révolution. Les innombrables millions de paysans forment l’écrasante majorité de la population, même dans les colonies les plus développées (dans certaines colonies 90 % de la population). Les principaux alliés du prolétariat à la campagne sont les masses considérables des fermiers affamés, des petits paysans écrasés par la misère et toutes les formes d’exploitation précapitalistes et capitalistes, qui ont perdu en grande partie leur culture même sur la terre louée, qui sont rejetés du processus de production et dépérissent lentement de faim et de maladie, et, enfin, les ouvriers agricoles. Les paysans ne peuvent conquérir leur émancipation que sous la direction du prolétariat, mais ce n’est qu’allié aux paysans que le prolétariat peut mener à la victoire la révolution démocratique bourgeoise. Dans les pays coloniaux et semi‑coloniaux, où existent encore de fortes survivances du féodalisme et des rapports précapitalistes, la différenciation de classe parmi les paysans s’effectue à une allure relativement faible. Cependant, les rapports de marché s’y sont développés au point que les paysans ne forment plus une masse homogène au point de vue de classe. Dans la campagne chinoise et hindoue, dans certaines régions surtout, on peut déjà rencontrer des éléments issus de la paysannerie, qui exploitent les ouvriers agricoles et les paysans par l’usure, le commerce, l’emploi de main‑d’oeuvre, la location et la sous‑location de la terre, du bétail et des engins agricoles, etc… Dans la première période de la lutte des paysans contre les propriétaires fonciers, il est généralement possible que le prolétariat entraîne toute la paysannerie. Mais, par la suite, certaines couches supérieures de paysans peuvent passer à la contre-révolution. Le prolétariat ne peut conquérir le rôle dirigeant à l’égard des paysans qu’à la condition de lutter avec abnégation pour leurs revendications partielles pour l’accomplissement total de la révolution agraire et d’être à la tête de la lutte des larges masses paysannes pour la solution révolutionnaire du problème agraire.
21. La classe ouvrière des pays coloniaux et semi‑coloniaux possède des caractères spéciaux qui jouent un rôle très important dans la formation d’un mouvement ouvrier indépendant et d’une idéologie prolétarienne de classe dans ces pays. La majorité écrasante du prolétariat colonial vient de la campagne paupérisée, avec laquelle l’ouvrier reste lié même quand il est à l’usine. Dans la plupart des colonies (à l’exception de quelques grandes villes industrielles comme Shanghaï, Bombay, Calcutta et autres) nous n’avons, en général, que la première génération prolétarienne occupée dans la grande industrie. Le reste du prolétariat est constitué par les artisans ruinés et rejetés de l’artisanat en décomposition, qui est largement répandu même dans les colonies les plus avancées. L’artisan ruiné, le petit propriétaire apportent, au sein de la classe ouvrière, une mentalité et une idéologie corporatives qui permettent l’infiltration de l’influence nationale réformiste dans le mouvement ouvrier des colonies. La forte fluctuation de ses effectifs (changement fréquent de la main‑d’oeuvre dans les fabriques, retour à la campagne et afflux de nouvelles masses de paysans paupérisés dans l’industrie, la forte proportion de femmes et d’enfants, la diversité des langues et l’analphabétisme, les préjugés religieux et de caste rendent difficiles l’agitation et la propagande systématiques et retardent le développement de la conscience de classe parmi les ouvriers. Cependant, l’exploitation implacable pratiquée dans les formes les plus brutales par le capital indigène et étranger, l’absence de tout droit politique pour les ouvriers créent les conditions objectives sur la base desquelles le mouvement ouvrier des colonies surmonte rapidement toutes les difficultés et entraîne chaque année des masses sans cesse plus grandes dans la lutte contre les exploiteurs indigènes et les impérialistes.
La première période du développement du mouvement ouvrier dans les colonies et semi‑colonies (de 1919 à 1923 environ) fut organiquement liée à l’essor général du mouvement national-révolutionnaire qui suivit la guerre mondiale; elle est caractérisée par la subordination des intérêts de la classe ouvrière aux intérêts de la lutte antiimpérialiste dirigée par la bourgeoisie indigène. Quand les grèves et autres actions ouvrières portent un caractère organisé, elles sont organisées d’ordinaire par les intellectuels petits-bourgeois qui limitent les revendications ouvrières aux questions de la lutte nationale. Au contraire, le caractère le plus important de la seconde période de l’essor du mouvement ouvrier, qui commença dans les colonies après le 5e Congrès, est constitué par l’entrée de la classe ouvrière des colonies dans l’arène politique comme force et classe indépendantes qui s’oppose à la bourgeoisie nationale et engage la lutte contre elle pour ses propres intérêts de classe et pour l’hégémonie dans la révolution nationale en général. Cette particularité de la nouvelle étape des révolutions coloniales est confirmée absolument par l’histoire de ces dernières années, par l’exemple de la grande révolution chinoise et de l’insurrection en Indonésie en particulier. Tout prouve qu’aux Indes aussi, la classe ouvrière se libère de l’influence des chefs nationaux-réformistes et social-réformistes et devient un facteur politique indépendant en lutte contre les impérialistes britanniques et la bourgeoisie indigène.
22. Pour fixer correctement les tâches immédiates du mouvement révolutionnaire, il importe de prendre comme point de départ le degré de maturité atteint par ce mouvement dans les divers pays coloniaux. Le mouvement révolutionnaire de Chine se distingue du mouvement actuel des Indes par une série de traits essentiels qui caractérisent la différence de maturité du mouvement dans ces deux pays. L’expérience passée de la révolution chinoise doit absolument être utilisée dans le mouvement révolutionnaire des Indes et des autres pays coloniaux analogues. Mais ce serait une manière tout à fait erronée d’appliquer l’expérience chinoise si nous voulions fixer les tâches immédiates, les mots d’ordre et les méthodes tactiques aux Indes, en Égypte, etc… dans la forme qui était opportune en Chine par exemple, pendant la période de Wouhan, ou bien dans la forme nécessaire actuellement. La tendance à ignorer les difficultés inéluctables et les objectifs particuliers de l’étape présente du mouvement révolutionnaire des Indes, de l’Égypte, etc… ne peut être que funeste. Il importe de réaliser un grand travail pour constituer et éduquer les partis communistes, pour développer les organisations syndicales du prolétariat, pour orienter les syndicats dans la voie révolutionnaire, pour déployer des actions économiques et politiques de masses, pour conquérir les masses et les libérer de l’influence de la bourgeoisie national-réformiste; avant d’accomplir dans ces pays avec quelques chances de succès les tâches qui étaient pleinement justes en Chine, pendant la période de Wouhan, comme objectifs immédiats de la lutte de la classe ouvrière et des paysans.
Les intérêts de la lutte pour la domination de classe de la bourgeoisie nationale obligent les partis bourgeois les plus importants des Indes et de l’Égypte (swarajistes[17], wafdistes[18]) à manifester encore leur opposition contre le bloc impérialiste féodal régnant. Cette opposition n’est pas révolutionnaire, mais simplement réformiste et opportuniste; cela ne signifie cependant pas qu’elle n’ait de ce fait aucune portée spécifique. La bourgeoisie nationale n’a pas l’importance d’une force qui mène la lutte contre l’impérialisme. Mais cette opposition réformiste bourgeoise possède une signification réelle et spéciale ‑ négative et positive ‑ pour le développement du mouvement révolutionnaire, dans la mesure où elle possède une influence sur les masses. Le fait le plus important, c’est qu’elle entrave et retarde le développement du mouvement révolutionnaire, dans la mesure où elle réussit à entraîner les masses travailleuses et à les éloigner de la lutte révolutionnaire. Mais, d’autre part, l’action de l’opposition bourgeoise contre le bloc impérialiste féodal régnant ‑ même si elle ne vise pas très loin ‑ peut accélérer dans une certaine mesure l’éveil des larges masses travailleuses à la vie politique; quoique sans grande importance en eux‑mêmes, les conflits concrets et déclarés entre la bourgeoisie national-réformiste et l’impérialisme peuvent, dans certaines conditions, devenir la cause indirecte du déclenchement de grandes actions révolutionnaires de masses. Certes, la bourgeoisie réformiste s’efforce elle‑même d’empêcher que son action d’opposition ait de telles conséquences et de les paralyser d’avance d’une façon ou de l’autre. Mais là où existent les conditions objectives d’une profonde crise politique, l’action de l’opposition nationale-réformiste, ses conflits avec l’impérialisme même les plus insignifiants et les moins liés au véritable foyer de la révolution, peuvent acquérir une importance des plus graves. Les communistes doivent apprendre à utiliser chacun de ces conflits, à les aviver, à en renforcer la portée, à les lier avec l’agitation pour les mots d’ordre révolutionnaires, à les porter à la connaissance des larges masses, à pousser ces masses à une action indépendante, ouverte avec leurs propres revendications, etc…
23. Dans la lutte contre des partis tels que les swarajistes et les wafdistes, la tactique juste consiste dans ce moment à démasquer avec succès leur véritable caractère national-réformiste. Ces partis ont déjà trahi maintes fois la lutte pour l’émancipation nationale, sans avoir passé encore définitivement au camp contre-révolutionnaire, comme le Kuomintang. Il est certain qu’ils le feront plus tard, mais actuellement ils sont dangereux précisément parce que leur véritable figure n’est pas encore démasquée aux yeux des larges masses travailleuses. Dans ce but, un très grand travail d’éducation communiste est encore nécessaire, de plus, ces masses doivent acquérir elles‑mêmes une nouvelle et très grande expérience politique. Si les communistes ne réussissent pas à ébranler déjà maintenant la confiance des masses travailleuses dans la direction bourgeoise, national-réformiste, du mouvement national, cette direction deviendra un immense danger pour la révolution lors de la prochaine montée de la vague révolutionnaire. C’est pourquoi il importe, par une tactique communiste juste, correspondant aux conditions de l’étape actuelle, d’aider les masses travailleuses des Indes, d’Égypte, de l’Indonésie et des autres colonies analogues, à se libérer de l’influence des partis bourgeois. Cela ne sera pas obtenu au moyen de grandes phrases, paraissant très radicales, sur l’absence de toute différence entre l’opposition nationale-réformiste (swarajistes, wafdistes, etc…) et les impérialistes britanniques ou leurs alliés féodaux contre-révolutionnaires. Les chefs nationaux-réformistes pourraient facilement utiliser une telle exagération pour exciter les masses contre les communistes. Les masses voient le principal ennemi immédiat de l’émancipation nationale dans le bloc impérialiste-féodal, ce qui est juste en soi-même à l’étape présente du mouvement aux Indes, en Égypte et en Indonésie (pour autant qu’on n’envisage qu’un côté de la question). Dans la lutte contre cette force contre-révolutionnaire dominante, les communistes hindous, égyptiens et indonésiens doivent être au premier rang, ils doivent combattre plus énergiquement, d’une façon plus conséquente et plus hardiment que n’importe quel groupe petit-bourgeois national-révolutionnaire; naturellement, pas pour organiser des putschs, des tentatives prématurées de soulèvements d’une petite minorité révolutionnaire, mais pour mobiliser les plus larges masses travailleuses pour des démonstrations et autres actions, afin de s’assurer une véritable participation de ces masses à l’insurrection victorieuse dans l’étape ultérieure de la lutte révolutionnaire. Mais il n’est pas moins important de démasquer implacablement aux masses travailleuses le caractère national-réformiste des swarajistes, wafdistes et autres partis nationalistes, de leurs chefs en particulier, leur inconséquence et leurs oscillations dans le mouvement national, leurs marchandages, leur volonté de compromis avec les impérialistes britanniques, leurs capitulations passées et leurs actions contre-révolutionnaires, leur résistance réactionnaire aux revendications de classe du prolétariat et des paysans, leurs phrases nationalistes creuses, les illusions néfastes qu’ils répandent sur la décolonisation pacifique du pays et leur sabotage des méthodes révolutionnaires dans la lutte pour l’émancipation nationale. Il faut repousser tout bloc entre le parti communiste et l’opposition nationale-réformiste. Cela n’exclut pas des ententes temporaires et la coordination de certaines actions bien déterminées contre l’impérialisme, si l’action de l’opposition bourgeoise peut être utilisée pour déclencher un mouvement des masses et si ces ententes ne restreignent en rien la liberté d’agitation et d’organisation du parti communiste parmi les masses. Il est bien entendu que les communistes doivent lutter simultanément, le plus vigoureusement, idéologiquement et politiquement contre le nationalisme bourgeois et contre la moindre expression de son influence au sein du mouvement ouvrier. En de tels cas, le parti communiste doit veiller particulièrement non seulement à conserver toute son indépendance politique et à montrer son propre visage, mais encore en se fondant sur des faits, à ouvrir les yeux des masses travailleuses, qui sont sous l’influence de l’opposition bourgeoise, afin qu’elles voient toute l’insécurité de cette opposition et le danger des illusions démocratiques-bourgeoises qu’elle répand.
24. Une fausse appréciation de l’orientation fondamentale du parti de la grosse bourgeoisie nationale entraîne le danger d’une fausse appréciation du caractère et du rôle des partis petits-bourgeois. En règle générale, le développement de ces partis évolue de la position nationale-révolutionnaire à la position nationale-réformiste. Même des mouvements tels que le sunyatsénisme[19] en Chine, le ghandisme[20] aux Indes, le Sarekat Islam[21] en Indonésie, furent au début des tendances idéologiques radicales petites-bourgeoises, devenues plus tard, au service de la grosse bourgeoisie, des tendances nationales-réformistes. Depuis lors, s’est de nouveau formée aux Indes, en Égypte et en Indonésie une aile radicale de groupes petits-bourgeois (par exemple, le parti républicain[22], le Watani[23], le Sarekat-Rayat[24]) qui représentent un point de vue national-révolutionnaire plus ou moins conséquent. Aux Indes, il est possible que de nouveaux groupes et partis analogues petits-bourgeois radicaux se forment. Mais il ne faut pas oublier que ces partis sont liés au fond à la bourgeoisie nationale. Les intellectuels petits-bourgeois qui sont à la tête de ces partis, présentent des revendications nationales-révolutionnaires. Mais ils sont en même temps plus ou moins consciemment les représentants d’un développement capitaliste de leur pays. Certains de ces éléments peuvent devenir les adeptes de toutes sortes d’utopies réactionnaires, mais, face à l’impérialisme et au féodalisme, ils sont, au début ‑ et c’est ce qui les distingue des partis de la grande bourgeoisie nationale ‑ non les représentants du réformisme, mais les représentants plus ou moins révolutionnaires des intérêts antiimpérialistes de la bourgeoisie coloniale jusqu’au moment où le développement du processus révolutionnaire pose nettement et avec acuité, les problèmes intérieurs fondamentaux de la révolution démocratique-bourgeoise, notamment la question de la révolution agraire et de la dictature du prolétariat et des paysans. Alors les partis petits-bourgeois cessent ordinairement d’avoir un caractère révolutionnaire. Dès que la révolution oppose les intérêts de classe du prolétariat et des paysans non seulement à la domination du bloc féodal et impérialiste, mais aussi à la domination de classe de la bourgeoisie, les groupes petits-bourgeois passent ordinairement au côté des partis nationaux-réformistes.
Il est absolument indispensable que les partis communistes de ces pays procèdent dès le début et de la façon la plus nette à une délimitation politique et organique entre eux et tous les partis et groupes petits-bourgeois. Une collaboration momentanée entre le parti communiste et le mouvement national révolutionnaire est admissible si elle est exigée par l’intérêt de la lutte révolutionnaire; en certaines circonstances même, une alliance temporaire peut même être conclue si le mouvement national révolutionnaire lutte effectivement contre le pouvoir établi, s’il est réellement révolutionnaire et si ses représentants n’empêchent pas les communistes d’éduquer les paysans et les larges masses des travailleurs dans l’esprit révolutionnaire. Mais au cours de toute collaboration, il faut comprendre très clairement qu’elle ne doit pas dégénérer en une fusion du mouvement communiste avec le mouvement petit-bourgeois révolutionnaire. Le mouvement communiste doit absolument maintenir en toutes circonstances l’indépendance du mouvement prolétarien, son autonomie dans l’agitation, l’organisation et l’action. Critiquer l’inconséquence et l’indécision des groupes petits-bourgeois, prévoir leurs oscillations, se préparer à y faire face et utiliser en même temps toutes les ressources révolutionnaires de ces couches, mener une lutte conséquente contre l’influence petite-bourgeoise dans les rangs du prolétariat, s’efforcer par tous les moyens d’arracher les larges masses paysannes à l’influence des partis petits-bourgeois, leur enlever l’hégémonie sur la paysannerie ‑ voilà les tâches des partis communistes.
25. Le mouvement révolutionnaire des Indes, de l’Égypte, etc… n’atteindra un degré de maturité aussi élevé que celui de Chine, que dès qu’une grande vague révolutionnaire se soulèvera dans ces pays. Au cas où elle se produirait avec retard, la maturation politique et organique des forces motrices de la révolution pourra s’opérer par un développement graduel, relativement lent. Mais si la prochaine grande vague révolutionnaire se lève plus tôt, le mouvement peut rapidement atteindre un haut degré de maturité. Si les conditions sont exceptionnellement favorables, il n’est même pas exclu que la révolution y conduise d’emblée à la conquête du pouvoir par le prolétariat et les paysans. Mais il est aussi possible que le processus révolutionnaire soit interrompu pour un temps plus ou moins long, surtout si la prochaine vague révolutionnaire n’atteint qu’une force et une durée relativement faibles. C’est pourquoi il importe d’analyser avec une grande netteté chaque situation concrète.
Les facteurs suivants sont d’une portée décisive dans le développement de la révolution d’un stade à un autre plus élevé:
1) Le degré de développement de la direction révolutionnaire prolétarienne du mouvement, c’est‑à‑dire du parti communiste (effectifs du parti, son degré d’indépendance, sa conscience de classe, sa capacité combative, son autorité, sa liaison avec les masses et son influence dans les syndicats et sur le mouvement paysan);
2) Le degré d’organisation et d’expérience révolutionnaire de la classe ouvrière, et, dans une certaine mesure, des paysans. L’expérience révolutionnaire des masses, c’est l’expérience de la lutte, d’abord elles doivent se libérer de l’influence des partis bourgeois et petits-bourgeois. Comme ces conditions ne se rencontrent pas à un degré suffisant, même dans les meilleurs des cas, avant la première explosion de la révolution, il faut que la crise révolutionnaire soit extraordinairement profonde, la vague révolutionnaire très longue et très forte pour que la révolution démocratique bourgeoise puisse aboutir, du premier coup, à la victoire complète du prolétariat et des paysans. On peut imaginer une telle éventualité par exemple, si l’impérialisme dominant est entraîné simultanément dans une longue guerre au dehors du pays colonial.
26. La dialectique historique, vivante et concrète que nous a montrée la première étape de la révolution démocratique bourgeoise en Chine, donne aux communistes, surtout à ceux qui militent dans les pays coloniaux, une expérience précieuse qu’il faut étudier minutieusement pour en tirer les enseignements, surtout en ce qui concerne les erreurs commises par les communistes dans le travail colonial. La durée de la vague révolutionnaire y fut extraordinairement longue (plus de 2 ans), parce qu’elle était liée à une guerre intérieure prolongée. L’expédition du Nord n’ayant pas été menée directement contre les grandes puissances impérialistes, ces dernières ‑ par suite de leur rivalité réciproque ‑ restèrent au début partiellement passives, la direction bourgeoise du mouvement national avait en mains, depuis plusieurs années déjà, Canton qui représentait un certain territoire, quoique limité, un pouvoir central, s’appuyant sur une armée, etc., cela explique pourquoi, dans ce cas exceptionnel, une grande partie de la bourgeoisie considéra d’abord la guerre d’émancipation nationale comme sa cause. Le Kuomintang, au sein duquel elle jouait en fait le rôle dirigeant, fut un certain temps, à la tête du mouvement national révolutionnaire, et ce fait constitua dans les événements ultérieurs le plus grand danger pour la révolution. D’autre part, une des particularités de la situation chinoise est le fait que le prolétariat y est proportionnellement plus fort par rapport à sa bourgeoisie que le prolétariat des autres colonies. Certes, il était faiblement organisé, mais avec la montée de la vague révolutionnaire, la croissance des organisations ouvrières fut extrêmement rapide. Le parti communiste, de petit groupe qu’il était, porta ses effectifs à 60.000 membres (plus tard encore davantage) en un très court laps de temps et gagna une grande influence parmi les masses ouvrières. Naturellement un grand nombre d’éléments petits-bourgeois sont ainsi entrés dans le parti. Le parti manquait d’expérience révolutionnaire et encore plus de tradition bolchéviste. Les éléments hésitants, encore très peu libérés des tendances petites-bourgeoises opportunistes, qui ne comprenaient pas assez bien les tâches indépendantes et le rôle du parti communiste et qui étaient contre tout développement énergique de la révolution agraire, prirent la place prépondérante dans sa direction. L’adhésion momentanée des communistes au parti dirigeant la révolution nationale ‑ au Kuomintang ‑ répondait en elle‑même aux exigences de la situation de la lutte et même aux intérêts du travail absolument nécessaire des communistes parmi les masses travailleuses considérables qui suivaient ce parti. De plus, le Parti communiste de Chine reçut au début, sur le territoire soumis au pouvoir du Kuomintang, la possibilité de développer une agitation indépendante parmi les masses ouvrières et paysannes, parmi les soldats de l’armée nationale, et parmi leurs organisations. À ce moment, le parti avait plus de possibilités qu’il n’en a utilisées. Il n’a pas assez nettement expliqué alors aux masses sa position de classe prolétarienne et révolutionnaire distincte du sunyatsenisme et des autres tendances petites-bourgeoises. Dans les rangs du Kuomintang, les communistes n’ont pas mené une politique indépendante, ils ont perdu de vue que lorsque la formation d’un bloc devient nécessaire, les communistes doivent y avoir une attitude critique envers les éléments bourgeois et intervenir toujours comme une force indépendante. Les communistes renoncèrent à démasquer les hésitations de la bourgeoisie nationale, du nationalisme bourgeois, alors que cette action devait être une des tâches les plus importantes du parti communiste pendant la première étape. La scission inéluctable du Kuomintang se rapprochait à mesure que l’armée nationale avançait; la direction du Parti communiste chinois n’a rien ou presque rien entrepris pour préparer le parti à cette scission, pour lui assurer des positions indépendantes et pour unifier les ouvriers et les paysans révolutionnaires en un bloc de lutte indépendant qui aurait pu être opposé à la direction du Kuomintang.
Aussi, le coup d’État de Tchang Kaï Chek a-t-il surpris le prolétariat révolutionnaire, aucunement préparé, et suscité la confusion dans ses rangs. Mais la direction du parti communiste ne comprit[25] pas même alors que la révolution passait à une nouvelle étape et ne changea pas le cours du parti dans la direction nécessitée par le coup d’État. L’aile gauche des chefs petits-bourgeois du Kuomintang ayant marché pendant quelque temps encore avec le parti communiste, une délimitation territoriale s’est opérée: les gouvernements de Nankin et Wouhan se formèrent. Mais, à Wouhan, le parti communiste ne joua pas non plus un rôle dirigeant. Bientôt, commença sur le territoire de Wouhan une seconde période caractérisée d’une part par les éléments naissant d’une dualité du pouvoir non encore cristallisée (les unions paysannes se sont emparées à la campagne d’un certain nombre de fonctions appartenant au pouvoir, les syndicats ont étendu leurs fonctions sous la pression des masses qui tendaient à une solution "plébéienne" autonome de la question du pouvoir), d’autre part, par l’absence de conditions assez mûres pour organiser des Soviets comme organe de l’insurrection contre le gouvernement de Wouhan qui menait encore une lutte révolutionnaire contre le gouvernement de Nankin représentant la bourgeoisie qui a trahi la révolution. Le parti communiste a entravé directement alors l’action indépendante des masses révolutionnaires, il ne les a pas aidées à rassembler et à organiser leurs forces, il n’a pas contribué à saper l’influence et les positions des chefs du Kuomintang dans le pays et dans l’armée, il n’a pas utilisé dans ce but sa participation au gouvernement, au contraire, il a couvert toute l’activité de ce gouvernement (certains membres dirigeants petits-bourgeois du parti sont allés jusqu’à participer au désarmement des ouvriers à Wouhan et à sanctionner l’expédition punitive à Tchangcha!).
À la base de cette politique opportuniste était l’espoir d’éviter la rupture avec les leaders petits-bourgeois du gouvernement de Wouhan. Mais en fait cette rupture ne fut qu’ajournée. Quand les soulèvements de masses prirent un caractère menaçant, les chefs du Kuomintang de Wouhan cherchèrent à s’unir avec leurs alliés de l’autre côté de la barricade. Le mouvement révolutionnaire des ouvriers et paysans poursuivait toujours ses efforts pour atteindre la victoire. Maintenant le parti communiste de Chine a redressé sa politique, élu une nouvelle direction et occupé sa place à la tête de la révolution. Mais la vague révolutionnaire régresse déjà. Dans les combats héroïques de masse, menés sous le mot d’ordre des Soviets, seuls des succès temporaires furent atteints. Dans quelques régions seulement la révolution agraire s’est développée à temps; dans les autres, l’immense arrière-garde paysanne vint trop tard. Aujourd’hui, à la place des fautes opportunistes grossières passées se manifestent dans certaines localités, des erreurs putschistes très dangereuses. De grandes fautes ont aussi été commises par les communistes dans la préparation des insurrections. Les lourdes défaites ont de nouveau rejeté la révolution qui entrait déjà au Sud dans la seconde étape de son développement, au point de départ de cette étape.
27. La bourgeoisie nationale de Chine étant parvenue au pouvoir, la composition de l’ancien bloc des militaristes s’est modifiée. Le nouveau bloc au pouvoir est aujourd’hui le principal ennemi immédiat de la révolution. Pour le renverser, il faut conquérir à la révolution les masses décisives du prolétariat et des paysans. C’est en cela que consiste la tâche la plus importante du Parti communiste de Chine dans la période présente. Les ouvriers chinois possèdent déjà une expérience considérable. Il faut renforcer et rendre plus révolutionnaire le mouvement syndical, consolider le parti communiste. Une certaine partie des paysans chinois s’est déjà débarrassée des illusions démocratiques bourgeoises et a montré une activité considérable dans la lutte révolutionnaire, mais c’est là seulement une minorité insignifiante de l’immense masse paysanne de Chine. Il est fort possible que certains groupes petits-bourgeois se rallient à la position du national-réformisme (au sein ou en marge du Kuomintang), afin d’acquérir une influence parmi les masses travailleuses au moyen d’une certaine opposition démocratique bourgeoise (Tang Pin Shan et les chefs syndicaux social-démocrates appartiennent aussi à ces réformistes petits-bourgeois). Il ne faut pas sous-estimer la portée de ces tentatives. Les isoler et les démasquer devant les masses par une juste tactique communiste est une condition absolument indispensable pour que le parti communiste puisse occuper une situation effectivement dirigeante au moment d’une nouvelle vague révolutionnaire en Chine. Déjà maintenant le parti doit propager partout parmi les masses l’idée des Soviets, l’idée de la dictature du prolétariat et des paysans, l’idée qu’une nouvelle insurrection armée victorieuse des masses est inéluctable. Le parti doit déjà souligner dans son agitation la nécessité de renverser le bloc au pouvoir et mobiliser les masses pour des manifestations révolutionnaires. Tout en tenant compte minutieusement des conditions objectives qui continuent à mûrir pour la révolution, tout en utilisant toute possibilité de mobiliser les masses, le parti communiste doit s’orienter invariablement et opiniâtrement vers la prise du pouvoir d’État, l’organisation des Soviets comme organe d’insurrection, l’expropriation des propriétaires fonciers, l’expulsion des impérialistes étrangers et la confiscation de leurs biens.
IV. Les tâches immédiates des communistes
28. La création et le développement des partis communistes dans les pays coloniaux et semi‑coloniaux, la suppression de la disproportion extrême entre la situation révolutionnaire objective et la faiblesse du facteur subjectif, constituent une des tâches les plus urgentes de l’Internationale communiste. Cette tâche se heurte à un certain nombre de difficultés, conditionnées par le développement historique et la structure sociale de ces pays. Le développement industriel de ces pays est faible et la classe ouvrière, encore jeune et relativement (par rapport à la population) peu nombreuse. La terreur du régime colonial, l’analphabétisme, la diversité des langues, etc. rendent difficile l’organisation et le développement de la classe ouvrière en général et la rapide croissance des partis communistes en particulier. La fluctuation des effectifs de la classe ouvrière, la grande proportion des femmes et des enfants sont les traits caractéristiques du prolétariat colonial. Dans un grand nombre de régions prédominent les ouvriers saisonniers et même les cadres fondamentaux du prolétariat ont encore un pied au village. Cela facilite la liaison entre la classe ouvrière et les paysans, mais rend difficile le développement de la conscience de classe du prolétariat. L’expérience a démontré que dans la plupart des pays coloniaux et semi‑coloniaux, une partie importante, sinon prédominante, des cadres communistes est recrutée, au début, parmi la petite bourgeoisie et notamment parmi les intellectuels révolutionnaires, très fréquemment parmi les étudiants. Il n’est pas rare que ces éléments viennent au parti parce qu’ils voient en lui l’ennemi le plus énergique de l’impérialisme; ils ne comprennent cependant pas toujours assez, que le parti communiste n’est pas seulement un parti de lutte contre l’exploitation impérialiste et l’oppression nationale, mais qu’il lutte en tant que parti du prolétariat, énergiquement, contre toute exploitation et oppression. Au cours de la lutte révolutionnaire, un grand nombre de ces communistes s’élèvent jusqu’au point de vue de classe prolétarien, tandis qu’une partie d’entre eux se débarrasse difficilement de l’état d’esprit, des hésitations et des oscillations de la petite-bourgeoisie. Ce sont précisément ces éléments du parti qui ont le plus de difficultés à apprécier avec justesse, au moment critique, le rôle de la bourgeoisie nationale, et d’agir méthodiquement et sans hésitation dans le problème de la révolution agraire, etc. Les pays coloniaux n’ont aucune tradition social-démocrate, mais ils n’ont aussi aucune tradition marxiste. Nos jeunes partis doivent se débarrasser des survivances de l’idéologie nationaliste petite-bourgeoise au cours de la lutte et de la formation du parti, pour trouver la voie du bolchévisme.
Ces difficultés objectives obligent d’autant plus l’Internationale communiste à consacrer une attention toute spéciale à la formation du parti dans les pays coloniaux et semi‑coloniaux. Une responsabilité, particulièrement grande à ce sujet, incombe aux partis communistes des pays impérialistes. Il faut pour cela non seulement une aide dans l’élaboration d’une ligne politique juste, une analyse minutieuse de l’expérience dans le domaine de l’organisation et de l’agitation, mais encore une éducation systématique des cadres communistes, l’édition et traduction d’un certain minimum de littérature marxiste-léniniste dans la langue des divers pays coloniaux, enfin une aide des plus actives dans l’étude et l’analyse marxistes des problèmes économiques et sociaux des pays coloniaux et semi‑coloniaux, dans la création d’une presse du parti, etc. Les partis communistes des pays coloniaux et semi‑coloniaux ont pour devoir de faire tous leurs efforts pour éduquer un cadre de militants issus de la classe ouvrière même; utilisant les intellectuels du parti comme directeurs et conférenciers des cercles de propagande, des écoles du parti légales et illégales dans le but d’éduquer les meilleurs ouvriers pour en faire des agitateurs, des propagandistes, des organisateurs et des chefs imprégnés de l’esprit léniniste. Les partis communistes des pays coloniaux doivent aussi devenir de véritables partis communistes par leur composition sociale. Tout en absorbant les meilleurs intellectuels révolutionnaires, en se forgeant dans la lutte quotidienne et les grandes batailles révolutionnaires, les partis communistes doivent consacrer leur plus grande attention à consolider l’organisation communiste dans les fabriques, dans les mines, parmi les ouvriers des transports et parmi les demi‑serfs des plantations. Partout où le capitalisme concentre le prolétariat, le parti communiste doit créer ses cellules; dans les quartiers ouvriers, dans les corons, dans les casernes ouvrières des plantations fortifiées et barricadées contre les agitateurs. Il ne faut pas négliger non plus le travail parmi les artisans, les apprentis et les coolies. Les ouvriers indigènes et les ouvriers venant des métropoles doivent être organisés dans la même organisation du parti. Il faut utiliser en l’adaptant à la situation des pays coloniaux, l’expérience des plus vieux partis sur la coordination du travail légal et illégal, afin d’éviter si possible ce qui est arrivé, par exemple en Chine où des organisations de masse considérables furent anéanties relativement rapidement et sans grande résistance par les coups de la réaction, ce qui a extraordinairement affaibli la liaison du parti communiste avec les masses.
29. La principale des tâches immédiates générales des communistes consiste, dans les colonies et semi‑colonies, outre le développement des partis communistes, à travailler dans les syndicats. Recruter les inorganisés avant tout dans les branches industrielles les plus importantes, telles que la métallurgie, le sous‑sol, les transports, le textile, etc…, transformer les organisations actuelles en véritables syndicats de classe, lutter contre les chefs syndicaux nationaux-réformistes et réactionnaires pour la direction des organisations, ce sont là les tâches dans le domaine syndical. L’autre catégorie des tâches consiste à défendre les intérêts économiques et les revendications immédiates des ouvriers dans la lutte contre les patrons, et à diriger énergiquement et intelligemment les grèves. Dans les syndicats réactionnaires, qui groupent des masses ouvrières, les communistes ont le devoir de mener un travail de propagande révolutionnaire. Dans les pays où la situation détermine la nécessité de créer des syndicats révolutionnaires séparés (parce que la direction syndicale réactionnaire empêche le recrutement des inorganisés, enfreint les exigences les plus élémentaires de la démocratie syndicale, transforme les syndicats en organisations jaunes, etc., etc.), cette question doit être résolue en accord avec la direction de l’Internationale Syndicale Rouge. Il importe de suivre avec une attention toute particulière les intrigues de l’Internationale d’Amsterdam dans les pays coloniaux (Chine, Indes, Afrique du Nord) et démasquer aux yeux des masses sa nature réactionnaire. Le parti communiste de la "métropole" a pour devoir d’aider efficacement le mouvement syndical révolutionnaire des colonies par des conseils et par l’envoi d’instructeurs permanents. Sous ce rapport, il a été très peu fait jusqu’à présent.
30. Là où existent des organisations paysannes, quel que soit leur caractère, pourvu qu’elles soient de véritables organisations de masses, le parti communiste doit prendre toutes les mesures pour y pénétrer. Une des tâches immédiates du parti consiste à poser correctement le problème agraire dans la classe ouvrière, à lui faire comprendre l’importance et le rôle décisif de la révolution agraire, à faire connaître aux membres du parti les méthodes d’agitation, de propagande et d’organisation parmi les paysans. Chaque organisation du parti a pour devoir d’étudier la situation agraire particulière dans le rayon de son activité et de formuler les revendications immédiates correspondantes des paysans. Les communistes doivent chercher partout à imprimer un caractère révolutionnaire au mouvement paysan existant. Ils doivent organiser aussi de nouveaux comités ou unions de paysans révolutionnaires. Un contact régulier doit être maintenu entre ces organisations et le parti communiste. Aussi bien dans les masses paysannes, que parmi les ouvriers, il faut mener une propagande énergique en faveur d’une alliance de combat entre le prolétariat et les paysans. Les "partis ouvriers et paysans"[26] peuvent trop facilement se transformer en vulgaires partis petit-bourgeois, quel que soit le caractère révolutionnaire qu’ils peuvent avoir dans certaines périodes, c’est pourquoi leur fondation n’est pas recommandable. Le parti communiste ne doit jamais édifier son organisation sur la base de la fusion de deux classes, de même qu’il ne peut se proposer d’organiser d’autres partis sur ce principe caractéristique pour les groupes petits-bourgeois. Le bloc de combat des masses ouvrières et paysannes peut trouver son expression dans des conférences et congrès des représentants des unions (ou comités) de paysans révolutionnaires et des syndicats, convoqués périodiquement et minutieusement préparés en certaines circonstances il peut être opportun de créer des comités d’action révolutionnaires pour coordonner l’activité des organisations ouvrières et paysannes et pour diriger diverses actions de masses, etc… Enfin, dans la période de l’insurrection, une des tâches fondamentales du parti communiste sera la formation de Conseils de députés ouvriers et paysans (soviets). Quelles que soient les circonstances, le parti communiste doit s’efforcer de conquérir une influence décisive sur le mouvement paysan, rechercher et appliquer les formes d’organisation d’un bloc ouvrier et paysan qui facilitent le plus possible la direction du mouvement paysan et créent les conditions pour une transformation future de ces formes en soviets comme organes de l’insurrection et du pouvoir.
31. La jeunesse prolétarienne des pays coloniaux souffre tout particulièrement. Son importance parmi la classe ouvrière y est beaucoup plus forte que dans les anciens pays capitalistes. L’exploitation des jeunes n’y connaît aucune restriction légale: temps de travail illimité, conditions de travail inouïes, cruauté des patrons et des contremaîtres. La situation de la jeunesse paysanne n’est pas meilleure. Il n’est pas étonnant que la jeunesse ouvrière et paysanne participe activement à tous les mouvements révolutionnaires des pays coloniaux. Cette jeunesse constituait la grande partie des organisations révolutionnaires et des armées paysannes en Chine, des bataillons des partisans coréens qui luttèrent contre les colonisateurs japonais, des rebelles héroïques d’Indonésie, etc…
La tâche la plus importante et la plus urgente de l’Internationale communiste des Jeunes dans les pays coloniaux est de créer des organisations révolutionnaires de masses sous la direction communiste. L’éducation de cadres dirigeants vraiment communistes pour le mouvement des jeunes est aussi importante que le caractère de masses et la composition essentiellement prolétarienne des organisations de la jeunesse communiste. À côté de la jeunesse ouvrière, il est opportun de recruter les meilleurs éléments révolutionnaires parmi les étudiants et la jeunesse paysanne, tout en cherchant à renforcer les éléments prolétariens dans les organes directeurs des fédérations de jeunesses. Le recrutement en masse de la jeunesse non prolétarienne est admissible pour les Jeunesses communistes seulement si une composition prolétarienne prédominante et une ferme direction communiste y sont assurées.
En participant à toute la lutte du parti communiste, la jeunesse communiste doit éviter aussi bien la tendance à remplacer le parti dans la direction de la classe ouvrière (tendance dite "avant-gardiste"), que la mentalité liquidatrice qui s’exprime par la négation de la nécessité d’un mouvement communiste des jeunes et qui réduit le rôle des fédérations de jeunesses communistes à celui d’organisations d’étudiants ou d’organisations générales et indéterminées de la jeunesse.
Les jeunesses communistes des colonies doivent également utiliser le système des organisations légales auxiliaires pour conquérir les larges masses de la jeunesse ouvrière et paysanne et des étudiants révolutionnaires et pour les arracher à l’influence du national-réformisme et des tendances pseudo-révolutionnaires; il faut leur donner un programme révolutionnaire et y assurer la direction du parti et des jeunesses communistes.
Les jeunesses communistes doivent travailler dans les organisations de ce genre qui existent déjà, les entraîner dans l’action révolutionnaire et y conquérir l’influence et la direction. En utilisant ces organisations et en entraînant les masses de la jeunesse travailleuse à la lutte révolutionnaire, les organisations de la jeunesse communiste ne doivent pas perdre leur indépendance ou réduire leur travail propre. La perte de leur physionomie communiste et la perte éventuelle de la direction du mouvement révolutionnaire des jeunes, qui en serait la conséquence sont un grand danger pour les organisations de jeunesse communiste. C’est pourquoi, tout en travaillant parmi les organisations auxiliaires pour les utiliser et les développer, la jeunesse communiste doit renforcer son travail propre, intervenir ouvertement devant les masses de la jeunesse travailleuse et recruter à la jeunesse communiste les meilleurs éléments de ces organisations de masses. Les sections de jeunes des syndicats et des unions paysannes, les unions de la jeunesse ouvrière, les associations antimilitaristes, les groupes sportifs, les sociétés locales d’étudiants, etc… sont de telles organisations de masses.
Le 6 Congrès de l’Internationale communiste fait un devoir à tous les partis communistes des pays coloniaux de contribuer énergiquement à la création et au développement d’un mouvement de la jeunesse communiste et de lutter contre toute mentalité retardataire au sein de la classe ouvrière et des syndicats, qui tend à négliger les intérêts de la jeunesse ouvrière et à refuser de participer à la lutte pour l’amélioration de la situation de la jeunesse exploitée.
32. Dans les pays coloniaux, l’exploitation de la main‑d’oeuvre des femmes et des enfants a pris une envergure particulièrement grande et des formes barbares. Un salaire de famine des plus misérables, une journée de travail insupportablement longue, dans certaines contrées l’achat des femmes et des enfants pour travailler dans les plantations à des conditions d’esclavage, l’existence d’enfer dans les maisons d’ouvriers, la conduite barbare et les sévices de la part des employeurs ‑ telles sont les conditions de travail des femmes et des enfants. Cependant, la bourgeoisie, les missionnaires, etc… qui disposent de fortes sommes d’argent mènent parmi les femmes prolétariennes un vaste travail réactionnaire; mais les ouvrières coloniales poussées au désespoir s’éveillent petit à petit à la conscience de classe, entrent dans la voie révolutionnaire, rallient énergiquement et courageusement les rangs du prolétariat en lutte. La preuve en est d’abord dans la participation pleine d’abnégation des travailleuses chinoises aux luttes révolutionnaires (grèves en masse des femmes, héroïsme de certaines ouvrières, entrée des paysannes dans les troupes de partisans). Les partis communistes des colonies et semi‑colonies doivent consacrer une grande attention au travail parmi ces couches ouvrières, notamment dans les entreprises où prédomine la main‑d’oeuvre féminine, ils doivent organiser systématiquement les femmes dans les syndicats et recruter les meilleures d’entre elles au parti. Tout en luttant contre l’influence des organisations hostiles, le parti doit s’efforcer de conquérir les femmes travailleuses en employant tous les moyens d’agitation et de propagande légales et illégales par la parole et par l’écrit.
En dehors de ces tâches générales, les partis communistes des colonies ont encore une série de tâches spécifiques qui découlent des particularités de la structure sociale et économique et de la situation politique de chaque pays. Tout en laissant chaque parti fixer l’ensemble de ces tâches dans son programme d’action concret, le Congrès signale quelques‑unes des tâches immédiates les plus importantes.
33. En Chine, la nouvelle vague révolutionnaire posera de nouveau au parti la tâche pratique immédiate de la préparation et l’exécution de l’insurrection armée comme unique voie pour accomplir la révolution démocratique bourgeoise et renverser le pouvoir des impérialistes, des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie nationale: le pouvoir du Kuomintang. Dans le moment présent, caractérisé dans son ensemble par l’absence de vague révolutionnaire des grandes masses du peuple chinois, la ligne générale du parti est la lutte pour la conquête des masses. Cette politique menée dans les conditions de renforcement du mouvement antiimpérialiste, d’un certain réveil du mouvement de grève et de l’action paysanne qui continue, exige du parti la tension de toutes ses forces pour rassembler et unir le prolétariat autour des principaux mots d’ordre du parti, un immense travail d’organisation pour renforcer les syndicats et les unions paysannes révolutionnaires, le maximum d’adaptation à la direction du travail quotidien, économique et politique parmi les masses du prolétariat et des paysans, un travail intense pour expliquer au prolétariat l’expérience de la période révolutionnaire écoulée. En même temps, le parti doit expliquer aux masses l’impossibilité d’une amélioration radicale de leur situation, l’impossibilité de renverser la domination des impérialistes et de résoudre les problèmes de la révolution agraire sans renverser le pouvoir du Kuomintang et des militaristes et instaurer le pouvoir des soviets.
Le parti doit utiliser chaque conflit, même le plus insignifiant entre les ouvriers et les capitalistes à la fabrique, entre les paysans et les propriétaires fonciers à la campagne, entre les soldats et les officiers dans l’armée, pour approfondir et aiguiser ces conflits de classes dans le but de mobiliser les larges masses d’ouvriers et de paysans et de les conquérir au parti. Le parti doit utiliser tous les cas de violence de l’impérialisme international contre le peuple chinois, violence qui revêt actuellement le caractère de conquête militaire de régions entières, tous les exploits sanglants de la réaction enragée, pour élargir la protestation populaire des masses contre les classes dominantes.
Le succès de cette lutte pour la conquête des masses est déterminé en grande partie par l’application d’une tactique appréciant justement la situation, par la correction des fautes et des tendances d’extrême‑gauche (putschisme, aventurisme militaire, terreur individuelle, etc.) et de l’opportunisme qui a trouvé son expression dans la revendication de la convocation de l’Assemblée Nationale et de la restauration du gouvernement du Kuomintang. En même temps le parti doit vaincre toutes les tendances à remplacer les méthodes de conviction et d’éducation des masses par des méthodes de contrainte et de commandement, qui renforcent le danger d’isolement du parti envers les masses travailleuses déjà si sérieux dans la situation actuelle de terreur terrible.
Dans le travail intérieur, le parti doit s’efforcer de réorganiser les cellules et les comités locaux anéantis par la réaction; améliorer la composition sociale du parti en concentrant une attention particulière à la création de cellules du parti dans les principales branches de la production, les principales fabriques, ateliers de chemins de fer. Le P.C. chinois doit également consacrer l’attention la plus sérieuse à la régularisation de la composition sociale de ses organisations à la campagne afin qu’elles se recrutent principalement parmi les éléments prolétariens, semi-prolétariens et pauvres des campagnes. Application du principe du centralisme démocratique, autant que le permettent les conditions du travail illégal de la démocratie intérieure du parti, la discussion et solution collective des questions; en même temps, la lutte contre les tendances ultra-démocratiques de certaines organisations, qui conduisent à la rupture de la discipline du parti, au manque croissant de responsabilité et à la destruction de l’autorité des centres dirigeants du parti.
Il faut renforcer le travail d’éducation théorique des membres du parti, élever leur niveau politique; exercer une propagande systématique du marxisme et du léninisme, étudier les expériences et les leçons des anciennes étapes de la révolution chinoise (période de Wouhan, insurrection de Canton, etc…). À l’égard des "tiers" partis (de Tang Pin Shan, Wang Chin Weï) qui sont un instrument de la contre-révolution capitaliste et agrarienne, la tâche du Parti communiste chinois consiste à les combattre énergiquement, à démasquer en se basant sur la pratique du mouvement antiimpérialiste et du mouvement de masses, leur activité nationale-réformiste, et à les dénoncer comme agences des classes dirigeantes.
Les principaux mots d’ordre pour conquérir les masses sont: 1) Suppression de la domination des impérialistes; 2) Confiscation des entreprises et des banques étrangères; 3) Unification du pays avec le droit pour chaque nation de disposer d’elle‑même; 4) Renversement du pouvoir des militaristes et du Kuomintang; 5) Instauration du pouvoir des Soviets ouvriers, paysans et soldats; 6) Journée de 8 heures, augmentation des salaires, aide aux chômeurs et assurances sociales; 7) Confiscation de toute la terre appartenant aux grands propriétaires fonciers; remise de la terre aux paysans et aux soldats; 8) Suppression de tous les impôts du gouvernement des militaristes et des fonctionnaires locaux; impôt progressif unique sur les revenus; 9) Alliance avec l’U.R.S.S. et le mouvement prolétarien mondial.
34. Les tâches fondamentales des communistes hindous sont: la lutte contre l’impérialisme anglais pour la libération du pays, la suppression de tous les vestiges du féodalisme, la révolution agraire, l’instauration de la dictature du prolétariat et des paysans sous la forme de la république soviétique. Ces tâches ne pourront être accomplies avec succès que lorsque sera créé un puissant parti communiste qui saura se mettre à la tête des larges masses de la classe ouvrière, des paysans et de tous les travailleurs et les entraîner à l’insurrection armée contre le bloc féodal-impérialiste.
Le mouvement de grèves du prolétariat hindou qui se développe actuellement, son indépendance envers le nationalisme bourgeois, le caractère général de ce mouvement, son extension à presque toutes les branches de la production, la fréquence et la durée prolongée des grèves, l’opiniâtreté et la grande vigueur des ouvriers dans leur conduite, le fait que les chefs des grèves sortent des masses ouvrières elles-mêmes, tout cela signifie un tournant dans l’histoire du prolétariat hindou et montre qu’aux Indes les conditions nécessaires à la création d’un parti communiste de masses sont mûres. La fusion de tous les groupes communistes et des communistes isolés disséminés dans tout le pays en un parti unique illégal, indépendant et centralisé est le premier devoir des communistes hindous. Tout en repoussant le principe de fondation du parti sur deux classes, les communistes doivent utiliser les liaisons des partis ouvriers et paysans existant avec les masses laborieuses pour renforcer leur propre parti. Ils ne doivent pas oublier que l’hégémonie du prolétariat ne peut être réalisée sans l’existence d’un parti communiste uni, ferme et armé de la théorie marxiste. L’agitation du parti communiste doit être liée à la lutte des ouvriers pour leurs revendications immédiates et expliquer en même temps les buts généraux du parti communiste et ses méthodes pour les atteindre. Il est nécessaire de constituer des cellules dans les entreprises qui prennent une part active au mouvement ouvrier, à l’organisation et à la direction des grèves et des actions politiques. Les organisations communistes doivent dès le début, consacrer une attention particulière à la création de cadres dirigeants ouvriers pour le parti.
Dans les syndicats, les communistes hindous doivent démasquer impitoyablement les chefs nationaux-réformistes, mener une lutte énergique pour transformer les syndicats en véritables organisations de classe du prolétariat et pour remplacer la direction réformiste actuelle par les représentants révolutionnaires des masses ouvrières. Il faut particulièrement démasquer la méthode de prédilection des réformistes hindous, qui consiste à faire trancher les conflits par le représentant de l’impérialisme anglais comme arbitre "impartial" entre les ouvriers et les patrons. Dans cette lutte il faut poser les revendications de démocratie syndicale, de composition de l’appareil syndical par les ouvriers, etc… Les points d’appui pour le travail du parti dans les syndicats doivent être les fractions communistes et les groupes formés de communistes et de sympathisants. Il faut aussi utiliser la vague de grèves actuelle pour organiser les ouvriers inorganisés. Les mineurs et les métallurgistes, les coolies travaillant dans les plantations et les salariés agricoles en général, sont la partie la moins organisée du prolétariat hindou; les communistes doivent leur consacrer l’attention nécessaire.
Les communistes doivent démasquer le national-réformisme du Congrès national hindou et opposer à toutes les phrases des swarajistes, des ghandistes, etc… sur la résistance passive, le mot d’ordre implacable de lutte armée pour libérer le pays et en chasser les impérialistes.
Quant aux paysans et aux organisations paysannes, les communistes hindous ont pour tâche tout d’abord de faire connaître aux grandes masses de paysans les revendications générales du parti dans la question agraire. Dans ce but, le parti doit élaborer un programme d’action. Par l’intermédiaire des ouvriers liés avec la campagne et directement aussi, les communistes doivent stimuler la lutte des paysans pour leurs revendications partielles et au cours de la lutte, organiser des unions paysannes. II faut particulièrement veiller à ce que les organisations paysannes qui seront créées ne tombent pas sous l’influence des exploiteurs des campagnes. Il faut donner aux organisations paysannes existantes un programme clair de revendications concrètes et soutenir l’action des paysans par des manifestations ouvrières dans les villes.
Il ne faut pas oublier qu’en aucune occasion les communistes ne doivent renoncer à leur droit de critiquer ouvertement la tactique opportuniste et réformiste de la direction des organisations de masses dans lesquelles ils travaillent.
35. En Indonésie, l’écrasement de l’insurrection de 1926, l’arrestation et l’exil de milliers de membres de notre parti l’ont extrêmement désorganisé. La nécessité de reconstituer les organisations anéanties de notre parti exige de nouvelles méthodes de travail, correspondant aux conditions illégales créées par le régime policier de l’impérialisme hollandais. Transfert du centre de gravité du parti là où est concentré le prolétariat urbain et rural, ‑ les fabriques et les plantations; reconstitution des syndicats dissous et lutte pour leur vie légale; attention particulière aux revendications partielles pratiques des paysans; développement et renforcement des organisations paysannes; travail dans toutes les organisations nationales de masses, où le P.C. doit constituer des fractions et grouper autour de lui les éléments nationaux-révolutionnaires; lutte énergique contre les social-démocrates hollandais qui, avec l’appui du gouvernement essayent de constituer une base dans le prolétariat indigène; entraînement des nombreux ouvriers chinois dans la lutte de classes et dans la lutte nationale-révolutionnaire; établissement de liaisons avec le mouvement communiste de Chine et des Indes, ‑ voilà quelques‑unes des principales tâches du parti communiste d’Indonésie.
36. En Corée, les communistes doivent renforcer leur travail au sein du prolétariat et, dans leur effort pour augmenter l’activité et renforcer l’organisation des fédérations ouvrières et paysannes, réorganiser les syndicats, y englober les principales couches de la classe ouvrière et rattacher les luttes économiques aux revendications politiques. En même temps, ils doivent lier la revendication de l’émancipation nationale du pays au mot d’ordre de la révolution agraire qui acquiert de plus en plus d’actualité par suite de la paupérisation croissante des paysans sous le régime de rapine coloniale. Au sein des masses laborieuses, affiliées aux grandes unions religieuses nationales (Tchen Do Gio, etc…) il faut mener un travail patient d’éducation révolutionnaire afin de les soustraire à l’influence des chefs nationaux réformistes. Il faut renforcer l’influence communiste dans toutes les organisations révolutionnaires de masse existantes. Au lieu de créer un parti national révolutionnaire unique basé sur l’adhésion individuelle, il faut s’efforcer de coordonner et d’unir l’activité des différentes organisations nationales révolutionnaires à l’aide de comités d’action communs et de créer un bloc effectif des éléments révolutionnaires tout en critiquant l’inconséquence et les hésitations des nationalistes petits-bourgeois, et en les démasquant constamment devant les masses. Il faut recruter de nouvelles forces dans le parti communiste, surtout parmi les ouvriers industriels. Ce sera la meilleure garantie de développement bolchéviste du parti et cela facilitera en particulier, la liquidation nécessaire de l’esprit de fraction, nuisible au sein du parti.
37. En Égypte, le parti communiste ne jouera un rôle important dans le mouvement national que lorsqu’il s’appuiera sur le prolétariat organisé. L’organisation de syndicats des ouvriers égyptiens, le renforcement et la direction des luttes de classes sont donc la première et la plus importante tâche du parti communiste. Le plus grand danger pour le mouvement syndical d’Égypte est actuellement la conquête des syndicats par les nationalistes bourgeois. Sans lutte énergique contre leur influence une véritable organisation de classe des ouvriers est impossible. Un des défauts essentiels des communistes égyptiens dans le passé fut de travailler exclusivement parmi les ouvriers des villes. Poser correctement la question agraire, entraîner le plus possible dans la lutte et organiser les larges masses d’ouvriers agricoles et de paysans, voilà une des tâches principales du parti. Il faut consacrer une attention particulière à l’édification même du parti qui est encore très faible.
38. Dans les colonies françaises de l’Afrique du Nord, les communistes doivent travailler dans toutes les organisations nationales révolutionnaires de masses déjà existantes, afin d’y unir les éléments vraiment révolutionnaires sur un programme conséquent et clair de bloc ouvrier et paysan pour la lutte. Quant à l’organisation de l′"Etoile Nord‑Africaine", les communistes doivent travailler à ce qu’elle ne se développe pas sous la forme d’un parti, mais sous la forme d’un bloc de combat des différentes organisations révolutionnaires, avec adhésion collective de syndicats d’ouvriers industriels et agricoles, d’unions paysannes, etc…; il est nécessaire d’y assurer le rôle dirigeant du prolétariat révolutionnaire; avant tout, il faut développer le mouvement syndical qui est la base d’organisation de l’influence communiste dans les masses. La collaboration toujours plus étroite de la partie révolutionnaire du prolétariat blanc avec la classe ouvrière indigène est notre tâche constante. Dans la question agraire il faut savoir diriger la haine croissante de la population rurale, déterminée par la politique d’expropriation de l’impérialisme français, dans la voie d’une lutte bien organisée (meilleure organisation des grèves d’ouvriers agricoles, renforcement des syndicats d’ouvriers agricoles en Algérie, etc…). Les organisations communistes de chaque pays doivent recruter eu premier lieu les ouvriers indigènes et lutter contre le mépris manifesté envers eux. Les partis communistes qui sont vraiment composés de prolétaires indigènes doivent être formellement et effectivement des sections indépendantes de l’Internationale communiste.
39. Parallèlement à la question coloniale, le 6e Congrès attire sérieusement l’attention des partis communistes sur la question nègre. La situation des nègres dans les divers pays est différente; elle exige donc une étude et une analyse concrète. On peut diviser les territoires habités par des masses compactes de nègres de la façon suivante: 1) les États‑Unis et quelques pays sud-américains où les masses compactes de nègres constituent une minorité par rapport à la population blanche; 2) l’Union sud-africaine où les nègres constituent la majorité par rapport aux colons blancs; 3) les États nègres qui sont en fait des colonies ou des semi‑colonies de l’impérialisme (Libéria, Haïti, St.‑Domingue); 4) toute l’Afrique Centrale divisée en colonies[27] et en territoires sous mandat des diverses puissances impérialistes (Angleterre, France, Portugal, etc…). Les tâches des partis communistes doivent être définies en tenant compte de chaque situation concrète.
Aux États‑Unis, vivent environ 12 millions de nègres. La plupart sont des fermiers qui paient leur fermage en nature et vivent dans des conditions semi‑féodales. La situation de ces fermiers nègres est la même que celle des salariés agricoles et ne se distingue que formellement de l’esclavage aboli par la législation. Les propriétaires fonciers blancs qui cumulent les fonctions de seigneurs fonciers, de commerçants et d’usuriers, donnent le fouet aux nègres, pratiquent une politique de séjour forcé et d’autres méthodes de la démocratie bourgeoise américaine et reproduisent les pires formes d’exploitation de la période d’esclavage. Grâce à l’industrialisation du Sud, un prolétariat nègre commence à se constituer. En même temps se poursuit de plus en plus rapidement l’émigration des nègres vers le Nord, où leur immense majorité est formée d’ouvriers non qualifiés. La croissance du prolétariat nègre est l’événement le plus important des dernières années. Mais en même temps dans les quartiers nègres se forme une petite bourgeoisie qui donne naissance à des intellectuels et à une faible couche de bourgeoisie qui deviennent les agents de l’impérialisme.
Une des tâches les plus importantes du parti communiste consiste à lutter pour l’égalité complète et réelle des nègres, pour l’abolition de toute inégalité sociale et politique et de toute inégalité de races. Le parti communiste a le devoir de lutter de toute son énergie contre la moindre expression de chauvinisme blanc, d’organiser une résistance active contre la justice du lynch, de renforcer son travail parmi les ouvriers nègres, de recruter les plus conscients dans le parti, de lutter pour leur admission dans toutes les organisations des ouvriers blancs et, avant tout, dans les syndicats (ce qui n’exclut pas, s’il le faut, leur organisation en syndicats séparés), d’organiser les masses paysannes et les ouvriers agricoles du Sud, de travailler parmi les masses nègres petites-bourgeoises, en expliquant le caractère utopique et réactionnaire des tendances petites-bourgeoises tel le Harveyisme[28], et en combattant leur influence sur la classe ouvrière. Dans les États du Sud, où sont des masses compactes de nègres il faut lancer le mot d’ordre du droit des nègres à disposer d’eux‑mêmes. La transformation radicale du régime agraire des États du Sud est une des tâches essentielles de la révolution. Les communistes nègres doivent expliquer aux ouvriers et paysans nègres que seule une alliance étroite et une lutte commune avec le prolétariat blanc contre la bourgeoisie américaine peuvent les libérer de l’exploitation barbare, que seule la révolution prolétarienne triomphante résoudra définitivement le problème agraire et national du Sud des États‑Unis, dans l’intérêt de la masse écrasante de la population nègre du pays.
Dans l’Union sud-africaine, les masses nègres constituent la majorité de la population, leurs terres sont expropriées par les colons blancs et par l’État, elles sont privées des droits politiques et du droit de circuler librement, elles souffrent de la pire oppression de race et de classe et des méthodes d’exploitation et d’oppression précapitalistes et capitalistes. Le parti communiste, qui a déjà obtenu certains succès dans le prolétariat nègre, a le devoir de poursuivre avec encore plus d’énergie sa lutte pour l’égalité complète des nègres, l’abolition de toutes les mesures et lois spécialement dirigées contre eux et pour la confiscation des terres appartenant aux propriétaires fonciers. En recrutant les ouvriers nègres, en les organisant dans les syndicats, en luttant pour l’admission des nègres dans les syndicats des ouvriers blancs, le parti a le devoir de lutter par tous les moyens contre tous les préjugés de race parmi les ouvriers blancs et les déraciner complètement de ses propres rangs. Le parti doit lancer avec énergie et conséquence le mot d’ordre de la fondation d’une république indigène indépendante qui assurerait les droits de la minorité blanche, il doit lutter par l’action pour la réalisation de ce mot d’ordre. Dans la mesure où le développement des rapports capitalistes désagrège le régime des tribus le parti doit renforcer l’éducation de classe des couches exploitées de la population nègre et s’efforcer de les arracher à l’influence des exploiteurs, qui deviennent de plus en plus les agents de l’impérialisme.
Dans les colonies du Centre de l’Afrique, l’exploitation prend les pires formes et réunit les méthodes d’exploitation esclavagistes, féodales et capitalistes. Dans la période d’après‑guerre, le capital des métropoles impérialistes s’efforce avec une force toujours plus grande de pénétrer les colonies africaines, il y favorise la concentration des grandes masses exploitées et prolétarisées dans les plantations, dans les mines, etc… Le Congrès fait un devoir aux partis communistes des métropoles d’en finir avec l’indifférentisme dont ils font preuve à l’égard des mouvements de masses dans ces colonies, et de commencer à aider énergiquement ces mouvements aussi bien dans les métropoles que dans les colonies elles-mêmes. Ils doivent étudier attentivement la situation dans ces pays afin de démasquer les exploits sanglants de l’impérialisme et de créer la possibilité d’une liaison organique avec les éléments prolétariens naissants de ces colonies les plus implacablement exploitées par l’impérialisme.
40. En Amérique latine, les communistes doivent prendre partout une part active au mouvement révolutionnaire de masses dirigé contre le régime des gros agrariens et contre l’impérialisme, même là où ce mouvement est encore sous la direction de la petite-bourgeoisie. Toutefois, les partis communistes ne doivent à aucune condition se soumettre à leurs alliés temporaires. En luttant pour l’hégémonie dans le mouvement révolutionnaire, les partis communistes doivent, en premier lieu, toujours conserver leur indépendance politique et d’organisation et travailler pour devenir le parti dirigeant du prolétariat. Dans leur agitation, les communistes doivent souligner particulièrement les mots d’ordre suivants:
1) Expropriation (sans indemnité) et remise aux ouvriers agricoles, aux fins de travail en commun, d’une partie des grosses plantations et latifundi; répartition de la partie restante entre les paysans, les fermiers et les colons; 2) confiscation des entreprises étrangères (mines, entreprises industrielles, banques, etc…) et des entreprises les plus importantes de la bourgeoisie nationale et des gros propriétaires terriens; 3) annulation des dettes d’État et liquidation de tout contrôle sur le pays de la part de l’impérialisme; 4) introduction de la journée de 8 heures et abolition des conditions de travail semi-esclavagistes; 5) armement des ouvriers et des paysans et transformation de l’armée en milice ouvrière et paysanne; 6) instauration du pouvoir des Soviets d’ouvriers, paysans et soldats, au lieu de la domination de classe des gros propriétaires fonciers et de l’Église. Le mot d’ordre du gouvernement ouvrier et paysan, opposé aux soi‑disant gouvernements "révolutionnaires" que crée la dictature militaire de la petite-bourgeoisie, doit occuper le centre de l’agitation communiste.
Dans ces pays, la condition fondamentale du succès de l’ensemble du mouvement révolutionnaire est dans la consolidation de l’idéologie et de l’organisation des partis communistes et en leur liaison avec les masses travailleuses et les organisations de masse. Les partis communistes doivent tendre inlassablement à organiser les ouvriers industriels dans les syndicats de classe, en premier lieu les ouvriers des grandes entreprises appartenant à l’impérialisme, à élever leur niveau politique et leur conscience de classe et à déraciner l’idéologie réformiste, anarcho-syndicaliste et corporative. En même temps, il faut organiser les paysans, les fermiers et les colons dans les unions paysannes. Il faut développer l’organisation de la Ligue antiimpérialiste, au sein de laquelle doivent travailler les fractions communistes. La collaboration la plus étroite entre toutes les organisations révolutionnaires de masses des ouvriers et paysans, la liaison entre les partis communistes des pays de l’Amérique latine, leur liaison avec les organisations internationales respectives, et avec le prolétariat révolutionnaire des États‑Unis sont parmi les tâches importantes.
41. Les tâches les plus importantes des partis communistes des pays impérialistes dans la question coloniale ont un triple caractère. Premièrement, il faut établir une liaison active entre les partis communistes et les syndicats révolutionnaires des métropoles, et les organisations révolutionnaires correspondantes des colonies. Les liaisons établies jusqu’à présent entre les partis communistes des métropoles et le mouvement révolutionnaire des pays coloniaux correspondants ne peuvent être considérées comme suffisantes, à quelques rares exceptions près. Ce fait ne peut être expliqué que partiellement par les difficultés objectives. Il faut reconnaître que tous les partis de l’Internationale communiste ne comprennent pas encore l’importance décisive de l’établissement de liaisons étroites, régulières et permanentes avec les mouvements révolutionnaires dans les colonies, afin de soutenir ces mouvements d’une façon active, directe et pratique. Ce n’est que dans la mesure où les partis communistes des pays impérialistes soutiennent en fait le mouvement révolutionnaire dans les colonies et la lutte des pays coloniaux contre l’impérialisme, que leur position dans la question coloniale peut être considérée comme véritablement bolchéviste. C’est là, en général, le critère de leur activité révolutionnaire.
La seconde catégorie de tâches consiste à soutenir véritablement la lutte des peuples coloniaux contre l’impérialisme par l’organisation d’actions de masses effectives du prolétariat. Dans ce domaine, l’activité des partis communistes des pays capitalistes les plus importants fut aussi insuffisante. La préparation et l’organisation de telles actions de solidarité doivent absolument devenir un des éléments essentiels de l’agitation communiste parmi les masses ouvrières des pays capitalistes. Les communistes doivent démasquer le véritable caractère de rapine du régime colonial-capitaliste par tous les moyens d’agitation dont ils disposent (presse, manifestations publiques, tribunes parlementaires), ils doivent déchirer implacablement le réseau de mensonges qui présente le système colonial comme une œuvre de civilisation et de progrès général. Dans ce domaine, une tâche particulière consiste à lutter contre les organisations de missionnaires, qui sont un des points d’appui les plus actifs de l’expansion impérialiste et de l’asservissement des peuples coloniaux.
Les communistes doivent mobiliser les larges masses ouvrières et paysannes des pays capitalistes pour la revendication de l’indépendance complète et de la souveraineté des peuples coloniaux. La lutte contre la répression sanglante des soulèvements coloniaux, contre l’intervention armée des impérialistes dans les révolutions nationales, contre la croissance de l’agressivité guerrière de l’impérialisme contre les nouvelles conquêtes militaires doit être une lutte systématique, organisée et pleine d’abnégation de la part du prolétariat mondial. Il est nécessaire de tirer toutes les leçons du fait qu’aucune des sections de l’Internationale communiste dans les pays capitalistes n’est arrivée à mobiliser les masses dans une mesure suffisante pour défendre effectivement la révolution chinoise contre l’offensive ininterrompue de l’impérialisme mondial. Les préparatifs en vue d’une guerre mondiale, la croisade des impérialistes contre les peuples de "leurs" colonies dans le but de les "pacifier" posent la tâche de soutenir activement les révolutions coloniales, et cet objectif doit occuper le centre de la lutte du prolétariat des pays capitalistes.
La lutte contre la politique coloniale de la social-démocratie doit être considérée par le parti communiste comme une partie organique de sa lutte contre l’impérialisme. Par sa position dans la question coloniale, à son dernier Congrès de Bruxelles[29], la 2e Internationale a sanctionné définitivement ce qu’avait déjà révélé clairement toute l’activité pratique des différents partis socialistes des pays impérialistes, après la guerre. La politique coloniale de la social-démocratie est une politique d’appui actif de l’impérialisme dans l’œuvre d’exploitation et d’oppression des peuples coloniaux. Elle a adopté officiellement le point de vue de la Société des nations, qui veut que les classes dominantes des pays capitalistes développés soient en "droit" de régner sur la majorité des peuples du globe pour les soumettre à un régime féroce d’exploitation et d’asservissement. Afin de tromper une partie de la classe ouvrière et l’intéresser au maintien du régime de rapine coloniale, la social-démocratie défend les exploits les plus honteux et les plus repoussants de l’impérialisme dans les colonies. Elle cache lé véritable caractère du système colonial capitaliste, le lien qui existe entre la politique coloniale et le danger d’une nouvelle guerre impérialiste menaçant le prolétariat et les masses travailleuses du monde entier. Là où l’indignation des peuples coloniaux prend la forme d’une lutte d’émancipation contre l’impérialisme, la social-démocratie se range toujours en fait et malgré toutes ses phrases mensongères, du côté des bourreaux impérialistes de la révolution. Ces dernières années, les partis socialistes de tous les pays capitalistes votent les crédits qu’exigent leurs gouvernements pour mener la guerre contre les peuples coloniaux en lutte pour leur libération (Maroc, Syrie, Indonésie), ils prennent part eux‑mêmes directement à l’exploitation coloniale, des socialistes français sont nommés gouverneurs de colonies aux ordres des gouvernements impérialistes, les coopératives socialistes de Belgique participent aux entreprises coloniales (pour l’exploitation de la population nègre du Congo), ils approuvent les mesures les plus féroces pour étouffer les soulèvements coloniaux (les chefs du Labour Party britannique ont défendu l’intervention en Chine, le Parti socialiste hollandais est intervenu pour réprimer le soulèvement en Indonésie). La théorie social-démocrate, affirmant que le régime colonial capitaliste peut être réformé et devenir un "bon régime colonial", n’est qu’un masque derrière lequel les social-démocrates cherchent à cacher leur véritable figure social-démocrate. Les communistes doivent leur arracher ce masque et montrer aux masses travailleuses des pays impérialistes que les partis socialistes sont les co‑participants et les collaborateurs directs de la politique coloniale impérialiste, que dans ce domaine ils ont trahi de la façon la plus odieuse tout le programme socialiste, qu’ils sont devenus les agents de l’impérialisme rapace dans les métropoles et les colonies.
Les communistes doivent suivre avec la plus grande attention toutes les tentatives de la social-démocratie qui cherche, avec l’aide des gouvernements capitalistes, à étendre son influence dans les colonies et à y fonder des sections et des organisations. Ces tentatives correspondent à la politique de cette fraction des colonialistes impérialistes qui se propose de consolider ses positions dans les colonies au moyen de la corruption de certaines couches indigènes. Les conditions spécifiques de certaines colonies peuvent contribuer à un certain succès de cette politique et déterminer un développement temporaire du mouvement réformiste dans ces pays sous l’influence de la social-démocratie des pays capitalistes. La tâche du parti communiste consiste à lutter énergiquement contre de semblables tentatives, à démasquer la politique coloniale des socialistes devant les masses indigènes et à étendre ainsi aux chefs social-démocrates, ces laquais de l’impérialisme, la haine méritée que les peuples coloniaux opprimés vouent aux impérialistes.
Dans tous ces domaines, les partis communistes des pays capitalistes ne peuvent obtenir des succès que s’ils développent une propagande intense dans leurs propres rangs, pour expliquer le point de vue communiste dans la question coloniale, pour déraciner toutes les survivances de l’idéologie social-démocrate dans cette question et pour repousser à toute déviation de la juste ligne léniniste.
Notes
[1]. [321ignition] Les annotations sont formulées par nous en tenant compte d’éventuelles notes figurant dans la source.
[3]. Gentry.
Terme utilisé ici par extension; au sens historique propre il désigne, en Grande-Bretagne, l’ensemble des nobles ayant droit à des armoiries, mais non titrés (par opposition à la nobility).
[4]. Guomindang ou Kuomintang ("Parti nationaliste").
Au cours de l’année 1911, l’Alliance révolutionnaire (Zhongguo geming Tongmenghui, c’est‑à‑dire Ligue révolutionnaire unie de Chine, ou simplement Tongmenghui), fondée par Sun Yìxian (Sun Yat‑sen) en 1905, intervient activement pour développer l’agitation, qui se dirige contre le régime impérial et amène l’effondrement de celui‑ci. Le 29 décembre, des représentants des diverses provinces choisissent Sun Yìxian comme président de la République. En février 1912 Yuan Shikai, chargé par la Cour de réprimer les révoltes, obtient l’abdication du jeune empereur Puyi; une Assemblée réunie à Nanjing (Nanking) désigne Yuan Shikai comme président de la République. La Tongmenghui est transformée en Guomindang, qui formule comme programme les “Trois Principes du peuple”: nationalisme, démocratie, bienêtre *. Cependant en 1913 des soulèvements provoquent la dissolution du Guomindang par le régime. En 1914 le Japon s’empare des concessions allemandes en Chine (Qingdao, dans la province Shandong) et en 1915 impose à la Chine son protectorat. Yuan Shikai décède en 1916, la Chine entre alors dans une longue période de luttes entre les chefs républicains et les généraux. En Chine du Nord les dujun ("seigneurs de la guerre") rivaux ‑ Zhang Zuolin, gouverneur de Mandchourie, Cao Kun, gouverneur du Zhili (correspondant approximativement à la province actuelle Hebei), etc. ‑ s’opposent dans des conflits armées qui se poursuivront jusqu’en 1927.
En 1921 est créé à Shanghai le Parti communiste chinois (PCC), qui adhère à l’Internationale communiste l’année suivante. En 1922 Sun Yìxian est porté à Guangzhou (Canton) à la présidence de la République. Il se donne pour objectif la reconquête de toute la Chine du Sud et la prise de Beijing (Pékin), face aux deux factions ennemis, dont l’une soutenue par le Japon, l’autre par la Grande‑Bretagne. À partir de 1923‑1924 il obtient le soutien de l’U.R.S.S. et le Guomindang accepte le principe d’un front uni impliquant l’intégration des communistes en son sein. Après la mort de Sun Yìxian en 1925, s’opère une scission au sein du Guomindang entre, d’une part, une fraction autour de Wang Jingwei et Song Qingling (veuve de Sun Yìxian) et, d’autre part, celle dirigée par Jiang Jieshi (Chiang Kai‑shek). En 1926 Jiang Jieshi l’emporte et exclut les communistes des organes dirigeants. Il organise une “expédition vers le Nord” dans l’objectif de reconquérir les provinces tenues par les divers gouverneurs. Le 12 avril 1927 un soulèvement des travailleurs de Shanghai, animé par le PCC, est réprimé par l’armée de Jiang Jieshi, le massacre fait des milliers de victimes. Nanjing devient le siège du gouvernement du Guomintang de Jiang Jieshi. Les communistes sont privés de leurs bases urbaines, Mao Zedong, Zhou Enlai et Zhu De rassemblent des troupes pour former une armée populaire de libération qui se regroupe dans les montagnes du Hunan puis du Jiangxi. En 1928 Jiang Jieshi marche vers le nord et entre en juin à Beijing, qui est déclaré capitale.
* “Trois Principes du peuple” (en chinois “Sanmin zhuyi”, “min” signifie peuple, citoyen): nation (minzu), démocratie (minquan), bienêtre (minsheng).
[5]. Dans l’original: "aide".
[6]. Congrès national indien.
Le Congrès national indien a été constitué comme mouvement politique en 1885 et devient ultérieurement un parti proprement dit (dénommé couramment Parti du Congrès). À partir de 1919 Mohandas Karamchand Gandhi (voir : ►) intervient comme un des principaux dirigeants.
[7]. Sur l’Indonésie, cf. L’Indonésie au 6e Congrès de l’Internationale communiste ‑ 1928 ►.
[8]. Mouvement d’indépendance du peuple marocain, 1925.
En 1925 l’impérialisme français mène une guerre (Pétain commandant les troupes françaises) pour réprimer le mouvement d’indépendance du peuple marocain et, en particulier, le soulèvement armé des Riffains (population du Riff, région du Nord du Maroc) que dirige Abd‑el‑Krim.
[9]. Révolte contre le mandat français en Syrie, 1925.
En juillet 1925, dans le sud de la Syrie, est déclenchée une révolte contre le mandat français (établi en avril 1920 sur décision de la Société des Nations) dans la zone montagneuse du Hawrān, habitée par une population druze (zone connue sous le nom de Djebel Druze). La révolte s’étend ailleurs en Syrie et au Sud-Liban. L’indépendance et l’unité syriennes sont les deux revendications défendues par les nationalistes pendant l’insurrection. En avril 1926, Souida, capitale du Djebel Druze est reprise par les troupes françaises. L’insurrection est réprimée complètement à la fin de l’été 1927.
[10]. L’impérialisme US au Nicaragua.
Au début du 19e siècle, dans le cadre de l’empire colonial espagnol, la région de l’Amérique centrale était organisée comme Royaume de Guatemala, qui comprenait les provinces de Ciudad Real de Chiapas, Guatemala, San Salvador, Comayagua (Honduras) et Nicaragua-Costa Rica. Le 15 septembre 1821 est signé un acte d’indépendance pour cette zone. Il est stipulé que sera formé un Congrès de Provinces, qui devra ratifier la déclaration.
À l’époque, au Mexique, Agustín de Iturbide vient de mener une campagne victorieuse pour l’instauration d’un empire monarchique séparé vis‑à‑vis de l’Espagne. Le Traité de Córdoba (ville au Mexique) signé le 24 aout 1821 entre Iturbide et le représentant de l’Espagne reconnait l’indépendance du Mexique et offre la couronne à Ferdinand VII d’Espagne ou un autre représentant des Bourbons. Le traité n’a jamais été ratifié par les Cortès d’Espagne, et le 18 mai 1822 Iturbide est proclamé empereur par les Cortès constituantes de Mexique. Il considère que les provinces du Royaume de Guatemala doivent être rattachées au Mexique, mais ce projet se heurte à la résistance de certains gouvernements provinciaux concernés, ce qui déclenche une campagne militaire mexicaine dans le but d’imposer l’annexion. Finalement la prétention d’Iturbide est mise en échec, le 1er juillet 1923 se réunit l’Assemblée nationale constituante des Provinces unies d’Amérique centrale, déclare l’indépendance absolue vis‑à‑vis de toute nation étrangère et établit la République fédérale d’Amérique centrale qui comprend les États de Guatemala, El Salvador, Honduras, Nicaragua et Costa Rica. Rapidement, surgissent des dissensions et des conflits armés. Le Nicaragua se sépare de la République le 30 avril de 1838, Honduras fait de même le 6 octobre, ainsi que le Costa Rica le 14 novembre, puis Guatemala le 17 avril de 1839.
Déjà en 1826 avait été formulé l’idée de construire une voie interocéanique à travers le territoire du Nicaragua. En 1833 une concession en ce sens est attribuée à une société à capitaux hollandais, mais ce projet n’aboutit pas, puis en 1849 une autre concession est attribuée à Cornelius Vanderbilt, entrepreneur yanquee. Entretemps, en 1847, des navigateurs britanniques avaient envahi San Juan del Norte au Nicaragua. En 1850 les USA et la Grande Bretagne signent le Traité dit Clayton-Bulwer. Son objet direct est d’éviter des conflits d’intérêt entre eux qui pourraient surgir dans l’hypothèse qu’un canal passant par le Nicaragua serait construit. Quels que puissent être les éventuels acteurs d’une telle entreprise, les deux signataires du traité s’engagent à garantir conjointement qu’eux‑mêmes pourront en bénéficier librement sans qu’une discrimination puisse intervenir au détriment de l’un ou de l’autre, ni de parties tiers. Au‑delà du projet précis envisagé pour le Nicaragua, le traité formule des dispositions du même type à portée générale:
Comme les gouvernements des USA et de la Grande‑Bretagne, en concluant cette convention, souhaitent non seulement poursuivre la réalisation d’un objet particulier, mais également établir un principe général, ils conviennent par la présente d’étendre leur protection, moyennant les clauses de ce traité, à toute autre voie de communication faisable, que ce soit par un canal ou par voie ferrée, à travers les isthmes qui unissent l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud, et plus particulièrement les communications interocéaniques pour lesquelles elles sont réalisables, soit par la voie de Tehuantepec, soit par celle de Panama. Cependant, en accordant leur protection commune aux canaux et aux voies ferrées mentionnées dans cet article, il est toujours entendu, de la part des USA et de la Grande‑Bretagne, que ceux qui construisent ou possèdent de tels canaux ou voies ferrées n’imposeront pas de charges ou conditions de trafic autres que celles que les gouvernements susmentionnés approuvent comme justes et équitables; et que ces canaux et voies ferrées, ouverts aux citoyens des USA et aux sujets de la Grande-Bretagne aux mêmes conditions, le seront également dans les mêmes conditions pour les citoyens ou les sujets de tout État ayant la volonté de donner à de tels voies de communication une protection telle que celle que les USA et la Grande‑Bretagne s’engagent à leur accorder. *
L’accord sera révoqué en 1900.
En 1855 les forces libérales de Nicaragua, pour éliminer leurs rivaux conservateurs, contractent un aventurier yanquee, William Walker, qui avec une bande de mercenaires occupe la ville de Granada. En 1856, il se proclame président du pays et cherche à réaliser l’annexion aux USA. Il déclare la légalisation de l’esclavage. En 1857 les forces libérales et conservateurs se coalisent contre lui et le mettent en déroute avec l’appui de troupes de Costa Rica, El Salvador et Guatemala.
Après une succession de gouvernements conservateurs depuis 1858, une Junte libérale présidée par José Santos Zelaya assume le pouvoir en 1893. Une nouvelle constitution est mise en vigueur. En 1905 Zelaya fait modifier cette constitution pour accentuer la concentration du pouvoir.
En 1904 débute la construction du Canal de Panamá, qui sera inauguré le 15 aout 1914. Les USA nécessitent tranquillité en Amérique centrale et invitent les cinq républiques centraméricaines à une Conférence de paix qui se termine par la signature, le 20 décembre 1907 à Washington, d’un Traité général de paix et d’amitié centraméricain. Une situation conflictuelle persiste entre le Nicaragua et le Honduras ainsi qu’El Salvador. Divers différends opposent Zelaya aux USA. Entre autre, est concernée une concession d’exploitation forestière acquise en 1894 par George D. Emery, concernant des bois d’acajou, cèdre, et autres. La concession incluait l’engagement de construire une ligne de voie ferrée et d’assurer le renouvèlement des arbres. Emery ne respecte pas ces clauses, Zelaya le menace de confiscation. Emery a recours à Philander C. Knox, avocat d’affaires, pour faire valoir des réclamations concernant des pertes qu’il aurait subi et pour lesquelles il demande compensation. Les relations se dégradent lorsque le 4 mars 1909 le président William Howard Taft nomme Knox comme Secrétaire d’État, mais un arrangement est conclu qui prévoit le paiement de 640.000 dollars à Emery à titre d’indemnisation, moyennant quoi celui‑ci renonce à la concession. Parmi les clients de Knox il y a aussi la société La Luz and Los Angeles Mining Company, qui détient une concession de mines d’or au Nicaragua. Knox a des liens personnels avec la famille Fletcher, propriétaire de La Luz and Los Angeles. Gilmore Fletcher gère la société, et son frère Henry occupe successivement des postes influents au Département d’État, jusqu’à devenir sous‑secrétaire.
En septembre 1909 deux aventuriers yanquee, Lee Roy Cannon et Leonard Groce, tentent de perpétrer un attentat aux explosifs contre un navire nicaraguayen transportant des soldats, ils sont appréhendés et fusillés.
En octobre, le général Juan José Estrada, libéral, gouverneur du port atlantique de Bluefields, déclenche une rébellion contre le président Zelaya et se proclame président provisoire, ceci avec l’appui des conservateurs dirigés par Adolfo Díaz Recinos ainsi que le général Emiliano Chamorro Vargas. Chamorro est appuyé par le président Estrada Cabrera de Guatemala. Cette opération a été planifiée et financée par des hommes d’affaires yanquees avec l’approbation tacite du consul US William Moffett. Díaz travaille comme comptable de La Luz and Los Angeles.
[Remarque: On peut rencontrer des textes qui mettent Knox, Fletcher et Díaz en lien non pas avec La Luz and Los Angeles Mining, mais avec la Rosario and Light Mines Company. Il semble que la confusion vient du fait qu’en 1973, la Luz Mines Limited a transféré les droits et obligations qu’elle détenait au Nicaragua, à la Rosario Mining of Nicaragua, Inc., filiale de Rosario and Light Mines.]
Les USA reconnaissent à Estrada le statut de "belligérant". Le 1er décembre 1909 ils rompent les relations diplomatiques avec le Nicaragua, par une note du Secrétaire d’État Knox transmise au chargé d’affaires nicaraguayen Felipe Rodríguez Mayorga**.
Le 21 décembre Zelaya, par l’intermédiaire du président du Congrès national, remet le pouvoir au ministre des Affaires étrangères José Madriz Rodríguez, libéral. Cet acte est considéré inacceptable pour Knox, et le gouvernement US poursuit son appui à Estrada et Chamorro. Dans un premier temps, le même mois, Madriz reprend Bluefields. En février 1910 des troupes libérales infligent une défaite aux troupes de Chamorro. En mai des navires US du corps des Marines, entrés dans le port de Bluefields, déclarent ce port "zone neutre". En aout l’armée de la rébellion occupe Managua, Madriz cède le pouvoir à José Dolores Estrada, frère de Juan José Estrada. Ce dernier assume la présidence, avec comme vice-président Díaz, conservateur.
En octobre 1910, l’ambassadeur US Thomas Dawson mène des négociations auxquelles participent Estrada, le Ministre des affaires étrangères Díaz, et le ministre de la Guerre Luis Mena Solórzano qui fait partie de la faction Chamorro. Le 27, est signé une série de pactes connus comme les Pactes Dawson, bien que ce dernier ne soit pas signataire. Il est convenu de convoquer une assemblée constituante, ceci dans l’optique que la présidence et la vice-présidence reviennent respectivement à Estrada y Díaz.
L’Assemblée constituante réunie en novembre, entièrement conservateur, prend une décision conforme à cette orientation. Luis Mena occupe le poste de ministre de la Guerre. Le gouvernement US reconnait ces nouvelles autorités. Or, Chamorro qui contrôle l’Assemblée constituante, ne coopère pas à la mise en oeuvre des Pactes Dawson. En avril 1911 Estrada dissout l’Assemblée, Chamorro quitte Nicaragua pour El Salvador. En mai Mena est arrêté, mais finalement Estrada renonce comme président. Díaz assume le gouvernement, il libère Mena. Les deux concluent un accord selon lequel Mena soutient Diaz pour le mandat en cours et aura le soutien de Diaz pour sa désignation en vue du mandat suivant, de la période 1913‑1916. En octobre, une nouvelle assemblée constituante entérine cette décision, en passant outre la convocation d’élections présidentielles. Mena entame des contacts pour établir une alliance avec les libéraux, tandis que Díaz demande l’aide du gouvernement US. Quant à Chamorro il menace de déclencher une nouvelle rébellion. Le 29 juillet 1912 Díaz nomme Chamorro général en chef des forces militaires de Nicaragua et lui donne instruction de destituer Mena comme ministre de la Guerre. Mena s’échappe à la ville de Granada. Le 1er aout l’Assemblée nationale réunie à Masaya en présence de Mena destitue Díaz, nomme Marcos Mairena pour le remplacer, et ratifie Mena pour la succession de 1913. Le général Benjamín Zeledón, libéral, ministre de la guerre à l’époque de Zelaya, rejoint Mena. Ses troupes coupent le chemin de fer à Léon, ce qui amène les USA à débarquer un contingent de Marines pour protéger les rentes du chemin de fer hypothéqué par le Nicaragua en faveur de banquiers yanquee. Mena est capturé et envoyé en exil à Panama. Zeledon est tué au cours des combats. Une garnison US reste installée durant une décennie.
En novembre 1912 se tiennent des élections présidentielles, Diaz est élu, il assume la fonction le 1er janvier 1913. Chamorro est nommé ambassadeur à Washington. Les conservateurs seront au pouvoir jusqu’en 1923, la loi martiale est en vigueur quasiment en permanence.
En 1914 le président Emiliano Chamorro signe le traité dit Bryan-Chamorro avec les USA: en échange de 3 millions de dollars US, les USA acquièrent le droit de construire un canal traversant le Nicaragua, de louer les grandes et les petites iles Little Corn et d’établir une base navale dans le Golfe de Fonseca. Le traité est ratifié en 1916.
Aux élections d’octobre 1916 est élu Chamorro, investi le 1er janvier 1917.
En avril 1918 est créée par les USA et Nicaragua une Haute Commission composée du ministre des Finances du Nicaragua, d’un commissaire US résident et d’un troisième membre nommé par le Secrétaire d’État US Robert Lansing. La Commission supervise les revenus de l’État du Nicaragua pour prélever des sommes à des fins de remboursement en faveur de créditeurs étrangers (dit "Plan Lansing").
En décembre 1919 Chamorro fait savoir qu’il est candidat pour les élections présidentielles à venir, mais le gouvernement US désapprouve l’éventualité, alors Chamorro fait en sorte qu’en novembre 1920 soit élu son oncle Diego Manuel, investi le 1er janvier 1920. Celui‑ci décède en octobre 1923, son vice-président Bartolomé Martínez González, conservateur anti-chamorro, assume l’intérim pour terminer la période 1921‑1924.
Carlos José Solórzano Gutiérrez, conservateur, et Juan Bautista Sacasa, libéral, sont élus respectivement président et vice-président en octobre 1924 et investis le 1er janvier 1925. Le gouvernement est reconnu par les USA.
En aout 1925 les troupes US se retirent du Nicaragua. En octobre, Chamorro déclenche une rébellion contre le gouvernement. Le président Solórzano le nomme commandant en chef de l’armée et destitue les membres libéraux de son gouvernement, Sacasa quitte le pays. Solórzano démissionne en janvier 1926, Chamorro assume le contrôle du gouvernement. Les gouvernements des USA, de Costa Rica, El Salvador, Guatemala et Honduras ne reconnaissent pas ce gouvernement.
En mai 1926, des rebelles loyales à Sacasa s’emparent de Bluefields et d’autres villes. Le congrès déclare l’état de guerre. Un navire de guerre US déploie des troupes à Bluefield pendant un mois. De son exile au Guatemala, Sacasa nomme le général José María Moncada commandant en chef de la rébellion. D’aout à octobre, 14 navires de guerre US sont déployés dans la région de Bluefields et Corinto. Chamorro démissionne comme président en octobre, Sebastián Uriza est désigné comme président provisoire.
Des rebelles libéraux commandés par Agustino Cesar Sandino attaquent des troupes gouvernementales à El Jicaro en novembre. Cette lutte armée se poursuivra jusqu’au retrait des troupes US en 1933.
En novembre 1926 Diaz, conservateur, est élu et investi comme président provisoire. Il est reconnu par le gouvernement US. En décembre Sacasa établit un gouvernement rebelle. Chamorro démissionne comme commandant en chef de l’armée. Diaz demande l’assistance militaire au gouvernement US, des troupes US établissent des zones neutres à Rio Grande Bar et Puerto Cabezas, puis en janvier 1927 aussi à Rama et Corinto. En mars les USA déploient environ 1.600 effectifs militaires dans cette dernière ville. Le président US Calvin Coolidge nomme Henry Stimson représentant spécial au Nicaragua. En aout une partie des troupes US est retirée du pays, il reste un effectif d’environ 1.200. En janvier 1928, environ 5.800 effectifs militaires sont à nouveau déployés.
En novembre 1928 le général José María Moncada, libéral, est élu président et investi le 1er janvier 1929. En novembre 1932 Sacasa est élu président et Rodolfo Espinoza vice-président, ils sont investis le 1er janvier 1933.
La lutte armée organisée par Sandino aboutit en 1933 au retrait des troupes US. L’ambassadeur US, Arthur Bliss Lane, prend soin cependant de placer Anastasio Somoza (marié à une des nièces du président Sacasa) au poste de commandant de la Garde nationale. En février 1933 un traité de paix est signé entre le président Sacasa et Sandino. En février 1934 Somoza, après s’être concerté avec Lane, organise et fait accomplir l’assassinat de Sandino. Puis il effectue un coup d’État en 1936 en destituant le président Sacasa, il se fait élire président en janvier 1937 et met en place par la suite un régime de dictature ouverte.
* Traité dit Clayton-Bulwer.
En anglais:
The governments of the United States and Great Britain having not only desired, in entering into this convention, to accomplish a particular object, but also to establish a general principle, they hereby agree to extend their protection, by treaty stipulations, to any other practicable communications, whether by canal or railway, across the isthmus which connects North and South America, and especially to the interoceanic communications, should the same prove to be practicable, whether by canal or railway, which are now proposed to be established by the way of Tehuantepec or Panama. In granting, however, their joint protection to any such canals or railways as are by this article specified, it is always understood by the United States and Great Britain that the parties constructing or owning the same shall impose no other charges or conditions of traffic thereupon than the aforesaid governments shall approve of as just and equitable; and that the same canals or railways, being open to the citizens and sub- jects of the United States and Great Britain on equal terms, shall also be open on like terms to the citizens and subjects of every other state which is willing to grant thereto such protection as the United States and Great Britain engage to afford.
[https://archive.org/details/jstor-25751541]
En espagnol:
Como los Gobiernos de los Estados Unidos y la Gran Bretaña, al celebrar este Convenio, desean, no solamente atender al logro de un objeto particular, sino también establecer un principio general, convienen por el presente en extender su protección, estipulaciones de tratados, a cualesquiera otras comunicación, practicables, sean por canal o por ferrocarril, a través de los istmos que unen la América del Norte a la del Sur, y especialmente a las comunicaciones interoceánicas a que sean practicables, ya por la vía de Tehuantepec o por la de Panamá. Sin embargo, al conceder su protección común a los canales y ferrocarriles mencionados en este artículo, es siempre entendido por los Estados Unidos y la Gran Bretaña que los que construyan o posean tales canales o ferrocarriles, no impondrán otros gravámenes y condiciones de tráfico que los que aprueben como justos y equitativos los Gobiernos antedichos; y que dichos canales y ferrocarriles, abiertos a los ciudadanos de los Estados Unidos y a los súbditos de la Gran Bretaña con iguales condiciones, lo estarán también con las mismas condiciones a los ciudadanos o súbditos de cualquier Estado que tenga la voluntad de dar a tales vías de comunicación una protección tal como la que los Estados Unidos y la Gran Bretaña se comprometen a darles.
[http://constitucionweb.blogspot.com/2012/03/tratado-clayton-bulwer-1850.html]
** Note du Secrétaire d’État Knox.
Traduit de l’anglais par nous [321ignition]:
Au vu des intérêts des États‑Unis et de leurs engagements pris par les conventions de Washington [de 1907], ce gouvernement a reçu des appels pour qu’il s’oppose à cette situation [régnante au Nicaragua], de la part de la majorité des républiques centraméricaines. Maintenant s’y ajoute l’appel, à travers la révolution, d’une grande partie du peuple nicaraguayen. Deux étatsuniens, au sujet desquels ce gouvernement est maintenant convaincu que s’étaient des officiels ayant une relation avec les forces révolutionnaires et qui, par conséquent, devaient être traités selon la pratique illustre des nations civilisées, ont été assassinés sur ordre direct du président Zelaya. […] De tous les points de vue il est de façon évidente devenu difficile pour les États‑Unis de retarder plus longtemps une réponse plus active aux appels réalisés depuis longtemps, à assumer ses responsabilités à l’égard de ses citoyens, à l’égard de leur dignité, à l’égard de l’Amérique centrale et à l’égard de la civilisation.
En anglais:
In view of the interests of the United States and of its relation to the Washington Conventions, appeal against this situation has long since been made to this Government by a majority of the Central American republics. There is now added the appeal, through the revolution, of a great body of the Nicaraguan people. Two Americans who, this Government is now convinced were officers connected with the revolutionary forces, and therefore entitled to be dealt with according to the enlightened practice of civilized nations, have been killed by direct order of President Zelaya. Their execution is said to have been preceded by barbarous cruelties. The consulate at Managua is now officially reported to have been menaced. There is thus a sinister culmination of an administration also characterized by a cruelty to its own citizens which has, until the recent outrage, found vent in the case of this country in a succession of petty annoyances and indignities which many months ago made it impossible to ask an American minister longer to reside at Managua. From every point of view it has evidently become difficult for the United States further to delay more active response to the appeals so long made to its duty to its citizens, to its dignity, to Central America, and to civilization.
[https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1909/d422]
En espagnol:
A la vista de los intereses de los Estados Unidos y de sus compromisos con las convenciones de Washington, este Gobierno ha recibido llamamientos para que se oponga a esta situación por parte de la mayoría de las repúblicas centroamericanas. Ahora se les suma el llamamiento, a través de la revolución, de una gran parte del pueblo nicaragüense. Dos estadounidenses, quienes este Gobierno está ahora convencido de que eran oficiales relacionados con las fuerzas revolucionarias y que, por lo tanto, debían ser tratados según la práctica ilustrada de las naciones civilizadas, han sido asesinados por orden directa del presidente Zelaya. […]Desde todos los puntos de vista se ha hecho evidentemente difícil para los Estados Unidos retrasar por más tiempo una respuesta más activa a los llamamientos realizados desde hace mucho a cumplir sus responsabilidades para con sus ciudadanos, para con su dignidad, para con Centroamérica y para con la civilización.
[https://www.uv.es/ivorra/Historia/SXX/Knox.html]
[11]. Dans l’original: "e:".
[12]. Insurrection des ouvriers agricoles de Patagonie, en Argentine, 1920‑1921.
En Argentine, en 1916, Hipólito Yrigoyen est élu président. Il forme un gouvernement composé de grands propriétaires fonciers et représentants du secteur de l’agro-exportation.
À Río Gallegos, capitale de la province de Santa Cruz, située dans la région nommée Patagonia, la Fédération ouvrière régionale argentine (Federación Obrera Regional Argentina, FORA) organise la Société ouvrière de professions diverses (Sociedad Obrera de Oficios Varios) de Río Gallegos, dirigée par un anarchiste espagnol, Antonio Soto. (Il s’agit de la FORA dite "du cinquième congrès". En 1901 s’était constituée la Fédération ouvrière argentine (FOA) réunissant anarchistes et socialistes. En 1904 elle avait changé son nom en Fédération ouvrière régionale argentine, en 1905 à son 5e congrès les anarchistes avaient obtenu une large majorité, puis après le 9e congrès tenu en 1915, une scission s’était produite: les anarchistes tiennent ensuite un premier congrès séparé, se réclamant du 5e congrès de la FORA, tandis que les partisans du syndicalisme neutre poursuivent la FORA dans la continuité du 9e congrès.)
Río Gallegos est alors un centre de production de laine destinée à l’exportation, où se trouvent de grandes exploitations agricoles et aussi des dépôts frigorifiques à capitaux britanniques. Le gouverneur de Santa Cruz est Edelmiro Correa Falcón, secrétaire du la Société rurale argentine (Sociedad rural argentina) de Santa Cruz et futur membre de la Ligue patriotique argentine (Liga Patriótica argentina) de Santa Cruz.
En septembre 1920, la Société ouvrière demande à Correa l’autorisation d’organiser un acte en hommage à Francisco Ferrer, un anarchiste fusillé en Espagne. Correa refuse, il fait perquisitionner les locaux de la Société ouvrière. Une grève de 48 heures est déclenchée, des délégués des travailleurs se rendent à Rio Gallegos pour présenter une liste de revendications, exigeant essentiellement des améliorations des conditions de travail et la reconnaissance de la Société ouvrière. En octobre, la police procède à l’arrestation des syndicalistes en charge de la Société ouvrière, en majorité des immigrés. Ils sont menacés d’expulsion, la Société ouvrière déclare la grève dans toute la province. Elle obtient la libération de ses camarades. Cependant le conflit se poursuit sur la base de demandes formulées antérieurement.
Les éleveurs de la Ligue des marchands et des industriels (Liga de Comerciantes e Industriales) ne reconnaissent ni la Société ouvrière ni les délégués des ouvriers agricoles, et refusent d’accepter les demandes. Après une tentative infructueuse d’imposer des briseurs de grève, les employeurs accordent une partie des revendications des travailleurs, à condition que les délégués soient choisis en accord avec eux, en tenant compte de la conduite et de l’ancienneté et se réservant le droit d’admission, c’est‑à‑dire les délégués ne sont pas assurés de leur emploi. Les délégués acceptent la proposition, Soto et son groupe la rejettent. La grève se poursuit, elle s’étend à Puerto Deseado en décembre, où s’y joignent les travailleurs du magasin général "La Anónima" appartenant à Mauricio Braun, un des principaux propriétaires terriens de la zone. Des affrontements armés se produisent, au cours desquels des travailleurs sont tués.
Le 2 janvier 1921 Yrigoyen ordonne au lieutenant-colonel Héctor Benigno Varela d’intervenir, et nomme un nouveau gouverneur par intérim, le capitaine Ángel Ignacio Yza. Dans un premier temps, un règlement du conflit selon des termes dictés par Yza est accepté par les deux parties et validé par le Département du travail le 22 février. Varela ordonne la reddition des grévistes, et les employeurs reconnaissent la Société ouvrière. Mais en juillet les propriétaires terriens modifient leur attitude et décident de récuser le règlement prononcé par Yza. Le 24 octobre les locaux de la FORA à Río Gallegos, Puerto Deseado, San Julián, Puerto Santa Cruz sont perquisitionnés, les dirigeants ouvriers sont arrêtés. Des personnes qui avaient participé aux grèves sont emprisonnés, des militants persécutés, des travailleurs expulsés (chiliens, espagnols, italiens). Une deuxième grève générale est initiée en Santa Cruz pour obtenir la libération des prisonniers politiques, les grévistes occupent des fermes, saisissent des armes et de la nourriture.
Le 5 novembre 1921 Río Gallegos est paralysé, ni fermes, ni hôtels et commerces ne fonctionnent. Des milliers de travailleurs défilent dans la ville avec des drapeaux rouges. La Société rurale et la Ligue patriotique exigent une "solution définitive". Le 10 Varela revient à Río Gallegos et impose la "peine d’exécution" contre les ouvriers agricoles et les travailleurs en grève. Le 11, la première exécution à lieu frappant l’ouvrier chilien Triviño Carcomo, le 22 le dernier groupe de combattants est abattu, celui dirigé par Jose Font. Au total environ 1500 ouvriers et dirigeants syndicaux ont été fusillés.
[13]. sic.
[14]. Le système des Zamindari, en Inde.
Le système des zamindari a été instauré en Inde au temps de l’Empire moghol pour ensuite être renforcé par les Britanniques en 1793. Dans l’Empire moghol, c’était le raj qui avait le droit de prélever des impôts fonciers. Or, il avait concédé la levée des taxes à des sortes de fermiers de l’impôt, et ce sont ces derniers que l’on appelle zamindari (zamindar au singulier). Ces zamindari sont l’équivalent des saulniers au temps de la monarchie française ou des publicains dans l’Empire romain. Ils étaient réputés pour lever des impôts de beaucoup supérieurs à ce qu’ils devaient rendre à leurs supérieurs, et comme il y avait toute une série d’intermédiaires entre le raj et le simple paysan, celui‑ci devait payer des sommes astronomiques puisque chaque zamindar dans la chaine gardait un certain pourcentage des taxes récoltées.
Les Britanniques, à leur arrivée en Inde, ont voulu créer une classe de grands propriétaires dont ils espéraient une certaine efficacité économique et un soutien politique, et c’est pourquoi ils ont renforcé ce système des zamindari, voyant en eux des alliés éventuels. Peu après l’indépendance de l’Inde, en 1949, l’Acte d’abolition des zamindari, préparé notamment par le président Jawaharlal Nehru et le ministre du Revenu Prakasam, supprimait officiellement les privilèges des zamindari en 1953.
[15]. Coolie.
Coolie, utilisé en général dans un sens péjoratif, désigne des travailleurs ou porteurs non qualifiés, en Extrême-Orient ou provenant de cette région, contractés pour des salaires bas, de subsistance. Le commerce de coolies débute vers la fin des années 1840, en réaction à la pénurie de force de travail causé par les mouvements en faveur de l’abolition de l’esclavage. La majorité de cette main-d’oeuvre est alors transportée par bateau à partir de la Chine, notamment des ports d’Amoy et Macao, pour être employé au développement de régions coloniales européennes comme Hawaii, Ceylan, Malaisie, les iles Caraïbes. La plupart des coolies se trouvent dans cette situation moyennant une négociation volontaire, bien que kidnapping, duperie et fraude interviennent également. Vers la fin du 19e siècle, l’immigration libre commence à l’emporter sur commerce de coolies.
Origines étymologiques possibles: Kol (en Inde, nom d’une tribu classée comme caste inférieure); Kuli (Tamoul, signifiant salaires).
[16]. Dans l’original: "et de l’usure".
[17]. Parti Swaraj.
Après le recul de Mohandas Gandhi en réaction aux évènements de Chauri Chaura (voir : ►), apparait durant la session du Congrès national indien (voir : ►) tenue en janvier 1923 une faction désignée comme Parti Swaraj *. Le Parti Swaraj en tant que tel se constitue durant une réunion tenue les 16‑17 aout 1924 à Kolkata. Il critique l’orientation du mouvement de non‑coopération telle qu’elle est façonnée par Gandhi. D’un point de vue pratique, contrairement au courant gandhiste, il préconise la participation aux conseils législatifs [Legislative Councils] comme un des moyens de mettre en oeuvre l’opposition à la domination coloniale. Les principaux dirigeants du Parti Swaraj sont Vitalbhai Patel dans la province de Bombay, Motilal Nehru (père de Jawaharlal Nehru) en Inde du Nord, Chitta Ranjan Das en Bengale et Inde du Sud.
Mohandas Gandhi vécut en Afrique du Sud de 1893 à 1914. En novembre 1909, durant en voyage qui le ramène en Afrique du Sud après un séjour en Grande-Bretagne, il rédige, en goujarati, un texte intitule "Hind Swaraj" qui est publié d’abord en décembre dans la langue d’origine par le journal Indian Opinion sous le titre "Hind Swarajya", et imprimé séparément en janvier 1910. En mars suivant, l’administration britannique interdit la publication et sa circulation. Gandhi insiste en publiant le texte en anglais ("Hind Swaraj or Indian Home Rule"), traduit par lui-même.
Le terme swaraj (svarāj) est la forme que prend en hindi le substantif sanskrit svarājya. Il y désigne la puissance autonome propre à chacun des grands dieux du panthéon de l’Inde védique. Une variante de ce mot, svārājya, beaucoup plus répandue, couvre aussi un champ sémantique plus large, le fait d’être à soi‑même son propre souverain. L’individu humain qui réalise cette relation avec le "soi" impersonnel et cosmique devient son propre souverain (svarāj), "il peut tout ce qu’il veut dans tous les mondes" (Chāndogya Upanişad VII 25, 2).
[18]. Wafd, en Égypte.
En novembre 1918 est formé en Égypte le Wafd (Wafd signifie “délégation” en arabe) par Saad Zaghloul afin de participer à la conférence de Versailles où les puissances européennes négocient les accords de paix et déterminent le sort des anciennes provinces ottomanes. La délégation entend y défendre l’indépendance de l’Égypte. Le 13 novembre 1918, la délégation rencontre Reginald Wingate, haut-commissaire britannique en Égypte, pour lui faire part de ses revendications, ce dernier refuse de la laisser quitter l’Égypte pour négocier avec le gouvernement britannique. En mars 1919, Saad Zaghloul et les principales personnalités de la délégation sont arrêtés et exilés à Malte.
D’importantes manifestations populaires et grèves éclatent dans l’ensemble du pays. La répression dirigée par le général britannique Edmund Allenby fait des milliers de morts. Les autorités britanniques sont contraintes de libérer les dirigeants du Wafd au mois d’avril et d’autoriser Zaghloul à rentrer de son exil. Le protectorat britannique est officiellement reconnu par les puissances européennes réunies à Versailles. Les agitations populaires et les manifestations antibritanniques s’intensifient, les mouvements de grèves perdurent encore en 1921. En décembre 1921, Zaghloul est de nouveau arrêté et exilé.
En février 1921 est créée la Fédération de syndicats égyptiens (FSE). En aout de la même année se constitue le Parti socialiste égyptien (PSE), il détient une influence dominante dans la direction de la FSE. En juillet 1922 une aile marxiste opère une scission au sein du PSE en excluant l’aile dont l’orientation est inspirée par la Fabian Society, et postule pour l’adhésion à l’International Communiste. Sur cette base se constitue en décembre de la même année le Parti communiste d’Égypte (PCE).
Le 21 février 1922 le gouvernement britannique se dit prêt à renoncer au protectorat sur l’Égypte, et Fouad, pacha d’Égypte de 1917 à 1922, devient roi d’Égypte sous le nom de Fouad Ier. Une constitution est promulguée le 19 avril 1923. Toutefois, l’armée britannique reste sur le territoire, et si le pouvoir exécutif revient au roi, la Grande-Bretagne se réserve le contrôle des voies de communication, la défense, la protection des intérêts étrangers et des minorités; elle maintient l’occupation du Soudan.
Lors des premières élections législatives de janvier 1924 le Wafd obtient une large victoire avec 195 des 214 sièges à la chambre. Le parti se veut laïc et libéral, sa ligne directrice reste la lutte pour l’indépendance complète de l’Égypte. Il n’a pas de liens avec les travailleurs, il a des liens parmi les grands propriétaires fonciers et mobilise une partie de la petite notabilité rurale et des couches moyennes urbaines.
Le gouvernement interdit la tenue d’une conférence convoquée par le PCE. Les travailleurs répondent par des mouvements de protestation, le PCE appelle à la grève générale. Les dirigeants communistes et des travailleurs sont arrêtés, la FSE est dissoute. Sept membres du parti sont condamnés à des peines de prison, des membres du parti, et des travailleurs non égyptiens, sont déportés. Durant toute la période suivante, le gouvernement arrête périodiquement des résidents étrangers qui tentent de développer une activité communiste. Les syndicats ne seront reconnus légalement qu’en 1942.
Rapidement, les succès électoraux du parti Wafd gênent le roi Fouad Ier qui dissout le gouvernement Wafd à plusieurs reprises, et gouverne par décrets. En 1927, après la mort de Zaghloul, Nahhas Pacha reprend la direction du parti.
Le Wafd s’oppose aux gouvernements de Ziwar Pasha et Muhammad Mahmoud Pasha. Il arrive au gouvernement de mars à juin 1928 et tente de rétablir la fédération syndicale. Il revient au gouvernement de janvier à juin 1930, plusieurs représentants du Wafd constituent alors une nouvelle fédération syndicale. Daoud Ratib, associé au Parti libéral constitutionaliste, établit une fédération concurrente. Selon certaines informations, il agit en collusion avec le roi Fouad. Toutefois, des éléments pro-Wafd à l’intérieur de la fédération de Ratib accaparent la direction en 1930 et le remplacent par le prince Abbas Halim, un renégat de la famille royale. Le roi dissout de nouveau le gouvernement wafdiste et le pouvoir revient à Ismaïl Sidqi qui, avec le roi, rédige et promulgue une nouvelle Constitution qui contrôle mieux les partis politiques et renforce les pouvoirs du gouvernement et de la monarchie. Sidqi dissout la fédération syndicale d’Abbas Halim. Le gouvernement de Sidqi tombe en 1933, Abbas Halim et le Wafd coopèrent pour rétablir la fédération syndicale.
[20]. Mohandas Karamchand Gandhi, dit “Mahatma”.
À partir de 1919 Mohandas Gandhi intervient comme un des principaux dirigeants du Congrès national indien (voir : ►). Le 6 février 1919 l’administration britannique en Inde proclame avec effet immédiat le Rowlatt Act, qui donne au gouvernement le pouvoir d’arrêter et emprisonner sans procédure quiconque pour des offenses politiques. Le 24 Gandhi et un certain nombre de ses partisans se réunissent à Ahmedabad (État du Gujarat), dans un lieu dénommé Sabarmati Ashram (connu aussi comme Satyagraha Ashram); est adopté un document d’engagement à la désobéissance civile. Le terme principal associé à cette campagne est “Satyagraha”, qui étymologiquement signifie l’étreinte (graha) de la vérité (satya). Le 30 mars se produisent des affrontements de protestation violents à Delhi, la police ouvre le feu. Gandhi émet un appel au calme et contre la violence. Le 10 avril il est arrêté. Des affrontements violents s’ensuivent à Ahmedabad, Amritsar, Lahore, la police ouvre le feu, les manifestants ripostent par des attaques violentes contre des lieux liés au pouvoir britannique. Gandhi est relâché le 11, il réitère son appel à la non‑violence. Les affrontements se poursuivent, à Ahmedabad, Lahore, Bombay (aujourd’hui Mumbai), Viramgam, Nadiad, Amritsar, Calcutta (aujourd’hui Kolkata), Gujranwala. Le 13, un massacre est perpétré par les Britanniques durant une réunion publique de masse à Amritsar, dans un jardin dénommé Jallianwala Bagh. La loi martiale est proclamée dans le Pendjab. Le 14, Gandhi réprimande la population pour les comportements violents et annonce un jeûne de trois jours de sa part à titre de pénitence. Le 16, il assure le gouvernement de son soutien, dans une lettre adressée au commissaire de la division du Nord (Mumbai). Les affrontements se poursuivent, à Gujranwala, Delhi, dans le Pendjab, des dirigeants sont déportés. Finalement le 18, Gandhi annonce une suspension temporaire de la désobéissance civile.
En janvier 1922 Gandhi remet à nouveau à l’ordre du jour l’idée de la désobéissance civile, en y associant la revendication adressée à l’administration britannique que soit déclarée la politique de la non-interférence absolue vis‑à‑vis d’actions non violentes, ainsi que la liberté de la presse sans aucun contrôle administratif. Il fait part de cette demande au Vice-roi en lui adressant une lettre, qu’il signe: "Je reste, Votre Excellence, votre fidèle serviteur et ami. M. K. Gandhi." * Le 4 février, à Chauri Chaura (dans la province dénommée United Provinces, UP), se produisent des affrontements, un poste de police est attaqué, 21 policiers et gardiens sont tués. Le 10, Gandhi annonce sa décision de stopper immédiatement le mouvement de désobéissance civile. Le 12 il entame un jeûne de cinq jours de sa part à titre de pénitence.
Le 15 février 1930, le comité de travail du Congrès national réuni à Ahmedabad autorise Gandhi et ceux qui croient en la non‑violence de lancer un mouvement de désobéissance. Le 27, Gandhi dans un article du périodique qu’il édite, Young India, exhorte ses partisans notamment en les termes suivants:
Cette fois, lors de mon arrestation il doit y avoir non pas une non‑violence muette, passive, mais une non‑violence du type le plus active devra être déployée, de sorte que pas un seul adepte de la non‑violence, en tant qu’article de foi aux fins de réaliser le but de l’Inde, devra se trouver libre ou vivant, au bout de l’effort de ne plus se soumettre à l’esclavage existant. **
Le 12 mars, accompagné de 78 volontaires il part de Sabarmati pour une marche qui atteint la côte à Dandi, le 6 avril. Le 5 mai il est arrêté à Karadi.
La période consécutive, 1930‑1931, est marquée par une accentuation de la lutte des masses indiennes contre l’occupation coloniale. Quant à Gandhi, il finit par se persuader de la vanité des remontrances qu’il adressait à maintes reprises à ceux qui recourent à la violence, spontanément ou de manière organisée; il ne renonce pas pour autant à ses positions orientées obstinément vers la collaboration de classe, guidées par les intérêts de la bourgeoisie indienne.
* Traduit de l’anglais par nous [321ignition]:
I remain, Your Excellency’s faithful servant and friend.
[Collected Works of Mahatma Gandhi, Volume 26; Publications Division, Ministry of Information and Broadcasting, Government of India, 2000; p. 60‑62.]
** Traduit de l’anglais par nous [321ignition]:
This time on my arrest there is to be no mute, passive non‑violence, but non‑violence of the activest type should be set in motion, so that not a single believer in non‑violence as an article of faith for the purpose of achieving India’s goal should find himself free or alive at the end of the effort to submit any longer to the existing slavery.
[Collected Works of Mahatma Gandhi, Volume 42; Publications Division, Ministry of Information and Broadcasting, Government of India, 1970; p. 497.]
[21]. Sarekat Islam, en Indonésie.
Le Sarekat Dagang Islam (Union des commerçants islamiques, SDI) est créé en 1911. À l’origine il s’agit d’un mouvement de fabricants de batik de Java oriental et central, avec pour but la protection de leur commerce de batik contre les concurrents chinois. Ce type d’organisation existe aussi ailleurs; la même année, une organisation du même nom est fondée à Batavia (ancien nom de Jakarta) et à Buitenzorg (Bogor) au Java occidental.
En 1912 l’organisation se transforme en mouvement plus large et prend le nom de Sarekat Islam (SI). Parmi les dirigeants figurent Omar Said Tjokroaminoto, Agus Salim. Le Sarekat Islam est basée sur une idéologie islamique moderniste. Il tient son premier congrès en 1913.
Le gouvernement colonial refuse la reconnaissance légale du Sarekat Islam en tant que mouvement national; il reconnait uniquement ses branches locales comme unités indépendantes.
Dès le départ, la direction du mouvement est confrontée aux militants de la branche de Semarang étroitement lié aux forces politiques de gauche présentes dans cette ville, en particulier le Indische Sociaal-Democratische Vereeniging (ISDV).
En 1916 le Sarekat Islam tient un congrès à Bandung et prend la décision de demander l’établissement de l’autonomie pour l’Indonésie, en coopération avec les Pays‑Bas.
Le congrès suivant se tient en 1917. Cette même année le gouvernement colonial néerlandais vient d’établir le Volksraad (Conseil du peuple) qui a des attributions uniquement consultatives. Le congrès discute de l’attitude à adopter vis‑à‑vis de cet organisme. La branche de Semarang se prononce pour un refus de coopérer avec le Volksraad. Par la suite, seulement quelques membres du Sarekat Islam y participeront, en particulier Agus Salim. Le congrès discute également de la position du Sarekat Islam par rapport au système capitaliste. La direction refuse de dénoncer le capitalisme en tant que tel. Elle propose de faire la distinction entre deux formes de capitalisme, l’une "inique", l’autre "légitime", la première correspondant au capitalisme étranger, la deuxième au capitalisme autochtone.
Vers 1918, le Sarekat Islam demande une action immédiate pour soulager le fardeau pesant sur les masses de travailleurs et refuse de continuer la coopération avec le Volksraad. Mais dans son soutien aux syndicats et aux actions de grève, la direction est prudente et utilise des termes tels que "violence moralement justifiée" et "résistance passive". La branche de Semarang pousse au développement d’un mouvement syndical révolutionnaire, mais la direction se limite à demander un code du travail, un salaire minimum, l’abolition du travail des femmes et des enfants, un horaire maximum (ce qui signifie l’abolition du système des coolies) et une pension pour les personnes âgées.
Le congrès de 1920 du Sarekat Islam expose pour la première fois les relations entre la colonie et les Pays‑Bas en termes marxistes. Le marxisme est accepté de façon générale, avec la précision que cela n’implique pas la coopération avec des organisations socialistes étrangères.
La direction du Sarekat Islam décide de prendre position contre les communistes. Au congrès tenu en 1921, Agus Salim présente une motion stipulant que les membres du Sarekat Islam ne peuvent pas appartenir simultanément à un autre parti; elle est adoptée. Les communistes accusent la direction de soutenir des concepts capitalistes et de promouvoir des idées panislamiques. Agus Salim emploie l’argument selon lequel le Prophète a suivi les idées marxistes longtemps avant Marx.
Se produit alors une scission entre l’aile droite et l’aile gauche. De nombreuses branches du Sarekat Islam se scindent en une faction Sarekat Islam Putih (Sarekat Islam Blanc) et une faction Sarekat Islam Merah (Sarekat Islam Rouge). La plus grande partie de l’aile gauche rejoint le Perserikatan Komunis di Hindia (PKH) *, d’autres entreront plus tard au Partai Nasional Indonesia (PNI). Certains parmi ceux qui considèrent que le Sarekat Islam s’est écarté de sa base islamique, adhèrent à l’organisation Persyarikatan Muhammadiyah, tandis que d’autres fondent le Nahdlatul Ulama. Le Sarekat Islam est fortement affaibli.
En 1923 Tjokroaminoto crée le Partai Sarekat Islam (Parti de l’union islamique) qui en 1929 est renommé en Partai Sarekat Islam Indonesia (Parti de l’union islamique d’Indonésie, PSII). Tjokroaminoto décède en 1934. Son frère Abikusno Tjokrosujoso lui succède à la direction du PSII.
Les communistes organisent le Sarekat Rayat Merah comme société rivale par rapport au Sarekat Islam, ainsi qu’un secrétariat syndical rouge. La campagne communiste débouche sur une vague de grèves à la fin de 1925 et culmine en un certain nombre de désordres violents simultanés en Java et Sumatra, puis encore en janvier 1927. Le gouvernement réprime les mouvements et instaure un camp d’internement en Nouvelle Guinée, où des milliers de communistes sont déportés.
* En 1914 est fondé le Indische Sociaal-Democratische Vereenigung avec comme principal dirigeant Henk Sneevliet. C’est la première organisation marxiste en Indonésie. D’abord européen en ce qui concerne les membres, des Indonésiens adhèrent par la suite, dont Semaun, Tan Malaka, Alimin Prawirodirdjo. En 1920, l’ISDV se transforme en Perserikatan Komunis de Hindia, puis en Parai Komunis Indonesia.
[22]. Congrès républicain, en Inde.
Dès la formation du Congrès national indien (voir : ►), la formulation des objectifs au sujet des rapports de l’Inde avec la Grande-Bretagne était sujette à controverses. D’une façon ou d’une autre, le rejet de la domination qu’exerçait la Grande-Bretagne comme puissance coloniale était mitigé par l’idée qu’il fallait maintenir des liens étroits avec celle‑ci. Ainsi il était envisagé de demander pour l’Inde un statut de "Dominion". Les dominions se distinguent des autres colonies par l’existence d’un certain de degré d’autonomie de gouvernement, néanmoins le monarque du Royaume Uni reste chef constitutionnel de l’État et des pouvoirs politiques dans le domaine des affaires constitutionnelles sont réservés au parlement britannique. En décembre 1927 se tient la session annuel du Congrès national, à Madras. Il approuve une résolution soumise par Jawaharlal Nehru selon laquelle: "Ce congrès déclare que l’objectif du peuple indien comme étant l’indépendance nationale complète" *. Keshav Nilkanth Joglekar (membre du Comité exécutif du Parti communiste d’Inde, et du Parti ouvrier et paysan formé au Bengale (voir : ►), après avoir attaqué les dirigeants du Congrès national engagés dans "une ignoble guerre intestine de caractère personnel et communautaire" avait soumis un projet de résolution: "L’objectif du Congrès national indien est l’établissement de la République fédérale socialiste des soviets d’Inde" **. Ce projet avait été inclus de façon considérablement remaniée dans la résolution adopté par le Congrès.
Le 28 décembre, après la fin de la session du Congrès national, se réunit un "Congrès républicain". J. Nehru est élu président et Muzaffar Ahmad (membre du Parti Swaraj ouvrier ‑ voir : ► ‑ et de la direction du PCI) comme un des membres du secrétariat. L’initiative restera sans suite.
Mohandas Gandhi exprime son désaccord avec cette résolution. À la session suivante du Congrès national, en 1928 à Calcutta (aujourd’hui Kolkata), lui, de même que le président de la session Shri Motilal Nehru (père de J. Nehru), déclarent qu’ils acceptent le statut de dominion s’il est accordé par le gouvernement britannique avant le 31 décembre 1929 minuit.
À la session de 1929, à Lahore, compte tenu du refus par le gouvernement britannique de répondre positivement à cette demande, une résolution est adoptée qui déclare comme objectif l’indépendance nationale complète:
Ce Congrès approuve l’action du Comité de travail en lien avec le manifeste signé par des chefs de parti, y compris des membres du Congrès, sur la déclaration du vice-roi du 31 octobre sur le statut de Dominion, et se félicite des efforts déployés par le vice-roi en vue de régler la question du mouvement national orienté vers le Swarajya (voir : ►). Le Congrès, toutefois, après avoir examiné tout ce qui s’est passé depuis et le résultat de la réunion entre Mahatma Gandhi, Pandit Motilal Nehru et d’autres dirigeants et le vice-roi, est de l’avis que dans les circonstances actuelles rien ne pourrait être obtenu au moyen d’une représentation du Congrès lors de la Table ronde proposée. Par conséquent, conformément à la résolution adoptée lors de sa session à Calcutta l’année dernière, ce Congrès déclare que le mot "Swarajya" figurant à l’article premier de la constitution du Congrès doit signifier "indépendance complète" et déclare en outre que le schéma tout entier du rapport du Comité Nehru est devenu caduc, et espère que tous les membres du Congrès consacreront désormais leur attention exclusive à la réalisation de l’indépendance complète de l’Inde. ***
Le 26 janvier 1930, a lieu symboliquement la déclaration de l’indépendance:
Nous pensons qu’il est le droit inaliénable du peuple indien, comme de tout autre peuple, de jouir de la liberté, du fruit de son travail et des nécessités de la vie, afin qu’ils aient les pleines opportunités de développement. Nous pensons également que si un quelconque gouvernement prive un peuple de ces droits et l’opprime, les personnes ont de plus le droit de le modifier ou de le supprimer. Le gouvernement britannique en Inde a non seulement privé le peuple indien de sa liberté, mais s’est fondé sur l’exploitation des masses et a ruiné l’Inde sur les plans économique, politique, culturel et spirituel. Nous pensons donc que l’Inde doit rompre le lien avec la Grande-Bretagne et atteindre Purna Swaraj (voir : ►) ou indépendance complète. ****
* Traduit de l’anglais par nous [321ignition]:
This Congress declares the goal of the Indian people to be complete National Independence.
[Indian National Congress: The Congress and the National Movement (from a Bengali Standpoint), M.L. Sarkar, 1928; p. 99.]
** Traduit de l’anglais par nous [321ignition]:
The aim of the INC is the establishment of the Federated Socialist Soviet Republic of India, based on Universal Adult Franchise.
[Georges Kristoffel Lieten, Colonialism, class and nation – the confrontation in Bombay around 1930; Calcutta, K. P. Bagchi & Co., 1984; p. 98.]
*** Traduit de l’anglais par nous [321ignition]:
This Congress endorses the action of the Working Committee in connection with the manifesto signed by party leaders, including Congressmen, on the Viceregal pronouncement of the October 31 relating to Dominion Status, and appreciates the efforts of the Viceroy towards a settlement of the national movement for Swarajya. The Congress, however, having considered all that has since happened and the result of the meeting between Mahatma Gandhi, Pandit Motilal Nehru and other leaders and the Viceroy, is of opinion that nothing is to be gained in the existing circumstances by the Congress being represented at the proposed Round Table Conference. This Congress, therefore, in pursuance of the resolution passed at its session at Calcutta last year, declares that the word “Swarajya” in Article I of the Congress constitution shall mean Complete Independence, and further declares the entire scheme of the Nehru Committee’s Report to have lapsed, and hopes that all Congressmen will henceforth devote their exclusive attention to the attainment of Complete Independence for India.
[Congress Hand-book, Indian National Congress, All India Congress Committee, 1946; p. 255.]
**** Traduit de l’anglais par nous [321ignition]:
We believe that it is the inalienable right of the Indian people, as of any other people, to have freedom and to enjoy the fruits of their toil and have the necessities of life, so that they may have full opportunities of growth. We believe also that if any government deprives a people of these rights and oppresses them the people have a further right to alter it or to abolish it. The British government in India has not only deprived the Indian people of their freedom but has based itself on the exploitation of the masses, and has ruined India economically, politically, culturally, and spiritually. We believe, therefore, that India must sever the British connection and attain Purna Swaraj or complete independence.
[Ramananda Chatterjee, The Modern Review, Volume 47, Prabasi Press Private, Limited, 1930; p. 274.]
[23]. Al‑Hizb al‑Watani, en Égypte.
La Grande‑Bretagne occupe militairement l’Égypte depuis 1882. En 1907 se constitue le Parti nationaliste (al‑Hizb al‑Watani) autour du journal al‑Liwa dirigé par Mustafa Kamil. Les deux principaux objectifs du parti sont le retrait complet de la Grande‑Bretagne et l’unification du Soudan avec l’Égypte. Après le décès de Kamil en 1908, la direction du parti est assumée par Muhammad Farid, qui entretient des relations avec des représentants de l’Internationale socialiste. Al‑Watani développe une activité en direction des travailleurs. Il est à l’origine de la création en 1909 de l’Union des artisans (Niqabat ‘Ummal al‑Masani’ al‑Yadawiyya), à laquelle se joignent aussi quelques travailleurs de l’industrie. Al‑Watani noue en outre des liens avec les travailleurs des chemins de fer, du tramway et des services publics. Une Association des travailleurs du tramway du Caire est créée.
La répression colonialiste britannique s’accentue. En 1909 est imposée la censure de la presse, une loi d’expulsion administrative est adoptée. En 1911 Horatio Kitchener est nommé Proconsul pour l’Égypte, al‑Watani est frappé, beaucoup de ses dirigeants sont exilés. En 1914 la Grande‑Bretagne profite de l’entrée en guerre de l’Empire ottoman aux côtés des empires centraux pour assoir son pouvoir en instaurant un protectorat sur l’Égypte. L’assemblée législative est dissoute, la loi martiale instaurée. De nouveau des membres d’Al‑Watani sont expulsés.
Une vague de grèves débute en aout 1917 et débouche sur un soulèvement national en mars 1919. Al‑Watani est principalement orienté vers la lutte de libération nationale et plaide pour la réunion de tous les travailleurs, y compris ceux de l’industrie, au sein de l’Union des artisans, pour transformer celle‑ci en organisation politique. Ce projet s’avère impraticable dans le contexte de l’extension des rapports de production capitalistes qui implique la tendance vers la formation de syndicats séparés pour les travailleurs.
[25]. Dans l’original: "conquit".
[26]. "Partis ouvriers et paysans", en Inde.
Suite au 2e Congrès de l’Internationale communiste tenu en 1920, celle‑ci organise le 1er Congrès des peuples de l’Orient, à Bakou en septembre 1920. En octobre est formé un parti communiste indien (nommé indifféremment "indien" ou "d’Inde"), à Tachkent, dans la République socialiste soviétique autonome du Turkestan. Il rassemble sept membres: Manabendra Nath Roy, Evelyn Roy‑Trent, Abaninath Mukhopadhyaya Mukerjee (Mukherji) (connu aussi sous le pseudonyme de Shahi), Rosa Fitingov, Khoshi Mohammad (pseudonymes: Mirza Mohammad Ali, Ahmed Hasan), Mohammad Shafiq Siddiqui (nommé alternativement Mohammad Shafiq ou Mohammad Siddiqui), Madayam Parthasarathi Tirulamai Acharya (variante d’écriture: Tirumala) (qui signe Prativadi Bayankar Acharya).
M. Shafiq est élu secrétaire du parti, M. N. Roy secrétaire du bureau du parti basé au Turkestan socialiste. À sa première réunion, le 17 octobre, l’organisation adopte les principes de l’IC et décide d’élaborer un programme. Il élit un Comité exécutif formé par M. N. Roy, M. Shafiq et M. P. T. Acharya. Il est reconnu par l’IC comme groupe ayant voix consultative pendant le 3e Congrès de l’IC en 1921.
Parallèlement mais de façon indépendante, des groupes communistes apparaissent en Inde.
À Bombay (aujourd’hui Mumbai), autour de Shripad Amrit Dange; à Calcutta (aujourd’hui Kolkata), autour de Muzaffar Ahmad (Mujaphphara Āhamada); à Madras, autour de Malayapuram Singaravelu Chettiar (Singaravelar), qui en 1923 crée le Parti ouvrier Kisan du Hindoustan (kisan désigne les ouvriers agricoles sans-terre et les paysans pauvres); à Lahore autour de Ghulam Hussain. Ces groupes ignoraient mutuellement leur existence, et, mis à part G. Hussain, les activités de M. N. Roy et de l’IC.
Au milieu de 1924 un ex‑membre d’un groupe patriotique dans l’Uttar Pradesh, de nom Satyabhakta, annonce la création d’un Parti communiste indien. Au départ les groupes communistes existants n’accordaient pas d’intérêt à cette initiative, jusqu’à ce que Satyabhakta convoque une "Première conférence communiste indienne" à Kanpur pour les 25‑28 décembre 1925, à laquelle ils décident de participer. Durant la conférence, contre la seule voie de Satyabhakta, le comité de résolutions décide de nommer l’organisation issue de ces travaux, selon les normes de l’IC, Parti communiste d’Inde. Quelques jours après la conférence Satyabhakta se sépare de cette organisation et crée un nouveau parti nommé Parti communiste national.
En 1927 le PCdI tient une réunion élargie du Comité exécutif. Une constitution-programme est adoptée et une direction est désignée. Sachchidanand Vishnu Ghate est élu Secrétaire général, un présidium composé de cinq membres, dont Keshav Nilkanth Joglekar, Raghunath Shivaram Nimbkar et S. A. Dange, est formé.
Durant la période 1926-début 1929 des partis d’ouvriers et paysans apparaissent dans les provinces de Bengale, Bombay, Pendjab, Uttar Pradesh et Ajmer-Marwara, avec des orientations et des programmes qui coïncident largement.
Dans la province de Bengale, le Parti Swaraj ouvrier est constitué au sein du Congrès national indien le 1er novembre 1925 par Hemanta Kumar Sarkar, Kazi Nazrul Islam, M. Ahmad et autres. Le parti définit son objet comme "l’obtention du swaraj (voir : ►) dans le sens de l’indépendance complète de l’Inde basée sur l’émancipation économique et sociale ainsi que la liberté politique des hommes et des femmes", avec "l’action de masse non-violente" comme "moyen principal pour l’obtention de l’objet ci‑dessus". Il accorde une importance particulière à la tâche d’organiser les ouvriers et les paysans, et met en avant un ensemble de demandes aussi bien immédiates que finales pour ceux‑ci.
En 1926 le parti est renommé en Parti des paysans et ouvriers de Bengale. Il édite d’abord un organe hebdomadaire Langal, puis Ganavani (La Voix du peuple). Cette presse publie divers documents et articles concernant le marxisme ainsi que les évènements liés au mouvement ouvrier. Le magazine cesse de paraitre en octobre 1927. En février de la même année, le Parti adopte un programme. Il maintient la possibilité de l’adhésion de membres du Parti au Congrès national, et encourage ses membres de participer activement au Congrès. En 1928 il est renommé en Parti ouvrier et paysan de Bengale.
Dans la province de Bombay, une organisation du même type apparait en 1926. Son noyau est constitué par un petit groupe de membres du Congrès national, qui se réunit le 26 novembre et forme le Parti ouvrier du Congrès, avec Shantaram Savlaram Mirajkar comme secrétaire. En février 1927 il est décidé de changer le nom en Parti ouvrier et paysan. Du Comité exécutif font partie S. V. Ghate, R. S. Nimbkar et K. N. Joglekar qui sont membres du PCdI, S. S. Mirajkar qui rejoindra le PCdI ultérieurement la même année, ainsi que D. R. Thengde, L. M. Pendse et S. H. Jhabvala. R. S. Nimbkar, K. N. Joglekar et D. R. Thengdi sont membres de la direction du Congrès national.
Le parti adopte un programme qui correspond à la résolution adoptée par le Comité exécutif du PCdI en janvier 1927. Le programme précise que le Parti ouvrier et paysan est un parti politique indépendant basé sur les organisations de classe des ouvriers et des paysans, mais qu’il travaille aussi à l’intérieur du Congrès national pour former un bloc de gauche; il s’efforce à établir un large front antiimpérialiste pour atteindre "l’indépendance nationale complète" avec pour "objectif final" le swaraj socialiste. L’organe du parti, Kranti (Marathi, signifiant révolution) parait de mai à septembre 1927.
Au Pendjab, les choses se passent différemment. Un mensuel Kirti (Gurmukhi, signifiant ouvrier) est créé en février 1926 par Bhai Santokh Singh, président du parti Ghadar, créé en 1913 par des émigrés originaires du Pendjab. En 1927, suite au décès de B. S. Singh, Sohan Singh Josh prend en charge Kirti. En avril 1928 se tient la conférence constitutive du Parti Kirti Kisan (Parti ouvrier et paysan, KKP) à Amritsar. Un certain nombre de dirigeants nationalistes du Pendjab et de la North West Frontier Province (NWFP) sont présents, tels que Satyapal, Bhag Singh Canadian, Gopal Singh Qaumi. Parmi les principaux organisateurs du parti figurent S. S. Josh, Firozuddin Mansur (Feroz‑ud‑din Mansoor), Mir Abdul Majid (Meer Abdul Majeed), Kedarnath Sehgal. Kirti devient l’organe du parti, une édition en Urdu parait également. S. S. Josh est élu secrétaire général, M. A. Majid secrétaire adjoint. Selon une déclaration ultérieure de S. S. Josh, le KKP a pour objectif "l’établissement de l’indépendance nationale démocratique par la révolution". Le KKP diffère des partis de Bombay et Bengale au sujet de l’attitude à l’égard du Congrès national. Selon une déclaration de S. S. Josh, c’est une organisation ouvertement révolutionnaire de militants ouvriers et paysans désillusionnés par la politique défaitiste du Congrès, et qui n’a aucun lien avec le Congrès.
Le Parti ouvrier et paysan d’Uttar Pradesh et Delhi est fondé au cours d’une conférence tenue à Meerut en octobre 1929. La conférence est présidée par K. Sehgal; y assistent des dirigeants communistes d’autres provinces, tels que S. S. Josh, Philip Spratt, M. Ahmad. Puran Chandra Joshi est élu secrétaire du parti (il deviendra plus tard secrétaire général du PCdI). Le parti édite l’hebdomadaire Hindi Krantikari (Révolutionnaire).
Les communistes actifs dans les différents Partis ouvrier et paysan convoquent une conférence nationale qui se tient en décembre 1928, présidé par S. S. Josh. Se constitue ainsi le Parti ouvrier et paysan au niveau national, et les Partis ouvrier et paysan existants deviennent de comités provinciaux de ce parti.
Références:
A. R. Desai, Sunil Dighe (ed.): Labour Movement in India – Documents, Volume 4 – 1923‑1927; Indian Council of Historical Research; New Delhi, Pragati Publications, 1988.
– https://cpim.org/75th-anniversary-formation-cpi/
– https://cpiml.org/library/communist-movement-in-india/introduction-communist-movement-in-india/workers-and-peasants-parties
[27]. Dans l’original: "colonnes".
[28]. Marcus Mosiah Garvey.
Marcus Garvey est né au Jamaïque. En 1914 il crée l’“Association Universelle pour le progrès des Noirs” (“Universal Negro Improvement Association”, UNIA). En aout 1920, se tient à New York un congrès international de l’UNIA; il adopte une “Déclaration des droits des populations noirs du monde” (“Declaration of Rights of the Negro Peoples of the World”), qui considère tous les Noirs comme citoyens libres d’Afrique et réclame pour eux la pleine égalité de droits en tant qu’êtres humains. La même année, Garvey crée la Negro Factories Corporation et met en vente des actions pour les Afro-américains; d’autres entreprises sont créées dans le même esprit, telles que l’Universal Printing House et la Black Star Line. Le projet de Garvey consiste à obtenir l’indépendance de tous les pays d’Afrique et à créer les États unis d’Afrique; l’UNIA élabore un plan pour amener des Noirs en Afrique. Les conceptions de Garvey se réfèrent aux distinctions de race, et en 1922 il rencontre un dirigeant du Ku Klux Klan, Edward Young Clarke. La teneur de cet entretien est caractéristique de l’attitude de Garvey: lui était soucieux d’étendre le terrain d’implémentation de ses projets économiques, Clarke était intéressé par le fait que le UNIA se trouvait en opposition à une autre organisation d’Afro-américains, l’Association nationale pour l’avancement des gens de couleur (National Association for the Advancement of Colored People, NAACP). Cette dernière, créée en 1909, n’était pas limitée dans sa composition à des Noirs, et n’avait pas pour objectif la séparation des Afro-américains vis‑à‑vis des USA.
Garvey affirme notamment:
Le capitalisme est nécessaire au progrès du monde, et ceux qui déraisonnablement et sans justification le rejettent ou combattent, sont des ennemies de l’avancement humain. *
* Traduit de l’anglais par nous [321ignition]:
Capitalism is necessary to the progress of the world, and those who unreasonably and wantonly oppose or fight against it are enemies to human advancement.
[Marcus Garvey: The Philosophy and Opinions of Marcus Garvey, Or, Africa for the Africans, Volume 1; New York, Universal Pub. House, 1923; p. 72.]
[29]. Congrès de la 2e Internationale, 1928, résolution sur "le problème colonial".
Un Congrès de la 2e Internationale se tient à Bruxelles, du 5 au 11 aout 1928. Un des points à l’ordre du jour porte sur "le problème colonial". Voici un extrait de la résolution correspondante, votée à l’unanimité:
La politique coloniale a été un des moyens par lesquels le capitalisme s’est étendu sur la terre entière. Elle a ouvert l’accès aux trésors naturels des pays arriérés, développé chez eux la production et les moyens de transport modernes et ainsi énormément élargi la base des matières premières pour l’économie mondiale et aidé au développement de la division internationale du travail. Mais ce puissant développement des forces productives, ce grand progrès de la civilisation matérielle a été acheté au prix de bien des maux : les peuples indigènes, livrés la plupart du temps à une domination étrangère brutale, à l’exploitation et au pillage éhontés du capital étranger, dépouillés dans bien des cas de la possession de leur sol, et tenus, sous le fouet de maîtres étrangers, au travail forcé. Les profits résultant de l’exploitation des trésors naturels des colonies et du travail indigène s’écoulent souvent dans la métropole, empêchant par là le développement des forces naturelles et l’organisation de la production moderne dans le pays même. D’un autre côté pourtant, le développement de la production et des moyens de transport modernes dans les colonies, a été le point de départ d’une évolution moderne de l’état social et culturel chez les peuples colonisés, les rendant ainsi accessibles à des idées démocratiques, nationales et sociales modernes. Au cours de cette évolution, les peuples colonisés ont atteint des stades de développement divers. Des peuples de vieille civilisation ont, dès à présent, sous la domination étrangère, dépassé dans une large mesure leur situation rétrograde au point de vue technique et social. Il s’est développé, au sein de ces populations, d’importants mouvements nationaux, qui tendent à se libérer entièrement du joug étranger et à développer une vie nationale indépendante. Au pôle opposé sont des peuples colonisés qui se trouvaient, avant la domination étrangère, à un stade d’évolution très primitif, et ne l’ont même pas encore sensiblement dépassé sous la domination étrangère. Dans ces pays, les méthodes modernes de production et de transport reposent encore exclusivement sur la domination des étrangers. Sa disparition immédiate représenterait non pas encore le progrès vers une culture nationale, mais bien la régression à une barbarie primitive, non pas encore le développement d’une démocratie nationale, mais l’assujettissement des masses du peuple à la domination, soit d’une minorité de colons blancs, soit du despotisme indigène, ou à une nouvelle ère capitaliste et de guerres coloniales. Entre ces deux pôles, les divers peuples colonisés se trouvent à des degrés divers d’évolution. Le socialisme repousse le principe même de la domination étrangère établie sur les peuples colonisés. Il considère la suppression du système colonial comme une condition préalable d’une communauté internationale des peuples. Il appuie en conséquence les aspirations à l’indépendance des peuples coloniaux qui ont dès à présent atteint la condition d’une civilisation moderne indépendante et revendique pour eux la complète libération du joug étranger ou, s’ils le désirent, l’assimilation avec des droits égaux à ceux des citoyens de la métropole. Il réclame, pour les autres peuples colonisés qui ne sont pas encore à ce stade, une protection efficace contre l’oppression et l’exploitation, une éducation systématique dirigée vers la préparation de l’indépendance de ces peuples et, en même temps, l’extension de leur autonomie administrative poussée progressivement jusqu’à la complète autonomie définitive.
[Congo – Le livre blanc du P.S.B; Parti socialiste belge, Institut Émile Vandervelde, Fondation Louis de Brouckere, 1961; p. 15‑16.]